Archives pour avril 2016

Les ogres – Léa Fehner – 2016

19.-les-ogres-lea-fehner-2016-900x562Tous en scène.

   8.5   Des bras se frôlent, des respirations fusionnent, des corps s’entrelacent, indistinctement puisque le plan est sombre, approximatif, rapproché ; On apprivoise les fins tremblements, on devine la transpiration. Une ouverture comme une caresse avant qu’un vacarme ne vienne briser ce silence d’acrobate. Les corps ne sont alors plus des morceaux, ils saturent le cadre, autant que le bruit qu’ils émettent ; La mise en scène, elle aussi se transfigure, se met à tournoyer dans tous les sens, tentant de saisir chaque baladin sans y parvenir, sur scène ou en coulisse. Après tout, ce n’est qu’une introduction scénique, une représentation comme un levé de rideau, on a déjà vu ce genre de choses au cinéma. Mais pas comme ça. Pas en ayant l’impression de trouver ça sublime puis épuisant la seconde suivante et vice-versa. Et tout le film jouera sur ce trouble, impulsif, évanescent, qui pour peu qu’on finisse par l’amadouer (la première demi-heure peut vraiment être éreintante) se révèle un volcan d’émotions contradictoires jusqu’à nous faire oublier toute sensation de durée, toute linéarité préétablie. Le film pourrait durer une heure supplémentaire qu’on y verrait que du feu.

     La grande particularité de cette troupe d’itinérants, qu’on ne lâche pas d’un bout à l’autre du film, c’est que la plupart en sont vraiment, qu’il s’agit aussi et surtout des parents de Léa Fenher, qu’en somme elle filme beaucoup de son enfance là-dedans, surtout que les enfants, nombreux, ne sont pas en reste. Le plus étonnant et terrible est de constater qu’ils n’ont souvent qu’un père ou qu’une mère, mais le film n’appuie jamais là-dessus, c’est à nous qu’incombe d’imaginer le pourquoi de ces couples découpés, de ces familles éclatées. La cinéaste parvient aussi à raconter ceci : L’implication que cette vie requiert, le voyage de ville en ville et l’absolue communauté. Impossible en effet d’avoir un semblant d’intimité puisque leur terrain commun, ce cercle éternel produit par camions et caravanes, devient une salle de séjour, une scène de théâtre à sa manière, où tous s’observent et où chacun tient son rôle et se retrouve forcément un moment, dans un rapprochement ou une engueulade, au centre des attentions.

     Les Ogres aurait simplement pu raconter ce quotidien mouvementé et à fleur de peau en permanence, à la manière d’un documentaire sur le monde itinérant, que déjà il m’aurait plu, dans son authenticité, cette sensation de répétition (Notamment du même spectacle, chaque soir) et la longueur des séquences qui semblent parfois avoir été prises sur le vif mais sont inévitablement tirées de lointains souvenirs. Mais Léa Fenher a foi dans les forces de la fiction, allant piocher volontiers dans la comédie, la chronique et le mélodrame, pour faire éclater l’imprévu, au moyen d’une blessure (qui bouscule absolument tout puisqu’elle touche le rôle acrobatique, que personne d’autre ne sait tenir) ou les conflits de générations, les rapports de couple (la remplaçante recrutée n’est pas la bienvenue car il y a du passif dans l’air) ainsi qu’une grossesse sur le point d’arriver à son terme, avec cette femme enceinte d’un homme brisé par le décès de son fils cinq ans plus tôt.

     Les Ogres est ce cercle de vie et de mort, une tambouille magnifique, une histoire de famille qui dépasse toutes celles qu’on a pu voir. Il y a du Pialat là-dedans, probablement parce que les séquences ont souvent le droit à l’étirement qu’elles méritent et aussi parce que la cinéaste ne recule devant rien – Pour mettre en scène ce tournant narratif à mi-parcours, ce moment ou en gros, Marc Barbé explique à un auditoire enfantin comment pratiquer une sodomie, franchement, il fallait en avoir. Le film est hybride jusque dans ce mélange dans l’interprétation, où des amateurs mais véritables acteurs de troupe ambulante côtoient des acteurs professionnels, puisqu’on y croise aussi Adèle Haenel. Il y a du Kusturica là-dedans, l’émotion en plus ; Du Fellini, la grandiloquence en moins. Et le film a beau parfois utiliser ses sabots, dans sa manière d’accentuer son atout comique (chez le gynéco) ou d’appuyer sur une bienveillance évidente, malgré la violence de certaines situations (le retour de la tête brulée) rien à faire, j’en suis sorti en larmes. Lessivé, mais en larmes. Je trouve toute la fin avec les danses et le démontage du chapiteau, le bébé endormi ici, le bambin qui fait ses premier pas là et les plus grands qui accompagnent leurs parents dans leur besogne quotidienne, absolument miraculeuse, d’une douceur inouïe. Je les aurais bien accompagné jusqu’au village suivant.

Le convoi sauvage (Man in the wilderness) – Richard C. Sarafian – 1972

09.-le-convoi-sauvage-man-in-the-wilderness-richard-c.-sarafian-1972-900x571Initiation parallèle.

   8.5   Sorti dans la foulée de Vanishing point, Man in the wilderness, western rescapé du Nouvel Hollywood, apprivoise la province de Soria, En Espagne, pour imiter les étendues du Nord-ouest américain. Des trappeurs traversent le pays avec des peaux de castors, dans le but de les vendre, ainsi qu’un vieux rafiot tiré par des mules. Il y a dans l’abnégation du capitaine Henry une sorte de Fitzcarraldo avant l’heure, dans cette fuite impossible sur des eaux gelées et dans son aliénation malade certes moins absurde puisque son eldorado n’est autre que la transformation de ses peaux en or. Un peu de Moby Dick aussi ; Rien d’étonnant alors à voir John Huston camper ce rôle-là, nouvel Achab et véritable masse indéfinissable, qui s’ouvre un peu sur la fin.

     Son premier objectif est de filer tout droit vers le fleuve. A ses côtés, Zachary Bass, leur montre la voie et chasse le cerf. Jusqu’au jour où il rencontre un ours, pas commode. Laissé pour mort ou presque par le convoi – Il est demandé à deux d’entre eux de le veiller jusqu’à son ultime soupir puis de l’enterrer, mais devant les ressources improbables de Bass et les indiens à leurs trousses, ils l’abandonnent – et surtout par celui qui l’avait plus ou moins adopté, Bass survit là où personne n’aurait pu survivre et se transforme en bête : Il se cache sous un tas de feuille mortes pour masquer l’odeur de son sang, rampe entre les arbres, fabrique des pièges à lapins, dévore un morceau de bison chouré à une armada de loups affamés, puis se remet peu à peu et difficilement sur pieds – La réussite du film tient aussi beaucoup à la patience avec laquelle il observe Bass se remettre en selle – et traverse le pays désormais en solitaire, avec comme point de mire de rejoindre le convoi et de se venger de ceux qui l’ont abandonné.

     Depuis tout gosse, Richard Harris restait pour moi le chasseur chassé par l’orque, ce bon gros fumier de pêcheur détestable, dans Orca, de Michael Anderson. Son personnage est à peu près tout l’inverse ici puisque dans sa résurrection, moins de vengeance (Rien à voir avec l’évolution du dernier film d’Inarritu) que de retour vers le socle familial, vers le fantôme d’une femme (un rêve/flashback nous apprend sa mort) qu’il a délaissée par passion et vers un enfant qu’il n’a encore jamais vu ; Moins de forces obscures symboliques (Il ne va pas jusqu’à dormir dans les entrailles d’une canasson) que d’abandon aux doux reflets de la nature : Magnifique séquence du lapin blanc blessé.

     Dans sa première partie, le film aligne quelques retours gracieux mélangés à diverses hallucinations pas si gratuites dans leur incrustation puisqu’elles sillonnent l’état second dans lequel Bass, gravement blessé et revenu d’entre les morts, se situe. De la même manière, du côté du convoi réside la crainte de le voir réapparaitre qui leur fait croire à sa présence dans une épaisse brume nocturne qui peut avoir inspiré Carpenter. Dans son voyage in wilderness, Bass croise aussi ces indiens que le convoi fuit et bombarde périodiquement à coups de canons, mais selon une approche complètement différente. Il observe de loin leur passage, se cache dans des recoins de chemins, tombe sur une indienne en train d’accoucher le temps d’une séquence somptueuse. Et s’éveille progressivement au retour. Non un retour dans le rang mais vers la maison, traduit par une ultime séquence d’une extraordinaire beauté.

Love – Saison 1 – Netflix – 2016

14.-love-saison-1-netflix-2016-900x622Elle et Lui.

   8.0   Mickey et Gus sont tous deux dans une impasse affective, ils ont la trentaine et ne se connaissent pas encore. Le premier épisode s’intéresse à leur quotidien professionnel et leurs déboires sentimentaux. Elle travaille comme programmatrice dans une radio locale, lui est professeur particulier sur le tournage d’une série de sorcières. Et ils vont tous deux mettre un terme à la relation amoureuse stérile qu’ils entretiennent chacun de leur côté. L’épisode suivant les voit se rencontrer, un lendemain de cuite, dans une épicerie. Et les suivants vont les rapprocher, les éloigner, les assembler dans une mouvance rom’com qui s’affranchit aisément des codes de la comédie romantique. Apatow est derrière tout ça donc c’est forcément génial, drôle et sinistre, énergique et down tempo ; Toujours dans une évolution insondable. La série creuse les personnages qui gravitent autour de Mickey et Gus, avec entre autre la colocataire de Mickey – qui rappelle d’abord la Soshanna de Girls et devient beaucoup plus dès l’épisode du rencard entre elle et Gus, arrangé par Mickey. Ampleur que prend aussi cette mini starlette, incarnée par la cadette Apatow, Iris (qui fait quelques apparitions dans ses films) devenue ado. Ainsi que tous ces personnages secondaires croisés à la radio, au studio, chez Gus, par exemple lorsqu’ils font leurs soirées dédiées à créer des chansons de génériques de fin de films qui n’en ont pas. Idée qui fait écho à d’autres déjà apparues dans certaines réalisations d’Apatow, de Knocked up à This is 40. La série creuse moins l’humour gras habituel que les longues séquences évoluant sur un épisode entier : Ici un dîner ou les tournages studio, là une soirée cosy ou une soirée magie. Et donc s’aventure aussi dans les aspirations et la solitude respective de ses deux héros. A ce jeu-là, Mickey et ses dépendances multiples, à la drogue comme au sexe, sa dépression et son impulsivité, gagne par KO et campe un personnage relativement nouveau (féminin, déjà) dans l’univers du cinéaste, depuis le très beau virage Crazy Amy, en fait. Les dernières minutes de la saison m’ont fait chialer. En fait, je suis tombé amoureux aussi bien de Mickey que de Gus. De la cruauté malade de Mickey, toujours à contretemps. Et de la façon qu’à Gus de jouer avec son corps couplé à une énergie maladroite dans le langage qui m’ont souvent évoqué Woody Allen, celui de Annie Hall. Ils vont sacrément me manquer ces deux-là. Vivement la saison 2.

Suite armoricaine – Pascale Breton – 2016

04.-suite-armoricaine-pascale-breton-2016-900x638Les cendres du temps.

   8.5    Qu’il est bon de voir un film si singulier, riche, puissant, radical, ambitieux. Qu’il est bon d’être à ce point surpris ; Par une cinéaste qui n’a pas froid aux yeux ; Par un récit aussi romanesque qui se réinvente en permanence ; Par une comédienne aussi habitée. Suite armoricaine est délicat à définir, quasi impossible à résumer. L’action se déroule surtout à Rennes et majoritairement dans un milieu universitaire où l’on suit Françoise, qui enseigne l’histoire de l’art et Ion, étudiant géographe.

     Du haut de ses 2h28, Suite armoricaine ose à peu près tout dès l’instant qu’il se concentre sur ces deux pôles, magnétiques et mystérieux, leur passé trouble, en faisant de leur progression (sur l’année scolaire) un chemin de réminiscences, changements de cap et fuite de leurs fantômes. Rennes devient l’étrange terreau de cette initiation, partagé entre ses amphis et ses forêts indomptables. On assiste aux cours de Françoise, sur Les Bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin, Charon traversant le Styx de Patinir, la lettre T dans la représentation de l’infini moyenâgeux ; On suit la rencontre entre Ion et Lydie, non voyante, une carte géographique qu’il observe sur une loupe binoculaire pendant qu’elle écoute le mouvement des arbres (séquence qui m’a beaucoup rappelé la partie architecturale d’Un amour de jeunesse, de Mia Hansen-Løve) puis une balade magique où il l’invite à grimper sur ses épaules.

     En parallèle se joue non pas l’Histoire mais leur histoire, celle de Françoise notamment, qui revient sur Rennes, ville de son enfance (Lors de son premier cours, elle explique avoir été aussi sur ces strapontins vingt ans plus tôt) et retrouve des amis d’antan dont les images se sont scellées sur une photo ; Ainsi que la mère de Ion (dont il s’était persuadé qu’elle était morte) qui refait surface, l’embarrasse, jusqu’à vraiment finir par mourir. Si l’on sait que tous deux – Françoise et Ion – ont quelque chose en commun, que leur rencontre va se collisionner autrement que dans une banale relation prof/élève, le récit ne force absolument aucune porte, laisse vivre leur présent (Les deux premiers chapitres s’intitulent « Here & now » puis « Her & now » lorsque Ion et Lydie se mettent ensemble et que Ion et Françoise se rapprochent imperceptiblement) de façon à faire éclater des brèches insensées, sans qu’on ne s’y attende – Magnifique séquence devant Le nouveau-né, de Georges de La Tour, qui fait écho à celle du tableau au chignon de Carlotta dans Vertigo. Quand le film file vers son épilogue, que Françoise revient sur les terres de son grand-père défunt, le film se laisse gravir par la majesté de sa mise en scène, ici dans un plan de bascule bouleversant, là dans un ultime plan fixe d’un fleuve dont la boucle est caressée par un hors bord.

     Si Suite armoricaine emprunte clairement à Proust citant ouvertement A la recherche du temps perdu et tentant de s’en assumer humble et lointain petit frère, c’est au cinéma de Weerasethakul auquel on pense beaucoup aussi, dans la manière que le film a de jouer sur l’envergure temporelle, d’imbriquer la réalité dans les rêves, d’effectuer des correspondances étranges entre séquences (Deux scènes qui chevauchent les points de vue comme Gobert avait si minutieusement réussi à le faire dans Simon Werner a disparu), de jouer sur l’importance des éléments naturels (le vent en priorité) et de troubler les narrations habituelles. Le film est trop dantesque pour ne pas être un minimum bancal, déceptif et insoluble mais bordel, quelle belle, très belle surprise.

La chèvre – Francis Veber – 1981

12963398_10153585177772106_4183521704857973084_n« J’avais une vie un peu plate, avant de vous rencontrer, Perrin »

   9.5   Voici toute mon enfance ou presque, tant je l’ai regardé des dizaines et des dizaines de fois, entièrement ou par morceaux, connaissant encore aujourd’hui chacun de ses enchainements, devançant chacune de ses répliques. Je me souviens d’une cassette vidéo (enregistrée, cela va sans dire) qui avait bien morflée et qui un jour, par maladresse de quelqu’un qui n’a jamais plaidé coupable, avait été amputé d’une séquence (Celle du singe, la moins bonne donc ce n’était pas très grave) qui voyait à sa place je ne sais quelle autre scène de film qui s’était enregistré bêtement par-dessus. Au rayon des anecdotes « La chèvre » on pourrait ajouter que ma (légère) malchance coutumière m’a inévitablement fait porter le surnom « Perrin » depuis toujours ; Le même que celui de mon cousin, pire que moi, qui se baigne dans l’océan avec ses clés de voiture, se prend les pieds dans le fil électrique qui relie une marmite pleine de sauce, doit prendre le volant, bourré, car les flics accusent sa conductrice de somnoler. Et j’en passe. Il y en a tellement.

« Perrin, il n’y a pas de sables mouvants signalés dans cette région »

     Ce qui me touche tout particulièrement dans La chèvre, plus que dans les autres Veber de la même période, pourtant construit à l’identique ou presque, c’est la place offerte à la comédie romantique, bien que cela reste relativement souterrain. Le film est en effet un enchaînement de situations visant à faire se rencontrer deux personnages, les plus malchanceux du monde (Ceux qui choisissent la chaise cassée dans une salle de réunion, qui mettent le feu dans un village mexicain) dont on peut entrevoir, dans une dernière forte séquence, l’impossible et sublime idylle.

« Je me gare peut-être dans la merde mais j’ai pas du caca dans les yeux ; Quand j’ai la photo d’un type dans la poche, j’ai pas besoin de deux voyages pour arriver à le reconnaître »

     Tout le scénario est offert très vite par un personnage, Meyer, secondaire dans l’histoire mais décisif dans sa finalité. Une jeune femme a disparu depuis six semaines (Dans un bref prologue, le film nous offre les circonstances de son évaporation, une affaire de parachutiste et de vol de sac à main) et n’a jamais été retrouvé, malgré les efforts du meilleur détective qui soit, Campana aka Depardieu, fringante armoire aux yeux bleus, coupe au bol bon teint, qui palabre peu mais n’hésite pas à faire parler ses coups de boule. Sa recherche en solo tient du hors champ puisque c’est dans sa quête en duo, six semaines plus tard, que le film va se pencher. Un duo qui ne peut pas en être un puisque Campana n’a jamais travaillé accompagné. C’est pourtant François Perrin qui lui tiendra compagnie, un type du service comptable, simple, sans histoire, qui a la particularité d’être quelqu’un d’extrêmement malchanceux, comme pouvait l’être Eugène Delacroix, sur lequel s’appuie la théorie de Meyer pour convaincre Campana de faire équipe avec Perrin.

« Quelqu’un comme vous ne peut pas retrouver la petite Bens, parce que vous êtes normal ».

     Selon lui, seul un type aussi malchanceux qu’elle peut retrouver sa trace, en tombant dans les mêmes trous qu’elle, en se cognant dans les mêmes portes. Sur ce postulat aussi génial qu’absurde, La chèvre aligne un entrelacs de situations toutes plus rocambolesques les unes que les autres, sans une seconde de répit, de longueur ou de lourdeur, du bar à putes Le Sunny club au Cercle de jeu de Mr Fernando, de l’Aéroport d’Acapulco aux petits ronds de l’avion de tourisme au-dessus de la forêt, des sables mouvants à la prison ; Offrant probablement le plus beau buddy movie comique français, solaire de surcroit, qu’on ait vu depuis trente ans. Pas moins.

« Pardonnez-moi cette démonstration de force, Campana, mais j’ai horreur qu’on me marche sur les pieds »

     Si la dimension (homo)sexuelle est effacée ou masquée sous une trop grosse couche d’hétérosexualité virile (Tous deux se font des putes, enfin, Campana tout du moins, mais Perrin n’est pas si loin) on peut louer une certaine tendresse qui émerge d’une relation d’abord étriquée. Rappelons que Les fugitifs se ferme aussi sur une promesse familiale lumineuse dans laquelle Pignon aurait pris la place de cette mère (C’est lui qui doit improviser une grossesse) défunte ; Que Les compères se clôt sur l’acceptation (par l’adolescent) qu’il ait deux pères. La chèvre a toute les caractéristiques de la bromance jusque dans sa résolution où l’on demande à Campana, arrivé dans l’infirmerie en pleine jungle pour y retrouver Perrin, s’il est de la famille. S’il n’avait sans doute pas répondu par l’affirmative 1h30 de métrage plus tôt, c’est un Oui franc qui l’emporte dorénavant. Perrin est devenu comme son petit frère ; Probablement parce que ce qu’ils ont traversé durant leur périple d’Amérique Centrale (Quelques jours tout au plus) vaut largement, niveau risque, aventure, rebondissements, intensité, ce que des frangins peuvent traverser durant toute une vie.

« La fille à l’œil rond, l’indien avec les lunettes, la bouteille de butane dans le pavillon de St-Cloud. Et j’ai basculé, moi. J’ai perdu la boule. Voilà »

     Si la fin est si émouvante c’est sans doute parce que nos yeux se fondent dans le regard de Campana, confronté à cette image aussi magique qu’invraisemblable : Perrin sur le même radeau de fortune que la petite Bens, glissant éventuellement vers une nouvelle kyrielle d’obstacles improbables. La bromance cachée fusionne avec la romance merveilleuse. Quelque part, oui, Meyer est un génie. Logique puisque c’est de lui (son personnage) que tiennent toutes les fondations scénaristiques.

L’anglaise et le duc – Eric Rohmer – 2001

30Révolution.

   7.0   J’entre dans la dernière période rohmérienne, constituée principalement de trois ultimes longs métrages. Le cinéaste vient d’avoir 80 ans et vient tout juste de terminer son dernier conte, mais il plonge à nouveau, comme dans les années 70, dans un projet historique démesuré, en costumes et en décors factices. Rohmer s’attaque cette fois à la Révolution française et adapte les mémoires de Grace Elliot, une aristocrate inconnue des cours d’Histoire, qui fut notamment la maîtresse du Duc d’Orléans quelques temps avant les événements de juillet.

     De l’existence de cette femme, il reste un ouvrage intitulé Ma vie sous la révolution, retranscrivant son journal intime entre le premier anniversaire de la Révolution en 1790 et sa libération de prison en 1793. Ce qui intéressait Rohmer c’était surtout de traiter la grande Histoire sous l’angle de la petite, intimiste, inédite. Et plus qu’un film musée, prendre le parti du conte moral : Le film relève moins de l’épopée que du combat vain, d’une vérité de point de vue, artistique plus qu’historique, qui est celui des monarques victimes de la Révolution puis du régime de la Terreur.

     Mais le film vaut beaucoup pour la richesse et le ludisme de ses dialogues raffinés, empruntés et adaptés de ceux de Grâce Elliot. En prenant ce récit inconnu de tous, Rohmer peut contourner l’Histoire connue de tous et observer les évènements majeurs de la Révolution (La fête de la Fédération, la prise des Tuileries, l’exécution du roi, les persécutions et la chute de Robespierre) sous la lorgnette d’une aristocrate écossaise installée à Paris, puis à Meudon, terrifiée par ce qu’elle voit (période moins glorieuse de la Révolution française où l’on coupe des têtes voire les accrochent à des piques, comme c’est le cas de celle de la Duchesse de Lamballe) mais n’hésitant pas à venir en aide aux prisonniers politiques.

     Si les intérieurs sont reconstruit en studio à base de trompe l’œil (que n’aurait pas renier Zucca) aux fenêtres, le gros du travail vient essentiellement des scènes extérieures, intégralement tournées dans un immense studio sur fond vert, sur lequel des peintures viennent se superposer à l’écran. Problèmes de perspectives, d’entrées et de sorties de champ, différence d’échelle : un vrai casse tête de laboratoire. Rohmer qui n’a jamais rien fait comme personne s’attaque aux technologies modernes (ajoutant à ses peintures de nombreuses incrustations numériques afin de brosser la profondeur) en ouvrant un bel hommage au cinéma bricoleur de Méliès.

     Au-delà de son aspect formel ordonné et simpliste (ou pédagogique, selon l’humeur) – intérieures et extérieurs mêlés – Rohmer ne cherche aucunement à masquer l’artificialité de ses partis pris esthétiques et invente, en intérieur, des tournures mise en scéniques minimalistes inhabituelles à l’image de cette longue séquence (Le film est bien entendu souvent construit sur de longues séquences) où Grace cache le marquis de Champcenetz, le gouverneur des Tuileries dans son lit, tandis que ses quartiers sont fouillés par la garde républicaine ; Voire dans cette fin, où le cadre décapite volontiers chacun des personnages envoyés à la guillotine.

L’atelier d’Éric Rohmer – 1993/2009

82Rohmériennes.

     Le coffret Rohmer de chez Potemkine (dont je commence à voir le bout, snif) abrite aussi ce que l’on appellera L’atelier d’Eric Rohmer, dans lequel onze films, onze courts métrages sont recensés ayant de près ou de loin rapport à l’univers Rohmérien, surtout parce qu’ils sont écrits et mis en scène par des femmes ayant participé à ses films, ses actrices muses pour la plupart, de Rosette à Marie Rivière. Rohmer produit et découpe le tout, entre 1993 et 2009, le dernier en date, La proposition, qui sera donc son dernier travail. Onze films, deux parties : Modèle & Anniversaire. En soi, c’est déjà un programme éminemment rohmérien.

L’anniversaire de Paula – Haydée Caillot – 1993

     Haydée Caillot a pas mal joué chez Rohmer, toujours dans des petits rôles, de La femme de l’aviateur à Conte d’hiver. L’anniversaire de Paula suit une femme qui s’apprête à fêter ses 50 ans, dans sa solitude et ses errances dans un Dunkerque bleu, d’une tristesse absolue. Une gravité qu’on n’avait jamais vu chez Rohmer (ou alors il faudrait chercher du côté de Conte d’automne, vite fait) tant elle habite littéralement les 16min de ce film.

France – Diane Baratier – 1996

     Diane Baratier était directrice de la photographie chez Rohmer dès L’arbre, le maire et la médiathèque jusqu’à son dernier. France, 17min, raconte un peu de France, le personnage, qui conduit des métros le matin, fait de la danse brésilienne l’après-midi et dont c’est l’anniversaire, qu’elle a prévu, elle en est persuadée, de passer avec un garçon très bien qu’elle vient de rencontrer. Elle ne cesse d’essayer de le joindre mais il ne répondra jamais. J’avoue m’être un peu délecté de son désespoir tant sa suffisance et certitude m’ont gonflé. Là je retrouvais pas mal de Béatrice Romand dans Le beau mariage, en gros.

Un dentiste exemplaire – Aurélia Alcaïs & Haydée Caillot – 1998

     J’ai déjà parlé d’Haydée Caillot, parlons un peu d’Aurélia Alcaïs : Elle n’est crédité que dans un seul film de Rohmer, Conte d’automne. Elle y jouait Emilia, la fille du personnage campée par Marie Rivière. C’est elle qui joue le rôle de Mélanie dans Un dentiste exemplaire. Afin de se payer un voyage aux Etats-Unis, Mélanie envisage, sur les conseils d’une amie, Alexandra, de faire des photos de nu. Cette dernière lui explique, en lui tendant un ouvrage de photos noir et blanc, qu’il lui est arrivé de poser elle aussi, que financièrement ça dépanne plutôt bien. A l’appui elle lui montre l’une de ses photos sur laquelle Mélanie ne la reconnait pas. Elle est rassurée. Sur la page d’à côté, elle observe la photo d’un homme. Plus tard, lors d’une visite chez le dentiste, elle aura la sensation que le visage de son dentiste et celui de l’homme sur la photo se confondent. Sans certitude. Ce n’est que lors de sa séance de pose qu’elle le croisera de nouveau. Pur quiproquo complètement invraisemblable qui rappelle notamment un épisode des Rendez-vous de Paris. Délicieux.

Une histoire qui se dessine – Françoise Quéré – 1999

     Si le nom de cette femme ne vous dit rien, c’est parce qu’elle existe au cinéma (Elle joue dans pas moins de six longs métrages de Rohmer, systématiquement un rôle secondaire) et à la télévision sous un doux pseudonyme : Rosette. Elle fut aussi réalisatrice d’une petit série éponyme, assez anecdotique dont on pourra surtout retenir l’épisode Rosette vend des roses, avec de l’indulgence. Une histoire qui se dessine, s’il est attachant, demeure encore dispensable et paresseux. Le film vaut surtout pour les présences de Vincent Dieutre et Emmanuel Salinger, qui s’amusent bien qu’on ne comprenne pas trop ce qu’ils viennent faire là. Sur le Pont des Arts, une dessinatrice de rue dérange un autre dessinateur pendant qu’il croque un couple de japonais ; Puis il viendra la perturber dans le sien, sur la place du Trocadéro. On est en plein marivaudage. C’est mignon comme tout mais ça ne va pas plus loin.

La cambrure – Edwige Shaki – 1999

     J’avais déjà vu ce court métrage, je ne sais plus comment ni pourquoi mais je le connaissais et m’en souvenais assez bien. Edwige Shaki n’est pas une muse de l’univers rohmérien, du moins pas encore, puisqu’elle tournera avec lui L’anglaise et le duc, uniquement où elle n’y tient qu’un rôle figuratif. La cambrure aurait aussi bien pu faire partie des Rendez-vous de Paris, qui en reprend sensiblement les mêmes codes que le troisième segment. Le film étale un peu trop ses références en citant à foison Modigliani, Cézanne, Degas mais j’aime beaucoup sa manière qu’il a de tout érotiser – Et le film ne parle que de ça : Le corps d’une femme évoquant à un homme le nu sculpté de son oncle. Et puis Edwige Shaki, sublime créature, blonde à la silhouette élancée, est devant et derrière la caméra et passe le plus clair de ces 16 minutes les nichons à l’air. Plaisir des yeux.

Le canapé rouge – Marie Rivière – 2005

     Inutile de présenter Marie Rivière si l’on est un minimum familier du cinéma de Rohmer. Marie Rivière c’est Rohmer. Huit films tournés ensemble qui la plupart sont des merveilles. Mais citons seulement Le rayon vert et tout est dit. Marie Rivière choisit de lancer son film sur la rencontre de deux vieilles connaissances puis c’est l’aventure d’un tableau qui prendra le relais. Lucie accepte de poser pour son amie, en planifiant d’offrir le tableau à son mari infidèle, de façon à ce qu’il ne cesse de penser à elle jusque dans son lieu de travail dans lequel il passe le plus clair de son temps. Le film emprunte aux codes rohmériens ses thématiques du voyeurisme, de l’exhibitionnisme, de la pulsion et du narcissisme doux en le déployant jusqu’à son point de rupture. Ce qui est très beau ici c’est le chemin parcouru entre le premier (le foisonnement d’un carrefour parisien) et le dernier plan (Une toile enfermée dans un cadre) et l’espèce de réconciliation/remariage que cette peinture va provoquer, sur l’idée de reconnaître un sujet si tant est que l’on connaisse parfaitement le modèle. C’est très beau. Certes c’est un peu lisse et statique dans la forme, mais l’abandon (comme à son habitude) de Marie Rivière (Quelle actrice incroyable !)  qui joue Lucie, permet à ce court métrage d’être haut la main  le plus beau de cet Atelier des Modèles.

Des goûts et des couleurs – Anne-Sophie Rouvillois – 1997

     Violette et Nicolas se promènent dans Paris. Viennent-ils ou non de se rencontrer ? Mystère. Sur les étalages d’une échoppe, ils se rendent compte qu’ils recherchent le même livre. Ils ont aussi en commun le rejet des évangiles de Saint-Paul. Dans un carton de disques, ils écouteraient bien tous deux Bach. Ils ont le même chiffre porte-bonheur, la même couleur préférée. C’est carrément flippant, reconnait Violette. Demain, pour son anniversaire (qu’elle s’apprête à fêter seule) elle et Nicolas décident de diner ensemble. Une longue introduction qui permet de retrouver les codes et thématiques du cinéma de Rohmer en misant sur la balade et la discussion, l’art et le hasard. Avant le diner, Violette s’en va s’acheter une robe, mais n’est guère convaincu. Plus tard, c’est Nicolas qui s’en va lui acheter une robe, en guise de cadeau. Deux d’entre elles s’offrent à lui : la rouge (à pois) et la jaune (à fleurs). La rouge plaisait beaucoup à Violette et la jaune la dégoutait, mais ça, Nicolas ne le sait pas. Il choisit de prendre la jaune, se persuadant qu’elle irait mieux à Violette. Le soir, lors de l’ouverture de son cadeau, Violette est d’abord surprise puis moqueuse, avant de s’emporter et rejeter totalement Nicolas qui voudrait absolument qu’elle passe la robe pour lui. Ils ont enfin trouvé leur point de désaccord. Le pire de tous. Sous ses allures de petite comédie boulevardière, le ton bascule à nouveau dans l’incompréhension avec cette idylle contrariée sur un détail puis enfonce chaque personnage dans la solitude, se fermant sur le départ précipité de Violette. Ce beau court permet surtout de retrouver avec bonheur Eric Viellard, qui jouait Fabien dans L’ami de mon amie.

Heurts divers – Florence & François Rauscher – 1998

     Le candide que je suis n’avait pas capté le double sens de ce curieux titre. C’est pourtant lui qui donne le la de ce film anniversaire perturbé par le changement d’heure. La mise en scène est certes nettement plus plan-plan qu’elle n’aurait dû être mais le jeu hasardeux qui se joue entre d’un côté cette fille qui fait la connaissance d’un de ses collègues et de l’autre son frère qui en quitte une pour en trouver une autre, avant de se retrouver tous deux le lendemain pour l’anniversaire de leur papa, en fait un joli conte, attachant, très rohmérien, qui aurait presque mérité d’être étiré sur un format long.

Les amis de Ninon – Françoise Quéré – 1997

     Le mari et les enfants de Ninon sont absents le jour de son anniversaire. Elle décide de faire une soirée pas banale dans laquelle elle invite quelques-uns de ces ex pour savoir ce qu’ils sont devenus, retrouver le semblant de flamme qu’elle animait en eux jadis. Tout cela en espérant qu’ils viendront accompagnés pour créer une ambiance des plus singulières. L’idée prometteuse s’effondre vite sous le violent poids du vide qui caractérise l’écriture Rosette qui joue et réalise. On retrouve tout ce qui était si empesé et anecdotique dans Les aventures de Rosette, dans les années 80. La soirée est un fiasco mais ça on le présentait. Surtout, rien n’émerge de cet appartement, de cette gêne commune, de ces dialogues dévitalisés par l’embarras. Tout parait faux, surjoué. Vingt-cinq minutes de remplissage. Vraiment pas terrible.

Le nu à la terrasse – Annie Balkarash – 2008

     Là encore il est question d’un tableau. Un couple emménage dans leur nouvel appartement et garnisse le meuble de cheminée d’une toile de nu, trouvée d’occasion, qu’ils aiment tous deux beaucoup. Plus tard, lors d’une crémaillère en petit comité, sa grand-mère à lui découvre le tableau, embarrassée puis trouve un prétexte pour s’en aller. On aura deviné qu’elle fut le modèle. Le film s’amuse énormément, à la fois en semant le trouble sur ce couple, qui découvre bientôt que la toile a disparu mais aussi en créant une ellipse donc une passerelle judicieuse dans sa dernière partie. Il y a quelque chose, un ton, une respiration alors que tout est intégralement tourné en intérieur ; Une volonté ludique aussi de jouer sur le mystère, il y est là aussi question d’une clé subtilisée comme dans Conte de printemps. Et mine de rien une dimension assez étrange dans cette manière que l’homme a d’observer le tableau, ses couleurs, l’érotisme qu’il dégage via les formes, parfaites, répète-t-il, de cette femme nue qui ne sont donc que celles de sa grand-mère.

La proposition – Anne-Sophie Rouvillois – 2009

     Il s’agit donc du tout dernier film tourné pour la Compagnie Rohmer, un court-métrage de quinze petites minutes, relativement anecdotique dans son déroulement mais qui a au moins de mérite de rappeler combien Rohmer était le cinéaste des femmes, ne cessant de les filmer avec grâce et nuance. Ici il n’est simplement chargé que du découpage, à l’instar des dix autres courts que constitue ce coffret. Pourtant c’est comme si l’on sentait un retour de Reinette et Mirabelle, dans leur complicité comme dans leur antagonisme ; Une longue introduction suit une discussion qu’elles tiennent sur la nudité, comme rempart ou représentation, glissant vers leur vision de la pudeur et du puritanisme. Par provocation envers son amie, l’une choisit de poser nue pour un peintre. Et si la dernière scène l’enferme dans un quiproquo (Là encore, thématique chère à Rohmer) savoureux, on notera essentiellement cette mise à nu absolue, devant un miroir, que la mise en scène choisit de nous offrir en un seul plan. Rohmer n’avait jamais osé filmer cela de si près. Anne-Sophie Rouvillois lui aura offert ce cadeau, en guise d’adieu, en somme.

Urgences (ER) – Saison 6 – NBC – 2000

13041132_10153616752482106_2799686655865013231_oAll in the family.

   9.0   On en voit pourtant beaucoup des choses durant cette sixième saison (Romano chef du personnel, Le départ de Jeannie, La présence de Rebecca De Mornay, L’accouchement de Carol, Les arrivées de Kovac, Malucci, Abby et Cleo, Le cancer du père de Mark…) mais rien à faire, c’est à deux épisodes au centre auxquels on repense inéluctablement. Deux épisodes en pleine Saint-Valentin (Quelle cruauté n’empêche) qui se suivent puisque le premier se ferme sur une séquence terrible, un coup de massue, que l’on reprend dans le suivant, d’un autre point de vue. Dès lors on sait qu’on va morfler. Plus que les destins croisés des deux personnages concernés (le fameux vivront / vivront pas ?)  C’est probablement avec ceux qui gravitent autour que l’on tient là l’un des épisodes le plus marquants, éprouvants de toute la série. De toutes séries confondues. Kerri Weaver toujours très pro, toujours à fond (Avant sa découverte macabre, c’est elle qui vient briser la fête et baisser la musique) passe la main, défaite, après avoir découvert les corps inconscients de ses deux collègues, dans un vrai bain de sang. Romano, l’un des personnages les plus antipathiques à l’accoutumée, explose de fragilité – Cette manière qu’il a de tout balancer lorsque les palettes ne parviennent pas à ramener la jeune femme. Elizabeth, mon personnage féminin préféré (Depuis un moment maintenant) sera la dernière à parler à Lucy, dont on ne tirera qu’un ultime remerciement, et deux dernières lettres « EP » quand elle sait qu’elle fait une embolie pulmonaire, qui s’en va la foudroyer. Et dans la pièce d’à côté Benton qui s’occupe de sauver Carter, c’est aussi une belle façon de rendre hommage à leur relation qui existe depuis les tous débuts. C’est drôle car ce sont ces deux épisodes en un qui m’avaient donné envie de tenter l’aventure Urgences ; J’étais tombé sur une diffusion télé vraiment par hasard et ça m’avait happé. C’était il y a plusieurs années, donc j’ai eu le temps de tout oublier ; Enfin disons que c’est plus simple de tout oublier quand on ne connait pas les personnages qui traversent une telle épreuve. Je ne sais pas pourquoi mais je me souvenais de cette séquence de décompression au café, lorsque Kovac et Malucci (les nouveaux) écoutent les infirmières leur raconter une anecdote Lucy / John qu’ils n’ont pas vécu, avant qu’on ne vienne leur apprendre que la première ne s’en est pas sorti. Tous mes souvenirs me sont alors revenus de plein fouet durant l’épisode. Et j’ai souffert comme jamais. C’est intenable en permanence. Ça me file des frissons rien que d’en parler.

In Jackson Heights – Frederick Wiseman- 2016

In Jackson Heights – Frederick Wiseman- 2016 dans Frederick Wiseman injacksonheightsCosmopolis.

   7.0   Wiseman est un cinéaste atypique en ce sens que s’il déploie un cinéma volontiers territorial, il s’agit chaque fois moins de filmer un lieu que les gens qui l’habitent. Qu’il place son objectif dans une salle de boxe, L’Opéra de Paris ou l’université de Berkeley ce qui l’intéresse en priorité c’est toute cette diversité qui les traverse : Visages, corps, parole. Jackson Heights, quartier de New York, n’échappe pas à cette règle dorénavant immuable et le film va plus loin puisqu’il n’a jamais autant question de multiculturalisme. Comme Brooklyn ou Astoria, Jackson Heights permet de rejoindre Manhattan en métro. C’est en partie ce qui séduit tout le monde : les habitants et les promoteurs. Car oui, Jackson Heights est en pleine transformation, subissant la gentrification du fait de quartiers voisins surchargés. Les crédits baux ne sont plus renouvelés, tout augmente de part et d’autres et les petits commerçants ferment ou sont en passe de fermer pour bientôt céder la place, leur place, à des groupes et des chaines. Loin de verser dans le documentaire pamphlétaire façon Michael Moore, Wiseman filme le quartier comme s’il s’agissait de sa dernière respiration et donne l’impression de voir et d’entendre les derniers commerçants, d’observer un ultime défilé gay Pride – On sait combien le quartier est le terreau du mouvement LGBT – et d’assister aux derniers soubresauts improbables d’une communauté gigantesque construite sur la différence. Comme d’habitude (avec Wiseman) le film est sans voix off, sans mentions du nom et profession des personnes apparaissant à l’écran (ce qui n’empêche aucunement d’avoir l’impression de tous les connaitre à la fin) et sans autre texte, citations ni musiques, sinon diégétiques. Wiseman filme en étoile d’un commerce à l’autre, d’une réunion à l’autre, d’un bâtiment à l’autre, d’une manifestation à l’autre, en repassant systématiquement sous le métro aérien, qui semble être le point névralgique du quartier. Parfois, une présence suffit pour observer, sans parole, chez un tatoueur, des concerts dans la rue ou dans une laverie, danses du ventre dans une salle, cours de langues, festivités de night-club, prières dans une mosquée, une église ou une synagogue, mais souvent c’est la parole qui guide tout, à l’image de cette femme contant la migration difficile de sa fille, cet homme son licenciement abusif, ce commerçant clamant son désespoir face aux charges considérables, cette centenaire racontant sa solitude. On passe de l’un à l’autre le plus naturellement du monde, c’est Jackson Heights, pluralisme improbable et sublime. Sur le point de disparaitre.

The Walking dead – Saison 6 – AMC – 2016

The Walking dead – Saison 6 - AMC - 2016 dans Séries the-walking-dead-saison-6-episode-16The next world.

   6.5  C’est un très beau season final qui vient fermer une saison inégale, mais attachante, comme souvent. Sombre, tendu, vraiment éprouvant comme il faut. Toi lecteur du comic, tu auras compris que Negan est arrivé. Les autres, oubliez le gouverneur, c’était une lopette. L’épisode qui clôt la saison et dure 1h (ça semble devenir une habitude) est une merveille sous tension, qui se loge largement au-dessus d’une saison en demi-teinte où l’on sera passé par quelques états de grâce, à l’image de l’épisode Morgan qui tranchait complètement avec ce qu’on a l’habitude de voir dans The walking dead. Tout s’y déroule plut tôt, après la mort de l’enfant de Morgan, en gros. Admettons que cela ait lieu pendant que les autres sont dans la prison. Morgan y rencontre un homme (joué par l’excellent John Carroll Lynch) qui campe un personnage meurtri mais sage, qui va le faire revivre, le reconstruire. « Everything is about people. Everything in this life that’s worth a damn. » Credo parmi d’autres qui permet de comprendre ce qu’est devenu le nouveau Morgan. Avant cet épisode parfait, mais après une ouverture de saison un brin ratée, la série offrit deux très beaux épisodes, qui parvenaient à insuffler un chaos sans précédent. Entre les meutes de zombies, les situations extrêmes et les différends entre les personnages habituels et ceux d’Alexandria, on tenait là enfin le survival désespéré qu’on avait toujours espéré. Probablement la première fois qu’une telle qualité était offerte dans The Walking Dead.

     Puis, consciente du niveau qu’elle avait posé, la série, coutumière du fait, s’essouffla. Et nous offrit de gros moments de perplexité comme TWD sait nous en concocter à l’image du pseudo suspense autour de l’éventuel mort de Glenn (au secours) complètement balourde à l’écran, ou du parti pris raté du cliff de mid-season, qui reprend la trame des livres sans en atteindre ce climat de carnage jusqu’à la stupéfaction. L’épisode en question est raté. Tout mou. Alors que dans les bouquins c’est probablement le truc le plus fort autant qu’il est bref (c’est pour ça qu’il est impossible de couper selon moi). Je suis déçu que la série se fige dans cette lourdeur alors qu’elle l’avait si bien contourné jusqu’ici, dans cette saison tout du moins. D’ailleurs l’a vu dès le retour, ça fonctionnait nettement moins bien après la coupure. C’est creepy comme dans les comics et ça reprend des moments forts mais ça a forcément moins de saveur car on s’y attend, il manque toujours la continuité. La deuxième partie de saison avec l’arrivée de Jesus change de ton, accélère à peu près tout, jusque dans la guérison de Carl. On approche « La colline ». Une nouvelle idylle voit le jour. Et « Les sauveurs » apparaissent.

     Et reste ces dernières minutes donc qui font tant parler. Depuis quand avions-nous autant souffert devant cette série ? Je reste éternellement marqué par Sofia et la grange mais là c’est autre chose, c’est du niveau de l’ouverture de la saison 5 (Terminus) sans le déroulement syncopé et le brin d’espoir qui l’emporte. Ça semble durer une éternité tellement la tension est à son comble. Le dernier plan est prodigieux et termine d’inscrire l’évolution de la série, qui sait qu’on demande beaucoup (surtout que cette saison suit un peu trop maladroitement les bouquins) et nous l’offre sans nous l’offrir. Nous noie dans notre propre sang. Chapeau. Surtout, Jeffrey Dean Morgan est pile poil comme il faut. J’avais peur qu’il en fasse trop, qu’il gesticule et grimace que sais-je encore, mais non, il est Negan, déjà. Pourtant j’ai même été encore plus pétrifié par son acolyte / homme de main, dont on ignore le nom : sorte de mix entre Jack Nicholson et Billy Bob Thornton ; Lui, pas besoin de batte, son regard et sa moustache suffisent. Bref, ça n’augure que du bon pour la 7.

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