Archives pour mai 2016

Julieta – Pedro Almodóvar – 2016

23. Julieta - Pedro Almodóvar - 2016Tout sur les mères.

   8.5   Pedro et moi c’est une relation un peu particulière. Je l’ai adoré il y a dix/douze ans, parce que je découvrais « le cinéma d’auteur » et comme tout novice, ce sont d’abord les portes les plus accessibles (et visibles) que l’on ouvre. C’était une époque où j’étais convaincu qu’il était le seul cinéaste espagnol en activité. Les découvertes de Todo sobre mi madre, de Hable con ella furent des moments forts. Je ne les ai jamais revus, pourtant.

     Je reste donc avec ce souvenir et ça me plait d’autant plus que tout ce qui est sorti après Volver (que j’avais aimé sur l’instant, parce que j’étais persuadé d’aimer Almodovar) m’a gentiment indifféré ou pire (L’horrible Les amants passagers), que certains que j’aimais (Talons aiguilles, Attache-moi) m’ont poliment ennuyé à la revoyure et que tout ce qui est sorti avant, que j’avais revu par curiosité lors d’une rétro maison furent des déceptions si imposantes (Femmes au bord de la crise de nerfs, que je trouve absolument imbuvable, par exemple) que je m’étais juré de m’en tenir là avec le cas Pedro.

     Julieta ne m’attirait donc pas, à priori. Je n’avais même pas prévu de le voir en salle. Mais plusieurs avis cannois parlaient d’un retour en grâce, au mélodrame et à la sobriété. J’y suis allé sur un coup de tête. Je commençais même à le sentir bien. Et j’ai trouvé ça formidable. A chaud je suis même persuadé que c’est le meilleur film d’Almodovar, le plus important, le plus sombre, aussi foisonnant dans son minimalisme qu’austère dans ses couleurs.

     Tout commence quand Julieta, la cinquantaine, s’apprête à quitter Madrid. Elle fait ses cartons et enveloppe notamment dans du papier bulle une petite statue en terre cuite. Quand elle rencontre par hasard (Hasard, c’est le titre de l’une des trois nouvelles d’Alice Monroe adaptées pour Julieta) la veille de son départ une amie d’enfance de sa fille (Qui dit l’avoir croisée une semaine plus tôt) toute sa tristesse refoulée rejaillit, ses douleurs éteintes se rallument. Elle va écrire à sa fille, alors qu’elle ne l’a pas vu depuis douze ans, elle va lui dire tout ce qu’elles auraient dû se dire il y a longtemps.

     Le film s’accroche alors tellement à son désir de retrouvailles qu’il dépasse les lignes, se libère du présent et vient raconter toute l’histoire de Julieta, vingt-cinq ans plus jeune, jouée par Adriana Ugarte, quand la Julieta du présent était jouée par Emma Suarez. Si les deux actrices ne se ressemblent pas, c’est moins la différence d’apparence physique qui frappe que ce que le regard de chacune trahit d’épreuves vécues ou à vivre. Le voyage intérieur est lancé. Jusqu’à l’impossibilité de le raconter sans se rattacher aux innombrables boucles de culpabilité.

     Le suicide de l’inconnu du train, auquel la jeune femme n’a pas daigné offrir un peu d’attention, lui permet de faire la rencontre de Xoan, l’homme qui sera le père de sa fille. Un homme sans nom (et sans valises) qui devient le premier vecteur tragique, bientôt relayé par Marian, la femme de ménage puis enfin par la guide spirituelle, qui fera disparaître Antia, la fille de Julieta. Lignes tragiques qui ne font que renforcer l’idée de la culpabilité, de la responsabilité de la mort. Tragiques parce que mystérieuses. C’est plein de creux partout : Le vrai pourquoi du comment de la disparition soudaine d’Antia ; Une relation amoureuse adolescente Béa/Antia qui semble avoir existé sans qu’on en soit certains ; Le passé aussi secret que tumultueux de Xoan. Du creux passionnant en ce sens qu’il n’a qu’un dessein : Nous convier à fusionner avec Julieta.

     La temporalité devient cette donnée abstraite, fragile. D’étranges passerelles se succèdent : un appartement voisin, un terrain de basket, la symbolique de la mer (Thalassa et Pontos), une lettre, la noyade et dans un raccord-serviette de magicien, une idée de cinéma absolument géniale, l’actrice qui jouait Julieta jeune s’efface et le visage vieilli apparait, lorsque Antia s’occupe de sa mère. Ce pourrait être cruel et dépressionnaire mais c’est pourtant l’instant qui marque sa renaissance, celle qu’elle deviendra, une femme à jamais rongée par la culpabilité mais qui va choisir d’y faire face, lui permettant alors d’affronter l’évaporation de sa fille et de refaire sa vie avec Lorenzo, l’homme qu’elle devait suivre au Portugal lors de son départ de Madrid, au présent.

     Dans cette temporalité aussi compactée que pouvait l’être celle d’Imitation of life, de Douglas Sirk, embrassant forcément les naissances et les morts, Julieta devient le manifestes des mères meurtries renfermant les disparitions et les douleurs éternelles. Que le film parvienne à ce niveau tragique tout en contant l’histoire d’un retour à la vie comme il est aussi celui d’Almodovar, le rend aussi vertigineux que bouleversant.

Before Sunrise – Richard Linklater – 1995

35Céline et Jesse vont en bateau.

   8.5   Dans le wagon d’un train, Céline est en train de lire. Gênée par le bruit d’un couple en pleine scène de ménage à ses côtés, elle change de place et s’assied plus loin, en face de Jesse, qui lit aussi. Quelques regards furtifs l’un envers l’autre plus tard, les voilà s’adressant la parole, puis s’engageant dans de longues conversations et confidences intimes. Ils ne lisent plus. Le temps est suspendu ; Expression que l’on utilise facilement pour évoquer un embryon de romance, pourtant ce ne sont pas que des mots ici tant Linklater (Immense cinéaste, définitivement) s’intéresse à la temporalité (et forcément, à sa suspension) plus que n’importe quel autre cinéaste.

     Le temps fait partie du dialogue qui se crée régulièrement entre Céline et Jesse. Le temps est aussi une donnée de fond puisque l’on sait que leur rencontre est perturbée par leurs obligations respectives – Céline s’en va pour Paris, Jesse pour New York, par avion, via Vienne. Ville qui sera le lieu de cette parenthèse, d’un bout à l’autre du film, avant que Céline ne reprenne le train et Jesse l’avion. Et avant Vienne il y a donc ce train, vecteur à la fois géographique et temporel, comme s’il permettait à deux êtres qui ne devaient pas se croiser, de se connaître, d’accepter l’imprévu et de s’aimer.

     La première séquence à Vienne se déroule sur le pont d’un chemin de fer – Un croisement de routes, lignes, horizons, inéluctablement. Céline et Jesse, en quête d’un lieu à visiter, tombent sur deux types les invitant à leur représentation théâtrale le soir même à 21h30 – 9.30Pm. Quelques minutes plus tôt, Jesse disait devoir prendre son vol de 9h30 le lendemain. Ce n’est pas grand-chose, c’est même assez inutile, mais cela crée une passerelle étrange au sein d’une temporalité complètement distordue, le temps de 12h, une nuit, une balade, un film. Before sunrise est une succession de lieu Viennois traversés, toujours accompagné par cet échange infini entre Céline et Jesse, alternant un silence embarrassé (l’écoute musicale chez un disquaire, plus belle scène du film) ou un flot de parole ininterrompue (le tramway) ; Dialogues prenant souvent élan dans le jeu : Il s’agit ici de se poser une question chacun son tour et d’y répondre, là de faire mine de téléphoner à un(e) ami(e) et de lui raconter sa brève rencontre.

     C’est un film que je chérissais avant de le découvrir. Depuis deux ans, j’ai vraiment fait connaissance avec le cinéma de Richard Linklater, qui me touche énormément, qui plus est lorsqu’il s’attache à travailler la temporalité sous toutes ses formes (Boyhood, une vraie révélation). Je savais que Before sunrise était le premier d’une série de deux (puis trois) films qui s’intéressait à la rencontre entre un homme et une femme, avec les mêmes interprètes, sur cinq (puis quinze) ans. Et bien ce fut le moment que j’espérais, parfois même en mieux. Je ne pensais pas que Julie Delpy et Ethan Hawke camperaient ce couple avec autant de grâce. Je les adore, sans réserve. Eux autant que leur personnage.

     Et puis quand le film vient se fermer sur un adieu qui n’en est plus vraiment un (Ils avaient accepté le caractère éphémère de leur rencontre mais décidé à la dernière seconde de se revoir au même endroit six mois plus tard) avant de nous laisser sur la succession des lieux que l’on vient de traverser, désormais vides et silencieux, je n’avais plus que mes yeux pour pleurer. Comme Jesse qui dit, à l’aurore, dans un moment d’amertume, qu’ils sont de retour dans le monde réel, je vais moi aussi revenir dans le mien et savourer le moment où je replongerai à leurs côtés pour cette suite qu’est Before sunset.

Café society – Woody Allen – 2016

18. Café Society - Woody Allen - 2016True romance.

   7.5   Pas le souvenir d’avoir été aussi exalté en salle par un Woody Allen depuis Scoop – Mon premier cru allenien découvert au cinéma, il y a exactement dix ans. Les deux films n’ont strictement rien à voir si ce n’est leur apparente futilité, la vitalité qui les habite et leur capacité de redistribution des cartes. Ce sont deux comédies, l’une sous forme de mini-polar londonien moderne, l’autre sentimentalo-familiale dans les New York et Hollywood des années 30. Une donnée qui en fait tout son charme puisque rarement Woody n’avait aussi gracieusement traité l’idée de la famille juive, par le prisme du cadet cherchant à s’extirper de ce monde qui l’épuise pour faire ses gammes à Hollywood. Café Society brille par son élégance, son tempo, ses décors (et la fluidité de leur agencement) ainsi que le parallèle permanent entre les paillettes de l’ouest et la post prohibition new-yorkaise de l’autre, ainsi que ce triangle amoureux qu’il met en scène. Je suis ravi d’avoir retrouvé là Kristen Stewart et Jesse Eisenberg, dans une histoire d’amour contrariée qui ressemble fort, dans le fond, à celle qu’ils faisaient exister dans Adventureland, de Greg Mottola. L’ambiance hollywoodienne a remplacé le parc d’attractions paumé mais les aspérités sont les mêmes : Quid de trouver un horizon amoureux, avant tout. A ce petit jeu, la première partie du film est assez réjouissante, dans chacune des compositions de duos à l’intérieur de ce trio, tout en quiproquo et confidences. Moi qui craignait que Steve Carell cherche forcément à dévorer la pellicule – Campant qui plus est un producteur incontournable – je suis ravi de l’avoir vu plus tourmenté qu’excentrique, proche puis lointain d’une seconde à l’autre, à l’image de son entier dévouement aux deux mondes qui font de lui ce qu’il est. C’est une affaire de dosage, parfait durant tout le film, qui réussit tout, même ses running-gags mafieux avec le frangin, jusque dans sa douce ellipse qui coupe le film en deux morceaux distincts. Lorsque Café Society se clos, sur une séquence de nouvel an à la géographie double et des regards fatalistes qui se superposent dans un fondu sublime, je n’en revenais pas qu’il se termine déjà ; J’avais l’impression qu’il venait de commencer. Je n’en demande pas tant à une comédie, surtout quand j’en attends rien comme ici.  J’avais appris à ne plus trop attendre grand-chose ni d’un film faisant l’ouverture cannoise ni de Woody Allen, ayant l’impression qu’il ne faisait plus que des sous-produits de ses anciennes réussites. Avec Café Society, on sait dans chaque plan qu’on est dans un Woody Allen, pourtant je n’ai pas l’impression de l’avoir déjà vu faire ça. Je suis donc le premier surpris, je ne suis pas loin d’avoir adoré.

Elephant – Alan Clarke – 1989

13. Elephant - Alan Clarke - 1989Mélodie pour un meurtre.

   8.0   Constitué de 18 meurtres, chaque fois des exécutions, en autant de séquences plus ou moins similaires, Elephant se déroule dans les rues de Belfast, dans des lieux ordinaires, bâtiments délabrés, entrepôts, parcs, stations-services, bureaux. Chaque séquence dévoile d’abord un plan d’ensemble situant les lieux, relayée par un travelling, accompagnant le tueur ou le tué, plusieurs secondes durant, suivi d’une mise à mort très découpée (Plan arme, plan impact et/ou plan lointain) avant de repartir sur un travelling raccompagnant le tueur et finir en plan fixe, d’une vingtaine de secondes, sur le cadavre abandonné dans le silence.

     L’approche radicale et ouvertement répétitive, lesté de tout attribut narratif, permet au film d’être le portrait d’une Irlande, plongée en pleine guerre civile, dominée par le crime, guerre religieuse entre protestants et catholiques. En 1988, Belfast compte en effet plus de 2000 meurtres religieux depuis vingt ans, montrés à la chaine, banalisés chaque soir dans les journaux télévisés et reproduit ici synthétiquement dans un essai de cinéma singulier. Clarke, cinéaste de la violence, est arrivé à son point de rupture : La narration ne l’intéresse plus. Il refuse pourtant de mentir sur ses partis pris. Il ne s’agit pas de reproduire le réel par le cinéma mais de retracer la cruauté de ces mises à mort, de montrer la succession comme dans les médias, sans caractère accrocheur mais en rendant leur pouvoir de réalisme, mécanique, désincarné.

     Ainsi voit-on ce que l’on ne voit jamais dans un meurtre au cinéma. La marche l’atteste, autant que les violents coups de feu, brutaux, sans jamais esthétiser la violence. Chaque personnage est différent d’une séquence à l’autre. Chaque acteur est différent. « Actors » c’est le premier mot du générique final, il n’y a aucune tentative de mensonge. Il y est en tout cas très difficile de distinguer les bourreaux des victimes, qui se distinguent par un pas décidé, une démarche mécanique, de nuit comme de jour. Les personnages sont anonymes, les lieux sont anonymes, il n’y a ni parole, ni musique. Finalement, si la démarche de Gus Van Sant, qui s’en inspirera est volontiers plus poétique et douce, le carnage est le même, ordinaire, absurde et raconte aussi un drame sans vraiment le situer.

The Firm – Alan Clarke – 1989

12. The Firm - Alan Clarke - 1989Œil pour œil, dent pour dent.

   9.5   C’est probablement le plus beau brulot qu’on ait vu sur le hooliganisme. Tranchant, sec, brutal. 67 minutes d’une fureur inédite. Il n’en faudrait pas une de plus tant l’uppercut est sans appel. Gary Oldman qui débute, à peine trente ans, incarne Clive Bissel dit Bex, père de famille et agent immobilier dans une banlieue de Londres, mais il rythme son temps libre de petits matchs de foot entre potes et d’affrontements entre bandes. C’est un supporter du club londonien de West Ham United et un hooligan agissant pour l’Inter City Crew, se battant contre d’autres, pour savoir qui peut s’octroyer le droit de défendre son équipe de cœur en Europe. Qu’on se le dise il s’agit seulement d’affrontements entre tribunes, non entre clubs. Toute l’absurdité se joue là-dessus. Aucune image de football ici hormis un bref passage dans un stade et les nombreuses affiches qui ornent la chambre d’ado de Bex – Qui après avoir quitté son foyer retourne chez ses parents, dans la même rue. The firm constitue la quintessence du cinéma d’Alan Clarke, en ce sens que s’il se veut encore narratif (Ce qui ne sera plus le cas la même année pour Elephant) le film est surtout une succession de violences, physiques et verbales, filmées à la manière d’un reportage, d’appartement et de rue, entre vandalisme de bagnoles, affrontements verbaux, bastons à coup de batte, agressions au cutter. En famille ou en groupe, la même rage, les mêmes cris. Les plans sont souvent très serrés cloitrant les personnages dans une géographie imprécise où rien n’existe ailleurs que dans leur cercle de rage. C’est un combat pour rien, se battre uniquement pour exister, appartenir à un groupe, trouver refuge dans la violence – Le football en est le prétexte. Dans les dernières minutes, tandis que Bex vient de mourir,  les hooligans de chaque bande sont réunis pour former l’unité nationale dont Bex rêvait. Le garçon scarifié plus tôt utilise sa blessure comme une marque initiatrice. « England, England » est scandé en mantra terrifiant. Le tout dans un reportage de bar filmé par une équipe vidéo qui pourrait ressembler à s’y méprendre à une mise en abyme du cinéma d’Alan Clarke. Chef d’œuvre sidérant, irrespirable, moderne, inépuisable.

The Affair – Saison 2 – Showtime – 2015

13139345_10153648320982106_1572119449050898047_nSolitudes.

   8.0   C’est une superbe saison. Probablement moins homogène que la première, mais elle n’aura pas hésité à offrir de ses quatre personnages majeurs un lot de rebondissements généreux. C’est d’ailleurs ce que l’on retient en premier de cette saison, ils sont quatre. Vraiment quatre, parfois même interchangeables ; Jusqu’à faire des chapitres sur Helen et Cole quand la première saison se contentait de faire des épisodes miroir sur Alison et Noah. J’aime l’idée que la série se réinvente formellement et narrativement (Le récit de ces douze épisodes semble se dérouler sur plusieurs années) et bouscule toutes nos attentes. Il y a même un épisode, celui de l’ouragan, où les chapitres coutumiers ont disparu, à la place on nous offre un montage parallèle entre les quatre personnages, se croisant ou non, débouchant sur l’accouchement d’Alison.

     Ma préférence va toutefois à celui qui démarre sur une thérapie, celle de Noah. La série n’hésite pas à faire durer cette séquence (Il devait être accompagné d’Alison et finira par se confier entièrement en solo) dans son entièreté, soit pendant une demi-heure. Un parti pris que j’aime beaucoup, parmi d’autres. Dans la seconde partie de l’épisode en question, Alison rencontre furtivement Scott en ville, se rapproche de Cole qui vit sa nouvelle passion amoureuse et s’éloigne un peu plus de Noah (qui ne vit plus que pour sa réussite et ce qu’elle engendre) préparant le double épisode final qui va enfin tout nous dire sur la mort du frangin Lockhart, que l’on suit depuis le début (dans un flou de moins en moins flou) via ces étranges interrogatoires de fin d’épisodes.

     Je ne suis pas aussi enthousiaste que l’an passé, preuve en est que j’ai parfois laissé passer quelques semaines entre mes visionnages, mais quand on y est plongé, il faut reconnaître qu’on y est bien. Le problème vient essentiellement des personnages centraux qu’on adorait sans limite avant et qui sont devenus un peu antipathiques (Noah, le premier) à l’image de leur version future qu’on nous offre depuis le début en échantillon. Ils se font dévorer par l’intrigue, quand ils voltigeaient encore au-dessus l’an passé. Helen et Cole permettent de nuancer cette distance. Ce sont eux qui apporte une force nouvelle, elle dans le rejet de sa mère (Saleté, celle-là) et lui dans sa rencontre avec Luisa.

     Et puis il y a tout ce que cette histoire (de plus en plus dingue) traite d’inéluctable qui reste fascinant, comme l’évocation du Lobster Roll (dont on parle en permanence et qui rappelons-le était le premier lieu de rencontre entre Alison et Noah), la mort de Scott (Accident ? Meurtre ? Cette saison apporte une réponse claire et précise), la famille maudite (La faute semble-t-il à un grand-père monstrueux), le fantôme de Gabriel (Qui hante la nouvelle grossesse d’Alison et la renaissance de Cole) ainsi que la réussite de Noah (Qui a enfin sorti un livre qui marche du tonnerre, problème est qu’il s’agit de son histoire à Montauk). Nombreux paramètres qui étoffent un récit d’une richesse constante et finissent de noyer la série dans un Soap vertigineux et parfois bouleversant – Les instants les plus beaux de cette saison sont à mes yeux ceux entre Helen et Noah (L’hôpital, essentiellement) qui s’aiment toujours, autant qu’Alison et Cole, c’est ce qui est le plus bouleversant là-dedans.

Friends – Saison 10 – NBC – 2004

13165984_10153648320732106_2749336342223091681_nThe last one.

   8.0   Voilà, c’est fini. Mon cœur saigne. Je ne pensais pas y être attaché à ce point. Après dix saisons d’une grande cohérence, qu’on peut accepter comme un tout tant le show aura préservé sa ligne de conduite de bout en bout, je me suis senti démuni à l’idée de les quitter, de les laisser là, chacun vers de nouveaux horizons que je ne pourrais plus partager à leur côtés. Et une saveur particulière lors de cette énième saison, qui ne fait que fermer ses boucles, au moyen d’un mariage (Celui de Phoebe et Mike, qui sera presque devenu le septième maillon du groupe, ce qui n’est pas pour me déplaire, Paul Rudd forever) d’un déménagement et d’une adoption (Pour Monica et Chandler) ou d’un départ pour Paris (Rachel). Plus méta que les derniers épisodes, tu meurs. Car il s’agit bien entendu d’aiguiller chaque personnage vers une nouvelle vie mais surtout de préparer les adieux aux téléspectateurs. La série s’ouvrait sur l’arrivée de Rachel, après son mariage ratée. Elle se ferme sur l’éventualité de son départ, quand Monica et Chandler achètent une maison dans le New Jersey. Tout se précipite, tout convoque la fin. Les derniers instants sont très beaux puisqu’il s’agit de dire adieu à un lieu, cet appartement que l’on connait dorénavant par cœur – Celui dans lequel tous, remarquent-ils, ont un jour ou l’autre vécu. Chacun pose ses clés et s’en va boire un dernier verre, hors champ, au Central Perk – Accompagné par une blague de Chandler, évidemment comme d’habitude. Entre temps, donc, Ross aura fait sa déclaration d’amour définitive à Rachel, pour l’empêcher de partir. Il fallait qu’elle soit en partance vers un autre continent pour qu’ils acceptent de s’aimer. Ils auront mis le temps, ces deux-là. Il y a d’ailleurs cette scène d’aéroport qui résonne en miroir avec celle de la saison 2 où Rachel avait tenté de rejoindre Ross, en vain ou presque. Au rayon des jolies correspondances, citons l’accouchement de triplés de Phoebe pour son frère, fin de saison 4, quand Chandler et Monica se retrouvent six ans plus tard à adopter des jumeaux inattendus. Quant à Joey, il deviendra lui aussi quelqu’un d’autre puisque son agent éternel et quasi personnel (C’est comme Gunther, elle apparaît dans chaque saison) s’en est allé. On voudrait tellement les suivre dans leur nouvelle vie, voir ce que le groupe peut devenir sans cet appartement carrefour, mais c’est une autre histoire. Le bêtisier qui accompagne cette sublime édition blu ray et brasse l’intégralité des saisons une heure durant, m’a fait chialer. De rire, déjà. Je n’avais jamais autant ri devant un bêtisier. Dingue de voir comment Chandler est une projection de Matthew Perry (ou le contraire) tant ses blagues de tournage font écho à celle du personnage. Dingue aussi de voir la complicité, souvent moqueuse, qui se crée entre eux durant les innombrables essais ratés. J’avais les larmes aux yeux car c’était une autre manière de leur dire au revoir, comme un second adieu, décalé, qui m’a rappelé combien j’avais pu kiffer être avec eux dix saisons durant.

Nos souvenirs (The sea of trees) – Gus Van Sant – 2016

10. Nos souvenirs - The sea of trees - Gus Van Sant - 2016Yellow winter.

   5.5   Il fut un temps où Gus Van Sant faisait Gerry. Aujourd’hui, il fait The Sea of trees. Acceptons-le. Sa carrière étant pleine de soubresauts, de progressions bizarres, périodes diverses, académiques ou radicales, que ce n’est pas si surprenant de le voir s’essayer à un objet hybride.

     Nos souvenirs (Qui a remplacé le titre français initial La forêt des songes, probablement pour une raison commerciale) se déroule dans une forêt. Et GVS qui l’a déjà magnifiquement filmé dans Last days (de nuit comme de jour) ne sait plus la filmer. C’est une forêt trop brillante, trop verte, trop lumineuse ; ça ressemble à un studio Center Parcs. C’est supposé être la forêt d’Aokigahara, mais c’est filmé comme Boyle filme son désert de l’Utah, dans 127 heures. Et la matière sonore qu’elle regorge est sans cesse recouverte par une musique lourdingue. 

     On peut toutefois se dire que c’est un lieu mental. Au même titre que l’on peut voir en Takumi (Ken Watanebe), cet homme dont Arthur Brennan fait la rencontre, une projection de lui-même, un double qui va lui permettre de revivre. La forêt est donc ce lieu dans lequel on ne peut rebrousser chemin sans se perdre, dans lequel les sentiers se transforment en falaises, les pluies en torrents diluviens. Mais GVS abandonne le radicalisme mise en scénique de ses errances passées et gonfle ce voyage intérieur de flashback, éléments scénaristiques maladroits, violons incessants et découpage grossier. Lui qui même dans ses projets les plus classiques formellement avait toujours été si minutieux.

     C’est pourtant l’histoire d’un homme (Matthew McConaughey) qui veut mourir pour rejoindre celle (Naomi Watts) qu’il aime. Avec dans un banal montage parallèle le souvenir d’une vie de couple chaotique jusque dans la maladie, où ils semblent se retrouver, puis la mort. GVS n’hésite pas à étirer les ficelles du mélodrame, trouvant des acmés vraiment ratés (le rendez-vous avec le chirurgien, l’accident digne de la scène d’ouverture des Petits mouchoirs) et d’autres très belles (Le dernier repas, les jolies correspondances finales Conte/Saison/Couleur préférées).

     On pourrait se dire que toutes ces images de passé sont de trop, d’autant que ce qu’elles racontent nous est offert en double puisque apparaissant aussi au détour d’un monologue que tient Arthur à son compagnon forestier au coin du feu (Avec dix fois trop de grimaces et de larmes, mais passons), mais le problème une fois encore c’est qu’il donne tellement peu d’épaisseur à ce lieu de purgatoire qu’on ne le regrette même pas lors de ces nombreux retours maladroits.

     Mais tout le jeu autour de ce dédoublement m’a beaucoup plu. Il m’a permis d’entrevoir ce qu’un Van Sant plus inspiré aurait pu en faire. C’est un beau film raté en fait. Un film qui aurait pu être magnifique si GVS avait gardé son inspiration d’antan. C’est un film qui ne trouve pas sa forme. Qui se cherche en permanence autant que nous tentons parfois de débusquer où le Van Sant qu’on adore peut se trouver. Car le GVS plus classique peut parfois être aussi beau que son double radical – Le dernier en date avant celui-ci, Promised land, était sublime. Ça ne fonctionne pas ici parce qu’il se repose sur son scénario alambiqué et ses acteurs, et tout est excessif.

     J’aime pourtant bien ce film malgré tout, probablement parce que je m’attendais à bien pire, étant donné tout ce qu’il a essuyé depuis sa projection cannoise il y a un an. Certes on dira soit que s’il avait été fait par un autre, le film aurait été anecdotique, on n’en parlerait même pas, ou le contraire, que la critique globale aurait été plus indulgente. Je préfère le voir pour ce qu’il est, en tant que mélo domestique, d’une part, sous forme de conte, funèbre puis libératoire ; et d’autre part en tant que maillon raté au sein de la filmo de Gus Van Sant, qui n’en finit plus d’être en dents de scie ce qui prouve qu’il se cherche (et se perd) constamment.

     Anecdotique, sans doute, mais pas honteux loin de là. Je trouve d’ailleurs ça dix fois plus intéressant que Restless, car plus bancal, maladroit, plus touchant en définitive. Mais bon, je comprends ce besoin de huer GVS. Moi, après Restless, j’aurais voulu lui jeter des cailloux. C’est de sa faute aussi : Un type capable de faire, en cinq ans, Gerry, Elephant, Last days et Paranoid park, ça reste frustrant de le voir refaire une version grand public de ses merveilles avec tout le bagage hollywoodien que cela suppose. Car hormis l’impression de retrouver par bribes un peu de ses anciens films, on voit mal où se cache le véritable Gus Van Sant là-dedans.

Remember – Atom Egoyan – 2016

09. Remember - Atom Egoyan - 2016Aberration.

   2.0   Je ne pensais pas Egoyan capable de faire quelque chose d’aussi laid. Je n’ai pas vu la moitié de sa filmo mais sur le peu et bien qu’il y ait des hauts (De beaux lendemains) et des bas (Adoration) ça se tient. Ça se tenait. Ça se tenait même pendant Remember, modérément, avant l’inacceptable.

     Remember s’ouvre sur une séquence d’oubli. Zev (Christopher Plummer) cherche Ruth, sa femme, sans savoir qu’elle est décédée une semaine plus tôt. En fait il le sait, mais à chacun de ses réveils il a oublié. Zev est atteint de démence sénile, enfin d’Alzheimer. C’est donc une situation qui revient souvent dans le film : La quête de Ruth, son point d’ancrage, avant qu’il ne suive la mécanique des mots avec ces lettres qu’ils se trimbalent, ces mots qu’il se gribouille sur les bras. C’est le versant troisième âge de Memento, en somme. C’est un peu verrouillé et filmé platement mais comme le récit prend forme petit à petit il parvient à nous agripper.

     En fait, Zev est investi d’une mission, celle commandée par son ami de maison de retraite (de laquelle il s’échappe) qui a vécu les camps de la mort à ses côtés et y a perdu comme lui toute sa famille. Ne pouvant plus se lever, ce dernier lui rappelle la promesse que Zev avait tenu : Retrouver, après le décès de sa femme, l’exterminateur SS de leurs deux familles, terré dans le fin fond du Nevada afin de lui régler son compte. Pour ce faire, il voyage avec une liasse de dollars, des billets de train et une lettre conséquente dans laquelle sont répertoriées son histoire personnelle et les étapes de sa mission, de manière à ce qu’il ne laisse rien au hasard.

     Zev doit trouver un dénommé Rudy Kurlander. Quatre hommes répondent à tous les critères, il va donc effectuer quatre rencontres. Il va découvrir que le premier est un nazi ayant agi en Afrique du Sud. Que le deuxième est un juif survivant d’Auschwitz. Que le troisième est  un collectionneur nazi qui vient tout juste de mourir. Reste le dernier, forcément. La construction programmatique et régie par des schémas classiques hollywoodiens fait un peu de peine au regard d’un tel sujet. Créer un tel suspense en crescendo c’est déjà limite mais soit, ces trois rencontres sont passionnantes, toutes trois dans leur registre. Mais on attend le quatrième homme, le vrai Rudy Kurlander. Zev va enfin pouvoir se venger.

     Et là, Egoyan nous sort un twist de la mort. Un truc de petit magicien sourire aux lèvres qui ne relève plus seulement de la gêne en sourdine qui régnait jusqu’alors. Un virage infâme qui remet une heure trente de film en perspective, une heure trente durant laquelle le spectateur est dupée par une identité masquée, une heure trente d’empathie obligée pour un uppercut imparable. Certes, on pourrait dire que le récit en entonnoir découle de cette mémoire capricieuse. Dans un polar quelconque je veux bien, mais là, franchement, J’ai trouvé ça tellement nul et obscène que ça ne m’a même pas agacé, juste donné envie de dégueuler.

L’avenir – Mia Hansen-Løve – 2016

13124866_10153643781762106_4714180245409999188_nDeep peace.

   8.0   Je tiens Mia Hansen-Love comme l’une des cinéastes les plus passionnantes d’aujourd’hui, espérant une merveille à chaque nouvelle sortie. Eden, son précédent film, est à ce jour et à mes yeux son seul film raté encore que je le trouve intéressant à bien des égards. Si L’avenir semble s’inspirer de la vie des parents de la réalisatrice (tous deux professeurs de philosophie) autant qu’Eden racontait beaucoup de celle de son frangin, la réalisatrice renoue avec l’inspiration et la grâce qu’on trouvait dans Le père de mes enfants, Tout est pardonné, Un amour de jeunesse. Trois films magnifiques que j’ai eu le plaisir de voir (au ciné) et de revoir ensuite, sans jamais les déconsidérer bien au contraire. L’avenir c’est celui de Nathalie (campée prodigieusement par la non moins prodigieuse Isabelle Huppert) professeur de philosophie au lycée, qui se situe dans un moment étrange de sa vie, un carrefour, où tout va se chambouler. Ses enfants ne sont plus à la maison, sa mère devient sénile et les différends avec sa maison d’édition se répètent. Et bientôt, son mari va la quitter, elle va perdre sa mère, être grand-mère et nouer des liens avec un garçon qui fut son étudiant quelques temps auparavant. C’est tout refaire, repartir de rien. La portée symbolique pourrait être lourde mais ce qui caractérise cette fine écriture, sa progression elliptique et sa narration inattendue qui fait qu’il est impossible d’anticiper chaque aiguillage, permet au film d’atteindre une légèreté qu’on ne voit nulle part dans le cinéma français. C’est un film apaisant, riche mais délicat, autant qu’il brosse le portrait et le monde de cette femme avec soin. Nathalie est dans chaque plan ou presque. On voyage à ses côtés entre Paris, La Bretagne et le Vercors, la gare de Clelles-Mens et le Parc des Buttes-Chaumont. On y parle de littérature et de philo en permanence sans que cela n’écrase le film pour autant. Toutes les interactions sont des émerveillements : Nathalie et Heinz, avant et après leur séparation ; Nathalie et ses enfants ; Nathalie et Fabien ; Nathalie et ses élèves ; Nathalie et sa mère ; Nathalie et son petit-fils. A ce titre, ce dernier plan est probablement l’un des plus beaux et bouleversants que l’on verra cette année. Je ne doutais pas de voir Mia Hansen-Løve revenir à ce niveau d’inspiration, simplement je craignais un peu la collaboration avec Huppert. J’ai beaucoup entendu ici et là que la réalisatrice avait trouvé son identité grâce à l’actrice, je pense au contraire qu’elles se sont bien trouvées toutes les deux, ensemble. Huppert lui aura permis de rebondir. Et Hansen-løve aura offert à Huppert son plus beau rôle depuis longtemps. Grand film.

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silencio


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