5.5 Il fut un temps où Gus Van Sant faisait Gerry. Aujourd’hui, il fait The Sea of trees. Acceptons-le. Sa carrière étant pleine de soubresauts, de progressions bizarres, périodes diverses, académiques ou radicales, que ce n’est pas si surprenant de le voir s’essayer à un objet hybride.
Nos souvenirs (Qui a remplacé le titre français initial La forêt des songes, probablement pour une raison commerciale) se déroule dans une forêt. Et GVS qui l’a déjà magnifiquement filmé dans Last days (de nuit comme de jour) ne sait plus la filmer. C’est une forêt trop brillante, trop verte, trop lumineuse ; ça ressemble à un studio Center Parcs. C’est supposé être la forêt d’Aokigahara, mais c’est filmé comme Boyle filme son désert de l’Utah, dans 127 heures. Et la matière sonore qu’elle regorge est sans cesse recouverte par une musique lourdingue.
On peut toutefois se dire que c’est un lieu mental. Au même titre que l’on peut voir en Takumi (Ken Watanebe), cet homme dont Arthur Brennan fait la rencontre, une projection de lui-même, un double qui va lui permettre de revivre. La forêt est donc ce lieu dans lequel on ne peut rebrousser chemin sans se perdre, dans lequel les sentiers se transforment en falaises, les pluies en torrents diluviens. Mais GVS abandonne le radicalisme mise en scénique de ses errances passées et gonfle ce voyage intérieur de flashback, éléments scénaristiques maladroits, violons incessants et découpage grossier. Lui qui même dans ses projets les plus classiques formellement avait toujours été si minutieux.
C’est pourtant l’histoire d’un homme (Matthew McConaughey) qui veut mourir pour rejoindre celle (Naomi Watts) qu’il aime. Avec dans un banal montage parallèle le souvenir d’une vie de couple chaotique jusque dans la maladie, où ils semblent se retrouver, puis la mort. GVS n’hésite pas à étirer les ficelles du mélodrame, trouvant des acmés vraiment ratés (le rendez-vous avec le chirurgien, l’accident digne de la scène d’ouverture des Petits mouchoirs) et d’autres très belles (Le dernier repas, les jolies correspondances finales Conte/Saison/Couleur préférées).
On pourrait se dire que toutes ces images de passé sont de trop, d’autant que ce qu’elles racontent nous est offert en double puisque apparaissant aussi au détour d’un monologue que tient Arthur à son compagnon forestier au coin du feu (Avec dix fois trop de grimaces et de larmes, mais passons), mais le problème une fois encore c’est qu’il donne tellement peu d’épaisseur à ce lieu de purgatoire qu’on ne le regrette même pas lors de ces nombreux retours maladroits.
Mais tout le jeu autour de ce dédoublement m’a beaucoup plu. Il m’a permis d’entrevoir ce qu’un Van Sant plus inspiré aurait pu en faire. C’est un beau film raté en fait. Un film qui aurait pu être magnifique si GVS avait gardé son inspiration d’antan. C’est un film qui ne trouve pas sa forme. Qui se cherche en permanence autant que nous tentons parfois de débusquer où le Van Sant qu’on adore peut se trouver. Car le GVS plus classique peut parfois être aussi beau que son double radical – Le dernier en date avant celui-ci, Promised land, était sublime. Ça ne fonctionne pas ici parce qu’il se repose sur son scénario alambiqué et ses acteurs, et tout est excessif.
J’aime pourtant bien ce film malgré tout, probablement parce que je m’attendais à bien pire, étant donné tout ce qu’il a essuyé depuis sa projection cannoise il y a un an. Certes on dira soit que s’il avait été fait par un autre, le film aurait été anecdotique, on n’en parlerait même pas, ou le contraire, que la critique globale aurait été plus indulgente. Je préfère le voir pour ce qu’il est, en tant que mélo domestique, d’une part, sous forme de conte, funèbre puis libératoire ; et d’autre part en tant que maillon raté au sein de la filmo de Gus Van Sant, qui n’en finit plus d’être en dents de scie ce qui prouve qu’il se cherche (et se perd) constamment.
Anecdotique, sans doute, mais pas honteux loin de là. Je trouve d’ailleurs ça dix fois plus intéressant que Restless, car plus bancal, maladroit, plus touchant en définitive. Mais bon, je comprends ce besoin de huer GVS. Moi, après Restless, j’aurais voulu lui jeter des cailloux. C’est de sa faute aussi : Un type capable de faire, en cinq ans, Gerry, Elephant, Last days et Paranoid park, ça reste frustrant de le voir refaire une version grand public de ses merveilles avec tout le bagage hollywoodien que cela suppose. Car hormis l’impression de retrouver par bribes un peu de ses anciens films, on voit mal où se cache le véritable Gus Van Sant là-dedans.