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The Neon Demon – Nicolas Winding Refn – 2016

13466094_10153761602947106_7695917789762909798_nSchizophrénia.

     9.0   09/06/16 – Rejet Black Opium.

     Une fois de plus avec Refn, les retours sont assez discordants. Au sortir de la salle de cinéma j’avais de tout aussi : Certains semblaient avoir vécu la séance de l’année, d’autres comme moi étaient plus circonspects, pour rester poli. Puis j’ai un rapport très bizarre avec le cinéma Nicolas Winding Refn. Je trouve sa trilogie Pusher intéressante mais inégale. J’aime beaucoup Valhalla rising et Drive. Le reste (Only god forgives, Bronson) je trouve ça nullissime. The Neon Demon vient je le crains, agrémenter la dernière catégorie.

     Je ne comprends pas ce que le film veut raconter. S’il est une comédie horrifique (qui ne fait pas rire, qui ne fait pas peur) ou une satire enrobage bonbon de la mode et de la quête de la jeunesse éternelle. Pourquoi Elle Fanning ? Et pourquoi Keanu Reeves ? Réduits à être de simples pantins sans relief, oubliés illico dès que le film s’en est allé. Elle Fanning rappelle pourtant Mads Mikkelsen dans Valhalla Rising, ce viking qui convoite cet eldorado qu’est Jerusalem. Terre sainte qu’on aurait remplacée ici par le règne de la beauté, grâce naturelle chassant l’élégance bionique. Mais toutes les images, aussi prometteuses fussent-elles, s’annulent, autant dans leur velléité démonstrative que dans leur annihilation pure et simple : L’œil dégueulé / Elle Fanning dévorée, pour faire court.

     À ce titre je me demande si le NWR accolé au titre au début puis à la toute fin du film, post générique, est un hommage mégalo à Yves Saint Laurent (La tipo de l’acronyme NWR pour YSL est similaire) ou un clin d’œil cynique (Ce que le film semble être en permanence) d’une affligeante trivialité qui fait office de marque déposée. Il y avait une dualité symbolique dans Drive nettement plus subtile et aboutie, dans cette façon d’en faire un film de masques et d’y faire éclore un coup de foudre. Il y avait une naïveté, une croyance. Il ne reste maintenant que froideur et léthargie d’un photographe buriné, de mannequins applicatives, d’un directeur de casting ahuri ou d’un gérant de motel déséquilibré. Tout ça sous néons roses/bleus/violets, stroboscopes et ralentis impossibles, musique ininterrompue.

     On a beaucoup critiqué le Somewhere de Sofia Coppola pour le peu d’incarnation que sa relation père/fille (coincée dans le monde du cinéma) dégageait. Là, hormis s’astiquer sur des triangles renversés, des travellings de défilés, des ralentis sur des bouquets de fleurs ou toiles fleuries murales, je ne vois pas trop ce que le film souhaite dire de plus. Ou bien j’y vois le même cynisme rance que dans Bronson, proclamé par un type persuadé d’être le nouveau génie cubique. Les quelques séquences intéressantes sur le papier, comme le puma, le rêve (qui rappelle ouvertement une scène de L’Apollonide) ou les deux séances photo ne dégagent rien, ne débouchent sur rien. Le jeu autour de la nudité du personnage est évacué par un plan cou ; les apparitions de l’animal dans l’ombre, le couteau dans la gorge nocturne, sont offerts gratuitement.

     The Neon Demon m’agaçait déjà dans sa première scène pivot de la boite de nuit. L’idée que toute la séquence se déroule aux toilettes et non sur la piste c’est génial, sauf que dans ces toilettes les quatre filles sont positionnées comme des poupées russes, le cadre ne respire pas puisque tout doit se réfléchir dans les miroirs, les regards se croiser, les corps en masquer d’autres. C’est d’une telle lourdeur conceptuelle. Et narrative qui plus est : la reine et ses ouvrières. Il y aura plus loin un prolongement, on le sait.

     Plus débile et laid tu meurs. J’espérais un truc fou, hypnotique, quelque part entre Lynch et Argento, entre Mulholland drive et Suspiria – Auxquels, rapidement, on peut songer ci et là. J’ai eu le même rejet que devant L’étrange couleur des larmes de ton corps, la bouillie indigeste de Cattet et Forzani. Pour moi, le film échoue là où Under the skin avait réussi, dans la fascination procurée par ses enchainements et sa puissance esthétique, débarrassée d’une imagerie publicitaire convenue.

23/06/16 – Transformation démoniaque.

     Ça ne m’était pas arrivé depuis The tree of life. Sortir de la séance et me persuader que je déteste le film que je viens de voir. Ecrire dessus, sous le coup de la colère, méchamment. Puis y repenser chaque jour, jusqu’à être hanté deux semaines durant, et me programmer une nouvelle séance, contraint par l’obsession, pour que le film s’en aille ou qu’il reste mais qu’importe : y retourner dans le seul but d’évacuer ces contradictions.

     C’est plus dangereux pour The neon demon que ça ne l’était pour The tree of life, dans la mesure où ce dernier m’avait plus chamboulé qu’agacer et je ne l’avais pas accepté – Comme je n’avais au premier abord pas accepté Le nouveau monde, à l’époque de sa sortie, mais j’étais jeune. Et surtout parce que si ma relation avec Malick sent un peu le souffre aujourd’hui, celle que j’entretiens avec Refn est clairement impalpable. En gros, je n’avais pas d’attente particulière en allant voir The Neon Demon, ce qui n’était évidemment pas le cas pour The tree of life.

     Cela provient à mon sens d’une part de l’attente qu’on y a placé (Retrouver la flamboyance d’un Drive, probablement) et d’autre part de l’humeur qui guide l’instant de le rencontre : Etre bousculé comme jamais j’aurais pensé être bousculé. Fascination prise à revers par la répulsion. Sidération remplacée par l’aberration. La frontière est si mince. Mais elle est rarement aussi mince. Chacun à leur échelle, Malick et Refn auront par leur audace, déniché cela en moi.

     De nombreux facteurs entrent en compte dans ce changement de trajectoire (Certains diront retournement de veste) comme le fait d’en entendre énormément autour de soi, en bien comme en mal, mais surtout ce sentiment étrange que le film est partout, tellement omniprésent qu’il masque tout le reste. Tout ce que j’ai vu durant ces quinze jours semblait sans intérêt à côté de The Neon demon, que j’avais pourtant détesté, que je pensais oublier dans la seconde.

     Le fait d’avoir écouté beaucoup (Tous les jours ou presque) la (sublime) bande originale signée Cliff Martinez y joue sans doute énormément. Plus les jours passent, plus les images réapparaissent comme de violent flashs imbriqués avec majesté dans la mécanique stridente et grinçante de cet électro, qu’on distingue d’ailleurs entre mille. Plus les jours et donc les écoutes s’écoulent, plus je me demande si tous les reproches que je faisais à The demon demon, si tous les griefs avec lesquels je m’accordais ici ou là dans la presse, ne relevaient pas d’une bonne dose de mauvaise foi, au moins d’un mauvais procès, tant l’exercice, aussi stylisé soit-il, ne correspond finalement pas à ce qu’on s’attendait de voir ; à ce qu’on avait pris l’habitude de voir.

     Je pensais l’oublier illico. Mais chaque jour, le film revient dans un coin de ma tête, s’installe, comme un doux cauchemar, qui vient hanter nos nuits à plusieurs reprises. Une image ou un son ici. Une séquence là. Bref, il faut que j’y retourne.

25/06/16 – Retour en grâce.

     Mea culpa. Oubliez tout ce que j’ai dit, d’ailleurs je n’ai rien dit. C’est exceptionnel. S’il me reste un semblant de crédibilité après un tel écart perceptif, faites le moi savoir. Voilà quinze jours que The Neon Demon me hante. Ça s’est joué en plusieurs phases. D’abord un fort rejet, qui me semble dorénavant inexplicable, puis ce rejet s’est transformé, jour après jour, jusqu’à l’envie de revoir le film au point de ne plus avoir envie de voir autre chose. La claque prise hier me fascine autant qu’elle me terrifie : Comment est-il possible d’arriver à autant de contradictions ? Comment The Neon Demon est parvenu à me dévorer tout entier ? Je ne l’explique pas. Mais qu’importe finalement, ne compte que ce qui reste. Et si le chemin pour y arriver fut ô combien plus laborieux qu’avec n’importe quel autre film, je sais maintenant qu’il ne me quittera plus. Je pourrais y retourner aujourd’hui, demain, sans problème.

     C’est en fait une grande proposition de cinéma, référencée mais sans égal, enivrante, hypnotique et ça ne tient pas à grand-chose au sens où ça pourrait basculer d’un moment à l’autre du mauvais côté. De sa fragilité il en tire une puissance insondable. C’est un film aussi fragile que la jeune étoile qu’il met sur le devant de la scène, Elle Fanning, véritable incarnation, lumière sous les lumières, constellation dans le ciel de Los Angeles, majesté narcissique sur un plongeoir dont elle a fait son trône, statut glacée libérée, ensanglantée dans une piscine vide. Aussi fragile que ces mannequins obnubilés par la beauté juvénile. Aussi fragile que cette maquilleuse faisant l’amour à un cadavre. Aussi fragile que LA bâtie sur un désert. Il y a dans The Neon Demon des images, des visions, des apparitions, des convulsions et de véritables coups de hache formels qu’il est impossible d’oublier.

     Tout m’est très vite apparu limpide (tandis que ça m’avait semblé confus), gracieux (alors que j’avais trouvé ça laid) et cohérent dans chacun de ses partis pris formels. Dès la première séquence de shooting, en fait, beauté glacée extra-symétrique qui raconte déjà tout, à la fois le rêve de la célébrité que les forces perverses du faux et la proéminence de la mort – Jesse photographiée égorgée, dans une robe bleue métal et un décor aseptisé, quasi numérique saisie par des travellings avant/arrière automatique. Puis plus tard, dans les différentes rencontres opérées par la jeune femme, d’abord avec ce photographe amateur et amoureux discret (ce visage dur qui ouvre le film, derrière son objectif, alors qu’il semble ensuite être le seul qui puisse rattacher Jesse au réel, le seul qui lui dévoile ouvertement ses sentiments) puis ces mannequins bioniques repliées dans leur sophistication artificielle, puis cette maquilleuse bienveillante et dangereuse, le gérant du motel psychopathe, le photographe mutique, le golden boy tout droit sorti d’un livre de Bret Eston Ellis. Chaque nouvelle interaction annihile encore un peu plus l’innocence de Jesse et développe son pouvoir d’égocentrisme. Chaque personnage du système la dévore, à petit feu, symboliquement avant qu’elle ne se fasse dévorer littéralement.

     Et le film va transformer ainsi sa muse, qui au contact de ce monde nouveau, clinquant, démoniaque, accepte cette beauté qu’on lui prête jusqu’à s’embrasser elle-même dans une séquence de défilé abstraite d’une audace folle, se libère du réel (Dean, que le film aussi abandonne) pour s’enfoncer dans le faux, via notamment cette incroyable séance de shooting sur fond blanc, puis noir, aux trainées dorées. Plus tôt, il y avait ce premier show (la première incursion dans la nuit pour Jesse, invitée par Ruby) en boite de nuit, où Refn libère son héroïne, amusée et fascinée sous les stroboscopes. Et comme si cela ne suffisait pas, The Neon Demon se permet une autre folie, une dernière, hallucinante, celle de faire disparaître prématurément la clé de son récit et d’investir brutalement le giallo (Couteaux, ciseaux, bain de sang) vampirique (Ou cannibale) avant que la beauté naturelle dévorée ne reviennent prendre sa revanche et hanter ses hôtes anorexiques, rendant Gigi malade, qui n’a d’autre choix que de mourir en s’éventrant puis Sarah fantomatique s’enfonçant, tout de blouson de cuir vêtu (Relent de Drive ?) dans les méandres d’un désert infini.

     The Neon Demon c’est aussi une somme de regards, qui sont généralement tous posés sur Jesse. Des regards marquants. De celui du jeune photographe amoureux à celui de Ruby, ensanglantée dans sa baignoire. C’est le regard de la menace, de la fascination, du vide, de l’obsession. Le regard du démon, féroce mais hypnotique. Comme l’est celui de Jack, ce photographe au talent indiscutable à qui l’on ne refuse rien ; celui de Hank, ce gérant de motel qui n’inspire que la crainte et l’horreur (Un viol hors-champ) ; celui de Gigi qui voudrait devenir Jesse ; Celui de Sarah qui aimerait une dernière sortie. C’est le regard de la sorcière sur Blanche-Neige – Et ce n’est pas anodin si The Neon Demon est aussi un incroyable balai de miroirs. Fable horrifique mais fable quand même.

     C’est surtout un super film d’ambiance, qui se vit plus qu’il ne s’analyse. Abstrait ou clipesque, diaphane ou vide, il garde sa ligne, exclusif comme aucun autre film ne le sera à ce point cette année, prenant tous les risques qu’il souhaite prendre sans jamais se laisser distraire par les forces de l’académisme – Point d’orgue forcément atteint lors de cet étonnant virage dans le dernier quart. C’est un film explosif, en permanence. Qui rythme sa mise en scène autour d’un seul corps, plutôt un visage et n’en déroge jamais. Autour de ce « diamant dans un océan de verre » pour reprendre les termes du créateur.

     J’ai eu des mots très méchants envers le film, quand je n’y voyais qu’un pot-pourri de références mal assemblées. En fait, oui, je pense que The Neon Demon peut être vu comme le parfait trait d’union entre Mulholland drive et Suspiria voire entre Sunset boulevard et Maps to the stars ; Ou qu’il en est un petit frère d’un autre temps, d’un autre goût, une vision d’esthète, qu’on regarde comme on écoute un disque comme Nolan nous avait offert sa vision du voyage spatial dans Interstellar. The Neon Demon est un film terrassant, qui n’a pas fini de me hanter. Bref, j’ai vécu un mois de juin très étrange. Inexplicable.

Ne vous retournez pas (Don’t look now) – Nicolas Roeg – 1974

dontlooknow5Mort à Venise.

   9.5   J’aimerais évoquer l’un de mes plus gros chocs de cinéma. D’autant que je viens de revoir cette merveille absolue dans la belle édition BR Potemkine, qui lui a bien préservé le grain et son aspect apocalyptique. C’est un grand film de malade, avec des raccords images/sons dantesques, des apparitions hallucinantes, une Venise de cauchemar. J’ai l’impression de voir un mix de Resnais et Argento, Hitchcock et Polanski.

     Dire d’abord que ça m’a absolument traumatisé. Voilà bien longtemps que je n’avais pas été aussi mis à mal par un film de genre, puisque c’en est un même s’il est bien plus que cela encore. Les dix dernières minutes sont si éprouvantes que j’en ai des frissons rien qu’en me les remémorant. D’autre part je trouve que c’est un immense film de mise en scène, une merveille de construction sonore. Un film devant lequel on ne sait plus trop où l’on se trouve et qui laisse au sortir une impression similaire, de flou et de malaise.

     Don’t look now offre énormément. Tout en frustration et sidération mêlées. Les enchainements sont parfois très violents à l’image de ce cri de la mère (qui clôt la séquence d’ouverture) qui vient se confondre avec celui d’une perceuse, qui fait partie de la restauration de l’église dans laquelle travaille Donald Sutherland à Venise, quelques mois plus tard. Le mur percé est « pourri » ce sont les mots, en italien, du personnage et la mousse sur la pierre évoque clairement les marécages dans lesquels s’enfonçait la petite fille dans la scène précédente. Et tout le film va jouer de ces correspondances, à la fois féroces et sublimes.

     Le plus dingue quand on connait le cinéma d’Argento et tout le giallo en général est de voir combien Don’t look now non seulement s’en rapproche mais pourrait en être une sorte de quintessence, dans ses jusqu’au-boutismes formels, ses distorsions temporelles, ses envolées plastiques et son éclatement global. Idée qui se recoupe avec le récit puisque le couple, qui pourrait se reconstruire après la mort de leur petite fille, s’éloigne, imperceptiblement et la séquence d’amour, où le montage intercale les ébats et le rhabillage raconte énormément du film sur le fatalisme qui gangrène à la fois la ville et le couple, la chronique dramatique qui se meut en film d’horreur pur.

     Il faut aussi parler de Venise car c’est elle que Roeg a en premier lieu remarquablement filmée. Enfin, on ne l’a jamais vu comme ça au cinéma. De l’aridité qu’en avait tirée Visconti, Roeg choisit une version automnale, où les places et les plages sont remplacées par des ruelles désertes et quais en train de pourrir. C’est un automne à son crépuscule comme s’il ne pouvait y avoir d’hiver derrière. Un film tout en ruine – L’hôtel qui ferme (exemple parmi d’autres) évoque ce que sera celui de Shining, de Kubrick.

     Et puis il y a l’eau. Symbole mortifère du film puisqu’il s’ouvre sur la noyade et revient hanter les personnages ensuite. En cela, Venise est le choix idéal pour le représenter. Vers le milieu, on va sortir un cadavre des eaux, qui rappelle un peu l’ouverture de Frenzy, d’Hitchcock. Et c’est dans les eaux que tous les reliefs apparaissent, perturbant le réel en le retournant (les reliefs inversés) ou en le diffractant. Et l’eau est accompagnée d’une autre dominante c’est la couleur rouge, présente du début à la fin, qui apparait partout même dans le plus anodin des plans, comme un linge sur un fil. Qui prend racine dans cette diapositive d’un vitrail et trouve toute sa puissance horrifique dans l’apparition du nain monstrueux qui semble d’abord être une réincarnation de la petite fille. La violence du film se joue évidemment dans ce retournement absolu des codes, l’innocence devient le danger, la vie devient la mort.

     Ce qui est très beau c’est d’avoir malgré tout fait croire à l’histoire d’amour, quand bien même l’équilibre y est perturbé par le deuil mais aussi par leur manière contraire de se reconstruire ; Cette façon qu’ont les deux personnages d’évoluer dans un monde complètement différent. Julie Christie dans une croyance parallèle où elle pourrait réparer ce qui est cassé (la voyante aveugle, le spiritisme) et Donald Sutherland dans le passé, restaurant une église qui ne sert à rien puisque Venise se meurt (les nombreux plans sur une affiche qui prédit l’apocalypse imminente).

     Je ne connais pas le cinéma de Nicolas Roeg. Et dans le même temps j’ai l’impression d’en connaître beaucoup, au regard d’un film aussi fou que Don’t look now. J’ai Walkabout sous la main, dont je repousse le visionnage pour le savourer davantage et trouver l’instant de découverte le plus propice possible. J’aimerai beaucoup voir L’homme qui venait d’ailleurs, celui que Roeg a tourné avec David Bowie. Don’t look now est quoiqu’il en soit un grand film mélancolique. Qui n’est jamais dans le présent. Une déflagration permanente entre le deuil d’un père et d’une mère et la confrontation d’un homme avec sa propre mort. Le plan twist à la fin on croirait voir les prémisses du final de Twin Peaks.

     Pour finir, j’aimerais citer les mots d’un autre grand cinéaste, qui parle du film de Nicolas Roeg comme j’aurais aimé en parler. J’ai l’impression d’avoir reçu une claque similaire :

     « J’ai d’abord pensé que cette émotion forte dont vous parlez ne m’était jamais arrivée précisément. Et puis je me suis souvenu de Don’t look now de Nicolas Roeg (1973). Et de la mort du personnage interprété par Donald Sutherland. Ce film a eu un grand impact sur moi. Je l’ai vu à l’époque et il m’avait totalement effrayé. Tout le film est sur la mort. Le film commence par la mort d’un enfant et se termine par la mort du père. La mort du père est causée par un nain monstrueux habillé de rouge qui est comme la caricature de l’enfant mort du début : une créature glaçante qui ressemble à un enfant mais qui n’est pas un enfant. Ce meurtre m’a épouvanté mais ce que j’ai trouvé le plus extraordinaire, c’est l’anticipation de la mort. Le personnage mourant revit des moments de sa vie. C’est ce qui correspond au coup de hache de Kafka dont vous parlez. Je ne peux même pas définir précisément l’émotion que j’ai ressentie, mais je sais que ce qui m’a profondément touché, c’est cela : la visualisation de l’anticipation de la mort. » David Cronenberg, Cahier du Cinéma n°700.

Elle – Paul Verhoeven – 2016

13346500_10153706025187106_8812903165226418890_nLa féline.

   8.0   Si j’avais entièrement confiance en Verhoeven et sa capacité de se réinventer et de pervertir un certain type de cinéma, ce qu’il a toujours fait, je restais d’autant plus sceptique que je n’ai à ce jour (Mais il vient d’entrer dans le haut de ma watchlist) jamais vu Black Book, son dernier film en date (2006) avant Elle. Au départ, Verhoeven et moi c’est Total Recall, c’est Showgirls, c’est surtout Basic Instinct. Des films qui ont donc vingt ans, sinon trente.

     Elle a fait beaucoup de bruit lors de sa sortie cannoise (coordonnée avec sa sortie nationale, j’adore quand ça se déroule ainsi) et il en faisait déjà avant puisque pour la première fois, le cinéaste hollandais avait tourné en France, une production française, avec des acteurs français ; Casting aussi flippant qu’alléchant puisque réunissant entre autre Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Virginie Efira, Charles Berling, Vimala Pons et Anne Consigny. Quel rapport avec la choucroute ? Le truc délirant avant l’heure.

     La séquence d’ouverture donne le ton. D’abord l’écran noir, des cris, de la vaisselle qui casse ; relayé par le plan d’un chat, qui observe et ronronne. La dimension voyeuriste chère à Hitchcock s’incarne dans la peau d’un félin. On est déjà dans la farce. Une farce inquiétante, sauvage, dont la félinité à moins à voir avec l’indécence majestueuse (Le film ne va pas hésiter à cumuler les ouvertures flirtant moins avec le mauvais goût qu’avec le mélange des genres…) qu’au détachement malade, serein (…la folie des contrastes, l’audace d’une énergie noire comme stratégie de survie).

     Ainsi, de ce (premier) viol nous en verrons deux autres versions plus tard, avec son contre-champ violent (le souvenir) et sa représentation rêvée, vengeresse. Le procédé agit moins en tant que piqure de rappel et s’incarne aucunement comme un flashback, mais cherche à disloquer les règles du genre et surtout, permet au viol de préserver sa monstruosité et le cauchemar qu’il engendre, de façon à contrecarrer ce que Michèle (Isabelle Huppert) va en tirer : Le désir de la survie.

     La grande force de Elle est de ne justement pas tout faire fonctionner autour de Michèle ou du moins de parvenir à nous faire croire que certaines interactions ne tournent pas autour d’elle et de l’intrigue qui l’alimente elle et le film. Puisqu’il s’ouvrait là-dessus, quoi de plus logique que de le voir converger chaque séquence vers cette focalisation d’intrigue ?  Du coup, Verhoeven brosse des portraits. De nombreux portraits : le fils, l’ex-mari, l’amant, la meilleure amie, le voisin. Et le père.

     La dimension horrifique du film va quasi tout entière (puisque le viol lui-même est pervertit) prendre essor dans ce passé, certes lointain (Michèle n’était qu’une gamine) mais qui continue de faire ses injustices dans le présent. On sait d’après une discussion entre mère et fille que toutes deux reçoivent régulièrement le lynchage de ceux qui les ont éternellement reliés à ce monstre de père. Qu’a-t-il fait, ce père, pour qu’une passante inconnue, vienne lui renverser volontairement son plateau sur la tronche ? Le film va y répondre par deux fois, brièvement d’abord, au détour d’une info télévisée évoquant la possibilité d’une libération conditionnelle, puis explicitement plus tard, lorsque durant ce grand repas, Michèle raconte les faits à Patrick.

     Dire qu’on n’a jamais vu une back story racontée ainsi relève de l’euphémisme, tant Huppert s’emploie à accentuer avec brio la folie de son personnage, tant Verhoeven aussi s’amuse à faire éclater la situation, notamment par un chant de messe en fond sonore. On n’avait pas vu une séquence de repas aussi folle depuis Buñuel. Et quelque part, Elle c’est Le charme discret de la bourgeoisie, version Verhoeven. Depuis quand avions-nous rit aussi franchement dans une salle de cinéma ?

     On pourrait en parler longtemps tant il regorge de tiroirs fous (cette scène hallucinante avec l’urne contenant les cendres de la mère, les images des jeux vidéo, le bébé, la masturbation et les santons géants, le vent, la cave…) ; Il n’est d’ailleurs pas exclu que j’y retourne tant je trouve ça immense à tout point de vue, riche et vivant, absolument étonnant dans sa construction, son ton et cette façon qu’il a de dynamiter avec audace le cinéma français habituel.

Before sunset – Richard Linklater – 2005

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   8.5   Richard Linklater a tourné Before sunset neuf ans après Before sunrise. Avec les mêmes acteurs. Les mêmes personnages. Céline et Jesse, toujours. Il s’agit de leurs retrouvailles. Neuf ans plus tard. Linklater est tellement attaché à l’unité de temps qu’il ne peut mentir sur son utilisation. Ils avaient la vingtaine, ils ont désormais la trentaine. Elle travaille pour une asso écolo, lui vient d’écrire un bouquin. Il est de passage à Paris pour le promouvoir. Evidemment, le livre raconte sa rencontre d’une nuit. La fameuse nuit de Before sunrise. Une fiction est toujours un peu autobiographique, revendique t-il aux journalistes venu le questionner sur une éventuelle assimilation entre lui et son personnage. Le ton est donné par quelques flash-back discrets, lumineux du premier film. Ils sont dans sa mémoire autant que Céline appartient à son passé. Avant qu’elle n’apparaisse, là, dans l’embrasure d’une fenêtre, venu le féliciter (Elle connaît cette librairie et avait donc eu vent de sa venue pour dédicaces) et le retrouver. De flash-back il n’y en aura plus. De séparation entre Céline et Jesse non plus. Before sunset est une longue marche en temps réel dans Paris, en attendant que Jesse reprenne son avion pour New York, avant le coucher du soleil. Une marche dans un parc, dans des rues. Arrêtée, par deux fois, dans un bar puis dans l’appartement de Céline. Ou via le transport : Un bateau-mouche ou un taxi. Chacun évoque ce qu’il est devenu, professionnellement. Puis plus intimement. On apprend que Jesse est marié, père d’un enfant de quatre ans. La temporalité est très difficile à identifier d’ailleurs. On peut d’abord pensé qu’il s’agit de quelques mois, le temps d’écrire un livre. Puis il y a cet enfant. Avant que Céline et Jesse ne s’interrogent sur le nombre d’années entre Vienne et Paris. Car oui, nous ne sommes plus en Autriche. Le rendez-vous (des 6 mois plus tard) fut manqué. Une cruelle affaire de décès familial. Vienne s’est évaporée, un peu à la manière de cette nuit de rêve dont le souvenir commun qu’ils en ont divergent. Paris devient ce sublime terrain de retrouvailles, filmé avec la même grâce (qu’avait été filmée Vienne, neuf ans plus tôt) par la caméra de Richard Linklater. Les confidences se font de plus en plus grave. Le rapprochement de plus en plus inéluctable. Il faudra un long plan dans une cage d’escalier, filmé comme l’était celui du magasin de disque dans Before sunrise. Puis une valse jouée à la guitare. Puis Nina Simone. Linklater ne ferme pas son film comme il fermait le précédent, sur la succession d’endroits traversés, désormais vides. Il laisse Jesse, émerveillé, sur le canapé. Il laisse Céline en train de danser. Il nous donne les clés. Il nous offre leur future idylle. Before sunset est une merveille. Une de plus signée Richard Linklater.

Les glaneurs et la glaneuse – Agnès Varda – 2000

13346419_10153718648327106_4322925395800920532_nGlanons, grappillons.

   8.0   C’est moins l’occasion pour Varda de faire un docu stricto sensu sur les conditions et l’histoire du glanage, comme pour offrir une version filmée d’un tableau de Millet ou de Breton, que d’expérimenter une fois de plus les possibilités du matériau filmique, glaner de l’image, en somme. Saisir de sa main qui filme son autre main qui glane, répète t-elle régulièrement. Autrement dit, mettre en scène la finalité de son idée, de ses convictions. Et en profiter pour raconter son vieillissement, prendre son corps à témoin (ses mains, ses cheveux) à la fois le reflet de ces patates qui verdissent et celui de cette seconde vie qu’elle lui offre, autant que ces pommes de terre au rebus, ces figues oubliées, ces produits de supermarché jetés, ces huîtres que la marée a fait jaillir des parcs, ces objets abandonnés sur les trottoirs. L’un d’eux attirera d’ailleurs son attention, une vieille horloge sans aiguilles, où le temps dit-elle, ne s’écoule pas. Les glaneurs et la glaneuse est aussi l’occasion de donner la parole aux gens, réprouvés que l’on ne voit nulle part sinon chez Depardon ou Varda, glaneurs par besoin, glaneurs par plaisir. C’est aussi une façon d’interroger les possibilités du glanage, les restrictions législatives, de constater les cheminements des patates, des champs aux usines avant le rejet des grosses dans les terrains vagues. D’aller observer les glaneurs d’huîtres à Noirmoutier, qui doivent se tenir à une distance minimum des parcs, ramasser une certaine quantité ; De voir ceux qui s’entichent des fins de marché parisiens, comme cet homme qui ne vit que de ça depuis dix ans, cet autre qui écume marchés et poubelles le jour et donne des cours d’alphabétisation le soir. De leur donner la parole ; Du temps de pellicule. Le film est d’ailleurs construit comme on grappille, il ne suit pas de schéma, s’abandonne ici, s’aventure là-bas, insère de la fantaisie (la main de Varda qui attrape des camions, filme des patates en forme de cœur) et cite à foison les nombreuses œuvres de peintres de glaneurs, sans jamais tirer vers le cérémonial. Le film était diffusé dans le cadre d’une exposition d’art contemporain « L’abbaye fleurie » de Régis Perray, initialement prévue en plein air mais retranchée pour cause de temps menaçant, dans la grange de l’abbaye de Maubuisson. Faisait frisquet mais c’était très beau.

Euro 2016 – 25/05/16

5905631_2016-06-22t172037z-109617637-mt1aci14450238-rtrmadp-3-soccer-euro-hun-por_1000x62536. Reste 15.

     Aujourd’hui c’est l’anniversaire de ma femme. Et celui de ma mère. Bon anniversaire² ! Mais c’est aussi la reprise de l’Euro, après deux jours de trêve, l’entre-deux tours, 48h de perdition, appelez ça comme vous voulez. On a déjà souffert le martyr durant le troisième tour de phase car on ne pouvait voir qu’une rencontre sur deux (Les quatre équipes de chaque groupe devant en découdre en même temps) et voilà qu’on nous offre de la relâche. Il faut trouver autre chose à faire. Ça chamboule tous les plans. Heureusement qu’il y a des épisodes de GoT en retard et des séances ciné qui nous font de l’œil. Deux jours difficiles, donc.

     Mais aujourd’hui, voilà les huitièmes. La compétition commence enfin. Et ça promet, étant donné l’équilibre parfait des tableaux ; En gros Espagne/Italie/Allemagne/France/Angleterre sont du même côté. Magie galloise et croate. Vont aller loin ceux-là, je pense. Et la France joue La république d’Irlande. C’est un peu leurs éliminatoires à eux. Enfin on dit ça mais vu le football abattu durant les matchs précédents (l’indigence atteinte face aux albanais) on peut se faire du souci.

     J’en profite pour dire que je ne suis pas satisfait de cet Euro à 24 et ces six poules de quatre. Non pas que je me sois pris la tête sur l’identité des futurs troisièmes, simplement il me semble que le football en pâtit autant que l’équilibre. Beaucoup moins d’équipes concernées en poules (Suffisance belge à faire gerber) : Evidemment il suffit de trois points pour passer. Beaucoup moins de buts, aussi. Et puis la limite de ce système aussi pour les jours de récupération : L’Eire aura trois jours de récupération en moins que la France. C’est à peu près n’importe quoi.

     Ces matchs du troisième tour auront réservé leur lot d’ennui, de surprise et de spectacle. Complet de chez complet. D’un Suisse/France poussif, nous passions à un Slovaquie/Angleterre agréable mais verrouillé. Après un Irlande du Nord/Allemagne étrangement riches en occasions manquées pour la Mannschaft (enfin, en occasions stoppées par un incroyable gardien irlandais), s’enchainait un Croatie/Espagne vraiment bizarre où la Roja devait tranquillement mener 2.0 puis s’est endormie (Iniesta compris) jusqu’à perdre, le match et la première place ; Mais il faut reconnaître que les croates ont bien joué le coup, même sans Modric. J’aime beaucoup cette équipe.

     Et le lendemain, il fallait un Hongrie/Portugal pour dérider tout ça où les coéquipiers d’un CR7 (qui fait plaisir à voir dès qu’il joue pour les autres, donne envie de lui envoyer des fléchettes dans les yeux quand il la joue solo) sont revenus trois fois au score. Rarement vu un rythme aussi fou dans un match de foot. Avec Omar Da Fonseca au commentaire, c’était du pain béni. Reste que se prendre trois buts par la Hongrie ne présage rien de bon. Et le soir il y avait Suède/Belgique. Ibra n’a pas marqué. L’insolent Nainggolan oui. De Bruyne a fait des passes en profondeurs niveau benjamins pendant tout le match, mais il a aussi sauvé le ballon sur sa ligne. Et il a dit « Je m’en bats les couilles si on gagne » à un journaliste RTBF qui demandait pourquoi on avait pas encore vu le vrai niveau des Diables. C’est tout ce qu’on retiendra de cet ersatz de match de football. Bon, le plus drôle dans ce groupe, c’est que pour une fois que l’Italie sort première, elle va rencontrer l’Espagne en huitième et si par miracle elle parvient à s’en tirer y aura l’Allemagne en quart. C’est balo.

Mes pronos Quarts :

Croatie/Pologne
Pays de Galles/Belgique
Allemagne/Espagne
France/Angleterre

À suivre…

Clip (Klip) – Maja Milos – 2013

12.-clip-klip-maja-milos-2013-900x599Conte cruel de la jeunesse.

   7.0   Découverte d’une jeune cinéaste serbe qui a pile 30 ans lors de la sortie de Clip, son premier long métrage, pétri de talents et de promesses. C’est un film violent, d’une liberté de montage dingue, qui rappelle d’abord le cinéma de Larry Clark avant de clairement hériter d’Alan Clarke, dans sa folie maitrisée et ses improvisations canalisées. Les scènes de sexe, souvent très crues (Fellations explicites avec éjaculations, entre autre) ne sont jamais complaisantes d’une part car elles sont brièvement rapportées, comme des flashes, entre un repas de famille et une sortie de groupe (Rarement vu des raccords aussi francs) d’autre part car elles sont filmées de la même manière que tout le reste, frontalement, sans concessions. C’est l’énergie d’un Baise-moi avec le talent et le contexte social en plus. L’amour pour son actrice principale, vraiment incroyable, qui m’a rappelé celle de Victoria dans le film de Sébastien Schipper. C’est la cruauté d’un Naissance des pieuvres. Les fulgurances formelles d’un Spring breakers. Ça pourrait être un film de référents, sans personnalité, si Maja Milos n’y avait pas injecté ce sentiment d’urgence et cette énergie si singulière, sans doute très serbe. A la fois dans ces nombreux raccords hallucinants, je le disais, mais aussi dans les différents régimes d’images insérant souvent les images prises par les jeunes se filmant, en classe, dans les fêtes, en baisant, avec leur portable qui devient autant leur bouclier de protection qu’une arme de séduction perverse. Il fallait capter ce truc-là sans basculer dans une dimension putassière. Et Maja Milos l’a fait, haut la main. Réalisatrice à suivre de près.

Un village français – Saison 6 – France 3 – 2014/2015

20. Un village français - Saison 6A - France 3 - 2014Désilusions.

   6.0   On prend les mêmes et on continue. A la nuance près que c’est l’heure de la libération, dix mois après les évènements relatés dans la saison précédente. On est en août 1944, les américains ont débarqués depuis un moment, les allemands battent en retraite, les milices prennent le relais des exactions, les résistants s’acharnent et la radio diffuse le discours historique du Général De Gaulle : « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! » .

     À Villeneuve, pas vraiment d’effusions de joie, la guerre est finie mais elle se poursuit autrement. Si la ville sous l’occupation vit ses derniers instants, les cadavres continuent de s’empiler, les familles sont décimées, certains font profil bas ou s’exilent, d’autres retournent leur veste, font ce qu’ils peuvent pour survivre. Pour le compte des allemands encore présents les miliciens nettoient un maximum de réseaux de résistance (Séquence éprouvante dans une ferme familiale) et poursuivent leur mission de déportation des juifs.

     Raymond Schwartz plus que jamais amoureux de Marie Germain (Lui, aura vraiment fait la totale, entre 1939 et 1944) s’allie au groupe résistant, avec comme seul point de mire d’avoir de beaux jours à venir tranquille. Hortense Larcher abandonne Gustave pour suivre Heinrich Muller qui parvient à leur dégoter un Ausweis pour la Suisse. Suzanne et Antoine, esseulés, sont recherchés par les autorités. Daniel Larcher et Lucienne soignent une unité allemande réfugiée dans l’école. Et Gustave fait du marché noir. Ils ne sont pas au bout de leur surprise ni de leur peine et nous non plus.

     Raisonnablement, la série pourrait s’en tenir à la richesse de son récit choral, éparpillé, mais elle tombe régulièrement dans un sensationnalisme de bien mauvais goût (déjà observé dans les deux saisons précédentes) tout en suspense malvenu ou malhabile, surcharge des éléments de scénario quand ils auraient mérité simplicité. Malgré tout, il y a Marchetti qui de colère incompréhensible vient pendre Marie, à l’école, sans vraiment savoir pourquoi, c’est une grande idée, terrible. Il y a ce jeune milicien en plein doute aussi. Ou cette belle relation entre les deux résistants, Antoine et Suzanne, qui prend trop de place néanmoins. Mais ça passe.

     Le retour de l’allemand chéri de l’institutrice, qui apparaissait sous des bandages comme le grand brulé sans nom deux épisodes durant, c’est vraiment pas possible. Comment ne peut-on pas croire à ce point à la puissance de son récit ? L’attachement de Lucienne à un jeune inconnu mourant suffisait. Alors certes, le dernier épisode offre de beaux instants, avec l’enfant, mais c’est un peu gros. Et s’il n’y avait que ça mais non : On a aussi le droit au retour de Rita, la femme juive dont Marchetti s’était amouraché, avait mise en cloque puis fait échapper. Il y a l’exécution manquée d’Hortense et Muller, sauvée à la toute dernière seconde. La mère Chassagne et Hortense Larche qui se croisent dans une cellule provisoire. Des trucs de remplissage vraiment aberrants, incompréhensibles.

     La série avait su éviter ces poncifs jusqu’alors mais elle se noie dans l’épate, cliffhanger à gogo comme si elle voulait contrebalancer avec la fin de la guerre et sa propre fin, imminente. L’équilibre est rompu. Ella a simplement la chance que l’on soit familier de ses personnages, les pires ordures comme les bons bougres, aussi nuancés puissent-ils être. Et si, pour ces raisons, je pense que c’est la saison la moins homogène depuis sa mise en route, je continue de trouver ça passionnant dans l’ensemble, ne serait-ce que dans son approche de reconstitution et l’idée de centrer cette (demie) saison uniquement sur les quatre jours qui ont suivi l’heure de libération de Paris.

     La seconde moitié de saison est dans la continuité de la première, dans le bon comme dans le moins bon. Tout s’enchaine mécaniquement, trop rapidement, ne reste plus que des éléments de scénario (parfois grossiers) mis bout à bout. Le but est d’en mettre le plus possible. En plus d’avoir perdu en subtilité (J’ai le souvenir de longues séquences dans les premières saisons) la série s’est fragilisée dans son homogénéité à vouloir à tout prix rendre chaque personnage réversible, nous permettre de voir entre 40 et 45 deux versants d’une même pièce, qui s’adaptait au hasard des conséquences de la guerre et dorénavant à ce que leur offre ou laisse la libération. Le personnage de Jules ancien instituteur devenu préfet, humaniste par conviction devenu meurtrier par amour, je n’y crois pas, c’est forcé. La reconversion d’Antoine c’est à peu près n’importe quoi. Attention je ne dis pas que ça n’a pas existé, simplement que c’est mal raconté, leur transformation est trop brutale et semble ne relever que d’une planche de scénario. L’évolution de Raymond durant les trois premières saisons, c’était quand même autre chose. Dommage. Toutefois, le dernier épisode, d’une grande violence, s’avère puissant.

Les couleurs du diable – Alain Jessua – 1997

10.-les-couleurs-du-diable-alain-jessua-1997-900x581Rouge sang.

   5.5   J’en termine avec ma rétrospective Alain Jessua sur ce film dont je n’attendais strictement rien, le dernier de sa filmographie, dix ans après En toute innocence. A l’instar de ce dernier, Les couleurs du diable n’est pas sans défauts mais se suit autrement mieux que cette daube intersidérale que constituait Frankenstein 90. Mieux, la première partie est probablement ce que Jessua a promis de plus passionnant depuis Paradis pour tous.

     Le récit se déroule entièrement à Rome. Nicolas, un jeune peintre aux tableaux mortifères (Ses toiles sont des représentations du moment de la mort) aspire à la gloire mais ne récolte que l’indifférence. Jusqu’au jour où il fait la rencontre d’un homme mystérieux qui lui promet de lui ouvrir cette ultime porte du succès et faire parler son talent. Aussitôt, plusieurs de ses toiles se vendent en une journée. En échange de quoi, l’homme l’invite à le suivre là où des morts subites vont se produire, ici place du Risorgimento où un jeune homme va se suicider, là dans un match de boxe au KO fatal puis dans un Pipe Show meurtrier.

     Pour cette incarnation diabolique nommée Bellisle, Nicolas a le talent mais les moyens ne lui sont pas adaptés. Il cite à l’appui certains peintres qui ont su représenter la mort parce qu’elle leur avait été familière – Pendant la guerre, notamment. Il va donc lui offrir de voir la mort afin de parfaitement la représenter. Il s’agit donc de la meilleure idée du film, De Palmienne en diable, consistant pour le jeune artiste à accoucher sur toile la mort dont il vient d’être témoin, offrant jusque dans les moindres détails un naturalisme froid et brutal.

     Au moyen d’un crescendo attendu (Suicide, Accident, Meurtre) les toiles de Nicolas vont lui faire sa réussite autant qu’elles vont lui attirer la présence d’un flic amateur d’art et zélé – Un peu à la manière des flics dans les films de Guiraudie. On passera sur l’aspect policier du film, tant l’enquête autour de cette intrigue faustienne avec la nonchalance forcée de l’inspecteur se révèle encombrante et mécanique. Le problème, in fine, vient essentiellement d’une interprétation générale complètement amorphe, le summum étant atteint avec l’acteur qui joue Nicolas, sans aucune consistance.

     Mais le film est surtout passionnant dans sa dominante de couleur. Le rouge est central. Dans le premier plan, le dessin d’une bagarre sur une toile est aussitôt souillé par un violent trait rouge. Le garçon qui saute de l’immeuble porte un pull rouge. Le boxeur des gants rouges. Le pipe show est une chambre rouge. Et nous retrouvons cette couleur au détour de plans anodins comme ici un fauteuil ou une voiture, là une porte ou un bocal. Jessua crée une spirale vertigineuse, certes souvent bancale, mais rehaussée par ce coup de sabre pourpre qui envahit chaque plan.

     Parmi d’autres probablement plus discrètes, on retiendra cette sublime séquence sur le ring, où un montage épileptique superpose chaque coup réel avec le dessin que Nicolas s’en imagine. Dans ce bref instant, on retrouve vraiment le Jessua à son meilleur. Mais il ne faut pas lui ôter cette dimension fantastique chère à l’auteur, ainsi plus les morts s’enchainent plus la mort sur la toile est représentée à travers l’œil du peintre. Sur le meurtre du Pipe Show, Nicolas entre dans le plan et devient le spectateur qui regarde. Sur le tout dernier, il couche le lieu (une gare) sur toile avant de l’avoir vécu.

     Sans être un cinéaste indispensable, Jessua aura trouvé un univers formel fort et une singularité de ton assez passionnante. Je suis ravi d’avoir découvert une grosse partie de cette filmographie, aussi insolite que rare dans le paysage du cinéma français.

Le scandale – Claude Chabrol – 1967

12987138_10154099321297363_2308914864612121369_nThe Champagne murders.

   4.5   C’est le titre du film lors de sa sortie outre-Atlantique. C’est n’importe quoi, mais j’aime bien. Le film : la première partie est affreuse. Presque aussi mauvaise que Pas de scandale, de Jacquot. Ces deux films n’ont certes rien en commun mais il fallait que je fasse d’une pierre deux coups. Ronet et Perkins cabotinent comme des cochons. La satire bourgeoise chère à l’auteur prend les contours d’une farce lourde et grotesque, où la mise en scène est d’ailleurs d’une pauvreté hallucinante. Bref, c’est chiant comme la pluie, il faut se faire violence pour ne pas couper. Puis le film s’améliore nettement dans sa dernière demi-heure, notamment durant la soirée chez la sculptrice qui permet d’entrevoir de belles idées formelles dans les intérieurs. Il étire davantage, se débarrasse de ses saccades et de son hystérie insupportables ; Et puis il y a Stéphane Audran, invisible, mystérieuse, sexy, brutale. Sublime, quoi. Ça ne sauve pas ce Chabrol, qui se situe vraiment dans sa période creuse, avant ses plus grands chefs d’œuvre, mais ça permet d’en garder un petit quelque chose et d’entrevoir parfois, une porte vers cette merveille qu’est La femme infidèle.

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