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Archives pour 30 juillet, 2016

Aquarius – Kleber Mendonça Filho – 2016

16.-aquarius-kleber-mendonca-filho-2016-900x597La maison et le monde.

   9.5   J’ai beaucoup pensé au Tabou, de Miguel Gomes tant le film parvient lui aussi à embrasser une grande densité narrative et à diluer une large temporalité, à foisonner d’idées (des séquences à plusieurs niveaux de réalité, des plans hallucinants, des résurgences folles) tout en se focalisant autour d’un personnage en particulier. C’est à la fois l’histoire d’une famille, celle du Brésil, d’un immeuble, d’une femme. Sonia Braga est époustouflante, elle porte tout le film, irradie chaque plan de sa froide colère et son apaisante détermination. C’est définitivement l’année des femmes au cinéma, inutile de tous les citer, il y en a tellement, du film de Verhoeven à celui de Refn, en passant par ceux de Breton, Almodovar, Hansen-Løve. Aquarius est aussi et surtout un grand ballet musical, balayé au gré des disques écoutés par Clara, ancienne critique musical, entre Queen et Gilberto Gil, bref, un éclectique territoire sonore qui peut au détour d’une séquence lumineuse faire fusionner deux temporalités disjointes, au moyen d’une ellipse fondue, d’une brève apparition. Aquarius c’est aussi un grand voyage dans les quartiers moyens et pauvres de Recife, dont on foule la frontière sinon invisible, marquée par un maigre cours d’eau, sur une plage. Et Aquarius c’est aussi une histoire de cancer. Celui que l’on peut parfois combattre mais qui laisse des traces et celui, prolongement de la société, qui écrase tout, avec ce symbole père/fils, relais de générations de promoteurs à la médiocrité capitaliste dont le seul credo se résume à la réussite coute que coute. C’est Fassbinder au Brésil. C’est aussi un grand récit familial, ses mouvements mystérieux, ses repères douloureux, ses fantômes qui malgré leur absence physique, traversent le temps. De la mère de Clara, ici (Première séquence d’anniversaire sublime, où les discours des enfants se mêlent brutalement au souvenir d’une étreinte) à son mari (qu’on ne verra jamais) jusqu’à l’enfant de la domestique, dont on fête la disparition le jour de l’anniversaire de sa mère. C’est un film en trois chapitres, aux significations mystérieuses, jamais ancrés dans une mécanique attendue. Et c’est un appartement. Celui qui reste, seul contre tous, avec ce hamac devant la fenêtre s’ouvrant sur le front de mer, ce mur de vinyles, cette cuisine donnant sur un hall de secours, cette immense affiche de Barry Lyndon, cette commode sensuelle qui traverse le temps et convoque les souvenirs. C’est le souvenir d’un immeuble voué à disparaitre, avec son arrière cours qui ouvre sur des garages inhabités, cette entrée se jetant sur une plage dangereuse, ses vagues et éventuels requins. Et le monde se consume autour, à l’image de ces matelas brulés, cette fête bruyante dans l’appartement du dessus, avec orgie informe (Qui pourrait déclencher une bataille supplémentaire entre Clara et les promoteurs, mais lui donne plutôt envie de baiser, de son côté) et étrons dans les escaliers. Vestiges d’une société nuisible, d’où la sourde violence n’a d’égal que la quête éternelle du profit. C’est un film-monde, d’une richesse ahurissante, un grand film intime et politique, un acte de résistance tout en vibrations insolites, un grand film corporel d’une sensualité renversante, dont a l’impression qu’il a au moins encore autant à nous offrir dès qu’il s’en est allé.

Toni Erdmann – Maren Ade – 2016

197338_jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx-900x506Déséquilibrés.

   7.5   Si le nouveau film de Maren Ade ne va sans doute pas autant me hanter que son précédent, le sublime Everyone else, je retrouve le cinéma qui m’avait séduit, la folie qui l’habite en permanence, les fêlures indicibles et invisibles, les cassures dans l’intrigue, ce mélange de gravité et de drôlerie, l’importance que le film va donner à un objet (C’était un petit bonhomme de gingembre, c’est une râpe à fromage) ainsi que l’immense décalage communicant (Sans doute la cinéaste la plus Antonionienne, aujourd’hui) qui peut régner au sein d’un couple ou entre un père et sa fille.

     Toni Erdmann semble évoluer sur des impulsions, un peu à l’image de son glissement au premier quart (De son quotidien à lui, on débarque dans son quotidien à elle) puis dans la gêne de leurs retrouvailles on évolue vers le jeu de rôle. S’il est sans nul doute millimétré dans son écriture, le film parait bâti à l’arrache ; On ne sait jamais où il va nous emmener. C’était déjà le cas dans Everyone else. Et si sa durée imposante (2h42) lui fait parfois défaut, elle est totalement justifiée car d’une part on a besoin de ce temps pour accepter le lien familial qui les unit, le mystère affectif qui les accompagne ; Et puis d’autre part elle guide le crescendo et permet au film de libérer toute sa puissance autour de quelques séquences fortes : Whitney Houston puis la naked party, en gros.

     La première séquence raconte déjà énormément. Un transporteur sonne à une porte, colis en mains. Un homme lui ouvre, s’indigne de recevoir du courrier et fait appel à son frère, pièce d’à côté, refermant la porte derrière lui. Le frère en question se pointe, même dégaine, une armoire à la tignasse grise, sinon qu’il est muni de lunettes de soleil, d’un tensiomètre et d’un dentier impossible. Il fait d’abord croire que le colis est piégé, qu’on lui a envoyé pour le désamorcer. Puis très vite il avoue la supercherie, explique que le frère c’était lui et s’adresse au transporteur autant qu’à nous « J’imagine que vous aviez compris ». Séquence géniale – construite avec rien, débouchant sur un monde – qui oriente tout le film, dans ce qu’elle apporte de loufoque dans une situation des plus banales, son aisance assez inédite à dialoguer avec l’absurde, et l’imposante durée des enchainements. Un monde violent et doux à la fois, sidérant et caressant, à l’image de son utilisation musicale. Si les films de Maren Ade sont dépourvus de musiques extra-diégétiques, contrairement aux Dardenne ses deux films se ferment sur un morceau qui enveloppe tout, qu’il s’agisse de Cat Stevens dans l’un ou The Cure dans l’autre.

     L’élément qui me chagrine un peu c’est la place offerte aux lieux, à l’espace en général ; Dans Everyone Else j’avais été marqué par cette Sardaigne archi solaire, ces jardins, ces chemins, ces terrains vagues, ces roches à escalader, cet horizon infini et ces maisons dévorées par les paysages. Ici, Maren Ade choisit Bucarest. Dans ce dédale monochrome d’appartements, chambres d’hôtel, Spa, restaurants, salles de réunion elle n’a guère les moyens que faire de ces lieux autre chose que des décors de situation. C’est mon seul regret mais il est imposant puisque là où je me sentais libre, où je respirais et me construisais mon propre film, là j’étouffe, je vois la fabrication, je me sens prisonnier de ressorts.

     Heureusement, le film est comme Toni, ce drôle de père, il a plus d’un tour dans son sac. C’est lui qui guide tout le récit d’ailleurs, affublé de perruque, costumes, petits mensonges, idées insolites, coussin péteur. C’est à la limite du trop-plein, mais le film reste jubilatoire et ressemble finalement pas à ce qu’on a l’habitude de voir. Inutile de préciser que les deux comédiens sont incroyables. Je ne voulais pas trop en dire car le film sort le mois prochain mais évidemment il faut y aller même si le mieux serait d’abord de voir ou revoir ce chef d’œuvre méconnu qu’est Everyone Else.


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