Valse des mots en morte saison.
9.0 Ce sont les lignes d’une page d’un livre qui ouvrent le film. Pourtant, Agatha et les lectures illimitées ne fait pas partie de ces auto adaptations que Duras aura (eu) loisir d’offrir. Probablement lui fallait-il commencer par mettre à plat ce qu’elle allait poursuivre en relief : Infliger un dialogue quasi ininterrompu sur un décor. De façon à poursuivre ses expérimentations loin des schémas narratifs. Il s’agit d’une discussion, off, entre un homme et une femme, rarement guidée par des interruptions, mais empruntant les chemins du double monologue, aussi bref soit-il parfois, comme s’il s’agissait d’une relation épistolaire d’aujourd’hui, une chaine de texto infinie. En ce sens le film n’a pas de temps, il est d’hier et de demain, affranchi de sa temporalité puisque ce qu’il raconte tient de l’imaginaire ou de la mémoire et ce qu’il montre nous plonge dans un décor invariable ou s’il varie, c’est qu’il est entièrement remis aux lois météorologiques : la plage, les dunes, l’océan. Le récit est accompagné en permanence de ce bruit des vagues douces qui viennent constamment, comme une valse, s’abattre sur le sable ou les galets. Le dialogue parfois s’arrête. Le paysage s’offre alors sous les valses de Brahms, interludes musicaux qui ne sont pas de jolis gadgets mais rythment le récit comme ils semblent aussi rythmer le souvenir d’Agatha, qui évoque régulièrement ses cours de piano. Il est question d’un départ, d’une séparation à venir. L’amour interdit entre un homme et une femme, frère et sœur, qui se disent adieu dans un hall d’hôtel, en s’échangeant leurs souvenirs. L’image, elle, déploie une succession de plans fixes, de doux travellings sur un décor triste, mais jamais vide, puisque les mots le remplissent. J’ai beaucoup pensé à News from home, de Chantal Akerman. Bulle Ogier est là, fantôme d’Agatha mais c’est la voix de Duras et non la sienne qui se charge des mots. Un moment donné, les paysages sont remplacés soudainement et momentanément par des peintures, sur lesquelles sont dessinées des lignes. Duras nous offre ses planches de story-board. Tentatives parmi d’autres, gracieuses, dans un film où les mots parviennent à libérer et entretenir la forme. Mon Duras préféré, à ce jour.