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Du côté d’Orouët – Jacques Rozier – 1973

cotedorouet1Les arpenteuses du vide.

   10.0   Ce fut systématiquement le cas dans le cinéma de Rozier et Du côté d’Orouët, son deuxième long métrage, ne déroge pas à cette direction : Il s’agit d’une parenthèse. Pas au sens où l’on y verrait un désœuvrement comique ou enchanté mais une vraie parenthèse, pour le personnage, pour le spectateur. Une universalité qui tend à injecter son petit monde dans des entrailles insolentes, hors des chemins tracés, hors du temps, hors de tout repère.

     Dix ans après Adieu Philippine, véritable manifeste de la Nouvelle Vague, d’autant plus beau et important qu’il est souvent oublié dans les suffrages cinéphiles se fendant d’une liste exhaustive enveloppant le célèbre mouvement. C’est que Rozier tout comme Rohmer, chacun dans son espace de jeu, s’ils ont récupéré un peu de cette stature, sont restés en marge en délivrant un cinéma plus indolent et ludique, évasif et versatile.

     En 1973, Rozier déplace le curseur plus loin encore dans cet espace de futilité apparent qu’il se crée et qui pourrait grossièrement rappeler celui de La collectionneuse, de Rohmer à savoir que les vacances servent ici à en faire le moins possible. Parfois même moins que le moins possible. Joëlle, Karine et Caroline pourraient bien être le versant féminin et post-soixante-huitard des dandys rohmériens Adien et Daniel. Les trois jeunes femmes collectionnent à leur manière, l’éternelle répétition d’une même journée.

     L’école bucolico-buissonnière de René dans Rentrée des classes et la bulle d’insouciance passagère pré Départ en Algérie de Michel dans Adieu Philippine, cède le pas à un simple espace de vacances, de fin d’été ou de début d’automne, encadré par les chapitres quotidiens d’un journal intime, le tout encadré par deux journées de travail routinier, dans un bureau de surcroit.

     Le titre sonne déjà comme un aveu de plongée vers le plus grand inconnu puisqu’on sera finalement moins du côté d’Orouët qu’à la périphérie de Saint Gilles Croix de vie. Mais de la ville nous ne verrons rien. Du casino situé à Orouët non plus. Tout au plus nous sortirons de cette bâtisse pour y arpenter la plage, les dunes de sable, la mer ou ici une ferme, en pleine nuit. L’espace vacancier est réduit au strict minimum, d’autant que les touristes aoutiens ne sont déjà plus là. Le seul snack du film semble même faire partie de cette maison, au détour d’un plan curieux.

     Et de ce crédo entonné par Adrien et Daniel dans La collectionneuse consistant en la quête du néant absolu, les filles de chez Rozier vont le prendre au mot, trop même, puisque l’une d’entre elles plus loin, se plaindra que le frigo est toujours vide et s’extirpera du groupe, vers un autre dans un hors-champ inconnu. Chaque embryon d’intrigue est contaminé par des évolutions de scénario qui semblent avoir été improvisé. Témoin cette séquence de dégustation pâtissière perturbée par une tempête hors champ qui fait claquer les volets d’où émerge soudain un toc toc de plus en plus prononcé marquant l’arrivée de Gilbert, comme échappé des vents.

     Entre temps, le film est une succession de longues séquences enfonçant chaque fois plus le clou du film de vacances décharnées, vidé de cette substance mouvante et/ou défilé de cartes postales. Un petit déjeuner peut durer des plombes. Une sortie voile se diluer complètement. Les préparations culinaires se dissoudre dans le jeu ou le fiasco absolu – Hilarante séquence des anguilles, pathétique réunion autour d’un congre. Il y a des jours (annotation systématique que reprendra Rohmer dans les années 80) mais plus de durée. Plus vraiment de sommes de faits, mais un fait alpagué dans sa dimension la plus insolite.

     C’est un parfum de fin d’été qui domine, d’été déplacé, quasi automnal avec ce goût d’embruns salés et de fraicheurs à venir. Les plages sont désertes, les snacks aussi. La maison dévore le groupe, puis chacun, avorte les délires (Gilbert aka Bernard Menez débarquant pendant la pause gourmande des pâtisseries qu’il faut dévorer le plus vite possible, les filles perdant l’appétit devant la recette du congre aux pommes de terre qui se sera fait attendre) et le dérèglement qu’il aura produit (le petit chef Gilbert, devenu souffre-douleur de sa secrétaire et de ses amies) implose en douceur, en agacement, en larmes, en disparition. Comme si cette maison, tout le mois de septembre durant, avait été le théâtre de vacances trop allongées et d’un éphémère éternisé.

     Si Rentrée des classes se joue comme son titre l’indique un jour de septembre et Du côté d’Orouët durant les trente jours de ce même mois, ce sont des films hors saison, qui respirent l’été à plein nez, le retour à l’insouciance, à l’enfance et si cruel peut-il être parfois, il ne souffre pas du sursis tragique qui enveloppe tout Adieu Philippine. L’évaporation du rêve accompagnera chaque film de Rozier (On revoit Bernard Menez s’engouffrer dans de longues étendues de sable et d’eau à la fin de Maine Océan, pour rejoindre… une route) mais Du côté d’Orouët marque sans aucun doute le retour le plus doux puisque les personnages s’y racontent leurs vacances même si la mélancolie reste palpable dans le regard vide de Joëlle.

     Le plus beau plan du film est probablement celui dévoilant deux des trois filles, devant la baie vitrée de leur chambre, ouverte sur un océan d’huile à la fois calme et suffocant, d’où de parfaites ondulations se forment puis viennent s’écraser hors champ contre la corniche. Elles ne sont plus trois et c’est le décor qui vient les noyer. L’aventure, aussi peut aventurière fut-elle s’en va presque là-dessus. Paris revient. Et le film rejoue la scène initiale sur une promesse de vacance prochaine, différente (Evocation de la Sardaigne avec une collègue) pour entrevoir un autre paradis simple qui deviendra inéluctablement compliqué, imparfait, inabouti et inachevé. Quelque part, c’est l’annonce des Naufragés de l’île de la tortue que nous offre Rozier, avec tout l’attrait exotique impertinent qu’il se tâchera de dilapider.

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