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Archives pour septembre 2016

Nocturama – Bertrand Bonello – 2016

nocturama01Le vent de la nuit.

   9.5   Le début de Nocturama évoque celui de Night moves, de Kelly Reichardt : L’attentat en marche. Et d’ailleurs, on peut y voir sensiblement la même issue dans la mesure où les activistes de Night moves ne parviennent pas à se murer dans le silence, certes moins pour une question d’attente que de culpabilité (La mort imprévue d’un gardien). Les personnages de Nocturama agissent moins par rigueur politique (Si toutefois le fantasme de l’idéal n’a rien de politique) que par dépit face au capitalisme ambiant. Pas de conviction précise mais une attaque aux symboles comme pouvait l’être aussi l’attentat dans le film de Kelly Reichardt où il était question de faire sauter un barrage. Il s’agit là du ministère de l’intérieur, du patron d’une grande banque, d’un étage de la bourse, de la statue de Jeanne d’Arc.

     Il faut surtout rappelé combien le film est une chorégraphie : D’abord minutieusement organisée, dans une ville à ciel ouvert, puis complètement déréglée, dans un grand magasin de luxe. Pourtant, déjà au sein de la première partie on décèle des dérèglements, anodins ici face à une porte bloquée, problématique lors d’une exécution gratuite. Il y a déjà des imprévus qui prédisent la déroute de la Samaritaine : Un garçon sort dans la rue sans ranger son arme ; Un autre, paniqué, se pisse dessus. Un autre encore se fait percuter par une voiture. Cet éclatement prendra une bifurcation démesurée dans la seconde partie où les combattants de ce capitalisme de masse sont dévorés, du fait de leur retranchement, par les produits de consommation les plus vulgaires qui soient, les réduisant à n’être plus que des mannequins sans visage.

     Ce qui intéresse Bonello c’est de construire et filmer un groupe, qui à priori n’a rien pour cohabiter (On retrouve la révolte groupée et utopique du Low Life de Klotz & Perceval) et leur offrir une identité aussi réelle qu’illusoire. Une identité qui à l’instar de L’Apollonide s’exerce en intérieur, le grand magasin ayant remplacé la maison close. Les jeunes s’appellent donc par leur prénom, tandis qu’à l’extérieur, durant leurs préparatifs (en flashback) ou leurs circulations le jour J, leur silence et leur disparité les noyaient dans une masse informe, comme ce pouvait être le cas pour Clotilde dans l’épilogue de L’Apollonide, qui se retrouvait seule sur le bas-côté d’une parcelle de périphérique. Leur nouvelle identité éphémère fait ressurgir leurs individualités, leur liberté, leur inconscience puisque chacun va réagir différemment aux actes qu’il vient de commettre, en libérant des pulsions contraires aux règles de l’attente et de la dissimulation au sein de sa propre bulle de fantasme morbide. Il y a du Assayas tendance L’eau froide, là-dedans et ses gestes déstructurés, ses illusions déchues.

     Tout commence de la manière la plus brute qui soit ; Le temps d’une première partie incroyable, dans laquelle une dizaine d’adolescents et post-adolescents marchent dans Paris, prennent le métro, s’envoient des messages, prennent des photos (Une place de parking, un numéro de rame, les chiottes…) et défient des systèmes de sécurité, le tout presque sans un mot, seulement des regards, des gestes. Infinité de déplacements dans un Paris labyrinthique qui évoque autant les marches précises du Elephant d’Alan Clarke (Qui semble être une référence majeure pour Bonello) que le voyage logique et infini dans lequel s’engage Sandrine Bonnaire, dans la première partie de Secret défense.

     S’il fallait oublier Clarke (C’est-à-dire se délester du nerf politique) on dirait qu’on entre dans Nocturama par une première partie à la rigueur bressonnienne et au déploiement melvillien. Constat alarmant : Bonello pourrait à l’aise faire dans le film d’action ou le polar. Certes il s’agit moins de jouer la carte d’un absolu suspense que de procéder par somme de déflagration et donc, pour le spectateur, de la peur de la déflagration à venir. Il faut rappeler combien la tension est palpable tout au long du film et les premiers coups de feu agissent comme de véritables coups de tonnerre, tant le climat nous étouffe – Il faut probablement remonter au Collateral de Michael Mann pour retrouver cet ultime sursaut face aux bruits de l’arme à feu.

     La fin peut être gênante dans la mesure où elle remet en cause une certaine idée du réel, crée des martyrs parfois rédempteurs et des bourreaux mécaniques, sortant par la même occasion de sa dimension onirique, spectrale et évanescente – La séquence cabaret, les enchevêtrements de lignes dans l’architecture du magasin, l’immersion du couple de clochards, la sortie nocturne. Ethiquement, Nocturama aurait mieux fait de se fermer sur cette curieuse image de chat (qui remplace la panthère de L’Apollonide) s’extirpant d’un étage délabré (Comme si déjà, la vétuste Samaritaine avait repris ses droits, sa place) ou sur ces deux séquences plus tragiques et désespérées du garçon travesti entonnant My way, de Shirley Bassey ou de la plus jeune des deux filles, s’agitant sur Call Me, de Blondie.

     Faire du siège une enfilade d’exécutions sans sommations permet aux flics d’être aussi des personnages sans visage, mannequins tout de noir vêtu tirant à vue sur cibles mobiles sans se soucier de qui l’on abat, du danger qu’il peut représenter (Certains jeunes préfèrent se rendre) ni sur leur possibilité d’innocence (Dans le lot, les clochards y passent aussi). Il y a je pense une volonté de recréer le miroir de la première partie, une multitude de gestes faisant cette fois raccord parfait avec les enchainements de mises à mort du Elephant d’Alan Clarke, or la double maladresse vient d’une part du contexte, qui peut difficilement être oublié et de l’empathie qui nait inéluctablement pour ces personnages, qui restent floues (Autant que leurs motivations) mais que l’on a suivi deux heures durant – Ce qui n’était pas le cas chez Clarke.

     Ce qui me plait dans cette fin c’est son recours à l’abstraction, sans compromis. Et elle l’est d’autant plus que Bonello, comme à son habitude, use d’un montage ahurissant, fait de répétitions suivant les points de vue, de split screen au découpage de caméras de surveillance voire pour certains d’une mort hors champ (On se souvient de Greg, ce personnage qu’on ne verra plus dès l’instant qu’il a tué son homme et qu’il est sorti dans la rue, pistolet en main / et on le retrouvera dans un rêve qui peut tout aussi bien être un flashback qu’un cauchemar / Et rappelle ces envolées cauchemardesques dans L’Apollonide avec notamment la femme au sourire et son client masqué qui semble avoir traversé le cinéma de Bonello pour venir y ricocher rapidement dans Nocturama sur le visage du plus jeune) à l’image de ces deux amoureux dont la peur inévitable est gagnée par le romantisme sauvage, comme si le temps d’un court instant ils devenaient les Bonnie Parker & Clyde Barrow modernes.

     Niveau influences, la presse a donc beaucoup évoqué Clarke, Ellis et Romero. La circulation des corps de l’un rencontre le fantasme de l’alliance dandy réprouvé / clochards poètes de l’autre. Le recours consumériste percute la pulsion de survie. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose à voir avec Dawn of the dead, dans ce retranchement dans le grand magasin. C’est vrai qu’on y décèle quelques correspondances avec Glamorama. Il me faudrait toutefois revoir et relire l’un et l’autre pour m’en persuader.

     Musicalement, le film est très imprégné de la techno berlinoise voilà aussi pourquoi parfois il évoque le Victoria de Sebastian Schipper. Il y a dans ces deux films un détachement corporel soudain, lors d’une scène solitaire, dans lesquelles les personnages sont déjà des fantômes. On traverse des tunnels de métro comme dans Victoria on s’engouffrait sur les toits des immeubles. On se déhanche en groupe ici pour se témoigner une solidité comme on s’y embrassait là dans une entrée de boite de nuit.

     C’est vrai qu’il y a une rigidité un peu factice et qui provient sans doute du peu de contrechamp que le film s’en va saisir – La fille inconnue (Tu auras remarqué la subtilité du clin d’œil) ou Manuel Valls sur BFM ou la discussion avec le ministre de l’intérieur – qui sont des séquences dont à vrai dire je ne vois pas l’utilité sinon celle de nous extirper de la spirale macabre de ce petit groupe s’étant octroyé une dernière danse (Le titre devait initialement être Paris est une fête) puisque contrairement au Bresson de Le diable, probablement avec lequel Nocturama dialogue beaucoup, il s’agit moins du portrait d’un leader que celui d’un groupe, disloqué certes, mais dont la beauté éclectique renvoie à l’utopie d’un soulèvement commun déjouant l’ancrage culturel et sociologique.

     Voilà, maintenant que je l’ai noyé sous un flot interminable de références, ce qui prouve contrairement à L’Apollonide (Qui je le répète reste à mes yeux le plus beau film de ces dix dernières années) que je l’admire plus qu’il ne m’émeut, je vous conseille d’y aller sans hésiter car si c’est un film imparfait, c’est aussi l’un des plus stimulants vu cette année. Alors oui, c’est vrai que je suis en admiration béate devant. J’y suis d’ailleurs retourné. Je croyais que ce serait surtout pour apprécier sa mise en scène (Tout l’inverse de L’Apollonide, qui fonctionne à tous niveaux) mais je me suis surpris à me perdre à nouveau dans cette multitude de visages incarnée par un casting absolument incroyable. 

Walkabout – Nicolas Roeg – 1972

14232021_10153934226587106_5711253488474017838_oLe désert ocre.

    9.5   Le choc encaissé devant les apparitions stridentes, brumeuses et labyrinthiques de l’anxiogène Don’t look now se réitère face à cet objet, étrange magma sonore aux images renversantes, sous forme de conte initiatique déboussolé, qu’on n’a guère fini de décortiquer, et dont on pourra apprécier les multiples pistes, digérer les collages déjantés, la dramaturgie débridée. Film hors norme, arpenteur solitaire ; Démesure totale, informe, psychédélique née d’un esprit fou : celui de Nicolas Roeg.

     Si l’espace utilisé (le bush australien) et le nombre réduits de personnages (Trois, seulement) appelle linéarité et naturalisme, Roeg instaure, de par son passé de monteur / chef opérateur une construction hallucinante, jouant du medium avec autant d’inserts, tailles de plans, répétitions, saccades qu’il dispose tout en gardant une cohérence à la fois formelle et narrative rendant la réussite aussi singulière que miraculeuse. A ce titre, le bestiaire insolite est probablement le plus fourni de l’histoire du cinéma.

     Les images introductives se situent en ville mais de la ville nous ne verrons que des irruptions brèves, des jambes, des visages, des routes, des buildings. C’est Koyaanisqatsi, une dizaine d’années plus tôt. D’autant que l’enrobage musical de John Barry et ses structures anguleuses, cauchemardesques achèvent d’en faire une immersion dans les entrailles de l’aliénation urbaine. Un immeuble blanc apporte une douce et froide rupture. Dans sa cour, une piscine, des enfants y plongent. De son appartement, un père les observe, muet.

     Dans la seconde suivante, ce même homme, ces mêmes enfants sont dans une voiture en plein désert. On va rejouer le semblant de bonheur qui apparaissait plus tôt en ville. Cette fois la cassure sera violente, soudaine. Le découpage saisit des regards, un attirail de pique-nique, un rocher, un pistolet à eau, une bombonne d’essence. Il se passe quelque chose d’aussi étrange que le sera l’introduction de Don’t look now, à la fois prévisible et effroyable. Une angoisse inexplicablement insoutenable. Un montage d’une force aussi inouïe que le drame qui se noue, nous propulse ailleurs, loin des affres de la folie. C’est autre chose qui va se jouer, dorénavant.

     Le désert se déploie à l’infini, incandescent, la chaleur est accablante, les peaux se calcinent, l’eau manque. C’est une étrange rencontre qui relance le film en son entier. Une image, qui se reflète d’emblée dans les yeux azur de l’adolescente : Un aborigène descend les dunes et traque le lézard à la lance. Il est en plein Walkabout, rituel initiatique consistant en l’errance solitaire dans les grandes étendues avant d’être considéré adulte par sa communauté et pouvoir rejoindre le corps familial.

     Ils ne parlent pas la même langue mais vont parvenir à se comprendre ou du moins à vivre ensemble sans se comprendre, l’adolescente et son petit frère en rejetant chaque jour un peu de leur civilisation : les uniformes tombent, les peaux servent de supports picturaux, les corps parviennent à se mouvoir et devenir complice de l’espace, aussi dangereux soit-il ; Le fait qu’elle se dénude entièrement (sublime séquence dans la crique) renforce l’idée qu’elle se libère de sa condition et de sa jeunesse. Tandis que l’aborigène semble perdre son endurance de survie à leur contact, allume machinalement le poste radio qu’ils ont rapporté in extremis dans leurs bagages et se rapproche de l’adolescente, éprouve du désir.

     Lorsqu’ils se retrouvent dans une maison abandonnée, c’est tout le processus de déracinement qui rattrape l’aborigène, influencé par son désir de civilisation, de fonder une famille et sa douleur de voir une chasse de blancs « pour le plaisir » le priver de son déjeuner. Il faut voir comment Roeg insère cela dans son récit, via des montages syncopés d’une audace folle, violente et précise. Tout le film joue finalement moins sur le caractère purement initiatique du livre de James Vance Marshall qu’il adapte (dans lequel les enfants se retrouvaient en plein désert après un accident d’avion) que sur les affres de la société occidentale, dans le prologue, le final, les inserts diverses (Courte : Un boucher hâchant sa viande ; Longue : Des scientifiques zieutant une femme de façon malsaine) et plus simplement, le suicide du père.

     Il s’agit de rejouer la création. Et d’y échouer. Il n’y a pourtant pas de message pro aborigène (Ni de véritable hymne à la nature, tant celle-ci, soleil brulant aidant, montre un visage monstrueux) ni aucune complaisance pour l’un ou l’autre des modes de vie. Ce n’est pas un hasard si le découpage d’une proie est entrecoupé d’un boucher en action. C’est que la similitude, même éloignée dans son dispositif rituel est trop archaïque pour offrir une vision convenable du monde. Si l’aborigène préfère en mourir (Il effectue sa danse de mort juste après avoir été précédé par les chasseurs blancs) c’est probablement parce qu’il a compris l’absurdité du fonctionnement du monde.

Le grand bleu – Luc Besson – 1988

14354887_10153971300297106_7584268867564148315_nAu fond, les sirènes.

   9.5   C’est avec une grande émotion que j’ai revu Le grand bleu, de Luc Besson. Je ne savais pas ce qu’il m’en resterait aujourd’hui tandis qu’il fut, durant mon enfance, ce film refuge, ce parfait mélo en apnée ; Jacques était mon héros : Cet éternel enfant (dans le corps d’un adulte) incapable de vivre sur la surface terrestre, survivant d’évènements traumatiques (L’absence de la mère, l’accident mortel du père), inéluctablement happé par les abysses et ses confrères les dauphins. « Personne n’a ce genre de famille » se confiera-t-il sous ivresse, à Johanna. Incapable donc, de s’investir dans une relation amoureuse : Quand il fait l’amour (à Johanna) c’est l’image des profondeurs qui semble lui procurer son orgasme ou au contraire, plus tard, une inquiétude mystérieuse qui ressemble presque à un refus d’adultère – Son mariage avec la mer guette son aventure terrestre. Incapable de poser des questions (Ce qu’il avouera à Enzo) ou à trouver les mots pour retenir le départ de Johanna. Le jeu de Jean-Marc Barr y était parfait, quasi extraterrestre. Sérénité et sagesse (Contrairement à Enzo qui ne se rend pas compte, ici, que la mer est mauvaise) sur un regard lointain, une posture de sirène. Enzo dira qu’il a une drôle d’allure, qu’il vient d’une autre planète. Superbe séquence lorsque Jacques, de retour en Grèce, retrouve le rocher de son enfance. La scène est identique à celle du prologue, le regard comme la posture qui l’accompagne – Dingue de constater combien l’acteur qui joue Jacques jeune, ressemble déjà à Jean-Marc Barr, qu’il a ce même regard mort, de l’abandon, de la résignation – Alors que la mer n’a encore emporté aucun de ses proches.

     Pourtant, plus qu’un autre film d’inadapté ou de loup solitaire, Le grand bleu s’en va raconter une étrange amitié, qui n’en est pas vraiment une ou plutôt c’est une amitié exclusivement définie sur et dominée par le défi. Celui qui plongeait pour communier avec les poissons contre celui qui plongeait pour aller chercher des pièces. Si le résultat de l’ellipse qui nous permet de les retrouver adulte recèle une caractérisation si binaire (Jacques plonge toujours par passion des profondeurs dans une excursion scientifique assez floue sous la glace au Pérou quand Enzo plonge toujours pour sauver des plongeurs coincés dans une carcasse en l’échange d’un chèque important) c’est que le pacte de Besson avec son spectateur est resté bloqué sur le frêle théâtre de l’enfance. Il faudra pour certain, être solide pour accepter cette désinvolture sociologique, j’y reviendrai. Ce qui est pourtant passionnant c’est de voir combien ce théâtre de l’amitié virile, fait de provocations vaines et d’admirations feintes (« Tu meurs d’envie de me battre ! – C’est toi le plus fort, Enzo ») n’est que la motivation d’un suicide en marche. Si l’un a déjà clairement les pieds de l’autre côté (« Il faut parfois une bonne raison pour remonter » dira t-il) mais ne lui manquait seulement cette retrouvaille (Enzo) et cette rencontre (Johanna) pour matérialiser son départ, l’autre, castré et seul comme un champion, las de vivre de menus larcins, a besoin d’un os à ronger et va trouver en la présence de son rival rêvé (Puisqu’in fine ils ne se sont jamais vraiment affronté) un moyen de s’en aller et de reconnaître que la planète de Jacques est plus belle que la sienne, et lui avouer qu’« on est bien mieux tout au fond ». En résulte une longue préparation à ce suicide assisté, d’abord en se livrant un duel d’apnée au fond d’une piscine, alors qu’ils sont complètement bourrés ; ou plus tard et dans le même registre, boire quelques gouttes d’alcool dans une capsule sous-marine, à des profondeurs où il est même rudement déconseillé de pisser ; Et bien entendu en défiant les lois des plongées en apnée, chacun leur tour, dans un coude à coude qui ne peut que finir mal, comme on dirait aux enfants « Attention, ça va mal finir ».

     Et l’autre beauté du film, outre son intensité bleue, douce, apaisante, caractérisée par cette horizontalité circulaire (On fait le tour du monde : Grèce, Pérou, Italie, Etats-Unis) qui vire au noir terrifiant dès l’instant qu’elle est dévorée par la verticalité des profondeurs (Que Besson capte assez bien, non pas selon des attributs réalistes ou organiques mais de façon mystérieuse et sexy) c’est Rosanna Arquette. Et mon agréable surprise la concernant, c’est de constater combien elle y joue un rôle essentiel, elle n’est pas qu’un instrument périphérique de l’amitié Jacques/Enzo ni un concept de forme terrestre comme dans le souvenir que j’en avais gardé et ce bien qu’à l’époque il s’agissait déjà de cette parcelle de récit (L’amour impossible entre Johanna et Jacques) qui me touchait bien plus que le reste. Elle aère le film, lui apporte cette mobilité imprévue (Elle vient, repart puis revient) et porte toute notre incompréhension face à ces deux gamins jouant à se tuer et ce garçon à vouloir disparaître dans les fonds, sur son sourire et dans son regard. Si Besson transpirait vraiment la misanthropie et le désir de disparaître dans le néant des profondeurs, ce que nombreux critiques avaient relevé, Je ne crois pas qu’il aurait fait de son personnage terrien, un être aussi doux, lumineux, sensuel (Rarement Rosanna Arquette aura été aussi belle), sensible (Elle voudrait comprendre ce qui attire tant Jacques au fond, tente continuellement de percer sa carapace) et compréhensive (Elle le laisse finalement partir, alors qu’elle porte en elle son enfant). Johanna est tombée amoureuse d’un poisson qui croit l’avoir rencontré dans un lac, cet homme silencieux qui discute avec les dauphins, ce poète meurtri qui ne parle pas de ses fêlures, cette créature qui n’a pas le même cœur (Le premier souvenir qu’elle garde de lui, lors de son retour à New York n’est autre qu’une bande papier contenant les battements de son cœur) ni la même vision du bonheur que tout le monde :

« Tu sais ce qu’il faut faire pour vivre au milieu des sirènes ? Tu descends au fond de la mer très loin, si loin que le bleu n’existe plus, là où le ciel n’est plus qu’un souvenir. Une fois que tu es là, dans le silence, tu y restes. Et si tu décides que tu veux mourir pour elles, rester avec elles pour l’éternité, alors… Elles viennent vers toi et jugent l’amour que tu leur portes. S’il est sincère, s’il est pur et si tu leur plais alors elles t’emmèneront pour toujours. »

     Alors c’est vrai qu’il vaut mieux ne pas être allergique à la musique d’Éric Serra tant celle-ci est de chaque séquence ou presque – Mais elle fait partie intégrante du film, elle est comme Jacques, son cœur qui bat. C’est vrai aussi que Besson n’est pas le type le plus subtil de la Terre, que sa jolie psychologie de comptoir avec cette histoire de trauma ici qui percute l’enfant trop couvé-là a de quoi faire frémir par sa caricature. On passe aussi sur le regard parfois limité envers des personnages secondaires, sacrifiés puisque saisis en une mono-mimique répétitive et gratuite (Le frère d’Enzo, le président de la fédération, la Mama et ses plâtrées de pâtes, évidemment) ou de manière condescendante (L’américain de l’épave, l’équipe japonaise) et grossières (Le gardien du delphinarium, le type qui les accompagne sur la base nautique) qui sont généralement des inserts à visée purement comiques. En dépit de ces caractérisations le film est souvent tendre et bienveillant. Il y a par exemple cet oncle, entrevu pendant la séquence trauma du prologue, que l’on retrouve seul chez lui, à moitié sourd, plongé dans son bain à écouter Wagner à fond les ballons. Ce sont des petites choses un peu parasitées par un mouvement d’ensemble souvent balourd, mais qui n’empêche pas le film de tourner magistralement autour de ses trois personnages centraux.

     La surprise est d’autant plus belle que je trouve le film toujours aussi fort, émouvant. C’est un mélo atypique dont on sent que le récit vient d’un seul homme, Besson, qui à mes yeux, finalement, ne fera jamais rien d’autre de bien. C’est un one-shot parfait, naïf, désespéré. Un chant de réprouvé qui a laissé parler son cœur. Bref, je sais que c’est un film peu aimé des cinéphiles, c’est donc d’autant plus agréable d’en parler pour tenter de le défendre. Evidemment, ce n’est pas une grande proposition de cinéma qui réinventerait quoi que ce soit, qui renverserait ses modèles (Dont Besson semble dépourvu), qui tente le diable ou la désinvolture, qui fait de la sidération filmique son leitmotiv (On n’est pas dans Abyss) mais il y a une honnêteté là-dedans, quelque chose de fragile qui touche autant à l’enfance qu’à une constante maladresse, qui me touche encore aujourd’hui, infiniment.

Monika (Sommaren med Monika) – Ingmar Bergman – 1953

14195301_10153945473872106_6297223546659801972_oLes amants crucifiés.

   10.0   La mort du cinéaste suédois, il y a neuf ans de cela, m’avait poussé à me pencher sur sa dense filmographie. Une première rencontre avec Cris et chuchotements m’avait autant désarçonné que fasciné et à vrai dire je n’ai jamais revu ce film qui m’avait terrifié par sa violence froide, ses couleurs rigides, ses cris et ses râles, cette grande maison lugubre et ces trois femmes au chevet d’une quatrième agonisante. Je m’en souviens pourtant très bien. L’essai fut véritablement transformé avec Monika, découvert dans la foulée. Film magnifique, mais jamais angélique, qui préfigurait la Nouvelle vague française (On se souvient de l’apparition d’Harriet Anderson sur les affiches d’un cinéma dans lequel Doinel échoue dans Les quatre cents coups, de Truffaut) et qui allait très probablement orienter une partie de ma cinéphilie. Grande émotion que de le revoir aujourd’hui, qui plus est dans la foulée de Jeux d’été avec lequel il partage de subtiles similitudes. Evidemment, Monika est surtout resté dans les mémoires pour son fascinant regard caméra dans lequel le personnage nous rend témoin de son désarroi de préférer coucher avec le premier homme venu que de continuer à vivre avec son mari et son fils. Ce plan me dresse les poils à tous les coups. Pourtant le film est bien plus que ce tragique plan de bascule. Il est avant cela une fuite entre amants, quittant leur petit boulot miteux pour voguer en canot vers les îles non loin de Stockholm. C’est la bulle d’insouciance avant que le manque d’argent (et donc de nourriture) ne les fasse revenir sur terre. L’idylle éphémère avant l’apparition imminente d’un bébé. C’est la fuite la plus agréable du monde et le retour le plus douloureux de l’histoire du cinéma. Chef d’œuvre absolu.

Jeux d’été (Sommarlek) – Ingmar Bergman – 1951

14231166_10153945473867106_8791691189741712687_oUn amour de jeunesse.

   8.5   Comme son titre l’indique, le récit se déroule en été. Ce qu’il n’indique pas c’est que le présent du film, lui, se situe en automne, puisque l’été en question n’existe plus que dans le souvenir (vieux de treize ans) d’une ballerine au travers d’un gigantesque flashback (Procédé cher au cinéaste suédois) dans lequel Marie s’abandonne pour contrer la morosité qui l’habite (et semble l’habiter depuis longtemps) un jour de répétition de ballet alors qu’elle effectue ses dernières retouches maquillage. C’est alors qu’elle reçoit un paquet, contenant un livre qui n’est autre que le journal intime de Henrik, son amour de jeunesse. Il oriente les réminiscences et ouvre une première transition avant qu’un lieu (Une petite maison familiale au bord de la mer) ne prenne le relais, quand la pièce ajournée pour problème technique, Marie s’y rend, foule à nouveau l’endroit de sa jeunesse estivale, dorénavant secoué par le vent puis se souvient. Sommarlek raconte alors les premiers émois de cette idylle entre la jeune danseuse et l’étudiant aussi adorable que mystérieux – rencontré sur l’île d’Orno, au large de Stockholm – à la mélancolie latente puisqu’il est hanté par la mort de sa mère. Si l’automne et les coulisses de la salle de théâtre marquent durablement le présent, ce passé si proche et lointain respire l’été et les grands espaces, l’eau et les rochers, les promenades et les caresses, la nature et les horizons infinis. L’idylle s’élève contre tout, un oncle un peu beauf ici, une mère disparue là. Bergman disait qu’il avait fait Le septième sceau avec son cerveau et Jeux d’été avec son cœur ; Il résume alors ce qui me touche infiniment dans sa période de cinéma « romantique » couvrant les années 50, en gros : la pureté, le tâtonnement, la jouvence, cette impression que le film se dessine au présent au gré des émotions les plus élémentaires. On ne peut qu’admirer ses grands films sophistiqués comme Persona, mais Jeux d’été a comme Monika, cette fragilité (qu’on ne retrouve plus dès lors qu’il se fait sage et grave) et cette légèreté magnifique malgré la cruauté qui en émane. L’épilogue est puissant, puisqu’il retourne le drame aussi sèchement qu’il était apparu en réminiscence. Marie se démaquille, accepte son présent et son histoire d’amour à venir, raye son passé (En offrant le livre à son homme d’aujourd’hui) et retourne danser. Elle choisit la vie tandis qu’elle avait depuis treize années hésité avec la mort.

Le fantôme de Cat Dancing (The man who loved Cat Dancing) – Richard C. Sarafian – 1973

14184401_10153934225132106_1705574867230153612_nCat reappearing.

   8.5   On a souvent entendu dire que Sarafian était l’homme d’un seul film, Point limite zéro. Après avoir découvert, il y a quelques mois, Le convoi sauvage puis maintenant Le fantôme de Cat Dancing, il est évident que c’est faux. Effectivement, ce sont des films qui tranchent moins en tant que précurseur du Nouvel Hollywood, puisqu’ils appartiennent plutôt à ce genre mourant qu’est le western. Mais cet aspect « Dernier chant du cygne » qui hante le récit, avec ce casse pour la rédemption, offre au film une singularité forte qui n’est pas sans rappeler ce qu’en fera Cimino quelques années plus tard, dans Heaven’s gate. Film testament, agonisant, réchappé des limbes.

     Dans Le fantôme de Cat Dancing, les cow-boys hors-la-loi sont plus fragiles. Il faut un interminable combat à mains nues à Jay Grobart pour se débarrasser de Dawes, venu récupérer son butin. Une microseconde pour que les trois-quarts du convoi soient torpillés par une embuscade indienne. Quant à Billy, il mourra des suites de ses blessures : Un mauvais coup mal placé, durant une bagarre, qui rappelle un autre coup de pied fatal, cruel, dans Thunderbolt & Lightfoot, de Cimino, encore lui, sorti la même année.

     Comme dans Le convoi sauvage le film glisse lentement vers un affrontement final qui n’aura pas lieu. Pas dans la tradition du genre, du moins. L’explication de cette rupture du schéma conventionnel est simple : La fuite et la poursuite ne constituent pas le point essentiel du récit, puisque celui-ci est construit autour de thématiques périphériques qui se chevauchent à merveille, avec cette histoire d’amour en miroir (physique et mystique), la quête filiative et la culpabilité mystérieuse. Grand et grave personnage que ce Jay Grobart, chef de gang du convoi, qui ressemble finalement beaucoup à Bass (Le convoi sauvage) et Kowalski (Vanishing Point) dans sa rupture d’avec le monde. Burt Reynolds y est parfait, opaque, taiseux, avec ce romantisme sous-jacent qui fait parfois, inopinément, soulever un sourire ou offrir une brève palabre poétique.

     Pourtant, le film fait aussi et surtout le portrait d’un autre personnage, une femme, Catherine Crocker (Sarah Miles, magnifique) qui vient apporter ce contrepoint au personnage de Grobart, puisqu’elle se situe complètement dans la fuite, de son mari, de sa vie bourgeoise. C’est d’ailleurs sur elle, cavalière distinguée, que le film s’ouvre, alors qu’elle chevauche des étendues désertiques, sous son ombrelle, afin de rejoindre le train. Train qui sera le terrain de chasse (aux pièces d’or) de Grobart. Ce qui est très beau c’est de voir comment elle occupe l’espace à mesure qu’elle s’ancre dans le groupe, d’abord sous la contrainte (L’empêcher de s’enfuir et de parler) puis dans son attachement précoce à son ravisseur ; Avant d’être prisonnière de l’invisible : Une femme, dont tout le monde parle, morte mystérieusement, portant un nom similaire au sien. Du coup, par rivalité, Catherine se transforme en Cat, remplace ses manières victoriennes par une sensualité squaw et se heurte, comme les deux mondes, L’homme blanc face à l’indien, à l’impossibilité de cohabiter avec celui dont le cœur meurtri est déjà pris. Cat Dancing n’est d’aucun plan mais dans son évocation, quasi de tous. Ce qui achève de faire de cette merveille, romantique et désespérée, un pur film de fantôme.

Les Aventures de Tintin, Le Secret de La Licorne (The Adventures of Tintin, The Secret of the Unicorn) – Steven Spielberg – 2011

14231415_10153945474087106_3887037807662539408_o« Car c’est de la lumière que viendra la lumière »

   8.0   C’est comme dans mon souvenir de cinéma d’il y a cinq ans : Toujours excellent. D’autant que je (re)lis beaucoup Tintin ces temps-ci et que je venais justement de finir Le secret de la licorne bref c’était le moment idéal pour revoir cette adaptation pleine de rythme, de couleurs et d’idée de transitions à faire pâlir bon nombre de films d’action. Spielberg se fait plaisir dans chaque plan d’une virtuosité folle et nous aussi, de voir qu’il a préservé l’origine (On retrouve quasi toutes les planches de la bande dessinée en question) tout en lui secouant la construction pour en définitive proposer une relecture de La Licorne, mais aussi des Crabes aux pinces d’or (L’épisode de la rencontre entre Tintin et Haddock) et de Rackham le rouge (Puisqu’on retrouve beaucoup de la suite de la Licorne dans le film). Bref, plaisir intégral. La séquence à Bagghar est l’un des trucs les plus jouissifs du cinéma d’action de ces dernières années. En puis je ne me souvenais pas du générique initial et je fus agréablement surpris de constater qu’il ressemble énormément à celui de l’un de mes films préférés : Chérie j’ai rétréci les gosses. Hergé serait je pense ravi de voir ce que Spielberg a fait de sa Licorne.

Divines – Houda Benyamina – 2016

divines-de-houda-benyamina-une-autre-belle-bande-de-filles,M338301Money or love.

   6.0   A vrai dire, je ne m’attendais pas trop à ça. Je craignais une compil de Bande de filles trash qui aurait fusionné avec un Tout ce qui brille auteuriste. Il y a de cela au début, un esprit chronique de banlieue camp de Rom + HLM et la plongée hystérique dans un univers tendre et violent, donc drôle, mais éprouvant. Pourtant le film a plus d’un tour dans son sac. Il fonce, n’a que faire de se regarder le nombril (Coucou Céline Sciamma) et se fiche de la star se la jouant banlieusarde (Coucou Nakache & Mimran). C’est La haine qui rencontre Scarface et Donoma. C’est Dounia qui rêve de traverser Phuket en Ferrari, s’engage dans le trafic de drogue mais parfois s’en va épier une répétition de danse dans les cintres d’une salle secrète. Il y a des tentatives toutes les trente secondes, des bifurcations d’une séquence à l’autre. Je ne pensais pas que le film irait si loin, qu’il investirait à ce point le film de gangsters. Je craignais le film poncifs qui débarquerait comme le parangon du cinéma banlieue 2016 qui voudrait montrer la voie. En un sens, oui, il montre la voie mais uniquement dans le vent de liberté qu’il fait souffler. Car le film n’est pas si aimable de prime abord, il est sale, charcuté de partout, surréaliste et multi-genres. Franchement je me faisais un plaisir à vouloir le détester mais j’en suis sorti exalté. J’aime sa rage de survie et son romantisme lunaire (Super idée du danseur étoile sujet au vertige), ses partis pris de scénario comme de mise en scène. Bonne surprise.

La Reine Margot – Patrice Chéreau – 1994

LA REINE MARGOTDe bruit et du fureur.

   7.5   Je n’aime pas Chéreau ; J’ai sans cesse la désagréable impression qu’il est persuadé de se situer au-dessus de la mêlée, qui sait où il va, mais ne tente véritablement jamais. Je n’aime pas non plus Adjani, encore moins Auteuil, qui représentent à eux seuls ce qui me rebuter dans le jeu à la française, quelque chose d’à la fois grimaçant et accablant, qu’on retrouve aujourd’hui parfois chez Seydoux ou Cluzet. C’est une partie de l’Histoire de France (Les rois de la fin de la Renaissance) avec laquelle je me sens très éloigné. On redoute aussi la partition pieds-dans-le-plat de Goran Bregovic. Et le film dure 2h30. Que dire si ce n’est que j’abordais ça à reculons, en restant poli. Pourtant, passé la séquence de noces en ouverture (Qui intrigue autant qu’elle fait craindre le pire : L’outrance et le ridicule s’y côtoient) j’ai été happé de bout en bout, d’abord dans ces festivités déviantes où la foule crache son nombre dans le plan, puis dans ce dédale monstrueux de sueur et de sang, de violences agonisantes, de clash horrifiques (Le travail sonore est hallucinant) au sein de cette ignominie familiale qui pourrait être une sorte de Game of thrones avant l’heure (Rappelons que le mariage de Marguerite de Valois et Henri de Navarre, union Catholiques/Protestants aussitôt avortée, est surnommé Les Noces Vermeilles, en raison de sa proximité avec le massacre de la St Barthélémy) avec sa kyrielle de personnages impossibles, ces infâmes arrangements et complots, cette expédition de Flandres hors-champ, son obsession de maculer le plan de corps, ruelles sans fond, pièces de château glauques, portes débouchant sur l’horreur. La reine Margot est donc l’adaptation de Dumas et raconte notamment le massacre de la St Barthélémy avec une emprise tragique orchestrale. Virna Lisi est une incroyable Catherine de Médicis, monstre absolu à la figure de cire (La voir là en quasi sosie de Nosferatu aux côtés d’Adjani évoque forcément le remake merveilleux signé Herzog) mais tout le casting est au diapason, et gargantuesque, et éclectique, jugez vous-même : Adjani, Anglade, Argento, Auteuil, Blanc (Dominique), Brialy, Bruni Tedeschi, Colin, De Fougerolles, Douchet, Duclos, Greggory, Lisi, Perez, Salinger, Schroeder, Todeschini. J’en oublie, qu’importe, le plus important est que chacun ait un vrai rôle à jouer, une douleur à crier, un secret à masquer ; ça fait plaisir de voir la mégalomanie arrogante de Chéreau se transformer en une telle folie éphémère et sauvage qui n’a d’autre but que d’alimenter la fresque par un déluge rythmique hors norme et une plongée crépusculaire dans les méandres du Mal où la mort se livre partout, sur un amoncellement de corps tuméfiés envoyés dans des fausses communes ou sur le visage de Charles IX liquéfié de sueur et de larmes de sang par le poison.

Pas de repos pour les braves – Alain Guiraudie – 2003

14188678_10153934226417106_5784857604731341495_oNuit debout.

   6.0   Il s’agit donc du premier film long dans la filmographie d’Alain Guiraudie. Le seul qui me manquait pour avoir enfin une vue d’ensemble sur son œuvre. Visionnage que j’avais volontairement repoussé, parce que ça se savoure, Guiraudie, ça se revoit, évidemment, mais c’est surtout le plaisir de la découverte et de se dire que le cinéma français regorge de folies que je ne connais pas encore et puis parce que, soyons honnêtes, j’étais certain qu’il bouclerait ma relation avec Guiraudie en beauté, en attendant l’après Rester vertical, impatiemment, cela va de soi.

     Sans trop tergiverser disons que c’est bien, que ça transforme l’essai, que ça continue de tenter beaucoup de choses, que ça ne ressemble à rien de déjà-vu, que c’est d’une liberté absolue, dans le fond, dans la forme, partout. Mais c’est une relative déception, de celle vers quoi tendra Voici venu le temps, deux ans plus tard : A cet instant, le cinéma de Guiraudie passe encore difficilement le format long. Sur la durée, le film a ses temps morts, ses troubles rythmiques, quelques problèmes d’aiguillage, qui peuvent aussi bien me rappeler ce que sera le Mischka de Stévenin, ou plus récemment Marie et les naufragés, de Betbéder.

     Toutefois, le film stimule déjà. Il s’ouvre sur le monologue habité d’un jeune gars persuadé qu’il va mourir dès l’instant qu’il aura sombré dans son dernier sommeil, puisqu’il a rêvé de Faftao-Laoupo, celui qui annonce la mort. Igor ne fait pas vraiment attention à lui mais ce drôle de type coiffé d’un bonnet orange l’intrigue suffisamment pour qu’il tente de le retrouver. Le lendemain, dans le village natal de Basile, la quasi-totalité de la population est massacrée par un étrange tueur sanguinaire. Igor va donc faire route avec Johnny Got, un journaliste détective ni vraiment journaliste ni détective. Ils vont mourir puis revenir plus tard, dans un univers passé ou parallèle, qu’importe.

     Entre-temps le récit aura retrouvé Basile qui se dénomme dorénavant Hector, il voyage entre Village-qui-meurt où il passe du temps avec un vieil homme solitaire et Village-qui-vit où l’on boit des coups et où l’on joue au billard dans un bar – Et plus si affinités, tendance délire Buňuelien. Un moment donné, Johnny Got (sans gun) réapparaît et se perd entre Oncongue et Buenozères, en passant par Glasgaud et Bairoute (La géographie absurde chère au cinéma guiraudien) avant qu’il ne rencontre un drôle de gang lui reprochant le vol de petites boules rouges. On ne sait plus très bien où l’on se trouve, dans un post-Tati ou un post-Mocky mais le délire semble ne jamais prendre fin, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme tant sa folie sans cesse renouvelée s’avère épuisante.

     Mais c’est avant tout très drôle. Ce n’est pas tout à fait le même humour qui caractérisera Le roi de l’évasion qui s’en rapproche dans son cachet western, s’en éloigne dans son romantisme. C’est surtout un humour de la vanne, moins de la situation, tendance « C’est chez vous ? – Non je suis chez le voisin, ainsi chez moi ça reste propre » qui peut s’avérer parfois génial et parfois franchement lourd, mais aussi se permettre des trouées secrètes comme cette séquence qui rejoue exactement celle entendue une demi-heure plus tôt dans le programme télévisé que regardait Basile et Roger, son vieil amoureux.

     Mais surtout, Pas de repos pour les braves est un superbe balai visuel, là aussi complètement anarchique, surfant entre le western et le conte au moyen de compositions incroyables, empruntant des esthétiques parfois contradictoires, lugubres ici, archi colorées là, ambiance de terrain vague ou échappées sur la plage (qui nous vaut une scène de vague dévoreuse rappelant un peu la plasticité du film d’animation d’Alexandre Petrov, Le vieil homme et la mer). C’est un rêve, un rêve dans le rêve, un cauchemar, c’est à peu près tout à la fois. Pas de repos pour les braves est à Guiraudie ce que Mauvais sang est à Carax.

     Le programme, bien qu’il s’avère moins cohérent et encore plus foutraque que dans son dernier film, Rester vertical, est sensiblement le même : S’ériger contre le conformisme ambiant, pousser la fantaisie le plus loin possible et surtout, délirer, partir à l’aventure, choisir la fuite, s’amuser de ce qu’il nous reste à vivre même si l’on croit, comme Basile/Hector que notre heure est venue.

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