Nuit debout.
6.0 Il s’agit donc du premier film long dans la filmographie d’Alain Guiraudie. Le seul qui me manquait pour avoir enfin une vue d’ensemble sur son œuvre. Visionnage que j’avais volontairement repoussé, parce que ça se savoure, Guiraudie, ça se revoit, évidemment, mais c’est surtout le plaisir de la découverte et de se dire que le cinéma français regorge de folies que je ne connais pas encore et puis parce que, soyons honnêtes, j’étais certain qu’il bouclerait ma relation avec Guiraudie en beauté, en attendant l’après Rester vertical, impatiemment, cela va de soi.
Sans trop tergiverser disons que c’est bien, que ça transforme l’essai, que ça continue de tenter beaucoup de choses, que ça ne ressemble à rien de déjà-vu, que c’est d’une liberté absolue, dans le fond, dans la forme, partout. Mais c’est une relative déception, de celle vers quoi tendra Voici venu le temps, deux ans plus tard : A cet instant, le cinéma de Guiraudie passe encore difficilement le format long. Sur la durée, le film a ses temps morts, ses troubles rythmiques, quelques problèmes d’aiguillage, qui peuvent aussi bien me rappeler ce que sera le Mischka de Stévenin, ou plus récemment Marie et les naufragés, de Betbéder.
Toutefois, le film stimule déjà. Il s’ouvre sur le monologue habité d’un jeune gars persuadé qu’il va mourir dès l’instant qu’il aura sombré dans son dernier sommeil, puisqu’il a rêvé de Faftao-Laoupo, celui qui annonce la mort. Igor ne fait pas vraiment attention à lui mais ce drôle de type coiffé d’un bonnet orange l’intrigue suffisamment pour qu’il tente de le retrouver. Le lendemain, dans le village natal de Basile, la quasi-totalité de la population est massacrée par un étrange tueur sanguinaire. Igor va donc faire route avec Johnny Got, un journaliste détective ni vraiment journaliste ni détective. Ils vont mourir puis revenir plus tard, dans un univers passé ou parallèle, qu’importe.
Entre-temps le récit aura retrouvé Basile qui se dénomme dorénavant Hector, il voyage entre Village-qui-meurt où il passe du temps avec un vieil homme solitaire et Village-qui-vit où l’on boit des coups et où l’on joue au billard dans un bar – Et plus si affinités, tendance délire Buňuelien. Un moment donné, Johnny Got (sans gun) réapparaît et se perd entre Oncongue et Buenozères, en passant par Glasgaud et Bairoute (La géographie absurde chère au cinéma guiraudien) avant qu’il ne rencontre un drôle de gang lui reprochant le vol de petites boules rouges. On ne sait plus très bien où l’on se trouve, dans un post-Tati ou un post-Mocky mais le délire semble ne jamais prendre fin, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme tant sa folie sans cesse renouvelée s’avère épuisante.
Mais c’est avant tout très drôle. Ce n’est pas tout à fait le même humour qui caractérisera Le roi de l’évasion qui s’en rapproche dans son cachet western, s’en éloigne dans son romantisme. C’est surtout un humour de la vanne, moins de la situation, tendance « C’est chez vous ? – Non je suis chez le voisin, ainsi chez moi ça reste propre » qui peut s’avérer parfois génial et parfois franchement lourd, mais aussi se permettre des trouées secrètes comme cette séquence qui rejoue exactement celle entendue une demi-heure plus tôt dans le programme télévisé que regardait Basile et Roger, son vieil amoureux.
Mais surtout, Pas de repos pour les braves est un superbe balai visuel, là aussi complètement anarchique, surfant entre le western et le conte au moyen de compositions incroyables, empruntant des esthétiques parfois contradictoires, lugubres ici, archi colorées là, ambiance de terrain vague ou échappées sur la plage (qui nous vaut une scène de vague dévoreuse rappelant un peu la plasticité du film d’animation d’Alexandre Petrov, Le vieil homme et la mer). C’est un rêve, un rêve dans le rêve, un cauchemar, c’est à peu près tout à la fois. Pas de repos pour les braves est à Guiraudie ce que Mauvais sang est à Carax.
Le programme, bien qu’il s’avère moins cohérent et encore plus foutraque que dans son dernier film, Rester vertical, est sensiblement le même : S’ériger contre le conformisme ambiant, pousser la fantaisie le plus loin possible et surtout, délirer, partir à l’aventure, choisir la fuite, s’amuser de ce qu’il nous reste à vivre même si l’on croit, comme Basile/Hector que notre heure est venue.