Quand je pense qu’on va vieillir ensemble.
7.0 Histoire de citer à foison, on pourrait grossièrement dire qu’Apnée est un croisement improbable entre La fille du 14 juillet, Du soleil pour les gueux, Near death experience et Buffet froid. On y ressent l’élan joyeusement anar d’un Peretjatko, la poésie solaire et ses grands espaces d’un Guiraudie, le voyage politico-burlesque façon Délépine & Kervern, l’absurde sous saynètes de road-movie d’un Blier. Dans la première scène, trois larrons déterminés – Une femme et deux hommes – débarquent dans une mairie vêtus chacun d’une robe de mariée, avec la volonté… de se marier. Tous les trois. Le dialogue avec le maire, qui va littéralement péter un câble, est hilarant. La séquence suivante et son générique d’ouverture nous propulse sur la glace : Trois patineurs nus et masqués enchainent les figures acrobatiques sous les violons tonitruants du Presto de L’été de Vivaldi – Le générique final nous apprendra qu’ils étaient toutefois doublés, dommage, j’ai cru en leur talent de danseurs sur glace, d’autant qu’on les retrouve avec les mêmes masques un peu plus tard lors d’un braquage aussi nul que génial. Plus tard, ils dévaleront les routes corses à bord de quads, feront le portrait d’un postier rondouillard, délivreront le Christ de sa croix, croiseront une autruche dans un supermarché, danseront sur La Compagnie Créole et feront du catch nus. Avant cela ils auront tenté de s’accommoder à la société : Rdv chez le banquier pour présenter leur projet de création d’un parc d’attraction (à Marnes-La-Vallée!), visite d’un 18m² étouffant et cours d’entretien à l’embauche (La meilleure scène du film, qui semble s’étirer à l’infini, Thomas Scimeca y est prodigieux). Vers le milieu, il y a cette séquence anthologique de repas chez des vieux qu’ils choisissent pour être leurs parents. Trop longue mais tellement folle, convoquant aussi bien Les valseuses, Le charme discret de la bourgeoisie ou C’est arrivé près de chez vous. On passe donc du coq à l’âne en permanence, pour le meilleur (le bain commun dans une baignoire de magasin donnant sur la rue, dans laquelle ils évoquent leurs positions sexuelles préférées) et pour le pire (L’enfant à l’école, grand moment de gêne) donc du rire franc à l’ennui poli. C’est osé jusque dans cette fin qui semble reprendre Electroma et Le sacrifice. C’est bancal comme souvent avec ces films à saynètes/sketchs, pas toujours très inspiré (On sent qu’ils capitalisent des choses déjà tournées sur les planches) et même si ce n’est pas le désir des personnages, il manque un fil conducteur, aussi bien esthétique que romanesque, ce que parvient si bien à faire Tati. Ou Guiraudie, mais en moins abouti, fascinant et jubilatoire, malgré cette volonté de créer des personnages faire-valoir aux allures mythologiques (par leur verbe, leur nom, leur profession, leur simple posture, leur silence, un vêtement) qui permet de dépasser le strict cadre du road-movie égocentrique. Après, je pense qu’on peut adorer ou détester selon l’humeur. Personnellement, j’aime l’élan global tout en trouvant le film un peu raté dans l’ensemble. Mais ça fait vraiment plaisir de voir un objet aussi libre et givré, même si je retiens moins le film que le geste. Je ne connaissais pas la troupe des Chiens de Navarre (enfin seulement de nom) donc je découvre un humour bien particulier, qui semble en parti basé sur l’improvisation. Et tous trois ont une vraie personnalité, une gestuelle, un décalage à part entière. Ils m’ont bien fait marrer, Thomas Scimeca en tête, que j’avais déjà trouvé génial dans Inupiluk, de Sébastien Betbéder.
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