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Archives pour novembre 2016



Les bruits de Recife (O Som ao Redor) – Kleber Mendonça Filho – 2014

20La ville fantôme.

   7.5   L’entrée en matière est sidérante : De vieux clichés noir et blanc défilent accompagnés par des percussions. Brutalement, l’album photos est remplacé par un plan-séquence, en couleur, ras du sol. La musique sur des images de campagne par les bruits de la ville. Deux enfants, l’une sur ses roller, l’autre sur son vélo, semblent faire la course dans un parking. Il disparait, on la suit jusque dans un petit terrain de foot grillagé. Elle se fond dans la masse. Et les rires des enfants sont soudain recouverts d’un bruit de scie électrique. Un homme plus loin s’occupe des barreaux d’une grille. C’est tout le film qui est raconté dans cette introduction autant sa virtuosité que son hermétisme, ses ruptures formelles que son portrait bouillonnant, ses voyages temporels, sa plongée architecturale.

     Alors certes, ce n’est pas le même choc qu’Aquarius. On vibre moins et l’émotion provient moins d’un combat que d’une anxiété latente. Mais déjà on sent que le cinéaste brésilien recèle d’idées à la pelle, qu’il vienne à briser son unité de lieu (un brutal voyage dans une sucrerie du grand-père) autant que son apparente dimension naturaliste (Des cauchemars chevauchent d’étranges sorties nocturnes) et sa focalisation sur ses personnages, chacun dans son quotidien balisé : Bia, mère de famille, qui soigne ses insomnies en fumant des pétards ; Joao qui semble faire l’agent immobilier pour passer le temps et couche avec Sofia ; Francisco qui règne sur l’empire abstrait que constitue ces barrières d’immeubles de Setubal (Quartier de Recife) en allant parfois se baigner en pleine nuit ; Clodoaldo qui s’installe ici la nuit en tant qu’agent de sécurité, se laisse séduire par une fille du quartier et déloge un gamin noir d’un arbre. Curieux tableau qui semble autant relier les telenovelas que le traditionnel film choral mais Filho dynamite le tout en faisant de Recife et tout particulièrement de ce quartier (Le sien), ces rues, ces couloirs, ces escaliers, ces sas, ces fenêtres, un personnage à part entière. Le seul vrai personnage du film.

     L’autre constante c’est cette barrière, ici épaisse, là invisible, entre les dominants et les dominés, ces rapports de classes qui viennent s’immiscer aussi dans ce quartier moyen, où l’on peut s’acheter des grandes télés, se payer une bonne, se faire piquer son autoradio par le voisin. Une vie de copropriété bien réglée (Filho n’hésite pas à étirer une séquence de réunion de copro pour en saisir les rouages et le sens de domination) qui se réfugie dans la peur, l’ennui, la jalousie. Une vie où l’obsession sécuritaire l’emporte sur le reste ; Où les enfants font des cauchemars d’invasions ; Où les bénéficiaires de plantations familiales s’imaginent plonger dans une cascade d’eau rouge-sang. Bref, c’est un film hyper fort bien qu’un peu rêche et foutraque par instants mais dont la circulation et la respiration de cet espace aussi cauchemardesque que photogénique (On pense à Koyaanisqatsi), la construction aussi labyrinthique que les lignes qui chargent chaque plan et le magma sonore qui habite ces deux heures restent longtemps en tête après le visionnage.

Recife frio – Kleber Mendonça Filho – 2009

32 (1)Vague de froid.

   4.5   Là ça me parle déjà beaucoup moins, le côté comédie documenteur, j’ai l’impression que Filho s’amuse avec son sujet mais moins avec sa mise en scène mais bon, il tente autre chose, continue de filmer Recife, fait des inserts de pingouins, écoute un français qui regrette sa Bretagne natale. C’est parfois très drôle. Si c’est dispensable dans son ensemble ça reste passionnant de voir comment l’auteur a évolué avant Les bruits de Recife et Aquarius.

Electrodomestica – Kleber Mendonça Filho – 2005

32La vie domestique.

   6.5   C’est le brouillon d’une petite partie des Bruits de Recife. Après une introduction chantée et une succession de plans extérieurs, tout se passe dans un appartement dans lequel vivent une mère et ses deux enfants. Tâches quotidiennes pour l’une, télévisions et jeux divers pour les autres. C’est le son qui rythme tout le film et comme le titre l’indique, c’est la musique de la vie domestique – Une version apaisante du destructeur Le septième continent, de Haneke. Un bruit de chantier qui restera au dehors, hors-champ se mélange à celui plus ostensible de l’électro-ménager dans l’appartement : Micro-ondes, aspirateur, mixeur, machine à laver, lesquels Filho n’hésite pas à régulièrement saisir au moyen d’inserts brefs et répétés. On retrouve certains gestes de son long métrage à venir : Ce joint que l’on fume en solitaire et dont on rejette la fumée dans le tuyau de l’aspirateur pour ne pas qu’elle se dissipe dans l’appartement ; La livraison de la télévision 29 pouces, qui supplante la précédente (Un plan sur une table basse remplie d’une multitude de télécommandes revient souvent) ; Et il y a l’orgasme que la mère vient chercher sur sa machine à laver en mode essorage. Mais il y a surtout des portes, des grilles qui s’ouvrent sur d’autres grilles, des fenêtres protégées. Et de temps à autres un plan sur une montre, que la mère guette sans cesse, moins pour étendre son linge en temps et en heure (On pense d’ailleurs à Jeanne Dielman, notamment durant cette coupure de courant, dont on imagine un instant qu’elle va briser ce rituel ordonné) que pour effectuer sa petite messe de plaisir solitaire. Et il y a ce doux moment où un homme sonne à la porte, sans doute un ouvrier du chantier d’à côté ; Il demande un verre d’eau et la mère de famille va lui apporter une bouteille et une mangue. De toutes les maisons qu’il a abordées, dit-il, c’est la seule qui s’est ouverte. Pied de nez parmi d’autres plus abstraits approfondis dans Les bruits de Recife, que Filho fait à Setubal, véritable forteresse moyenne, repliée sur elle-même, ses peurs et sa parano sécuritaire. Le final, très beau, évoque Zabriskie point, rien d’étonnant tant on sent l’œuvre du brésilien proche des thématiques antonionienne.

Vinil Verde – Kleber Mendonça Filho – 2004

33Peur et fantaisie.

   5.5   Mère offre à Fille un cadeau spécial : une boîte pleine de petits disques de couleur pour enfants. Fille pourra écouter les disques, à l’exception du vinyle vert. C’est sur cette histoire tirée d’un conte pour enfants russe, que le cinéaste brésilien fabrique ce croisement entre le roman-photo façon La jetée et un absurde dérangeant à la Kafka. Un « il était une fois » version « Le fruit défendu » aux relents de Shining. Un cinéma fantastique comme on en voit peu, qui s’imprime moins par la morale que par des jaillissements – Mélodie sinistre, membres amputés, gants latex en mouvement. Et si Vinil verde semble constituer la gestation d’une œuvre à venir, il y a dans ces 16 minutes un climat étrange et horrifique qui permet d’entrevoir ce que Filho pourrait faire à l’échelle d’un long dans un futur proche. Et franchement y a de quoi flipper.

Notre petite sœur (Umimachi Diary) – Hirokazu Kore-Eda – 2015

30It’s a wonderful life.

   6.5   Dans la foulée du très beau Tel père, tel fils Kore-Eda adapte Kamakura diary, manga de Yoshida dans lequel trois sœurs, en allant à l’enterrement de leur père qui les avait abandonné quinze ans plus tôt, font la connaissance de Suzu, le fruit de sa deuxième vie, faisant d’elle leur demi-sœur. Elles l’invitent à les rejoindre dans leur grande maison à Kamakura où elle s’adaptera bientôt à leurs petites habitudes. Kore-Eda excelle dans cet art de la cohabitation triviale, quotidienne, filmant surtout les repas et préparations de ces repas, promenades à la plage ou au cimetière, discussions timides où éclos parfois un souvenir fort, une douleur. Le film est sans doute trop monocorde pour vraiment émouvoir mais il contient de voluptueux instants de grâce flottante, incarnés par quatre actrices magnifiques, qui sont comme des enfants orphelins dans cette vaste maison cernée de verdure, rappelant forcément beaucoup Nobody Knows. Une jolie petite musique, non sans une certaine amertume, aussi lumineuse qu’est son délitement à mesure que le film s’installe, avec une élégance de jeu, de ton et de composition des couleurs absolument charmante.

Le pays des sourds – Nicolas Philibert – 1993

27Les signes vitaux.

   5.0   C’est pas mal mais un peu académique dans ses enchainements. Le Depardon de San Clemente aurait sans doute tenté beaucoup plus de choses avec un matériau pareil. Il y a tout un monde à créer, un espace de jeu et d’échange à interroger, notamment avec les adultes. Bref on sent que c’est un film fait par un entendant. Les séquences les plus belles sont celles avec les enfants, dans le cadre scolaire, puisqu’elles captent de vraies individualités qui oublient la caméra ainsi que des divagations mystérieuses, rien d’étonnant à cela puisque cette partie pourrait prolonger ou être prolongée par le meilleur film de Philibert : Etre et avoir.

Nous trois ou rien – Kheiron – 2015

29La vie de papa.

   5.0   Emprunt d’un capital sympathie assez imbattable d’autant qu’il en fait son sujet même (L’histoire de ses origines familiales) et véritable ode aux générations qui ont ouvert la voie, Nous trois ou rien, premier film de celui qui fut révélé par la pastille Bref et quelques passages dans le Djamel Comedy Club, est un fourmillement permanent de micro saynètes, entre le rire et la chronique, qui veut raconter la politique Iranienne, les bouleversements au sein de cette grande famille et l’exil en France. Kheiron campe donc le rôle de son père, activiste forcené (Qui refuse même, en prison, de manger le gâteau offert par le shah aux prisonniers politiques) et Leila Bekhti, celui de sa mère, solide bras droit dans ce combat pour la démocratie. Dans son élan de générosité (Le film est rempli à ras bord) Nous trois ou rien est plutôt attachant, même s’il exploite un peu trop la caricature de personnages (Le voleur de vêtements c’est d’une lourdeur), se perd dans l’éloge de la réussite française et dynamite continuellement son sérieux récit par des vannes en roue libre qui ont tendance à lasser. Le shah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi, est donc joué par Alexandre Astier, qui semble refaire le Roi Arthur de Kaamelott. Le prisonnier sans honneur par Kyan Khojandi qui nous ressort les mimiques de Bref. Et les grands parents par Zabou Breitman et Gérard Darmon, qui sont dans les meilleures scènes du film. Un moment, Kheiron et Bekhti en exil contemplent leur premier soleil couchant hors Iran puis ils repartent en titubant à moitié, cadrés serré. Le plan s’allonge, ils s’éloignent et on les découvre marchant jambes écartées. On comprend alors que les heures de cheval dans les montagnes ne leur ont pas fait du bien. Et Kheiron lance alors : « Toi aussi, le cheval ? » Merci mais on avait compris. Et c’est souvent comme ça, c’est dommage. Mais le plus gros problème du film c’est sa mise en scène outrancière, puisqu’à vouloir créer de la vitesse à tout prix il enrobe le tout d’une petite musique souvent insupportable qui vient appuyer chaque rebondissement ou séquence émotion. Bref c’est un film hyper maladroit à peu près en permanence, mais il y a une vitalité euphorique là-dedans qui m’a séduit.

Un début prometteur – Emma Luchini – 2015

20Début raté, promesses masquées.

   4.5    J’ai envie de l’apprécier ce film, d’une part car je le trouve plus élégant qu’il n’en a l’air, contournant systématiquement les coutumes de petit film français bien dans ses bottes, avec ses lignes de récit toutes tracées, ses tonalités de « comédie dramatique » sclérosées. Mais le film ne va nulle part. On pense qu’il transgresse quelque chose (doux dans ses enchaînements, peu enclin aux grandes plages musicales, doté d’aucun flash-back) mais il s’y prend mal, d’une part car on ne croit à aucune situation et donc à aucun personnage, tout manque cruellement de densité, d’autre part car le film est trop symbolique de cette crise du récit, il ne raconte rien, le drôle de triangle amoureux s’embourbe et finit en eaux de boudin. Manu Payet est toutefois excellent en écrivain dépressif, poivrot bedonnant en cure éternelle. Quand il disparaît du cadre, donc quand le film se concentre sur le jeune acteur qui joue son frangin (Et qui est assez mauvais, il faut le dire) on le cherche. Mais le problème est ailleurs à mon avis. Emma Luchini, fille de, adapte un roman de son mari et y filme entre autre son père. Difficile de créer son propre monde là-dedans. Mais il y a un ton, une vision, ou un embryon de ton et de vision. Curieux de voir ce qu’Emma Luchini fera ensuite aux commandes d’un projet plus conséquent et personnel.

Toutes ses femmes (För att inte tala om alla dessa kvinnor) – Ingmar Bergman – 1964

32Kitch harem.

   3.0   Qui a dit que Bergman n’avait pas d’humour ? Le problème c’est justement qu’on préfère quand il en a moins. Je ne sais pas ce qu’il avait fumé ici, mais pour pondre cette farce pataude et hallucinogène, tout en gag, grimaces et pyromanie il fallait que ce soit de la bonne. Si le jeu est volontairement outré et théâtral, les décors le sont aussi : princiers, colorés, artificiels. Mais le cinéaste s’amuse beaucoup à glisser un peu partout des idées de cinéma libre entre adresse caméra, accélérations, insertions de cartons et autres délires de montage, façon Tati et Keaton. Reste qu’entre Le Silence et Persona, cette histoire de critique musical tentant d’écrire la biographie d’un grand violoncelliste à sept femmes est une bien anodine récréation, parfois rafraîchissante, au détour d’une loufoquerie étirée, mais souvent absconse.

L’oeil du diable (Djävulens öga) – Ingmar Bergman – 1961

30Comédie dans les ténèbres.

   6.0   « La chasteté d’une jeune fille c’est un orgelet dans l’œil du diable ». C’est sur ces mots, un curieux dicton dont l’origine est incertaine, que le film s’ouvre. Et Satan, en effet, un beau matin, se pare d’un hideux orgelet en bordure de paupière. On dit que sur Terre, une demoiselle semble avoir conservé sa virginité. C’en est trop, il décide donc d’envoyer deux preux chevaliers, Dom Juan prisonniers des Enfers depuis des siècles et Pablo, son valet (et meilleur homme de main du diable) pour séduire la demoiselle afin de calmer les ardeurs joviales du septième ciel.

     Toute la partie Enfers, dévoilant son petit théâtre absurde aux abords du bureau de Satan est bien laborieuse mais dès l’instant que Dom Juan rencontre enfin Britt-Marie (Bibi Andersson, sublimissime à se damner) dans un séquence outrageusement belle, qui pourrait servir de modèle à n’importe quelle comédie de remariage, à la fois étirée, sensuelle, espiègle le film semble alors troquer son atout farce pour une rom com aux relents de tragédie inévitable. Lorsque dans la séquence finale Satan conte la nuit de noces de Britt-Marie à un Dom Juan de retour, tout penaud puisqu’il aura échoué sur tous les fronts – Ne parvenant ni à faire fondre la jeune femme, pourtant peu timorée, allant jusqu’à en tomber éperdument amoureux – la scène est aussi drôle qu’effroyable.

     Mais le film ne se tient pas seulement à cela. Il a la malice de jouer qui plus est sur deux tableaux de séduction et de faiblesse puisque Pablo va aussi tomber sous le charme de la mère de Britt-Marie, marié à un prêtre un peu trop cloisonné dans son sacerdoce. Ce qui ajoute un supplément de grâce lumineuse et tragique (Puisque dans les deux cas, les amants des ténèbres devront repartir) à cette relative réussite bergmanienne, à la fois sombre et frivole qui rend divinement grâce à cette étrange période transitoire.

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silencio


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