Publié 6 novembre 2016
dans Alain Cavalier
Tant va la cruche à l’eau…
4.0 Je comprends ce que ça peut avoir d’émouvant mais ça ne me touche pas contrairement à Irène qui dans un canevas filmique similaire m’avait autrement plus stimulé et ému. Et ça ne tient pas à grand-chose dans la mesure où le processus de réactivation est le même, disons simplement que le côté petite fabrique en arabesque disposée pèle-mêle manque de souffle homogène, qu’on a bien du mal à se frayer notre propre chemin entre ces évocations bibliques (Job, Calypso, Ulysse…) et ces nombreuses petites figurines (robot en métal, canard en plastique, allumettes en croix, chouette sculptée…) qui peuplent chaque plan en lieu et place des humains – Ce qui n’est pas tout à fait vrai puisque Cavalier, parfois, s’en va saisir des visages, souvent juvéniles, créant une passerelle narrative enchanteresse. L’idée du bébé paon qui naît puis meurt, auquel on fabrique un tombeau à base silex et clous rouillés est très belle puisqu’on y perçoit une certaine douleur de l’existence, à la fois éphémère et apaisante, ce que le film essaie de traduire un peu trop d’ailleurs, dans sa veine expérimentalo-ringarde fragmentée et (sa) petite voix off soporifique. Il manque de vraies saillies et giclées comme on pouvait jadis en trouver dans Le plein de super ou Thérèse, que je n’aime déjà pourtant pas beaucoup. Mais surtout, on a l’impression que Cavalier a dorénavant moins à filmer qu’à raconter.
Publié 5 novembre 2016
dans John Hillcoat
Les ripoux.
3.5 Polar urbain crépusculaire et burné, qui est moins dans une veine Mannienne qu’un lointain cousin outre-atlantique d’Olivier Marshall, où les punchlines résonnent comme des coups de feu, où chaque personnage semble réversible, chaque situation renfermant sa petite panoplie surprise, de façon paradoxalement pas si surprenante dans la mesure où tout le film à venir est prévisible dès son premier quart d’heure. Une affaire de braquage pour le compte de la mafia russo-israélienne qui utilise des policiers corrompus, qui vont devoir mettre en œuvre le code 999 (Qui signifie dans le milieu qu’un policier est à terre et que s’il est déclenché, toutes les forces spéciales alentours y sont concentrées) pour effectuer un dernier coup extrêmement risqué. Bref, pas de quoi se relever la nuit, ni dans le récit, ni dans la mise en scène – On est plus du côté de Cogan Killing Them Softly que de To live and die in LA.
Après, le film se suit, savoir-faire à l’américaine aidant, dévoilant qui plus est son casting quatre étoiles : Woody Harrelson (En mode cabotin qui semble tout juste avoir été décongelé de True detective), Casey Affleck (Qui fait bien le gars du Sud, avec son chewing-gum ; Il est vraiment bon par ailleurs, il est bien le seul et tant mieux puisque c’est lui La cible), Aaron Paul (Qui rejoue peu ou prou Jesse Pinkman), Kate Winslet (Qui a rarement été aussi dégueulasse), Norman Reedus (Daryl dans The walking dead), Chiwetel Ejiofor (12 years a slave) ou Clifton Collins Jr. (Truman Capote). Bref, il y a des gueules, parfois bien amochées, des cadavres partout, des flics corrompus, d’autres reconvertis dans le banditisme, quand ils ne sont pas tout bonnement désenchantés. « Zombies here » lit-on sur un affichage électronique. Atlanta (La seule vraie bonne idée du film) chez Hillcoat, ça ne rigole pas.
Publié 4 novembre 2016
dans Jean-Paul Rappeneau
Chronique bourgeoise en province.
5.0 Les premières minutes sont insupportables, parmi ce que j’ai vu de pire depuis longtemps. Lellouche, De Tonquedec et Nicole Garcia aidant, évidemment, dans un jeu théâtral abominable. Amalric aussi mais rien n’y fait, lui, même en roue libre, il reste génial. C’est d’ailleurs probablement lui qui nous permet d’entrer dans le film, avec de la bonne volonté. Lui et la relation que son personnage entretient avec celui de Marine Vacth, l’excellente Jeune et jolie d’Ozon. Donc oui, ça s’améliore un peu ensuite même si on a souvent l’impression d’assister à un mix entre la lourdeur des derniers Resnais (Le casting y joue beaucoup) et le cinéma bourgeois de Danièle Thompson. « J’ai la tête qui tourne, tout arrive en même temps c’est incroyable » lâche Dussollier vers la fin du film. C’est exactement ça. C’est beaucoup trop hystérique même s’il faut reconnaître que Rappeneau maîtrise assez bien le surrégime et parvient à créer une énergie mise en scénique qu’on a peu l’habitude de voir ailleurs que chez lui, quelque part entre l’épuisant Les mariés de l’an II et le savoureux Le sauvage, avec Deneuve et Montand. Des films qui ont plus de quarante ans, ce qui prouve que Rappeneau est resté le même malgré ses quatre-vingt printemps bien tassés et pousse son récit (Dont on se fiche grandement) dans un entonnoir vertigineux qui culmine dans ce jeu de chaises musicales final, un concert qui prend des tournures d’Opéra où tous les chassés-croisés entrent en collision, où toutes les dynamiques fusionnent en une seule vitesse, maximale, éreintante et paradoxalement, assez jubilatoire. Ce n’est pas trop ma came dans l’ensemble mais il y a un savoir-faire bluffant là-dedans. Et sinon, Karin Viard y est plus belle que jamais.
Publié 3 novembre 2016
dans Wes Craven
Sortez les violons !
4.0 Décidément, Wes Craven aura tenté des choses. Après la comédie vampirique et vouons-le, catastrophique, le voilà à la tête d’un projet de chronique écolière à Harlem, tendance guimauve. Ces deux films ont en commun d’exister pour leur interprète central : C’était Eddy Murphy dans l’un, c’est ici Meryl Streep, dans un rôle taillé pour les Oscar (Il lui valu une nomination) puisqu’elle y incarne une bourgeoise abandonnée par son mari, qui décide d’enseigner le violon dans l’école d’un quartier difficile de New York. Histoire d’en remettre une couche sur la corde sensible, le film est tiré de l’histoire vraie de Roberta Guaspari. Bref, on ne voit pas trop ce qui a séduit l’auteur de L’emprise des ténèbres là-dedans, d’autant qu’il tourne ça entre deux Scream. Toujours est-il que La musique de mon cœur, aussi guimauve qu’il soit, n’est jamais désagréable, il déroule son petit programme tout à fait impersonnel (Mise en scène on ne peut plus transparente) sans tomber dans le ridicule – Et l’on sait maintenant combien Craven pouvait aussi y basculer. Mieux, le film est scindé en deux parties et la scission au mi-temps (exactement) est une ellipse de dix ans. La première raconte donc la renaissance d’une femme et du cours de violon dans le programme scolaire. La seconde le combat contre les décisions institutionnelles de supprimer les financements de ce même cours, jugé coûteux et superflu. Au début, les enfants prennent les violons pour imiter des mitraillettes. A la fin, ils jouent au Carnegie Hall, sages comme des images. On est dans une merveille de caricature pour ménagères, le travail, l’amour et la transmission tout ça, et le film est noyé sous les bons sentiments, indigestes à tout point de vue (Des gosses et des violons, purée…) accompagnés en permanence par des plages musicales bien illustratives. Mais c’est mignon, avec beaucoup d’indulgence.
Publié 2 novembre 2016
dans Jérôme Boivin
L’incompris.
6.5 Comment parler de ce truc inclassable ? Déjà dire que ça n’a pas vieilli d’un iota. Certes je ne le découvre qu’aujourd’hui mais ça ne m’aurait guère surpris de voir qu’il était sorti il y a dix comme vingt ans. En fait, presque trente. C’est encore un ovni aujourd’hui alors je n’imagine pas ce que ça devait être en 1989. Je retrouve dedans ce qui me plaisait dans les premiers Noé (Carne & Seul contre tous) auquel on pourrait lointainement mixé Schizophrénia. Outre son aspect hors du temps, renforcé par une photo austère (Entre du Dumont et Haneke, imagine la chose) et une quasi absence d’effets gratuits, le film dépasse largement son dispositif au mieux rigolo, au pire ridicule sur le papier, de chien qui pense tout haut, enfin en voix off. Il s’agit en fait moins d’un film sur un chien qui critique les humains qu’un essai, un poil misanthrope sur le genre humain. Le chien n’est que le vecteur existentiel, il observe, réfléchit. C’est grâce à lui que l’on va s’immiscer dans ces trois familles, différentes les unes des autres (de manière à saisir une certaine idée de la France) puisque le film choisit uniquement de suivre le destin du clébard, un Bull Terrier blanc, cool en apparence mais torturé à l’intérieur, frustré, méprisant, refoulé. Méfiez-vous du chien qui pense, prévenait l’affiche d’époque. Ça fait nanar horrifique mais le film s’éloigne aussi de cela dans la mesure où il ne force jamais le trait et de cette violence nous ne verrons pas grand-chose, si ce n’est justement pas celle du chien mais celle d’un jeune garçon, obsédé par le régime nazi et en quête de son Eva Braun. Le film aurait d’ailleurs gagné à ne pas effectuer de montage parallèle avant la rencontre entre le chien et le garçon. Car du coup on voit venir cette rencontre, on l’attend. On sait que le chien quittera cette vieille femme. Et qu’il quittera aussi ce couple, qui devient parents. Il aurait mieux fallu suivre Baxter comme Bresson suivait Balthazar, sans aucun contre-champ ou presque. Quoiqu’il en soit, je ne suis pas prêt d’oublier la voix de Maxime Leroux, monocorde et désabusée. Je ne sais pas ce qu’il m’en restera mais là, à chaud, ça m’a bien secoué.