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Archives pour décembre 2016

Premier contact (Arrival) – Denis Villeneuve – 2016

15732643_10154280436602106_2911565007132654032_oFirst encounter.

   9.0   Le film s’ouvre sur un souvenir en forme de confession. Dans un préambule malickien, dans les formes, une femme évoque son bonheur d’être mère, voix off à l’appui et composition élastique tout en bribes de réminiscences. L’évocation du bonheur est aussitôt relayée et brisée par le calvaire de la maladie, la douleur du deuil. Une enfant jouait dans une prairie, une adolescente est terrassée par le cancer. C’est notre premier contact avec le film, une fragmentation du temps, accélérée, qui raconte un destin ample et tragique sur plusieurs années, façon Là-haut. Une manière d’appréhender le présent à venir aux côtés du personnage avec l’empathie et l’intensité que l’on trouvait déjà dans Incendies, du même Denis Villeneuve. Rester collé à son héroïne coûte que coûte, tout en découvrant en même temps qu’elle le découvrira, son histoire. C’est On the Nature of Daylight, de Max Richter, qui guide ce bref et multiple souvenir, à la fois doux et effrayant – On se croirait autant revenu dans le Shutter Island, de Scorsese que du côté de cette merveille de série HBO The Leftovers. Premier contact n’allait plus me lâcher.

     D’étranges flash-back, qui reviendront à de nombreuses reprises et qui seront in fine tout à fait autre chose, entrent ici et là, au détour d’une pensée ou d’un rêve, on ne sait pas toujours ce qui les motive ni leur fonctionnalité dans la progression de l’intrigue, mais l’on sait qu’ils ébranlent son hôte au moins autant que le deuil insurmontable torturait le quotidien de Ryan Stone (Sandra Bullock) dans Gravity. Ces souvenirs réapparaissent de plus en plus sous forme de flashs, le temps semble distordu, à l’image de l’âge de l’enfant qui change d’un souvenir à l’autre. Ici un dialogue éveille un doute, une fissure qui fait entrer le souvenir dans une autre dimension, là c’est une manière de camper le choc – Et Amy Adams le joue avec une retenue remarquable et bouleversante – dans un permanent regard trouble. Aussi trouble que l’écran qui s’érige partout. Puisque l’autre constante de Premier contact, c’est la communication, la problématique du langage, les écrans qu’il doit traverser.

     Au début du film, après l’introduction, dans l’amphithéâtre universitaire au sein duquel Louise s’apprête à faire cours, les téléphones des élèves se mettent en branle, les écrans tétanisent l’assemblée. On demande à Louise de mettre une chaîne d’informations ; Un autre écran se déploie alors mais ce sont les visages et celui de Louise en premier lieu, que Villeneuve nous convie à voir, des visages effarés. On comprendra vite qu’une invasion extraterrestre est en marche : 12 vaisseaux en forme d’ovoïde sont apparus à divers endroits du globe. C’est celui du Montana qui va nous intéresser. Celui vers lequel le gouvernement américain envoie Louise pour ses capacités de linguiste hors pair. On ne verra aucun des autres vaisseaux, le film ayant choisi l’angle intime, celui de cette femme, pour se plonger dans le genre archi rebattu du film de science-fiction tendance rencontre entre l’Homme et les extraterrestres.

     Il va falloir dialoguer avec les extraterrestres, décoder pour comprendre leur langage afin de leur poser la grande question : « Quelle est le but de votre présence sur Terre ? ». Et tout le film consiste à construire ce terrain de langage commun. Entre l’Homme et l’extraterrestre ; Entre Louise et l’histoire de sa vie ; Entre le film et son spectateur. Trouver le bon créneau, le bon signe, le bon tempo, pour s’y lover dans un premier temps, apprendre à cohabiter. Et Villeneuve prend le temps qu’il faut, à l’image de la scène du premier contact, brillante, fascinante, angoissante, dévoilant d’étranges céphalopodes géants cachés derrière un écran de fumée qu’on approche après avoir traversé un immense corridor à gravité zéro. Cohabiter puis accepter son ambivalence (qualités/défauts, points communs/différences mêlés) pour enfin le recevoir pleine gueule, dans une harmonie d’autant plus bouleversante qu’elle s’avère aussi douce que conciliante.

     La panique générale, chère à nombreux films du genre, est évacuée du récit, simplement répertoriée sur les visages militaires et scientifiques qui se côtoient sous des tentes de fortune ou d’un ordinateur (continent) à l’autre. La douceur fait partie intégrante du film. Il fallait être pudique dans l’évocation du deuil, calme dans l’approche entre les deux communautés, limpide dans sa forme pour ne pas tomber dans un rance spectacle ni s’embourber dans sa géographie. Il y a très peu de lieux dans Premier contact. Et sitôt que le plan capte une certaine immensité (La plaine du Midwest, la hauteur du vaisseau/monolithe, Louise aux côtés de l’heptapode) c’est pour raconter quelque chose de précis, ce n’est jamais gratuit. La sophistication vassal, immobile, imposante s’oppose d’emblée à une désorganisation humaine, dispersée et minuscule : Magnifique plan, aérien, élégant, quasi panoramique, dévoilant deux entités, l’une stable et l’autre grouillante. Il faudrait saluer le travail musical de Jóhann Jóhannsson (doux drone brumeux aux stridences infimes et résonnance de cornes) tant il semble au moins autant en adéquation avec l’image que celui de Mica Levi dans Under the skin. Tout est tellement à sa place que la séquence à priori déplacée du tunnel explicatif, n’entache en rien sa dynamique et convient d’un étrange changement d’axe, ouvrant droit sur l’imaginaire plutôt que d’en dévoiler toutes ses textures.

     Premier contact choisit de reprendre là où Rencontres du troisième type s’arrêtait, juste avant une possibilité de conversation. Il m’aura en outre permis de comprendre ce qui m’a toujours manqué dans le film de Spielberg, ce que le film convoque sans cesse mais brise d’une lame de générique : Terriens et extra-terriens peuvent communiquer, à condition de leur laisser le temps de trouver un moyen de le faire. Le temps c’est ce que demande Louise Banks, en permanence. Du temps pour relier les deux langages. Du temps pour déchiffrer l’autre langue et ses logogrammes aux motifs complexes, crachés à l’encre. Idée sidérante de beauté, par ailleurs, qui l’est davantage dès l’instant qu’on apprend que la signification de chaque glyphe inscrit dans un cercle dépend des glyphes qui l’accompagnent. Langue d’autant plus étrangère aux humains qu’elle appréhende le temps comme un tout ; Ou le privilège d’avoir accès à toutes les époques et non comme nous, au simple temps qui s’écoule.

     Cette nécessité de comprendre la langue extraterrestre n’aurait pu servir que de gimmick scénaristique (Après tout, eux qui semblent plus évolués, pourquoi n’apprennent-ils pas l’anglais ?) mais trouve un écho passionnant dans la mesure où la communauté heptapode tente d’établir ce qui pourrait devenir notre langue terrienne commune, défier l’histoire de la Tour de Babel, afin de créer cette passerelle de communication qui leur servira de sauvetage dans 3000 ans : nous offrir cet outil pour qu’on leur offre notre aide, beaucoup plus tard. C’est le dessein de leur présence. Ils ne sont là ni par hasard ni pour sauver l’humanité mais pour établir un premier contact à travers le cosmos de façon à en initier un autre, en leur faveur. C’est un élan de solidarité, une ouverture fraternelle. Ou comment parvenir à collisionner deux modes de pensée distincts en établissant un processus linguistique qui servirait de tremplin à ce que le cerveau humain n’est à priori doué d’assimiler. Il faut pour le mettre en place créer une boucle toute simple, qui défierait la quatrième dimension façon La jetée, de Chris Marker. Et cette boucle c’est la mort. La conscience de la mort. D’un enfant. De la femme d’un dirigeant chinois.

     Si au niveau géopolitique le film semble plus schématique c’est aussi parce qu’il ne donne à voir qu’un lieu sur les douze, à appréhender la décision de l’autre avec l’œil d’un seul. Une difficulté de coopération qui trouve son miroir minuscule au sein du seul groupe américain que l’on suit, entre ceux qui veulent agir quand les autres veulent penser, ceux affaiblis par la peur qui répondent par l’attaque quand les la croyance des autres invite à prendre le temps pour établir un contact. En ce sens, si l’américain semble dominer (être le cerveau capable d’instaurer une passerelle de communication) puisque ce sont Chinois et russes qui décident les premiers d’entrer en guerre, il ne faut pas oublier d’une part que le film évoque les avancées pakistanaise (brièvement, certes, mais logiquement puisqu’on ne sort pas du Montana) et que les désaccords sont au moins aussi marqués sur le sol américain, ne serait-ce qu’entre Louise/Ian et les autres.

     La réussite d’une telle entreprise ne va pas sans une certaine naïveté que l’on pouvait déjà trouver dans le cinéma de Mike Cahill, aussi bien dans Another earth (Qui était un peu raté mais qui tentait de débusquer cette idée de miroir déformant, via cette planète similaire et le fantasme d’une réalité alternative) que dans le sublime I Origins, qui reliait le destin de l’humanité jusqu’à la réincarnation, à une aventure plus intimiste. Si Premier contact est l’adaptation de L’histoire de ta vie, une nouvelle de Ted Chiang, ce n’est pas pour rien tant on a l’impression que tout reste à raconter, que les creux regorgent de montagnes, que les grands bouleversements de l’existence ouvrent sur un ressort émotionnel individuel, qu’une pensée débarrassée de ses attributs linéaires fusionne avec la vision d’un deuil à venir et le besoin de le traverser même en douleur. Si le film cite Sapir-Whorf et son hypothèse selon laquelle notre vision du monde dépend de notre langage, c’est pour faire entrer minutieusement cette manière d’aborder le temps comme une donnée non linéaire. Comprendre le langage heptapode c’est avoir accès à son existence toute entière.

     Le film de SF existentiel s’est toujours employé à lier l’immense (l’échelle du monde) et l’intime (la famille), l’universel et la confidence, il suffit d’évoquer Spielberg (Notamment E.T. et Rencontres du troisième type) et ses rejetons (Super 8 d’Abrams) voire Cameron avec Abyss, mais rarement il avait à ce point manipulé les possibilités de la quatrième dimension en tant que valeur ajoutée, à moins de revenir sur 2001 ou Interstellar, évidemment. La grande idée du film de Villeneuve c’est que la Terre ne se meurt pas au sens où l’entendait le film de Nolan à savoir dans une pluie de poussière, elle se meurt dans l’espace de communication qu’elle s’est imposé et le film ne va faire qu’accentuer cet état de chaos en gestation : Prendre les décisions à douze, comme autant d’emplacements des vaisseaux. Douze chefs d’Etat, chacun dans sa langue, quand Abbott et Costello, surnom donnés par Louise et Ian aux heptapodes, eux, parlent d’un seul nom et d’un idiome unique ne ressemblant à aucun de nos langages terriens.

     C’est à mes yeux la plus stimulante proposition de cinéma de l’année avec Kaili blues, dans la mesure où tous deux redéfinissent un champ de croyance nouveau, temporel et existentiel et sont les parfaits représentants d’un art toujours en mouvement, mais dont il nous arrive de douter de sa reconversion. Deux merveilles faisant fi des us et des genres, appréhendant le monde autrement que par des voies linéaires et planifiées, sans pour autant faire objet performeur et hermétique. Deux grands films intimes et monde.

Kaili blues (Lù biān yě Cān) – Bi Gan – 2016

28« On dirait un rêve ».

   9.5   J’ai beaucoup pensé à deux films que j’aime infiniment, devant Kaili blues ; Un autre film chinois : Still life, de Jia Zhang-Ke et le chef d’œuvre d’Apichatpong Weerasethakul, Blissfully yours. Au-delà d’une évidente convergence formelle, il y a dans ces trois films une apaisante cruauté, une volonté de se faire dévorer par l’immensité et un désir de voyage total, physique et mental, à la fois dans le monde et hors du monde. Kaili blues est une expérience radicale, de celles qui nous ont manqué cette année, qu’on n’avait pas croisé depuis Cemetery of splendour sinon via Suite armoricaine, le très beau film de Pascale Breton.

     La particularité de Kaili blues (outre son magnifique titre, lumineux et reposant) c’est qu’il s’agit du premier film d’un jeune réalisateur chinois, Bi Gan, 26 ans. Pour ses débuts, l’auteur choisit Kaili, petite province du Guizhou (sa région natale) et l’enrobe de poèmes, les siens. Si le film semble d’emblée contaminé par le rêve, il y a dans ses cadrages et son attention portée aux lieux, aux habitants, aux machines, aux différents bruits qui font une ville, un besoin de composer dans le réel et de fait, s’échappe de certains étirements une impression de pose (fixe ou panoramique) façon cinéma pour festivalier, à l’image de ce plan panoramique qui s’achève longuement sur un chancelant bulldozer. Ajoutez à cela des informations sur le passé des personnages qui nous arrivent parcimonieusement (C’est le moins que l’on puisse dire) au détour de rêves. Il faut s’accrocher. Car ça va valoir le coup.

     Si la longue première partie s’ancre dans le quotidien de Chen, un médecin, la quarantaine, elle laisse déjà échapper des zones troubles : L’évocation du retour d’hommes sauvages à la télévision, une étrange réminiscence de main coupée, un ancien amant mourant, un Moine mystérieux, un recueillement sur les hauteurs de Kaili sur la tombe d’une mère, et d’autres éléments perturbants comme cette récurrence de montre / horloge / cadran solaire (qui semble fonctionner sans lumière naturelle) chère à Wei Wei, le neveu de Chen ou ces véhicules qui ne démarrent jamais au premier coup. Les moteurs aussi sont à l’envers, dans Kaili blues.

     Un plan panoramique incroyable libère le film une première fois, nous propulse dans un train rétro projeté qui semble filer à l’envers sur une toile (annonçant le voyage de Chen vers un passé/futur insolite) avant que Bi Gan nous offre vers le tiers, le titre de son film (façon Blissfully yours, donc) avant de plus tard nous faire quitter Kaili pour Dangmai (Chen sorti du train, emprunte un tunnel sur une voie de chemin de fer parallèle : Il est entré dans l’autre monde) et entamer un plan-séquence virtuose (41 minutes) absolument hallucinant (Puisqu’on ne le voit pas venir) et même pas gratuit puisqu’il se love immédiatement avec la zone de rêve qu’il nous fait traverser.

     L’objectif du voyage était pourtant simple, puisque Chen part à la recherche de son neveu, Wei Wei, vendu par son frère ainsi qu’à la rencontre de l’amant d’une collègue, pour qui il a la mission de transmettre une chemise et une cassette. Sauf que dès l’instant que le voyage démarre, un souvenir perturbe la linéarité : On apprend que Chen a fait de la prison, on le voit en sortir, puis contempler un lac vide. Et c’est alors que la forme elle-même se libère du montage impénétrable qui parcourait la première heure de film. C’est comme si Dangmai avait délivré sa propre recette pour la saisir.

     La caméra devient souvent accompagnatrice et parfois fantôme, comme au détour de cette traversée de ruelle où elle semble s’émanciper. Elle parcourt des kilomètres de route, traverse un cours d’eau sur un bateau, un pont suspendu, voyage entre deux rives, entre la boutique de la couturière et un concert de rue. Un autre « Poivrot » est là, comme à Kaili. Wei Wei aussi mais beaucoup plus grand. La défunte femme de Chen semble avoir repris vie et c’est comme si elle aussi l’avait reconnu. Ce lieu qui avait tout pour être macabre (d’autant que le vieil amant de la doctoresse est mort) devient une terre de miracles, atemporelle.

     Il faut s’y abandonner. Le soutra qui ouvre le film nous avait prévenu. La boule à facettes qui semble nous propulser dans plusieurs époques vient l’accentuer : C’est un film qui remonte le temps tout en y faisant se mêler des visions oniriques, des souvenirs, des fantasmes à venir sans jamais expliquer dans quelle temporalité l’on se trouve. C’est comme si Kaili blues était dépourvu de cette donnée, de manière à ce que ses personnages et leurs histoires soient notre unique point de repère dans cette Chine sublimée par la caméra de Bi Gan. Une Chine de tunnels, comme parsemées de multiples trous de verre.

     Et quand le film s’extirpe du rêve et revient à sa quête initiale c’est pour finir sur une note lumineuse. Une de plus, tant les deux versions de Fleur de Jasmin, magnifiques, avaient déjà érigé le film en tendre voyage sous forme de comptine. Le tout dernier plan, dans un train, en croisant un autre sur lequel semble émerger un dessin d’horloge fonctionnant à l’envers, est sidérant de beauté. Grand film envoûtant qui fait un bien fou. Ah et j’allais oublier : Je l’ai revu le lendemain. Je ne voulais plus quitter le Guizhou. 

Paterson – Jim Jarmusch – 2016

30One week.

   7.5   Le nouveau Jarmusch est un bijou d’un raffinement exquis, qui donne envie d’écrire des poèmes en mangeant des cupcakes, conduire des bus dans une bourgade du New Jersey, observer les chutes d’eau en lisant William Carlos Williams, aller siroter un demi dans le bar paumé du coin. Plus Jarmuschien tu meurs, tant Paterson pourrait être un croisement improbable entre Only lovers left alive et Stranger than paradise, une version encore plus sobre, apaisée et épurée. Un geste quotidien, mais jamais naturaliste. Où les jours se répètent autant qu’une étonnante bifurcation, chaque fois, s’immisce : Ici la rencontre avec une adolescente poète en herbe, là celle avec le poète japonais, williamsien. Des rencontres, toujours chez Jarmusch. Et même simplement parfois la rencontre des mots, puisque le personnage aiment beaucoup écouter les conversations de son bus, et s’en inspire probablement dans l’élaboration instinctif de ses proses.

     Paterson est aussi bien le nom de la ville dans laquelle le film se déroule, celui du recueil de poèmes de William Carlos Williams, que celui du personnage, campé par Adam Driver. Il y a quatre ans je me disais en découvrant Girls qu’il finirait par être un jour partout, voilà on y est, mais je ne m’attendais pas à ce que sa filmo soit déjà si folle et déroutante que son personnage dans la série de Lena Dunham. La vie de Paterson est minimaliste et répétitive : Il se lève le matin avant 6h30, prend son petit déj de Cheerios, rejoint à pied le hangar de bus, écrit un peu avant de démarrer sa journée, conduit son bus, rentre chez lui retrouver Laura, sa femme, toujours encline à tester diverses recettes de cuisine, confectionner frusques et rideaux exclusivement en Noir et Blanc, puis file promener son chien la nuit, l’attache devant un bar dans lequel il boit une bière. Ce sont sensiblement les mêmes actions que l’on voit. Par exemple, on ne le verra jamais se brosser les dents, on ne le verra pas non plus rentrer chez lui du bar.

     Paterson, le personnage, serait comme la réincarnation du poète ou bien l’incarnation de de ce que celui-ci est parvenu à transmettre, à créer d’autres William Carlos Williams, à ériger la routine en véritable puits créatif et poétique. Et pour alimenter cette inspiration, il faut un monde autour du piète, un monde autour de Paterson. Il faut Golshifteh Farahani (Sans commentaires, cœurs dans les yeux, je veux lui faire des câlins) merveilleuse incarnation du bonheur partagé. Un moment elle est nue sous la couette mais cette dernière, bien que lui recouvrant pieds et poitrine, laisse échapper un peu de sa hanche. Driver se réveille et l’embrasse dans le cou. Elle chuchote alors un « Cold » sur quoi il la borde entièrement, délicatement. Scène érotique de l’année, il m’en faut peu avec Golshifteh. Il y a aussi Marvin, le chien, un bouledogue, qui offre la meilleure prestation canine depuis celui de Tonnerre, de Guillaume Brac.

     Paterson est un film en sept tableaux, comme autant de jours de la semaine. Chaque fois, le jour s’inscrit sur le réveil de Laura & Paterson. Chaque fois le jour se ferme sur un fondu au noir. Et chaque journée, si elle est empreinte d’un bonheur simple et d’une parfois discrète mélancolie, est guidée par l’humour, élégant au même titre que les divers costumes affublés à « Paterson » : Ville, livre, bus, personnage. Mais le running gag n’est jamais gratuit, il trouve systématiquement un écho ou bien une résolution, comme celui de la boite à lettres. Des idées vont à peine éclore puis revenir, mystérieusement, à l’image de la gémellité, des bus prêt à exploser, des boites d’allumettes qui font écrire – Alors qu’elles achevaient les contrats de The limits of control – ou de la récurrence du noir et blanc, cher à Laura, et que l’on retrouvera dans leur unique sortie ciné de la semaine : L’île du docteur Moreau. En noir et blanc, donc.

     Déjà très envie de revoir ce film dans lequel il se passe à la fois Tout et Rien, dans lequel on s’y sent comme dans un plaid au coin du feu, dans lequel la routine est plus harmonieuse et attirante que les agitations des scénarios hollywoodiens habituels, le rituel plus exaltant que le coup de théâtre. Etrange le retour dans le vrai monde après, on plane, on se sent bien, c’est un peu comme d’aller au boulot juste après avoir fait l’amour.

Rogue One, A Star Wars Story – Gareth Edwards – 2016

20Un plan nébuleux.

   6.5   Deux épisodes de Star Wars en à peine un an d’intervalle, c’était un peu trop pour moi et ce même si j’avais été plus qu’agréablement surpris par l’opus de J.J.Abrams que j’ai d’ailleurs revu quelques mois plus tard, avec plaisir, mais sans passion. C’était l’épisode pour le geek nostalgique, ça marche une fois puis ça s’effrite. Mais j’aime toutefois beaucoup ce qu’ils ont fait du personnage de Kylo Ren. Et puis ça fonctionnait bien au niveau de l’action, Abrams étant loin d’être un manche.

     Dès sa sortie, il était évoqué la sortie quasi imminente d’un autre volet, qui existerait moins pour lancer une nouvelle trilogie que pour combler un trou, s’immiscer entre deux anciens épisodes. Gareth Edwards aux commandes, pourquoi pas ? Son Monsters était vraiment original, son Godzilla moins, mais regorgeait de moments de bravoure parfois efficaces. Mais franchement, ce « spin-off » j’en n’avais pas grand-chose à faire. Je n’avais même pas prévu d’y aller. Le relatif enthousiasme général m’a fait changer d’avis.

     Et c’est un bel épisode intermédiaire. Qui se situe entre La revanche des Sith et Le nouvel espoir, mais plus proche du second, donc de La guerre des étoiles, donc du tout premier de la série, chronologiquement parlant. Mieux, les trois paragraphes qui ouvraient The New Hope il y a 40 ans content ce que l’on verra dans Rogue One : La première victoire rebelles face à l’empire qui parvint à lui subtiliser les plans de L’étoile de la mort.

     Si le film va beaucoup s’amuser à officier en tant que passerelle, au moyen notamment d’apparitions aussi idéales qu’attendues (Celle de Vador apportant des frissons similaires à celle de Han Solo et Chewie dans Le réveil de la force) et de procédés numériques étonnants (Tarkin revient, le même que dans le film de Lucas, en motion capture puisque l’acteur est mort il y a vingt ans…) il n’y a plus cette nostalgie un peu écrasante qui irriguait l’opus d’Abrams, sans parler de son aspect « construit pareil » avec ses rebondissements organisés, son traditionnel buddy-movie et ses références/clins d’œil disséminés partout – Bien que le droide K2 assure le show, niveau humour. Rogue One semble faire sa propre sauce. Avec le soin de relier les choses comme La revanche des Sith avait pu le faire, mais moins en jouant sur l’aspect roller-coaster que le film de guerre pur.

     Et à ce petit jeu-là, Rogue One est bien fichu. Un peu sceptique dans la première partie du film, qui multiplie les lieux donc les planètes, ainsi que les personnages, et franchement n’étant pas un adèpte de la franchise j’étais complètement perdu, le film finit par devenir archi limpide sitôt qu’il se resserre sur l’histoire familial de Jyn Erso, l’équipée rebelle qu’elle constitue (La séquence sur cette planète ocre, qui pourrait être une version syrienne de Tatoine, est le beau tournant du film à mes yeux) puis l’affrontement final aux relents de Mission :impossible dans un Dubaï-like qui change complètement de l’esthétique habituelle de Star Wars.

     Et puis j’aime beaucoup l’idée du One-shot, de la mission suicide. Edwards peut se lâcher, cumuler les exécutions/sacrifices, puisque l’issue on la connait, le seul objectif c’était que les plans traversent le bouclier et atterrissent entre les mains de Leia. La fin est géniale. Ça ne s’éternise pas, ça te tombe dessus sans que tu n’aies le temps de la sentir venir. Autant on sentait largement la patte Disney dans Le réveil de la force, autant là plus du tout. Le revers de la médaille : ça manque un poil d’émotion, quand même, outre le plaisir du raccord.

     Bref, bien que je fasse partie de ceux qui aiment les deux films, pour des raisons radicalement différentes par ailleurs (une nouvelle trilogie à venir d’un côté, un épisode indépendant de l’autre), je pense que ceux qui n’avaient pas accroché au film d’Abrams sont tout à fait susceptibles d’aimer Rogue One

Personal shopper – Olivier Assayas – 2016

29SMS Fantôme.

   6.5   Si je ne vois pas trop ce que le film souhaite raconter ni où est-ce qu’il veut en venir, c’est son ambiance qui m’a séduit, comme souvent avec le cinéma d’Olivier Assayas, qu’importe le genre, encore moins le sujet.  Il y a une situation puis on l’oublie, il l’oublie, se laisse guider par son instinct et parfois ça débouche sur des trucs absolument passionnants comme ici mais qui ne relèvent aucunement d’un destin de scénario habituel.

     Prix de la mise en scène généreux mais pas si usurpé tant Personal shopper tient énormément là-dessus. Pas uniquement puisqu’il y a Kristen Stewart, une nouvelle fois exceptionnelle, comme elle l’était déjà dans Sils Maria, le précédent (très beau) Assayas, sauf qu’ici on ne voit qu’elle ; Les personnages secondaires sont quasi spectraux, pourtant je me faisais une joie d’y croiser Lars Eidinger (Everyone else) et Anders Danielsen Lie (Oslo, 31 août).

     Jamais je ne l’avais sentie aussi investie, littéralement habitée par son personnage d’assistante de star / acheteuse de produits de mode (femme de l’ombre qu’elle incarnait déjà mais autrement dans Sils Maria) mais aussi médium tentant de nouer contact avec le fantôme de son frère jumeau décédé.

     Qu’il s’agisse d’une vieille bâtisse lugubre, d’un appartement au luxe froid ou d’un train, Assayas filme ces endroits (et son actrice dans ces endroits) avec une intensité désarmante. L’interminable séquence SMS dans le TGV devient absolument géniale justement parce qu’elle s’avère interminable. Celles qui la voient se transformer en se parant des accessoires dont elle rêve secrètement, alimentent une dimension érotique aussi brutale qu’abstraite. C’est dans ses creux que le film fascine le plus.

     On est dans une veine similaire à celle de Boarding gate, pas celle que j’affectionne le plus chez Assayas même si là-encore j’y ai suffisamment trouvé mon compte, au détour de vibrations très fortes ou simplement grâce à Kristen, dont chacune de ses apparitions – avec ou sans pull gris jaune / bonnet wesh wesh / robe noire boobs apparents – emplit le cadre et lui offre un point de fuite, à l’image de ce prodigieux et troublant dernier plan.

Le Voyage au Groenland – Sébastien Betbeder – 2016

16L’autre monde.

   7.0   Thomas et Thomas, deux potes de Montreuil, comédiens intermittents paumés, avaient reçu à Paris Olé et Adam, deux groenlandais ; C’était le sujet d’Inupiluk : Leur faire découvrir la Tour Eiffel, la forêt, l’océan, les animaux d’un zoo. Il fallait dépasser la barrière de la langue et finalement c’est avec beaucoup d’émotion qu’ils allaient se dire au revoir tout en promettant plus ou moins de réitérer la rencontre un jour, dans le grand froid. Soit le sujet de ce nouveau film, dont on avait pu entrevoir les contours et objectifs dans le deuxième, qui n’était rien d’autre qu’une longue discussion de préparatifs au voyage. La semi déception ressentie devant Le voyage au Groenland s’efface dès l’instant que je considère le projet dans son intégralité, aussi inédit que passionnant.

     Thomas et Thomas débarquent donc sur la banquise. On ne sortira pas de Kollorsuaq, hormis au détour de deux/trois flash-back, adorables mais superflus à mon goût. Le film s’ouvre et se ferme dans l’hélico. Si les décors ont radicalement changé (Thomas ne manque pas de le rappeler lorsque, pendant une tentative de footing sur la banquise, il reconnaît que ça les change des Buttes-Chaumont) le cinéma de Betbeder, lui, est resté fidèle à lui-même, fermant la boucle des aventures des 2 Thomas (en espérant que ce ne soit qu’une fermeture provisoire : On évoque à la fin, leur retour éventuel en plein été) autant qu’il succède, de façon cohérente, à 2 automnes 3 hivers et Marie et les naufragés.

     L’île bretonne de ce dernier pourrait être une lointaine cousine de Kollorsuaq dans la mesure où elle semble aussi être un lieu pour se perdre et renaître. On cite souvent Rozier quand il s’agit de voyage parenthèse, c’est devenu un standard un poil galvaudé. Pourtant, il y a bien dans Le voyage au Groenland une respiration à la Rozier : Faux rythme permanent, beaucoup de silences, digression dans un lieu enchanteur, personnages insolites et un vrai puits de tendresse. Et l’agréable impression que le film peut s’arrêter à tout moment, qu’il est fragile, instable.

     Entre autres mini tribulations, les deux Thomas vont donc apprendre à chasser le phoque, goûter à son foie et son cristallin, tenter de mémoriser quelques mots en inuit, découvrir à leur grand désarroi que l’on ne boit pas d’alcool au village et même galérer avec la connexion Internet (Fejl !) pour remplir leur déclaration assedic. Betbeder filme Kollorsuaq dans son quotidien, comme il l’a découvert, le retranscrit avec cet élan humble qui le caractérise, filme les habitants, la banquise, le village, en douceur. C’est la démarche du film et plus globalement du projet, mi fiction mi documentaire, la rencontre de deux mondes, aussi bien dans la fiction (Thomas & Thomas) que dans le réel (Thomas Blanchard & Thomas Scimeca) ; Ce n’est pas un hasard si les prénoms des quatre personnages principaux sont identiques à ceux des acteurs. La frontière est mince.

     Le moteur purement fictionnel, qui était déjà à l’honneur dans Inupiluk mais hors champ, c’est le père, campé par François Chattot, que nous n’avions jamais vu comme ça. Le type a joué des rôles insignifiants dans des parfois gros cartons, mi naveton mi daube, et il joue là ce père malade, secret, débordant d’amour mais masquée par une insolente pudeur. L’espace impénétrable qui se joue entre père et fils s’avère vraiment bouleversant. Alors le film est sans doute, malgré tout, souvent tributaire de son beau duo, sorte de Perrin & Campana revisité à la sauce Mr Hulot / Buster Keaton, mais il fonctionne et laisse de bien beaux moments, souvent superbement accompagnés par le beau score de Minizza. J’espère sincèrement qu’il existera un jour une édition blu ray regroupant les 3 films. Et qu’on retrouvera Thomas & Thomas dans une autre aventure, et vite !

Sully – Clint Eastwood – 2016

26L’étoffe d’un héros.

   8.0   Doublé de l’éternelle interrogation eastwoodienne sur la figure du héros, Sully est une merveille de biopic dépouillé, construit comme un doux cauchemar éveillé qui se répète et se déforme, un feel good catastrophe movie comme seul Eastwood pouvait en offrir. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un cauchemar : On est dans le cockpit de l’avion, Tom Hanks est aux commandes, comme prévu, sauf qu’il rase les buildings, la chute semble imminente et… l’avion s’écrase. Le film a déjà réussi à nous secouer en trente secondes d’un faux crash. Quand le pilote se réveille on imagine que cette vision inconsciente agira comme une prémonition, façon Destination finale, mais Eastwood est plus intelligent que ça. En fait, ce rêve intervient après son amerrissage miraculeux, Chesley Sullenberger est assaillis par les doutes. Car malgré l’issue héroïque, l’affaire du vol 1549 US Airways soulève tout un tas de questionnements, que la commission d’enquête ne manque pas de rappeler. C’est que Sully a choisi, dès l’instant que les deux moteurs de son avion sont hors service, d’amerrir sur l’Hudson tandis que chiffres et simulations le contredisent : L’avion pouvait un, revenir à La Guardia, deux, atterrir en urgence à l’aéroport de Teterboro, dans le New Jersey. Et Sully, bien qu’acclamé héros par la population doute de son choix, du bien-fondé de sa prise de risque (Il avait entre ses mains et ses choix la vie de 155 passagers) c’est toute la complexité d’un film qui ne crée pas réellement de camps (Les inspecteurs de la commission eux aussi font leur boulot) mais gomme la traditionnelle figure héroïque du film américain, lui donne cette épaisseur moderne que Zemeckis offrait au sien dans Flight que certain ne manqueront pas de rapprocher de Sully. N’importe qui se serait planté avec un sujet pareil – Comme n’importe qui se serait planté avec American Sniper entre les mains. Mais pas Eastwood. Qui prouve 86 balais au compteur, qu’il est encore un grand humaniste capable de créer un héros ordinaire (Qui a fait le job tout en ayant le réflexe lucide de faire mieux que le job – Il est l’anomalie qui mène au miracle) et de donner un visage à chacun de ceux qu’il a sauvé – Sublime scène téléphonique père/fils séparés par le fleuve. Les séquences en avion sont d’une puissance hallucinante alors qu’elles sont très simples dans leurs enchaînements, idem pour les effets spéciaux et idem pour New York filmée comme on l’a rarement vu. Et la construction qui pourrait être hasardeuse et foutraque s’avère brillamment orchestrée et pertinente. Grand film.

Dernier train pour Busan (Bu-san-haeng) – Yeong Sang-Ho – 2016

15723400_10154280436772106_5330276771279627405_oEn quatrième vitesse.

   6.5   Voilà qui dépote. On est certes loin de la perfection orgiaque des élaborations de violences d’un Na Hong-Jin, pourtant, il ressort de Train to Busan une efficacité plutôt réjouissante qui plus est venant d’un auteur, Yeon Sang-Ho donc, cantonné jusqu’ici aux métrages d’animation. Et qui plus est dans un projet qui s’aventure sur le genre usé du film de zombies. Et du film de train.

     Le film ne brille clairement pas dans la caractérisation de ses personnages. On a même rarement fait aussi stéréotypé. On ne va pas énumérer chacun des ingrédients, simplement on aura le droit à la femme enceinte, au jeune couple d’amoureux, au connard de businessman, au fonctionnaire lâche et bien entendu, au centre, à un père divorcé voulant faire plaisir à sa fille, pour son anniversaire (Il avait commencé par lui offrir une Wii qu’elle avait déjà) en réalisant son souhait de retourner chez sa mère, à Busan.

     C’est gênant, je vais pas te dire le contraire. L’aspect fable sociopolitique n’est pas ce que le coréen maîtrise le mieux. Mais ça s’efface dès l’instant qu’on est dans l’action pure. Et la bonne nouvelle, c’est qu’on y est souvent. Là-dessus, le film réussit tout ce qu’il tente – Ce même si les zombies sont parfois trop rapides pour que les survivants, l’instant suivant, parviennent à leur échapper et/ou les retenir. Néanmoins, ils sont très réussis, ne serait-ce que dans leurs apparitions en hordes, à l’affût du moindre bruit, parés à bondir comme des chiens enragés.

     La plus belle séquence du film voit trois survivants téméraires tentant de traverser trois rames pour rejoindre leur groupe et se servant des tunnels pour leur échapper silencieusement puisque les zombies semblent perdre tous leurs repères dans l’obscurité. On n’échappe cependant pas au travelling baston à la Old Boy même si l’auteur ne s’assoit pas sur la performance du plan-séquence. Mais graphiquement le film est très beau. Ni scolaire, ni déraisonnable. Un beau juste milieu, en somme.

     A l’instar du Snowpiercer de Bong Joon-Ho, la quasi-totalité du film se déroule dans un train et Yeon Sang-Ho manie avec brio l’exiguïté offert par ses wagons, multiplie les idées de mise en scène sans l’affubler de moments de bravoure parasites. Sa virtuosité dans les séquences d’action n’a d’égal que leur limpidité. En tant que pure série B (à budget modeste) on caresse par moments la perfection. Après, que cela s’opère dans une ribambelle de sacrifices, exécutions brutales et effusions de larmes, pourquoi pas, on va dire que ça fait son charme, suranné mais attachant.

Dressé pour tuer (White dog) – Samuel Fuller – 1982

15002358_10154138761482106_3872198888280906325_oA history of violence.

   9.0   Un choc. Longtemps resté plus ou moins invisible, ce Fuller fin de carrière est une pure merveille, violente et déchirante, un pamphlet contre l’Amérique raciste et véritable film d’épouvante, traversé par des instants sidérants que le score dantesque de Morricone accompagne à merveille. Voilà longtemps que je n’avais pas pris une trempe 80’s de la sorte.

     White dog est l’adaptation de Chien blanc, de Romain Gary, livre qui raconte l’expérience qu’il fit avec sa femme, Jean Seberg, à Los Angeles durant les années 60, lorsqu’ils avaient recueilli un chien errant qui s’était attaqué à des personnes de couleurs noires, de façon si systématique qu’il avait forcément dû être dressé pour cela.

     Le film est parcouru d’images qu’on ne peut oublier comme ces multiples transformations du chien, qui passe de gentil toutou à bête féroce, tous crocs dehors, en une fraction de seconde. Le pelage blanc maculé rouge sang de ses proies (Le camionneur ici, l’homme d’église là) qu’il arbore souvent avec la nonchalance d’un calme retrouvé, fait partie de ces pures instants de malaises inégalés.

     White dog est clairement scindé en deux parties. Dans la seconde, le chien se voit pris en charge par un dresseur noir, persuadé qu’il peut le guérir de sa haine. Le décor est celui d’une arène et de jour comme de nuit, Fuller trouve des séquences géniales, à l’image de cette dimension quasi fantastique qui englobe son évasion nocturne, à l’image aussi de ce rapprochement progressif auquel on a envie de croire.

     La fin est un vrai couperet. Un grand moment d’angoisse, que Fuller agrémente de ralentis et d’une force expressionniste peu commune. Auparavant il y aura le retour glaçant du propriétaire, accompagné de ses deux petits enfants. Sans parler du duel quasi Léonien de la dernière scène. Le plan circulaire lors de l’ultime transformation, purée, j’en ai encore la chair de poule.

Ménimontant – Dimitri Kirsanoff – 1926

47City girl.

   8.0   Un couple sauvagement assassiné à la hache. Voilà sur quoi s’ouvre Ménilmontant, dans un montage extrêmement saccadé où il est impossible d’identifier les tenants et aboutissants. En même temps que deux fillettes s’amusent dans un sous-bois. La cruauté adulte d’un côté face à l’innocence enfantine de l’autre. On comprendra bientôt que les deux fillettes sont sœurs et que ce sont leurs parents qui sont morts.

     La transition avec Ménilmontant, le quartier parisien, s’effectue dans un cimetière : Les tombes des parents ne sont bientôt plus que des ruines. Le temps a passé. Les fillettes ont grandi. Pourtant, la suite sera tout aussi dure et cruelle, dans un registre formel plus doux. Parcourue par des ellipses et des errances, cette deuxième partie révèle – après la découverte et les jeux amoureux – la part sombre de la vie parisienne : la prostitution, la pauvreté, la jalousie entre les deux sœurs, la solitude, être mère mais ne plus le vouloir. Le regard de cette jeune maman, dépassée par les évènements, jeté vers la Seine alors qu’elle tient son bébé dans les bras est un moment de suspension terrible, qui parait interminable. La scène sur le banc aux côtés d’un clochard qui lui offre pain et saucisson est du même acabit. Beau à pleurer mais d’une âpreté inédite, hyperréaliste. Et la fin, incroyable, où de magnifiques retrouvailles d’un côté sont perturbées par une rixe ultraviolente de l’autre, pas très loin, dans un montage qui semble faire miroir avec la séquence d’ouverture.

     Dimitri Kirsanoff prend son temps pour capter Paris, la fuite du temps – uniquement par la mise en scène – et pour saisir l’étirement quand il y en a besoin, les inserts anodines offrant un cachet quasi documentaire au film. Un docu-fiction sur le Ménilmontant de 1926.

     Ménilmontant est un film choc, un mélodrame puissant, moderne, terrifiant, dont la grande particularité ô combien honorable est de ne contenir absolument aucun intertitre.

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silencio


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