L’autre monde.
7.0 Thomas et Thomas, deux potes de Montreuil, comédiens intermittents paumés, avaient reçu à Paris Olé et Adam, deux groenlandais ; C’était le sujet d’Inupiluk : Leur faire découvrir la Tour Eiffel, la forêt, l’océan, les animaux d’un zoo. Il fallait dépasser la barrière de la langue et finalement c’est avec beaucoup d’émotion qu’ils allaient se dire au revoir tout en promettant plus ou moins de réitérer la rencontre un jour, dans le grand froid. Soit le sujet de ce nouveau film, dont on avait pu entrevoir les contours et objectifs dans le deuxième, qui n’était rien d’autre qu’une longue discussion de préparatifs au voyage. La semi déception ressentie devant Le voyage au Groenland s’efface dès l’instant que je considère le projet dans son intégralité, aussi inédit que passionnant.
Thomas et Thomas débarquent donc sur la banquise. On ne sortira pas de Kollorsuaq, hormis au détour de deux/trois flash-back, adorables mais superflus à mon goût. Le film s’ouvre et se ferme dans l’hélico. Si les décors ont radicalement changé (Thomas ne manque pas de le rappeler lorsque, pendant une tentative de footing sur la banquise, il reconnaît que ça les change des Buttes-Chaumont) le cinéma de Betbeder, lui, est resté fidèle à lui-même, fermant la boucle des aventures des 2 Thomas (en espérant que ce ne soit qu’une fermeture provisoire : On évoque à la fin, leur retour éventuel en plein été) autant qu’il succède, de façon cohérente, à 2 automnes 3 hivers et Marie et les naufragés.
L’île bretonne de ce dernier pourrait être une lointaine cousine de Kollorsuaq dans la mesure où elle semble aussi être un lieu pour se perdre et renaître. On cite souvent Rozier quand il s’agit de voyage parenthèse, c’est devenu un standard un poil galvaudé. Pourtant, il y a bien dans Le voyage au Groenland une respiration à la Rozier : Faux rythme permanent, beaucoup de silences, digression dans un lieu enchanteur, personnages insolites et un vrai puits de tendresse. Et l’agréable impression que le film peut s’arrêter à tout moment, qu’il est fragile, instable.
Entre autres mini tribulations, les deux Thomas vont donc apprendre à chasser le phoque, goûter à son foie et son cristallin, tenter de mémoriser quelques mots en inuit, découvrir à leur grand désarroi que l’on ne boit pas d’alcool au village et même galérer avec la connexion Internet (Fejl !) pour remplir leur déclaration assedic. Betbeder filme Kollorsuaq dans son quotidien, comme il l’a découvert, le retranscrit avec cet élan humble qui le caractérise, filme les habitants, la banquise, le village, en douceur. C’est la démarche du film et plus globalement du projet, mi fiction mi documentaire, la rencontre de deux mondes, aussi bien dans la fiction (Thomas & Thomas) que dans le réel (Thomas Blanchard & Thomas Scimeca) ; Ce n’est pas un hasard si les prénoms des quatre personnages principaux sont identiques à ceux des acteurs. La frontière est mince.
Le moteur purement fictionnel, qui était déjà à l’honneur dans Inupiluk mais hors champ, c’est le père, campé par François Chattot, que nous n’avions jamais vu comme ça. Le type a joué des rôles insignifiants dans des parfois gros cartons, mi naveton mi daube, et il joue là ce père malade, secret, débordant d’amour mais masquée par une insolente pudeur. L’espace impénétrable qui se joue entre père et fils s’avère vraiment bouleversant. Alors le film est sans doute, malgré tout, souvent tributaire de son beau duo, sorte de Perrin & Campana revisité à la sauce Mr Hulot / Buster Keaton, mais il fonctionne et laisse de bien beaux moments, souvent superbement accompagnés par le beau score de Minizza. J’espère sincèrement qu’il existera un jour une édition blu ray regroupant les 3 films. Et qu’on retrouvera Thomas & Thomas dans une autre aventure, et vite !