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Archives pour janvier 2017

The Night Of – Saison 1 – HBO – 2016

nightof_turturro_sandalsThe call of the wild.

   9.0   Bien qu’il convienne d’en savoir le moins possible au moment de se lancer dans The Night Of, nouveau produit HBO et mini-série de huit épisodes, on peut tout de même avancer qu’elle reprend la trame de la série britannique Criminal Justice, qu’elle est créée par Richard Price (L’un des cerveaux de The Wire) et Steven Zaillian (Scénariste entre autre de The girl with the dragon tattoo, Gangs of NY, Le stratège ; Il réalise ici six des huit épisodes) et qu’elle devait marquer le grand retour de James Gandolfini sur le petit écran, dix ans après Les Soprano – Il devait camper le rôle de John Stone, l’avocat de Nasir Khan, finalement tenu par John Turturro.

     Bref, il fallait bien commencer quelque part. Il y aura plein d’autres trucs à dire autour de la série et j’y viendrai progressivement. Car le reste, il vaut mieux le découvrir par soi-même tant sa richesse d’écriture, son brio narratif, sa maitrise formelle, le développement de ses personnages (et une interprétation au diapason, vraiment, tous !), la fluidité de ses enchainements et rebondissements, son ample peinture du système judiciaire, l’ambiguïté et l’absurdité qui la meublent, la gestion de cette tension permanente qui s’immisce dans un commissariat, une prison, une cour de tribunal, le lieu d’un crime, une voiture, en font un modèle de série télévisée, une merveille absolue, quelque part entre la première saison de True Detective et Show me a Hero – Ces trois séries n’ont pas grand-chose en commun sinon qu’elles représentent ce que j’ai vu de plus parfait au niveau « anthologie » ces dernières années. Ou disons que l’une est au système juridico-carcéral ce que les autres sont au polar ou au récit politique. Ainsi, je ne vois pas comment il sera possible d’égaler The Night Of cette année.

     Tout commence à Jackson Heights, une nuit sans doute comme une autre pour Nasir Khan, jeune étudiant d’origine pakistanaise, vivant chez ses parents, sur le point de rejoindre des amis à une soirée tenue sur Manhattan. Il emprunte alors et sans lui dire (Probablement l’a-t-il déjà fait) le taxi de son père et s’enfonce dans une nuit sans fin, se perd, oublie de retirer son signal lumineux, prend une demoiselle qui semble y trouver refuge, l’accompagne sur les bords de l’Hudson River puis chez elle où ils se droguent et font l’amour. Une nuit finalement pas comme les autres, où une banale soirée étudiante se transforme en virée de rêve. Mais aussi malheureusement, en cauchemar macabre.

     The Night Of c’est le récit et les conséquences de cette nuit où tout bascule. Pour Nasir Khan. Pour Andrea. Et bientôt pour tous ceux qui vont graviter autour du crime : Un avocat opportuniste, mais plus humain qu’opportuniste ; Un inspecteur, vieux briscard méticuleux, proche de la quille ; L’avocate de l’accusation, rigide et glaçante (Tous trois sont les meilleures idées de The Night Of, ils sont, chacun dans leur registre, interprètes autant que personnages, absolument mémorables). Mais aussi la famille de Nasir (Qui doit autant faire face à leurs propres doutes et peurs qu’aux diverses attaques racistes dont ils font l’objet, ainsi qu’à la surmédiatisation de l’enquête) et les témoins (On retrouve un certain J.D.Williams aka Bodie dans The Wire), un compagnon de cellule (Michael K.Williams aka Omar dans The Wire, encore) et un duo de flics en patrouille ce fameux soir. Et même un chat, dont l’apparition un peu fantomatique rappelle Ulysse dans Inside Llewyn Davis. Et même Glenn Fleshler (Là il m’a fallu faire une recherche) aka le Serial killer de True Detective, qui campe ici… le juge d’assises. Tous ne vont pas être aussi fouillés les uns que les autres, mais leur présence parfois, suffit à nourrir le récit et lui offrir une amplitude que seul un format série peut se permettre d’embrasser.

     L’idée première de The Night Of est de nous convier dans cet engrenage policier, juridique et carcéral au même titre que son héros, arraché à sa bulle de réalité. Aboutir d’abord à une scène de crime puis à une arrestation (Episode pilot) avant de nous écraser comme lui par les rouages qui suivent : l’incarcération, l’attente, le procès. Il n’y aurait que cet angle-là si la série avait choisi de rester dans la lignée du premier épisode. Ce sera loin d’être le cas. Et c’est John Stone qui fait office de transition. Cet avocat qui écume les commissariats et se trouve là au bon moment quand Nasir est mis derrière les barreaux. John Stone pour Nasir et Dennis Box contre, mais avec la douce méticulosité du flic qui ne laisse rien passer. Flic qu’on attend de voir exploser, comme tout flic borderline dans les fictions, mais qui gardera cette sérénité, plus flippante encore que s’il avait laissé échapper sa colère.

     Ce qui est fascinant dans The Night Of, c’est sa façon de créer, construire, reconstruire et densifier un fait, une nuit, un parcours. Je crois n’avoir jamais vu cette minutie-là auparavant, à ce point de maitrise narrative, cette aisance dans la volonté de raconter et dans sa précision de documentation. A combien de reprises il s’agira pour les personnages de fouiller, une maison ou des dossiers, voir des vidéos, repasser des bandes, faire des plans de parcours, écrire des plaidoiries, apprendre à passer de la drogue, soigner un eczéma, s’occuper d’un chat, revoir des vidéos, encore et encore, de façon à ce qu’elles nous emmènent ailleurs – La magie qui pointe lorsqu’enfin, Box prend l’initiative de suivre les déplacements de la victime et non plus de Nasir.

     Forcément, format aidant, la multiplication de points de vue confère au show une dimension vertigineuse. Car si l’on est clairement avec Nasir dans le tout premier épisode (Qui aurait pu dévorer le reste, mais fort heureusement non) quasi de bout en bout, les suivants mélangent les points de vue de ceux qui vivent autour de lui, dont l’avocat, le flic et la procureur, tentant chacun de refaire cette nuit, d’y trouver d’autres preuves accablantes ou a contrario d’embrayer sur d’autres pistes, de rebondir de l’une vers l’autre. Si la série finira par s’offrir, de nombreux mystères demeureront. Tout le premier épisode insérait ici et là des images de vidéo surveillance comme si déjà il nous demandait d’accepter la divergence des points de vue à venir.

     John Stone est un personnage passionnant, dores et déjà l’un des plus beaux toutes séries TV confondues. Prolongement par analogie de l’affaire Khan, il subira lui aussi des hauts et des bas, des moments d’euphories et de violents revers, multipliant les rendez-vous médicaux (Il est continuellement gêné par des démangeaisons produites par un eczéma aux pieds, l’obligeant à porter des sandales même durant ses plaidoiries) généralistes et dermato, avant de rencontrer le remède miracle à Chinatown puis l’inévitable rechute. Les pieds sont touchés, mais aussi bientôt son visage et tout son corps – Autant que l’affaire Khan touche la famille et bientôt la communauté pakistanaise toute entière. Et ce n’est pas la relation qu’il entretient avec le chat de la victime qui va arranger les choses, réveillant ses allergies. Quoique. Et c’est toute la beauté de cette apparition dans sa triste vie, non sans hauts et bas là-aussi (John emmène d’abord le chat à la fourrière, le récupère, l’y redépose, le place chez lui en quarantaine afin d’éviter tout contact) mais qui va révéler toute la complexité et la sensibilité (En ce sens, The Night Of est aussi une grand série humaniste) d’un personnage bouleversant, opportuniste par survie mais de nature profondément bienveillante. S’il va changer la vie de Nasir, ce dernier changera aussi la sienne.

     Voilà. Je le répète, mieux vaut ne rien savoir de la série avant de s’y lancer – Mais si tu es arrivé jusque-là c’est soit que tu as vu les épisodes soit que tu m’as pas écouté. Mieux vaut se prendre le pilot dans la gueule comme je l’ai pris dans la gueule. Car c’est bien le meilleur pilot sériel vu depuis très, très longtemps en ce qui me concerne. The Night Of aurait logiquement pu souffrir de ce parti pris, souffrir d’avoir tout donné d’emblée. Tout était dans le titre d’ailleurs. Et pourtant, c’est bien grâce aux sept épisodes suivants, tous géniaux (Quasi sans aucune faiblesse) que cette fameuse « nuit où » prend toute son ampleur tragique et bouleversante.

Sur écoute (The Wire) – Saison 4 – HBO – 2006

32Les corps derrière les portes.

   9.5   Avec les départs de Stringer Bell & Avon Barksdale (qui auront permis à The Wire d’embrasser la grande tragédie) il y avait à craindre à la fois d’éprouver un manque mais aussi que cette nouvelle saison change de braquet comme durant la saison 2. Les deux caïds faisaient à peine parti de cette saison, souviens-toi. Il fallait que The Wire poursuive sur son incroyable lancée, mais comment après un final aussi ahurissant que celui de la saison 3, qui avait tout pour fermer la série, ou presque, pouvait-elle retrouver sa grâce tout en proposant forcément autre chose – Qui aurait à voir avec Marlo Stenfield ?

     Il fallait mettre en avant une autre strate tout en préservant le terreau. Quoi de mieux que l’univers scolaire et son corollaire évident, le monde des enfants, tant The Wire s’est évertuée à en faire les rouages de la ville, souvent minuscules certes, mais essentiels, aussi bien côté flics (Ceux de McNulty, le bébé de Kima…) que côté cité, avec ces bébés auxquels souvent on arrache le père (D’Angelo) ou ces ados qui trop tôt entrent dans la guerre (Le gamin liquidé en saison 1) ou encore ceux comme les jeunes boxeurs, qui font tout pour s’en sortir autrement qu’en dealant.

     Afin de parfaire la transition, un personnage devait faire office de liaison corporelle. Ce sera Prez, ce détective acharné de l’ordinateur très important dans le fonctionnement de l’équipe secrète (Celle de Cédric Daniels), mis au rebus quelques mois plus tôt pour bavure (Haut fait de la saison 3) qui deviendra prof de maths dans un collège de Baltimore. Et Prez, donc, qui avait tout pour disparaitre du show, qu’on balançait dans le circuit de l’éducation comme pour s’en débarrasser (Pour le récit comme pour la série) va devenir son personnage central, la vraie pierre angulaire du récit. Epaulé par deux autres, qui étaient déjà très importants dans le système de la saison 3 : Colvin & Cutty. Oui, le major à l’idée d’Hamsterdam et l’ancien taulard devenu boxeur. Eux deux aussi deviendront chacun à leur manière des éléments du système éducatif. Une belle affaire de triple recyclage, en somme.

     Ce qu’on a donc perdu en démêlés juridico-politiques, on le gagne en approches du système éducatif, ainsi qu’en plongées familiales puisque si cette quatrième saison fait la part belle aux élèves, c’est aussi un beau portrait multiple des gosses de la ville, ceux des anciennes tours, donc des familles. La saison se focalise sur quatre d’entre ces gosses, tout particulièrement. Qui se connaissent ou se croisent. Qui peuvent très bien vite basculer du côté bag guy voire du côté cadavre disparu, même si pour ces quatre-là, les capteurs de sensibilité semblent plus prometteurs que pour d’autres – Le parallèle avec le garçon que Bubbs prend sous son aile est terrible, tant sa finalité (aussi brutale qu’absurde, d’ailleurs) nous apparait aussi inéluctable, que la descente aux enfers de son père de fortune qu’elle engrange. Ça et le destin de Bodie, évidemment, personnage qui aura traversé ces quatre saisons en fantôme.

     Mais le grand gourou de cette saison, celui qui a pris autant de Bell que de Barksdale, tout en se développant plus intelligemment, c’est Marlo. Et si Omar continue de lui jouer des mauvais tours (la séquence du poker, magnifique) il reste le gars calme, qui donne les ordres – Et distribue du fric aux gosses du quartier pour qu’ils lui ramènent des informations, pour qu’ils le respectent, essentiellement. Des ordres qu’on ne l’entend quasi jamais donner. La pure raclure, sans scrupule, mais qui n’en prend jamais l’apparence. Le criminel auquel la criminelle de Baltimore n’arrive à attribuer aucun crime, tout en sachant pertinemment qu’il est Le criminel.

     Cette histoire de corps gênants, cachés derrière les portes de maisons abandonnés, relève pleinement de son initiative. On ne le voit jamais à l’œuvre mais chacune de ses apparitions filent autant de frissons que celles de Snoop & Chris (Ses bras droits nettoyeurs) et les nombreuses exécutions qui font leur job. Ils sont les marqueurs d’une saison plus sombre encore que les précédentes. La première séquence interminable de l’achat du pistolet à clou dans un magasin de bricolage annonçait la couleur.

     Disparitions par dizaine qui deviennent vite la priorité de notre petite famille sur écoute – très dispersée au départ, mais que l’on va finir par retrouver – qui doivent aussi composer avec les désirs des grands bonnets politicards, comme d’habitude. Car la série va encore davantage creuser le cas Tommy Carcetti, nouveau maire, nouvelle cible et véritable arriviste fragile monté sur un siège éjectable. Une saison sombre dans chacune de ses institutions. Qui brille par ce déluge d’impasses et de violences en tout genre. Parvenir à terminer la saison sur une note d’espoir, même mince, relevait du défi.

     Bon et puisque j’en ai pas parlé précédemment, j’aimerais juste dire deux mots sur le générique, que je trouve très beau, d’une part dans la minutie de son montage, fait de gestes, objets, actions que dans son élégant choix musical qui reprend le morceau Way down in the hole, écrit par Tom Waits, dans un enregistrement différent, pour chacune des cinq saisons. C’est ce qu’on appelle La classe américaine.

     Découvert tardivement cette merveille qui peut aisément prétendre au titre de meilleure saison de série tv de tous les temps. Magnifique.

L’homme qui voulait savoir (Spoorloos) – George Sluizer – 1989

16252519_10154366781057106_8500153548153978809_o« L’incertitude c’est ce qu’il y a de pire ! »

   9.0   Si le film est complètement barré, vraiment, j’y viens, le pitch est on ne peut plus simple : Sur la route des vacances en France, un couple de hollandais s’arrête sur une aire d’autoroute. Elle s’en va acheter un soda en boutique, il reste à côté de la voiture. Le temps passe, il ne la voit pas revenir. Il part à sa recherche mais ne la retrouve pas. Après trois années d’une quête infructueuse, il reçoit, une fois de plus, une étrange carte postale, dont l’auteur prétend connaître la vérité sur la disparition.

     Si ces événements prennent une certaine place dans le film, ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. C’est un grand film sur le combat contre l’incertitude. Ça ne parle que de ça. Rex est persuadé que Saskia s’est fait enlever pourtant rien ne lui permet de le certifier, rien ne dit qu’elle n’a pas disparu de son plein gré, rien en tout cas qui justifie les années d’obsession à la chercher, pas même cette photo polaroid, la sienne, prise à l’instant t mais ne dévoilant rien – L’espace d’un instant on imagine que le film pourrait s’aventurer sur le terrain de Blow Up. Ni ces lettres qu’il reçoit – d’un inconnu lui certifiant qu’il sait la vérité – et pourraient être l’œuvre d’un simple pervers.

     Si le film est aussi singulier et dérangeant c’est parce qu’il y a une dualité très étrange entre la photographie du film, absolument merveilleuse, autant de jour que de nuit, sur une aire d’autoroute, une propriété de campagne, une place nîmoise, et l’accablement qui en émane en permanence, comme au début, déjà, au moment de la panne d’essence dans le tunnel ou à la fin dans cet irrespirable trajet voiture. D’ailleurs, au début, lors du retour de Rex, avec son bidon d’essence, Saskia a disparu, pas longtemps certes mais c’est comme si déjà le film jouait avec nos attentes, savait manipuler nos incertitudes.

     Cette angoisse de l’incertitude va contaminer tout le film. C’est là où le film est aussi affreux que miraculeux puisqu’il va nous ronger, nous aussi, spectateurs, dans l’absolue nécessité que l’on va ressentir au même titre que Rex, à savoir ce qui a bien pu se passer ce jour-là. Cette volonté de savoir (Le titre français appuie largement là-dessus puisque l’homme c’est autant Rex que Lemorne que Nous) écrase autant la douleur que la rancœur envers ce monstre, serein, stoïque, parfois même nonchalant (Donnadieu et son « tralala pom pom ») et maladroit (Il se rate beaucoup) qui s’en va nous raconter sa vie afin de comprendre les motivations de son crime.

     Tout est-il écrit ou peut-on changer les choses en l’espace d’un choix impulsif ? C’est l’expérience que fera Lemorne pendant son adolescence, en se jetant par la fenêtre puis plus tard en famille en prenant l’initiative de sauver une enfant de la noyade – Discrets flash-back à l’appui. Cette incertitude du destin il en fera le moteur de sa vie au point d’y noter ses pulsations cardiaques dans un carnet. Tout maîtriser. Jusque dans la durée d’agissement du somnifère qu’il va administrer à sa future proie, en chronométrant son propre sommeil. George Sluizer aurait pu en faire un monstre stéréotypé, replié dans sa folie et sa solitude, pourtant Lemorne est père de famille et professeur de physique chimie, souriant, poli. Bref, Monsieur tout le monde ou presque. Qui d’autre que Bernard-Pierre Donnadieu pouvait aussi bien camper ce personnage ? Une figure du Mal aussi terrible, pervers et machiavélique que certains méchants hitchcockiens.

     « L’incertitude c’est ce qu’il y a de pire ! » s’écrie Lemorne sur cette aire de repos, évidemment celle de la disparition (Plus proche du titre original, qu’on pourrait traduire par « Sans laisser de traces ») quand Rex refuse de boire le café qui devrait vraisemblablement (Lemorne lui certifie qu’il saura) lui faire découvrir ce que Saskia a vécu, en vivant exactement ce qu’elle a vécu. Mais si elle est morte, vais-je mourir aussi, se demande t-il. Lemorne lui répondant à multiples reprises qu’il n’y a qu’une seule façon de le savoir. Ce même choix qu’il fit lors de son adolescence.

     Il faudra alors ce plan incroyable, nocturne, illuminé par les phares de la voiture, où Rex court autour de l’arbre (Celui où Saskia avait enterré les pièces qui scellaient leur dispute) comme s’il était englouti par une tornade. La fin du film (Trajet voiture / Aire de repos / Twist) est l’un des trucs les plus ahurissants, terrifiants, effroyables que j’ai pu voir tant c’est à la fois très doux (La mise en scène reste ce qu’elle était, n’illustre absolument rien et Lemorne reste le méchant le plus calme du monde) et tout à fait insoutenable. Ce géant paradoxe qui habite le film d’un bout à l’autre.

     Et cette violence, qui n’est jamais une violence frontale, ce qui ne l’empêche guère d’être insoutenable, bien au contraire, se répercute dans des procédés tout simple. Une ellipse, déjà, qui apparaît quand on l’attend le moins : Un hors champ de trois ans, l’horreur, c’est comme si le film qu’on croyait voir (la quête envers et contre tout) n’existe plus. Et un glissement de points de vue pour le moins déstabilisent, d’une part parce qu’il nous fait entrer dans la démarche du monstre après avoir adopté celui de la victime, d’autre part car ces glissements se multiplient, sont parfois longs, parfois brefs. Avec deux croisements insensés : le contre-champ de la photo sur l’aire de repos et le plan panoramique sur la place aux cafés dévoilant dans le fond Lemorne, immobile, à la fenêtre d’un immeuble. Deux séquences absolument glaçantes.

     Outre celui des routes du Sud et des vacances, le décor est celui du Tour de France. Tout le début se joue le 16 juillet 1984, jour de la 17e étape se fermant à L’alpe d’Huez. Les journaux évoquent le combat entre Hinault et Fignon. Les radios s’époumonent sur le triomphe du second, parti sur les traces du grimpeur, Herrera. Ce n’est pas grand-chose mais ça permet au film d’ancrer son intrigue dans le présent, dans le réel et du coup, de reproduire son glissement, plus tard, dans cette même temporalité.

     Un moment donné, Rex confie à sa nouvelle amie (L’ellipse est toute récente) qu’il imagine parfois que Saskia est en vie, quelque part, heureuse. Ainsi il doit faire un choix : La laisser vivre sans jamais savoir ou la laisser mourir en sachant ce qui a bien pu se passer. Comme Lemorne en son temps, il choisit de ne pas se laisser gagner par l’incertitude. Donc de la laisser mourir. Tout le film est là.

     J’aimerais beaucoup voir le remake qu’en a fait Sluizer lui-même sur le sol américain cinq années plus tard, avec Kiefer Sutherland et Jeff Bridges. Même si quelque part, on l’a déjà un peu notre remake ricain, réussi comme un idéal produit du dimanche soir : C’est Breakdown, de Jonathan Mostow. Mais quoiqu’il en soit, Spoorloos, c’est une autre catégorie. Là, à chaud, je ne vois pas trop à quand remonte un pareil traumatisme en ce qui me concerne.

     Le film est l’adaptation d’un bouquin, L’œuf d’or, que je ne suis du coup pas certain d’avoir envie de lire ; Imaginer des lignes et des lignes de la subjectivité de Lemorne me file déjà le cafard. L’œuf d’or c’est le cauchemar de Saskia, c’est l’image onirique et insoluble qu’elle a laissée à Rex. J’aime l’idée de ne pas en savoir davantage que ce que le film m’a offert et torturé. Parfois, mieux vaut pas savoir.

Corniche Kennedy – Dominique Cabrera – 2017

30A trois on y va.

   5.5   Une lycéenne bourgeoise observe une bande de minots qui passe ses journées à sauter d’une corniche, en face de chez elle. Elle les filme, les envie, les approche, plus fascinée par cet écrin hors du temps, hors du monde, cette bouffée de liberté singulière et du danger qui l’accompagne que par ses révisions du bac.

     Postulat séduisant qui pouvait marquer le retour de la sensualité des corps juvéniles au cinéma, dans la lignée de ceux de Claire Denis ou plus récemment et dans un monde opposé, Jean-Charles Hue. On y pense au début. L’aspect solaire, l’interdit, la bulle hors du monde, la roche, la hauteur, la mer, il y a quelque chose de très beau et sensuel capté par la caméra de Dominique Cabrera.

     Quelque chose de troublant aussi dans ces rencontres, un mélange de douceur et de domination, d’un peu emprunté dans les interactions entre ces acteurs, tous non professionnels qui sont pour la plupart des plongeurs de l’extrême à la vie. Le lien qui se crée entre eux et Lola Creton (déjà croisée dans Un amour de jeunesse et Après mai, deux merveilles), entre ces deux dynamiques sociales, est très réussi. Entre ces deux mondes – Le réel et la route d’un côté, la mer et l’imaginaire de l’autre – qu’un saut et donc un choix d’un quart de seconde peuvent dissocier net.

      Mais très vite il y a aussi une affaire policière complètement anecdotique, filmée platement, hyper saccadée, qui vient se greffer et briser cet élan lyrique. Comme ce sont des acteurs plus connus (Aïssa Maïga, Moussa Maaskri) ils prennent beaucoup de place, pour rien. On s’en fiche complètement d’eux. Corniche Kennedy aurait fait un très beau court, entièrement dévoué à cette corniche, fenêtre de liberté sur la Méditerranée. Vraiment dommage.

     Qu’un film comme Mange tes morts (de Jean-Charles Hue, donc) parviennent à me fasciner, me laisser béat avec son univers de bagnoles chez les gitans et pas celui-ci avec ses plongeurs de falaises (Probablement l’un de mes gros fantasmes de gosse, sous adrénaline, avec le surf et le parachute) c’est qu’il y a un gros problème ailleurs, d’autant que ça partait vraiment très bien, dans l’approche du groupe, le saut vu comme instant de gloire, la possibilité qu’il devienne un acte de rébellion – Le désir de sauter de nuit, avec des fumigènes. De belles choses, donc, gâchées par une partie polar, ratée de chez ratée. 

     Toutefois, la plus belle idée du film, celle qui fait que je l’aime quand même malgré ses défauts, que je l’aimerai toujours plus que Neruda, car il est plus humble, plus que Primaire car il vise moins large (Pour citer les deux autres films vus [et modérément aimé] au cinéma ces dix derniers jours) c’est son intérêt pour le trio, jamais remis en question pour un quelconque différend amoureux, comme on l’aurait vu partout ailleurs. Suzanne, Mehdi & Marco plongent à trois (lors du baptême de la demoiselle) et partent en cavale à trois, dans la partie la plus bancale du film. Mais ce trio aura illuminé Corniche Kennedy. Le film l’aura fait exister là où sur un format court, il n’aurait probablement pas eu les moyens de le faire exister.

Black Mirror – Saison 3 – Netflix – 2016

31Une autre dimension.

   7.5   Black mirror revenait cette année avec six épisodes, soit deux fois plus que dans chaque saison précédente ou plutôt autant que les saisons 1 & 2 cumulées. On craignait l’apport Netflix et son côté binge-watch, d’autant qu’en pure anthologie, consommer les épisodes comme une série à dévorer est la dernière chose à faire avec Black mirror.

     Pourtant, plateforme Netflix ou pas, Black mirror est la même. Chaque épisode est complètement fou. Chacun brille dans le genre qui lui appartient. Chacun sa durée. Chacun sa puissance, inégale pour trois d’entre eux, idéale pour les trois autres. Dans ces derniers, je retiens deux merveilles : Une chronique en chute libre et une romance malmenée par une temporalité disloquée.

     Et un chef d’œuvre absolu : Hated in the nation. Un polar sous tension, enquête nerveuse à la sauce buddy-movie accompagné par un (discret) flashback procédurier, évoquant le kacking et l’absurdité des réseaux sociaux. Un truc hallucinant, d’une richesse folle, qui dure 1h30 et pourrait faire l’objet d’un superbe long métrage de cinéma. Une intensité qui se redéploie sans cesse et vient t’enquiller claque sur claque. Et un duo si génial que tu restes frustré de ne pas voir davantage, plus longtemps ou dans une autre affaire. Un True detective futuriste, en gros. Un monde où le réseau social en question, une sorte de Twitter-dérivé, devient le vecteur d’un génocide. Tyrannie du hashtag à laquelle répond celle du Like dans Nosedive, l’épisode d’ouverture. Pourtant, c’est à Shut up and dance (Celui sur un adolescent victime d’un harcèlement visant à révéler au monde ses fantasmes pédophiles) auquel on pense ici, mais en infiniment plus riche et passionnant sur ce que l’épisode raconte d’une justice de l’ombre, aussi infâme que ce qu’elle critique.

     L’autre épisode marquant, pour ne pas dire bouleversant – mais plus intime – est une histoire d’amour saupoudrée de voyage dans le temps : San Junipero. Deux apparitions qui se croisent dans une société A’ gérée par une gigantesque matrice qui enverrait les vieux au seuil de leur mort dans la temporalité qu’il souhaite, quelques heures par semaine pour les vivants puis indéfiniment pour ceux qui auraient choisi cette alternative au grand trou noir de la mort. Avant d’en arriver là, l’épisode marque la rencontre entre deux jeunes femmes (la première séquence est sublimissime) dans une temporalité eighties puis répète leur relation avant de les voir toutes deux sur leur lit de mort ou presque, dans une sorte de présent futuriste. J’essaie de ne pas trop en dire mais j’en suis sorti épave. Impossible de voir un autre épisode dans la foulée de celui-ci.

     Et donc il y a Nosedive. C’est la génération Facebook qui est ciblée dans Nosedive, mais une version poussée au culte du like puisque l’on note ses proches de manière à faire évoluer leur taux de sympathie/notoriété. Et c’est cette moyenne évolutive qui conditionne la vie en société, c’est elle qui permet d’acquérir une ristourne sur un prêt par exemple, c’est elle qui permet d’entrer ou non dans différents lieux, d’avoir un job, de prendre l’avion. Brice Dallas Howard campe ce personnage obsédé par cette moyenne, ravie d’être invité comme demoiselle d’honneur au mariage d’une amie d’enfance à qui tout réussit, entendre par réussite qu’elle affiche son bonheur partout avec sa moyenne de 4.7 quand Brice parvient laborieusement à tenir son 4. Jusqu’ ce que tout dérape, le titre nous avait prévenu, au détour d’un grain de sable qui se transforme bientôt en désert. Une mécanique trop huilée si elle n’était pas accompagnée de nuances, au détour de deux personnages (qui sont sur sa route) qui ne vivent pas ou plus dans ce culte ignoble : Son frère, d’une part, en retrait dans le réel mais happé par le monde virtuel, et cette chauffeuse de camion qui s’est retirée de ce monde après avoir perdu celui qu’elle aimait car sa moyenne ne lui permettait pas d’accéder aux meilleurs soins. Grosse claque similaire à l’épisode de noël.

     Grande saison. Six beaux épisodes, que je pourrais aisément revoir mais qui te laissent souvent sur le carreau. Ce même si certains sont parsemés de petits défauts qui n’atténuent pourtant jamais leur portée, je pense à Men against fire, l’épisode « Guerre » un peu trop explicatif dans son dernier tiers malgré l’idée monstrueuse de réalité modifiée ou à Playtest, l’épisode « Horreur » un poil plus passe partout et petit malin que les autres, malgré cette idée géniale de jouer en s’inspirant des peurs profondes du joueur.

     Enfin voilà, Black Mirror aura tout de même frappé fort cette année et prouve que sa vision du futur est plus imperceptible que dans la plupart des films d’anticipation. Ce sont les innovations technologiques qui sont visées donc c’est un futur très proche de notre présent, dans lequel le scénario autour de cet élément technologique serait le pire possible. A l’image de ce que l’épisode de Noël nous avait offert, dans lequel il était possible de bloquer les gens dans la vie réelle. C’est à la fois terrifiant, hyper stimulant et épuisant tant la tension déployée sur l’ensemble de ces épisodes est hallucinante.

Primaire – Hélène Angel – 2017

16177883_10154351207302106_4212180217438809327_oFin d’année.

   5.0   Dans ses problématiques de fond, le film est passionnant puisqu’il est multiple. Il s’attaque autant à la figure de l’enseignante passionnée qu’à ses démêlés personnels concernant la garde de son fils ; Il cherche l’universalité dans la classe en brossant les portraits d’élèves en difficulté, d’une jeune fille handicapée, d’un garçon délaissé par sa mère ainsi qu’au quotidien fragile de celui qui évolue dans la classe de sa mère tout en vivant dans les logements attenant à l’école. Les conflits entre enseignants ne sont pas oubliés non plus, en salle des maitres comme à la cantine. Ainsi que les diverses angoisses à propos des préparations du spectacle de fin d’année. Tout cela sans délaisser non plus cette cruauté manifeste qui règne entre les écoliers d’une école primaire.

     Un tel magma a son revers de médaille, notamment d’un point de vue formel tant les situations sont trop vite évacuées et tant ce défilé de saynètes parasitent ce qu’elles contiennent. C’est d’autant plus surprenant qu’Hélène Angel avait offert avec Propriété interdite un vrai film d’épouvante, épuré, mystérieux. Bref, absolument rien à voir. L’aspect assemblage ne permet pas de donner corps au dispositif, en tout cas loin de ce qu’elle faisait de la maison dans son film précédent. Et puis le film s’embarrasse d’un atout rom’com (avec la présence un peu gratuite de Vincent Elbaz) pas super finaud.

     Il faut attendre le dernier quart pour que le film respire enfin, pour qu’il offre quelque chose de plus inattendu de par ce spectacle d’enfants (Qui rejoue la création de l’Homme par les dieux) puis au moyen d’un épilogue, elliptique, absolument bouleversant. Pour en arriver là on passe par tous les états. Et comme ça va souvent trop vite, car il faut en mettre le plus possible, les petits ne sont pas très bons. Enfin disons qu’ils sont souvent saisis par une grimace ou une phrase/torpille un peu fabriquée. Et les grands c’est pareil, surtout du côté des autres enseignants – Sara Forestier, comme à son habitude, est excellente. Etrange de la voir de ce côté, d’ailleurs, treize ans après L’esquive.

      Bref, c’est moyen. Trop hybride, je pense. A la fois dans la lignée de Ça commence aujourd’hui, le chef d’œuvre de Bertrand Tavernier, autant qu’il lorgne du côté d’Etre et avoir (le registre documentaire) mais aussi souvent vers Le plus beau métier du monde. En fait, la comédie s’infiltre beaucoup trop à mon sens. Et pas la comédie façon Le nouveau, quoi, il est bien là le problème. C’est donc un film plutôt maladroit, dispersé, mais il est aussi généreux, il a au moins cela pour lui.

La belle équipe – Julien Duvivier – 1936

50Résurrection éphémère.

   8.5   C’est une histoire de groupe, de potes, chômeurs paumés avant qu’un providentiel gain à la loterie leur ouvre les voies du rêve. Ce sera un vieux lavoir en ruine sur les bords de la Marne, qu’ils vont retaper pour en faire une guinguette. Un rêve qu’ils ont décidé de matérialiser à Pâques, jour prévu de l’inauguration. Une auberge qu’ils décident de nommer modestement « Chez Nous ». Le Nous est le motif d’espoir même si le Je parfois menace. Comme au début lorsque chacun ambitionne de voyager de son côté avec son propre pécule. Comme plus tard lorsque la femme de l’un d’eux (La garce du film) revient pour quémander sa part. Et plus tard encore quand l’un des cinq s’en va, disparait une nuit, en laissant un obscur mot d’adieu. Pourtant rien ne semble en mesure d’entraver ce rêve, chaque obstacle est aussitôt surmonté, on travaille dans la joie. Rien pas même une tempête nocturne – Superbe scène où chacun s’allonge sur les tuiles à peine posées pour ne pas qu’elles s’envolent. Mais le rêve se fragilise de plus en plus. La vraie menace rode. La première c’est un gendarme qui l’incarne, qui malgré son apparente sympathie, trimballe un arrêté d’expulsion de l’un d’entre eux, réfugié espagnol et sans papiers. Puis c’est un accident qui enterre le rêve et tire le film vers le mélodrame duquel il ne se relèvera pas, jusqu’à ce que les deux socles (Vanel & Gabin) se disputent l’amour pour Gina (Viviane Romance, garce sans scrupules). C’était une révolte de Front Populaire, une révolte à cinq, qui chantait la camaraderie et qui va peu à peu se dissoudre dans le silence. Microcosme qui prophétise la chute du macrocosme, détruit par le capitalisme incarné par un ancien propriétaire arriviste, des aristocrates hautains et la malveillance d’une femme. Les acteurs sont excellents bien qu’un poil en sur régime théâtral parfois, Gabin le premier. Mais la relation entre lui et Vanel, mari meurtri, est très touchante. Il y a heureusement la femme de Mario, l’espagnol, qui incarne la motivation du rêve (C’est d’elle qu’ils tiennent le nom de l’auberge) et un gouffre de tendresse. Sans cela, on pourrait très vite taxer le film de misogyne tant l’autre est le vecteur effrayant de la destruction des grandes utopies gauchistes.

True lies – James Cameron – 1994

30« C’est un appareil pour faire les cônes glacés ? »

   8.0   Etant donné que je le revoie tous les ans, je me répète probablement à chaque fois : True Lies est une merveille de film populaire, au sens noble donc cameronien du terme, qui brille par son génie rythmique, le juste dosage de son humour, sa générosité dans la pelleté de situations folles que le récit génère, ses jonctions (géographiques, elliptiques…), ses associations de personnages et son art de rester lisible malgré un assemblage un brin over the top. C’est toute la magie cameronienne. Capable de créer cette parenthèse purement récréative (entre Abyss et Titanic) sur une simple commande de Schwarzie, mais la traiter avec beaucoup de respect et de prodigalité instinctive.

     C’est simple, c’est la jubilation non-stop ce film. Un morceau de bravoure en entraine un autre. Ici, une poursuite sur un cheval entre les bagnoles puis dans l’ascenseur d’un building jusque sur son toit. Là un double sauvetage par les airs, dans un hélico au-dessus d’un pont détruit / dans un avion de chasse sous une grue de chantier. Et comme c’est Cameron, c’est forcément super bien fait. Gargantuesque et beau. Même quand il fait une comédie.

     Un bémol toutefois, qui n’entache certes pas la réussite de l’ensemble mais qui m’a plus sauté aux yeux qu’autrefois : La vision bien hollywoodienne du terroriste idiot. Si la CIA ne brille pas non plus pour ses absolues compétences, gageons que le grotesque avec lequel sont dessinés la bande de Art Malik & Tia Carrere n’est pas la meilleure idée du film. On préfère True Lies quand il filme son couple vedette. Autant lors de la transformation érotico-badass de Jamie Lee (entrée dans la postérité) que dans leur cohabitation dans un duo incongru dans le dernier tiers du film.

     A part ça, True Lies reste l’un des plus agréables divertissements du dimanche soir (Revu un dimanche soir, d’ailleurs) et une merveille de comédie d’espionnage et de remariage, avec un Schwarzie encore bien fringuant, qui cultive avec brio sa dimension caméléon aussi bien dans son travail d’infiltration (Superbe entrée en matière, à faire pâlir certains épisodes de James Bond) qu’au sein de sa famille, qui le croit représentant de commerce. Bref, Schwarzie doit jouer les agents secrets mais aussi soigner la pérennité de son couple. Sauver le monde et redorer une histoire conjugale un peu mise entre parenthèse.

     Tout le monde le sait, il s’agit évidemment d’un remake de La Totale, le film de Claude Zidi. Schwarzie ayant remplacé Thierry Lhermitte, Jamie Lee Curtis pris la place de Miou-Miou et Bill Paxton celle de Michel Boujenah. Bien que je garde une certaine affinité pour le film de Zidi, l’opus de Cameron  le surpasse dans les grandes largeurs, autant sur le plan visuel que dans l’orchestration de ses séquences d’action, son humour que l’implication de ses protagonistes. Pour l’anecdote, je crois n’avoir jamais vu True Lies dans sa version originale puisque systématiquement happé par sa diffusion télévisée. Le film doudou, quoi.

Harmonium (Fuchi ni tatsu) – Kôji Fukada – 2017

15965817_10154327255857106_4783888594769103788_nL’ange de la mort.

   3.0   Que s’est-il passé pour que Koji Fukada choisisse de faire ce film après Au revoir l’été ? Que s’est-il passé pour qu’un film aussi cruel supplante un film aussi lumineux ? C’est sans doute que l’auteur japonais est tiraillé entre deux pôles. Dans le précédent il y avait déjà une certaine menace, une noirceur en filigrane qui ne parvenait pourtant pas à contaminer sa lumière. L’évocation de Fukushima ici, un hôtel de passes bien glauque là. Mais le récit choisissait l’humain et la simplicité des rencontres, des errances, pleine d’espérance.

     J’étais à la projection d’Harmonium suivie d’une rencontre-débat avec le cinéaste. Ça a permis de comprendre un peu son fonctionnement et son virage. Les mots qu’il utilisa – traduits par une interprète – le plus souvent c’était son besoin d’évoquer les ténèbres de l’âme humaine. Un écart considérable qui a surtout à voir avec la naissance du projet, puisqu’il tient ça sous le coude depuis dix ans. A l’époque, Koji Fukada n’avait peut-être pas encore vu Rohmer ni lu Balzac, je ne sais pas, je n’ai pas osé lui demander. Mais il a confirmé qu’ils étaient sa source d’inspiration première pour Au revoir l’été.

     Toujours est-il qu’il y a, au delà de la cruauté accablante de son récit, dans le couple d’Harmonium quelque chose de déjà brisé dès le départ, avant même que les coutures du mélo plombé viennent l’anéantir. Et ce couple qui ne dialogue pas, qui cohabite simplement ce sont ses parents, un élément qu’il a évoqué de but en blanc. Koji Fukada devait être quelqu’un de plus torturé il y a dix ans. Mais du coup le film ne sort pas quand il faut, il est en retard, il sonne faux. Il ne fonctionne que par le prisme d’une cruauté disproportionnée. Il faut voir comment cette histoire abracadabrante progresse et se règle dans la douleur, systématiquement, se complait dans un nihilisme sordide.

     Et c’est dommage car il y a de belles choses là aussi, mais des choses qu’on avait autrement mieux vu dans Au revoir l’été, qui respirait et préservait un certain mystère. L’action s’y déroulait d’ailleurs sur un laps de temps très court, celui des vacances, tandis qu’ici on fait ressurgir un passé sordide avant de broyer le présent par une ellipse infecte qui arrache tout pour offrir un avenir encore plus ténébreux. La scène au bord de la rivière illustre tout le film et les deux pôles qui anime l’auteur : La colère de Yasaka, qui finit par retirer ses mots durs mais ils sont là, vient ternir la belle journée familiale qui déjà était troublée plus tôt par une séduction gênante en forêt, avant l’épisode de la photo qu’on retrouvera plus tard et revêtira les couleurs de la tragédie. La suite du film, post ellipse, est horrible. Et jusqu’à la toute fin, qui est pire encore. Haneke adorerait ça.

     Même le titre international (choisi par l’auteur parmi une liste imposée par le distributeur : Le titre original pouvant être traduit par « Au bord du gouffre ») est d’un cynisme déconcertant. Donc vraiment je ne comprends pas. Comment une même personne peut faire Au revoir l’été puis Harmonium ? C’est comme si Rohmer avait pondu Dancer in the dark après Conte d’été, en gros. Bizarre.

Neruda – Pablo Larraín – 2017

15873358_10154320359272106_97736878153572351_nFace off.

   5.0   J’avais complètement délaissé le prolifique cinéaste chilien tandis que j’avais pourtant trouvé passionnant son Santiago 73 post mortem. Il y mettait en scène le quotidien d’un employé de morgue, mutique et minable, qui s’occupe de la dépouille de Salvador Allende. Une façon pour Larrain de contourner les coutures du biopic classique tout en racontant, avec la liberté offerte par la focalisation sur un personnage lambda, une tranche de l’Histoire chilienne.

     Neruda s’inscrit dans une veine similaire tout en poussant plus loin la mécanique du personnage dans l’ombre. Point de biopic au sens strict ici non plus – Le titre semblait pourtant formel – mais un jeu de chat et de souris entre le poète communiste et un inspecteur à ses trousses. Une fuite dont a vraiment été contraint Neruda. Mais un face à face inventé de toute pièce, avec cette originalité de la voix off quasi permanente. Et pas celle de Pablo. Celle de Peluchonneau, le policier en question.

     Osé dans son dispositif, le film est aussi parsemée d’idées et parti pris de mise en scène assez lourdingues à l’image de ces nombreux tunnels de dialogues assommants (Un verbiage absent de Santiago 73) où le décor change d’un instant / d’une phrase à l’autre. Je ne sais pas ce que ça veut créer sinon accentuer le côté schizo du film et lui offrir une dimension opératique mais Larrain n’est pas Bellochio. Chez lui, le souffle est moins produit par l’émotion que par un désir factice de grandeur – On est parfois pas si loin de cette horreur qu’est le cinéma de Sorrentino.

     Et puis il faut accepter d’être dans la tête de ce connard de flic, idiot et monomaniaque, durant toute la durée du film, commentant même les scènes où seul Neruda s’y trouve. Et ce bien que le film semble peu à peu nous guider vers quelque chose de plus insolite qui ferait de ce personnage la projection qu’en a rêvé Neruda jusqu’à sa (non) chute. Une vraie réflexion sur la place du personnage secondaire, en somme, auquel on aurait pour une fois envie d’offrir Le vrai rôle d’envergure. L’émotion qui nous étreint lors de la dernière scène prouve que le film a réussi un peu de son pari, finalement.

     L’objet est sans doute trop conceptuel et bien trop hermétique dans sa première heure, mais dès qu’on glisse dans la Cordillère des Andes, le film s’envole. Il s’intéresse aux espaces. Aux bruits de ces espaces. Et à ces deux visages dans la neige, qui jamais ne se croisent. Pas entièrement convaincu mais c’est une curiosité.

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silencio


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