Conte d’automne.
8.0 C’était ma troisième fois. J’aime de plus en plus ce film, qui je trouve, ne ressemble pas à ce qu’on a l’habitude de voir dans le paysage du cinéma français. Simon Werner a disparu s’ouvre sur Love like blood, un morceau de Killing Joke. Une fille marche dans un quartier pavillonnaire, dans une banlieue indiscernable. Elle rejoint une fête. Puis on quitte cette fête un peu plus tard, pour aller débusquer un cadavre dans le bois d’à côté. Quand revient la musique au tiers, on comprend qu’on est dans un système de boucles entrelacées, qui s’était ouvert sur la semaine de Jérémie et va se dévoiler/s’épaissir via d’autres personnages.
Un élève a disparu. Puis plus tard deux élèves disparaîtront encore. Suivant de quel point de vue on se place, on découvre des vérités ou bien on accentue les mystères. Chaque chapitre « centric » à ses trous que le prochain va partiellement combler. Il y en aura quatre : Jérémie, Alice, Rabier, Simon. Offrant au-delà de l’intrigue, une belle galerie de jeunes personnages. J’ai l’impression que le film capte assez bien l’idée qu’on se fait d’un quotidien de lycée, tout en étant hors du temps et jamais assis sur une espèce de réalisme bon teint. Tous les personnages semblent ici et là écouter la bande originale du film dans leur walkman. Ils ont Sonic Youth dans les oreilles. Ça me plait bien.
Si le film s’ouvre de nuit, il sera en majeure partie relayé par le jour. Avec son ambiance de quartier résidentiel tranquille, enveloppé par les feuilles mortes et le brouillard naissant. Le montage rappelle celui d’Elephant, le film de Gus Van Sant, qui semble être une source d’inspiration évidente pour Fabrice Gobert. Un montage par personnages, avec d’abord, Jérémie le blessé du foot qui organise la soirée durant laquelle on devrait tout découvrir – comme le suggère la séquence initiale. Puis Alice, la bombe du lycée qui sortait avec Simon avant qu’il ne disparaisse. Rabier, le garçon introverti, la victime mais aussi fils du professeur de physique, que tous trouvent bizarre. Et enfin Simon, celui qui a disparu.
Marrant de voir comme tout semble coller, comme tout permet de faire progresser l’intrigue de façon à parfaitement retomber sur nos pattes. Sauf que pas vraiment. Car « La réalité est parfois décevante » dira Frédéric, quand il avoue que son cocard est dû à une porte – Ce qui n’est d’ailleurs pas le cas. C’est-à-dire qu’ici, Gobert nous prévient de quelque chose, que les mystères peuvent être dérisoires. Mais plus tard il nous révèle l’autre dimension de ce cocard et appelle de nouveau à la méfiance. C’est très beau. Tout le film est là. L’angoisse crescendo qui parcourait Elephant laisse place à quelque chose de plus anodin, qui ne sera pas moins cruel pour autant.
Il y a donc des instants très beaux, très durs, ces moments qui lèvent le voile sur des relations étranges, hypocrites (je pense à celle entre les deux amies), qui révèlent des personnages que les préjugés enfouissent dans leur propre solitude, et puis aussi des moments très drôles, notamment dans les interactions quotidiennes. Les discussions sont saisies par bribes, elles se chevauchent toutes : L’éventualité d’enlèvements et de la présence d’un tueur méticuleux pour les uns, simple école buissonnière pour les autres, un projet de fête d’anniversaire, des vannes en rafale, des petits secrets et autres banalités quotidiennes.
Fabrice Gobert a la bonne idée de ne pas trop étirer son dispositif, il aurait pu multiplier les chapitres, en faire davantage (Laetitia, Frédéric, Grammont) mais ils se seraient trop chevauchés les uns les autres d’autant que certains fonctionnent beaucoup en binôme avec d’autres. Le segment Simon est très fort, il répond à tout en nous offrant ce qui pour les autres restera à jamais en suspens / une énigme : la relation amoureuse cachée et le meurtre. Cette fois je l’ai trouvé très émouvant même. J’aime beaucoup sa fin, au café, avec ce ballet de visages à la fois graves et nonchalants.
Le film aurait pu souffrir de ses répétitions : répliques identiques mots pour mots, gestes pour gestes, ton pour ton de ce que l’on a vu avant ou que l’on verra après, suivant l’angle de vue choisi. L’effet Elephant, en somme. Mais Gobert trouve un juste équilibre, n’en fait jamais trop. La photo d’Agnès Godard est très belle, automnale, lumineuse et menaçante. Et je le répète mais musicalement le film est à tomber, entre la formidable bande originale signée Sonic Youth (super bien utilisée) et le morceau de Killing Joke qui revient en boucle. Caviar.