Afin de célébrer comme il se doit cette année de tristesse, confusion, deuil et incompréhension quoi de mieux que le dernier Nick Cave en tête de ma désormais traditionnelle liste des meilleurs albums de l’année et la 25e et dernière étoile de Bowie pour la clôturer ? Se joignent à ces larmes une escorte de 23 compagnons, beaux voire sublimes, chacun dans leur genre. Top25 évidemment. Bonne lecture.
Nick Cave & The Bad Seeds – Skeleton tree
Il est certes bien difficile d’entrer dans cet album sans oublier le caractère morbide de son existence, surtout quand s’ouvre Jesus alone là-dessus : « You fell from the sky Crash landed in a field » puis suit Rings of Saturn, qui sont de véritables incantations endeuillées. Forcément, l’émotion qui nous étreint durant cette élégie passe au-dessus de l’album lui-même qui joue moins des fulgurances d’un Push the sky away, mais trouve un écho terrible, une noirceur infinie dans les compositions sophistiqués d’un orchestre de génie et dans la voix d’un père brisé, errant dans l’obscurité et le silence. C’est un peu le Desertshore de Nick Cave, quoi. Dépouillé et glaçant. Un arbre squelettique qui se bat contre la tornade de la vie. Un album qui se clôt sur le morceau éponyme, springsteenien, plus lumineux même si c’est une lumière qui vient arracher les larmes : «And it’s alright now… ».
Swans – The glowing man
Depuis son retour en 2010, la bande à Gira soigne nos frêles oreilles. Et The glowing man, qu’il s’ouvre dans un ahurissant crescendo de rugissements « force tranquille » ou se poursuive dans une tornade sonore quasi cauchemardesque ne déroge pas à la désormais traditionnelle (Et presque annuelle) règle swansienne du voyage à base de coups de pieds/poings/boule assénés deux heures durant. Si on me demande aujourd’hui de citer un groupe de rock, un seul, qui assume pleinement ce statut (Et non une banale réactivation de standards old school) je dis Swans. En fait je n’en vois même pas d’autres. Au sens rock’n roll du terme j’entends. Que celui qui traverse sans encombre les nuages de l’oubli et de l’inconnu (Les deux premières pistes, 38 minutes, bah ouai) me fasse signe. Et le reste sera du même acabit, dans une mouvance chaque fois renouvelée. Un disque féroce, démoniaque, assourdissant, orgiaque, comme les deux précédents mais autrement – La seule chose qui ne change pas : Le titre éponyme est une boucherie. Bref, l’équilibre entre plongée méditative et bourrasque de parpaings n’aura jamais été aussi beau et précaire, envoutant et violent que dans The glowing man. C’est une bombe. Une de plus. Et comme Swans semble être venu à bout de son nouveau système (Ils vont faire autre chose, sous une autre mouture) j’en profite pour parier que cette trilogie de 6h constituée de The Seer / To be kind / The glowing man marquera à jamais l’histoire du rock. De la musique, tout court.
Zombie Zombie – Slow Futur
Moins immédiat que ceux qui l’ont précédé, le nouveau cru du trio parisien s’impose comme une véritable bombe à retardement, tellurique et flottante, du haut de ses quatre longues pistes, tantôt brutes et rythmées, tantôt aériennes et down tempo. Après s’être joués du matériau Carpenter puis du psychédélisme futuriste avec virtuosité (Rituels d’un nouveau monde) les esthètes de l’alliage synthé/percussions/saxo font la prophétie de la désintégration, de l’esprit comme de la matière entre envolées hypnotiques et rêverie dark. Une merveille absolue, qu’il faut laisser infuser plusieurs écoutes avant d’en saisir nombre de ses subtils contours.
Rebolledo – Mondo Alterado
Découverte surprise de l’année, le deuxième album du musicien mexicain m’a poussé à écouter son premier bébé (Super Vato, 2011) qui sans être aussi prometteur que Mondo Alterado est une déflagration, annonçait déjà une minimal house raffinée, autant inspirée de LCD Soundsystem que de Matias Aguayo, nourrie de sa formation avec Superpitcher et de son expérience DJ des plages digérée avec un sens narratif aigu et une étonnante gestion de ses durées, trous d’air et tunnels de beats dansants savamment conçus. C’était un album de collaborations quand Mondo Alterado provient d’un seul homme, d’un horizon bien défini. C’est un voyage hallucinogène, fait de nappes minimalistes et percussions d’un autre temps. A ce titre, les quinze minutes très synthwave tribale de l’ouverture Here comes the warrior (Super short version) annoncent un objet insolite, aux fines textures et mystérieux enchainements, que le très carpenterien Dance warrior dance viendra fermer en beauté. L’esthétique fils à mafieux avec regard pervers, lunettes de soleil et nénette allongée sur une corvette rouge qui ornent la pochette conviait à la danse music purement rétro mais pas à cette perfection électronique, intime et sauvage, enivrante et débraillée.
Restive Plaggona – Non Serviam
Tu aimes la techno ? Tant mieux. Mais dans ce cas accroche-toi. Car là on n’est pas chez un rigolo. C’est de la brutale. C’est Lucy qui rencontre Shifted, en gros. Un objet colossal, qui réinvente chacune de ses percussions en permanence, qui t’enquille baffe sur baffe, ferme une plaie pour en ouvrir une autre, sans jamais se dissoudre sous la facilité et l’ennui rébarbatif. On va parfois jusqu’à discerner dans ce fracas sauvage, des montées mélodieuses (Black International), des fuites dangereuses (Escape from exile), des bougonnements monstrueux (Five Sisters Against The Tsar) ou des lamentations souterraines (Complex Interplay), élans tribaux (Death Shall Have No Dominion) et relents indus bien gras (Acceptable obscenity). On en sort rincé. C’est douloureux, selon l’humeur, mais purée ce que c’est bon.
Cliff Martinez – The Neon Demon
C’est souvent le cas, les bandes originales (vraiment originales) sont inégales. Celle de Disasterpeace pour It Follows l’an passé, c’était pareil. L’OST parfaite se fait rare ; Récemment, me viennent à l’esprit celles de Simon Werner a disparu et The girl with the dragon tattoo, de respectivement Sonic Youth et Atticus Ross & Trent Reznor. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Les partitions de Martinez sont régulièrement passionnantes, il suffit de voir ce qu’il a su offrir comme plus-value à la série de Soderbergh, The Knick. Bref, son boulot sur The Neon Demon est sensiblement le même que sur Drive : Homérique et boiteux, envoûtant et brutal. C’est Hermann qui rencontre Moroder et Badalamenti. La brutalité se dessine dans les creux chez Cliff Martinez et son envoutement provient d’une intensité down tempo qui sait te caresser les tympans avant de t’envoyer voltiger sous une nuit de pleine lune. L’album est quasi parfait. Ses enchainement, ses variations, ses virages, ses longues suspensions. L’introduction au titre éponyme, est sidérante de perfection de bout en bout ; Messenger walks among us un puissant voyage sous les néons quand Runway entame la chute vers le macabre, dans une spirale au vertige inextricable. L’innocence est domptée, il n’y a plus d’échappatoire. Are We Having a Party constituera le sommet de cette plongée horrifique et reste à mes yeux le morceau le plus dingue de cette BO, qui dans ses percussions et ses fissures, semble synthétiser tout l’album, tout le film. Après on pourra toujours gloser sur les deux chansons, c’est vrai. Mais quand on aime le film autant que l’album, elles finissent par se fondre dans le tout, Sia ou pas. Probablement l’album le plus écouté cette année. Et probablement l’une des OST les plus écoutées depuis toujours.
Saåad – Verdaillon
Il est vrai que cette année, je me suis moins laissé aller à quelque aventure musicale déviante comme par le passé. Par déviant, entendre prise de risque voire saut dans le vide. J’avais vaguement entendu parler de Saåad, mais jamais écouté. Et Verdaillon peut aisément prétendre à la claque déviante de l’année. C’est une véritable bombe drone dans laquelle un orgue de cathédrale (qui ferait flipper Hans Zimmer) vient enduire chaque paroi de son souffle humide et ses radiations tétanisantes, à peine perturbé par de lointaines giclées de flute de pan, étranges grincements, ambiances aqueuses difficile à identifier – Eternel grow semble accompagnée de percussions dont on ne sait d’où elles sortent, Incarnat III se love dans des réverbérations mystiques caressés un temps par le son d’une cloche puis par des ondes menaçantes, avant qu’on ne plonge dans le magma sidérant du final dantesque Vorde. On nous a abandonné là, dans le vaisseau d’une église. On s’y croit. Et on se prend une claque dans la gueule. Saåad a parait-il joué Verdaillon deux fois sur l’orgue de Notre-Dame de la Dalbade, à Toulouse. Je n’ose imaginer la chose.
The Field – Follower
L’une des pièces que j’attendais le plus cette année, puisque The Field c’est un peu la musique idéalement calibrée pour moi. Il y en a un nouveau tous les deux ans donc c’est chouette. J’aime la simplicité de sa musique, son humilité, jusque dans ses pochettes, toutes similaires à la seule nuance de couleur près. Je craignais beaucoup le noir je ne sais pas trop pourquoi, sans doute la peur d’un truc trop dark. Disons que c’est une musique aérienne, mais pas dark. C’est une musique de nuit mais pas crépusculaire. En fait, cet album se trouve dans la droite lignée des autres, un poil moins séduisant probablement, un poil moins puissant aussi, délivrant ses boucles sans le zeste d’émotion qui nous parcourait jusque dans l’album précédent, encore que les désormais nombreuses écoutes me font mentir. Il y a des morceaux titanesques, des envolées redoutables, comme Soft streams. Des trucs que tu entendras nulle part sinon chez The Field.
Pantha du Prince – The Triad
Je place l’allemand Hendrik Weber (Mr Pantha du Prince à l’état civil) comme l’une des plus belles apparitions musicales de ces dernières années, dans son domaine : La house/techno. J’irai plus loin : Je considère que Black Noise (son dernier projet solo avant The Triad) est l’un des cinq plus beaux albums, tout genre confondu, depuis dix ans. Autant te dire que lorsque je lance The Triad, je bouillonne, j’exulte, donc inéluctablement je suis fébrile. Ce nouveau bébé de 62 minutes (C’est aussi la particularité du bonhomme, il fait durer le plaisir) ne vient pas renouveler ni le genre ni le travail de Pantha himself. Ok. Mais bordel, tous ces tintements, ce fin mélange de percussions diverses, cette tendance dancefloor sans cesse perturbée par un tempo distordu et des superpositions sonores inattendues, ce que ça peut être plaisant pour les oreilles quand c’est fait avec une telle densité et maîtrise de sa densité. On pourrait danser toute la nuit là-dessus – Et ce d’autant plus si les morceaux semblent s’étirer à l’infini.
Body Scultpures – A body turns to eden
Collectif composé de cinq musiciens scandinaves (Varg, Puce Mary, Loke Rahbek, Erik Enocksson et Vit Fana) qui officient aussi chacun de leur côté, dans des courants allant de l’ambient au synth-noise, pour faire vite, Body Scultpures sort A body turns to eden, qui avait tout pour être un magma inaudible. Pourtant, de chacun de ces morceaux, qui disons-le tout net, sortent absolument de nulle part (Tu n’as jamais entendu ça, je te dis !) s’échappent des trouées incroyables, tantôt caressantes, tantôt brutales, d’étranges sirènes (comme sur Feet into soil) ou de purs boulevards de contemplation (On the flowers face), des menaces mystérieuses (The Pyre répondant brillamment au morceau d’ouverture) ou des mixtures dantesques (Turning field), bref un album de ballades qui se brisent, tout en textures cotonneuses clouées par des stridences métalliques. Un équilibre parfait, gracieux. On attendait un uppercut glacé et désaxé, on prend une douce claque, venimeuse et sensuelle, qui atteint parfois des moments de perfection franchement indécente.
Tindersticks – The waiting room
Je me résigne parfois à penser que la grosse carrière de Tindersticks est derrière eux mais quand j’entends un morceau aussi puissant que Hey Lucinda, ça fait réfléchir. Et tout l’album est de cet acabit – Cette excellence qu’on pouvait aussi trouver l’an dernier chez Sufjan Stevens et Timber Timbre. Tindersticks ça a pour moi toujours été le cinéma de Claire Denis mais depuis quelques années, depuis leur retour, ils se sont allégés dans leur direction personnelle. Le magnifique The something rain marquait un vrai tournant que The waiting room approfondit encore davantage. Très beau disque, ample et mélancolique.
Lucy – Self mythology
Après le sublime et éreintant Churches, school & guns (2014) on retrouve l’italien dans des motifs plus dark et minimalistes encore : Une vraie danse tribale au coin du feu, perturbée ici et là par d’étranges voix, entre cri et murmure, et une obsession pour le chevauchement de percussions, jusqu’à parfois sombrer dans un cauchemar éveillé (Les dix minutes de Samsara, incroyables). C’est anxiogène, hypnotique, autant dans ses plongées caverneuses à la limite de l’hermétisme (A selfless act), ses lentes traversées aqueuses (Le sublime She-wolf night mourning) que dans sa plus passe-partout IDM (Meetings with remarkable entities). Moins sidérant et immédiat que le précédent, plus bancal surtout, Self mythology dévoile malgré tout d’épiques spirales d’une générosité mélodique bluffante.
The High Llamas – Here come the rattling trees
Un bijou de raffinement quelque part entre Morricone, La Bossa Nova et Let’s go away for a while, l’un des plus beaux morceaux des Beach Boys tiré de l’un des plus beaux albums du monde : Pet Sounds. Ce court album de 27 minutes déroule 16 pistes qui peuvent aussi n’en former qu’une seule, ce qui est raccord avec le projet puisqu’Here come the rattling trees n’est autre que la bande son d’une pièce de théâtre racontant le voyage de la jeune Amy et des cinq rencontres qui vont peuplés son chemin : Bramble, Mona, McKain, Livorno & Jackie. Une pop de génie, minimaliste, d’une douceur toute caressante et d’une grande richesse dans ses enchaînements. Et dire que je ne suis pas vraiment familier des High Llamas. Je vais vite réparer ça.
Anohni – Hopelessness
J’allais dire qu’Hopelessness était le meilleur album d’Antony Hegarty depuis le beau Swanlights, mais il s’agissait de son dernier, donc normal. J’aime beaucoup Antony & the Johnsons, depuis le début. Antony aka Anohni lance ce projet parallèle épaulé par Hudson Mohawke (Qui a officié pour Kanye West, qui aura sorti une belle bouse cette année tiens) et Oneohtrix Point Never : Un truc pas si différent du groupe dans lequel il/elle chantait, tout aussi torturé mais plus électro, où lourds beats et nappes saturées ont remplacé le piano en gros (Obama, ce morceau, purée…) et où chaque morceau décoiffe par sa richesse et son élégance dépressive. The Drone se fera probablement un plaisir de le toper dans sa shit list (comme d’hab) voilà pourquoi je suis ravi de le glisser dans mes indispensables de l’année.
Lustmord – Dark matter
Des albums de cette liste, ce n’est pas celui qui file le plus la pêche, ni celui qui redonne un fol espoir en l’avenir sinon dans le dark ambient. Lustmord, loin d’être un puceau du genre, offre un véritable pavé pour afficionados, trois morceaux aux variations microscopiques, aquatiques et astronomiques qui rappellent certains gestes de Thomas Köner (Dont le Tiento de la luz, cette année, est relativement décevant) et nous propulse entre vents et ressac, sirènes lointaines et textures métalliques abstraites, dans un univers abandonné (D’une balise de détresse à ces cris sourds, ou plus loin des embryons d’effluves angélique façon Popul Vuh, tout semble finalement dévoré par les ténèbres contemplatives) où il est difficile de résister à s’y laisser mourir. Après oui, mieux vaut être dans une humeur adaptée, pré-sommeil, car ça dure 70 minutes.
Mogwaï – Atomic
Mogwaï et moi c’est une grande histoire d’amour, depuis Young Team jusqu’aux Revenants, en passant par Zidane et The Hawk is howling. Le précédent, Rave tapes, était une déception. Avec Atomic, grand cru, le groupe retrouve l’inspiration de Hardcore Will Never Die, But You Will. L’album alterne le doux (Are you a dancer ?) et le drone (Pripyat), le pesant (Bitterness centrifuge) et le majestueux (Ether), l’épique (U-235) et la menace (SCRAM), montée (Weak force) et didactisme (Little boy), nonchalance (Tzar) et gravité (Fat man) avec une cohérence dans ses enchainements, archi cinématographiques en fin de compte, ce qui n’est pas un hasard puisque l’album est un soundtrack censé accompagner un documentaire sur la bombe atomique frappant Hiroshima. Aussi étrange que cela puisse paraître – puisqu’il est assez déprimant à priori – c’est l’un des albums que j’ai le plus écoutés cette année, parfois en boucle.
Kevin Morby – Singing Saw
Je ne connaissais pas Kevin Morby avant d’écouter un peu par hasard Singing Saw. En fait il s’agit de son troisième album solo et de son neuvième si l’on compte ses débuts de carrière en groupes. Le bonhomme a 28 ans. Voilà voilà. Kevin Morby, prodige Dylano-Cohenien. Rien que ça. La beauté de cet album est insolente, avec ou sans chœurs féminins, piano ou cordes, down tempo (Ferris wheel) ou hyper énergique (Dorothy) lui permet de révéler à mesure des écoutes une profondeur insoupçonnée avec une subtilité hallucinante dans chacun de ses arrangements. Le morceau éponyme est une pure merveille. Et Black Flowers est du même acabit. Label « Album de l’année dont j’ai cru que j’allais rien en avoir à cirer, car des songwriters folk c’est pas ce qui manque, et BIM ». Très beau.
Lafayette – Les dessous féminins
Quand on entend les dernières créations de Benjamin Biolay et Christophe y a de quoi relativiser sur n’importe quel nouveauté dandy, pourtant inutile de faire de cadeau à Lafayette, Les dessous féminins est une délicieuse friandise pop, estivale, mélancolique, entre Elli & Jacno, Katerine, Tellier, Daho et De Roubaix, en gros, dotée de supers textes. L’album s’ouvre sur un titre (Une fille, un été) dans lequel on entend « Mes repères sont sans dessus dessous, à cause d’une fille, un été, au bord de la mer (…) Elle avait cette diction si particulière (…) Les rayures rouges et blanches de sa marinière me rappelait l’héroïne d’un film d’Eric Rohmer ». Le mec m’avait déjà comblé. Après je trouve ça assez inégal dans l’ensemble. Le sublime La mélancolie française est suivi du plus anecdotique Je perds la boussole. Et puis j’ai un peu de mal avec l’autotune, j’avoue. Mais je chipote, c’est de la belle ouvrage. Dans ce registre mélancolico-rétro-futuriste et ce si tout les oppose, je préfère cet album au dernier La Femme par exemple, que j’apprécie aussi, mais qui manque de cohésion, comme c’était déjà le cas dans Psycho Tropical Berlin. C’est plus fin, plus distingué, plus harmonieux. Et puis bon, La glanda pour finir, quoi. Super découverte.
Aphex Twin – Cheetah
Quand Autechre sort Elseq, un éreintant pavé de 4h dans lequel ils semblent avoir mis tout leur cœur autant que les innombrables possibilités musicales qui sont à leur disposition, Aphex Twin nous offre Cheetah, 33min, crée au moyen de l’un des pires synthés jamais inventés, un truc que plus personne n’utilise, si tant est qu’on l’ait utilisé. J’aime bien ce genre de défi/tentative et puis l’album est franchement super bien fichu, aussi sage que Syro mais plus condensé donc regroupant cinq morceaux (les deux autres sont de minuscules interludes, permettant de briser le doux rythme de la première partie et accélérer le tout sur les trois pistes de fin) aux rondeurs mélodiques délicieuses, aussi limpide que complexe dans la variation de ses expérimentations d’un morceau à l’autre. Quant à CIRKLON3 : Morceau de l’année !
Eric Holm – Barotrauma
Plus franc dans ses textures et enchaînements que le Dark matter de Lustmord, plus condensé aussi, le nouvel album d’Éric Holm (Après le sublime Andøya, qui était traversé par des beats ahurissants en plus de son ancrage dark ambient) séduit par cet alliage déconcertant entre excursions des fonds marins et ambiance mécanique qui se répète en écho dans cette immensité underground qui parfois, au détour d’étranges bourdonnements et sifflements, ou via une modification de strate, semble nous convier dans le vide spatial. Il y a des relents de Chris Watson là-dedans ! Cette impression de voyage dans le réel (quasi que du field recording) sans cesse combiné avec le plus pur élan imaginaire, cette sensation d’arpenter un trou de verre entre propulsion spatiale et plongée sous-marine crée un vertige permanent, enveloppé dans six morceaux à appréhender dans leur continuité tant ils se complètent les uns les autres. Plus mainstream que le Lustmord dans le même genre, mais tout aussi passionnant.
Moderat – III
Je n’avais pas retrouvé un tel équilibre chez Moderat/Modeselektor/Apparat depuis l’album sorti en 2009, que j’aime en fait énormément et de plus en plus avec le temps. Il y a quelque chose de volontiers dépressif dans leur musique – malgré son côté raves berlinois assumé – qui les propulse dans une douce musique de nuit, mélancolique et/ou endeuillée. J’aime ce paradoxe chez eux, ce qui fait que d’une écoute à l’autre et suivant l’humeur on peut trouver ça relativement anecdotique ou archi torturé. J’ai d’abord fait la gueule, durant la première écoute, quand on sent l’influence Thom Yorke, qu’on retrouve très clairement dans le début de Reminder ou celle de Fever Ray (The Fool) voire celle de The Field qui s’immisce dans le planant Running, qui semble en effet être conçu pour courir . Non pas que je n’aime pas ces artistes, au contraire, mais les influences semblaient trop prononcées. Ajoutez à cela la voix très présente de Sascha Ring (Apparat) conférant souvent un esprit pop extirpant (trop) l’album des méandres du chaos, pourtant c’est dans cette alchimie que III prend toute son ambivalence et trouve ses meilleures inspirations. J’y reviens souvent. En fin de soirée, généralement. Après Ok, ça reste de la hype assez facile dans sa conception, mais quand je compare ça aux derniers horribles albums de Justice et M83, bon, y a pas photo quoi.
Plaid – The Digging Remedy
Moins fort que le précédent, Reachy prints, qui aurait d’ailleurs largement mérité d’être dans mes indispensables 2014 si je ne l’avais découvert après la tombée des tops, le nouvel opus du groupe londonien est tout aussi addictif, arpente des contrées assez balisées (qu’on a pu entendre grosso modo chez Aphex Twin, Boards of Canada, Autechre ou Squarepusher) qu’il s’approprie pour trouver leur propre équilibre, de subtiles mélodies, autant via des bases électro torturées et crescendo (Do matter, ouverture magnifique ; CLOCK, absolument parfait) que dans de savantes plongées acid-house. Il suffit parfois d’un rien : un beat chelou, une flûte, une spirale épileptique. Gros fan de Saladore, à titre personnel. Bref, on est en terrain connu, pourtant le disque est sans cesse surprenant.
Sébastien Tellier – Marie et les naufragés
Pourquoi ce Tellier plutôt qu’un autre ? Bonne question. Confection ou My god is blue sont des albums que j’apprécie parce que j’adore Tellier mais très objectivement ils me paraissent bordéliques et lassants. S’il est en mode mineur comparé au sublime L’aventura, Marie et les naufragés (OST du film éponyme d’un autre Sébastien, Betbéder) délivre une partition à la fois hyper légère autant qu’elle emprunte à mesure et au fil des écoutes, de fins chemins mélancoliques. C’est simple en fait : Cet album, plus je l’écoute plus il me parait fort. Discret mais fort. Quand les autres étaient plus immédiats et finissaient par se désagréger. Et puis bon, une entrée en matière comme Don II, la merveille Deux en un (Qui rivalise avec ses deux plus belles ballades que sont La ritournelle et Aller vers le soleil), l’euphorisant Fighting the darkness et Triste soirée III en guise de fin, moi, perso, je fonds. Bref, c’est inégal mais ça bascule très nettement du bon côté pour moi.
Oren Ambarchi – Hubris
Oren Ambarchi et moi c’est souvent quitte ou double. Et cette année aussi. Sa collaboration avec Massimo Pupillo & Stefano Pilia sur Aithein m’en touche une sans faire bouger l’autre, celle avec Keiji Haino & Jim O’Rourke sur un album au titre à rallonge me procure un ennui poli. Sauf qu’Hubris renoue avec le Krautrock de Saggitarian domain, son chef d’œuvre, à mes yeux. Et de façon archi soft. Hubris 1 pourrait en fait être le parfait morceau test pour un néophyte du genre. Pour du Ambarchi c’est de l’easy listening, franchement. Hubris 3 est plus torturé, en revanche, mais tout aussi sublime. Et le doux et bref entracte guitare qui les sépare, intitulée sobrement Hubris 2, ne fait que confirmer l’élégance de l’australien, point.
David Bowie – Blackstar
En guise d’adieu, Bowie nous aura offert un dernier cadeau : Une magnifique étoile noire. Qui s’ouvre sur un morceau fulgurant, qui à lui seul mérite l’écoute de cet album – qui est tout sauf un disque de plus – soit un curieux mélange du Bowie d’avant qui voudrait aussi évoluer dans son temps. Et tout l’album semble construit sur ce paradoxe : à la fois vieux et moderne, confortable et aventureux, new et cold wave, pop et saxo, débraillé et distingué. Jusque dans son timbre vocal, qui peut ici autant rappeler Low ou Outside et là faire écho à du Scott Walker. Un bien bel adieu. D’autant plus que Blackstar est sorti le 8 janvier. Deux jours plus tard, Bowie s’en allait.