Portrait d’un garçon de Miami.
6.0 Ou la palme du film au démarrage insupportable et au final bouleversant. Il y a trois parties, trois époques de la vie de Chiron, afro-américain introverti installé à Miami. Le début fait peur avec cette caméra qui tournoie gratuitement autour de Juan qui sera une figure importante dans l’évolution du garçon. Puis l’objectif bouge dans tous les sens quand des gosses le poursuivent avant qu’il ne se réfugie dans un immeuble désaffecté où il rencontrera le dealer, qui deviendra une sorte d’ange gardien. La deuxième partie est plus posée mais il faut passer outre des systématismes vraiment lourds, par exemple, juste après la scène pivot entre Chiron et Kevin sur la plage, le premier va se faire tabasser par le second sous les ordres d’un chef de bande malveillant. Il y a déjà de belles idées mais le film est trop empesé, à l’image de la mère, défoncée au crack qui utilise son fils pour se procurer sa dose – Et l’actrice en fait des tonnes. Il y a aussi la disparition de Juan qui permet au film de changer d’angle, de montrer Chiron seul contre tous et les prémisses de son émancipation sexuelles et violentes.
Constitué de trois parties, Moonlight est donc habité de deux énormes ellipses (De presque dix ans chacune) et au sein de chaque partie, les deux personnages centraux sont joués par trois acteurs différents. Parti pris casse-gueule qui se révèle idéal dans la mesure où l’on a bien l’impression d’avoir affaire aux mêmes personnages, à Chiron comme à Kevin – Même si ce dernier est quand même assez peu creusé quand on y réfléchit. Et toute la dernière partie du film, la partie adulte donc, va faire pencher le film du bon côté. D’une part en limitant les espaces traversés : Principalement un restaurant, une voiture, une maison – On ne voit toujours pas grand-chose de Miami mais il y a un vrai sens à cela enfin, le cadre resserrant sur les corps, ce qui se trame dans ce qui est tu – Parfaitement mis en chantier lors de la très belle scène sur la plage, dans le deuxième chapitre. D’autre part en jouant minutieusement sur ce qui lui faisait un peu défaut jusqu’ici : La construction d’un dialogue, la gestion des silences, l’environnement musical, les petites choses qui construisent la situation, le plan. La plus belle séquence est évidemment celle du lieu de retrouvaille entre Chiron & Kevin, ce restaurant (Tenu par le second, ravi de retrouver André Holland, qui jouait dans The Knick), tant Barry Jenkins construit sur la durée et rend palpable l’excitation et la gêne mutuelles qui accompagnent cette retrouvaille. J’aime à penser que Jenkins a voulu faire son film en partant de cette séquence : La discussion adulte entre deux anciens amants du ghetto, alors qu’ils sont devenu cuistot et gangster. C’est sûr on ne voit pas ça souvent. Alors certes on l’a déjà traité au cinéma, suffit de repenser au très beau film d’Ang Lee : Brockeback Mountain. Mais rarement on avait touché à ce point (le temps d’une scène, incroyablement étirée) au désir plus fort que tout le reste.
Bref, ça partait mal, mais j’ai aimé, en définitive. La fin est vraiment puissante – Malgré le dernier plan Sundance style. Problème est que le film ne vieillit pas super bien dans mon esprit. Disons qu’entre le moment où j’ai vu le film (positif puisque ému par la troisième partie), celui où j’ai écrit ces lignes et maintenant, le film s’est un peu effondré. En fait je trouve que ça ne dit pas grand-chose sur ce que c’est d’être afro-américain aux USA aujourd’hui, contrairement par exemple à une série comme Atlanta (Sur laquelle je vais avoir d’autres réserves mais là n’est pas le sujet) ou tout simplement contrairement à ce que Brockeback Mountain racontait d’être cow-boy dans le Wyoming dans les années 60. Et puis le film est beaucoup trop prisonnier de son schéma narratif hyper fabriqué, où chaque partie doit déboucher sur une révélation importante, qui va te faire avaler les deux grosses ellipses et la Fin. Il s’agit d’abord de faire de réaliser à Chiron qu’il peut être homosexuel, via la discussion avec Juan. Il s’agit ensuite d’en faire un nouveau personnage qui va choisir de se forger une carapace (la prison) pour affronter ceux qui se moquent de son homosexualité. Avant de finir sur Chiron admettant enfin qu’il est amoureux de son ami d’enfance. Ça fait un peu trop dissertation en trois parties cette affaire. C’est très scolaire en fait. Mais c’est pas mal.