Quelques heures avant de rejoindre les livres d’Histoire.
7.5 Deux films du réalisateur chilien Pablo Larrain qui sortent coup sur coup : Un curieux biopic sur Pablo Neruda et un autre, plus magnétique sur Mme Kennedy. Pourquoi pas après tout ? Le premier, intéressant par bien des aspects, laissait un goût amer en bouche, hermétique dans son montage, un peu balourd dans ses intentions. Avec Jackie, Larrain surprend encore et trouve probablement ses plus belles inspirations.
Comment procéder au contre champ du chef d’œuvre d’Oliver Stone ? Et comment replonger dans cette affaire sous un angle plus intimiste, celui du deuil et de la tourmente du vide laissée par la disparition d’un mari, d’un père plus que celle d’un président ? C’est tout l’enjeu de ce film fort, pas évident à appréhender à première vue puisqu’il s’agit de raconter les trois jours de vertige que la jeune femme a traversés entre l’attentat de Dallas et les funérailles.
On le savait déjà, la linéarité pure n’est pas ce qui passionne Pablo Larrain, ainsi va-t-il créer ce kaléidoscope hypnotique débarrassé de toute temporalité comme si ces trois jours formaient le récit d’une vie, agrémenté d’images d’archives disséminées, de reconstitution de Jackie faisant la visite de la White House au public dans un documentaire autrefois réalisé par Franklin J. Schaffner. Cela rajoute de la proximité avec celle qui nomme en permanence son défunt mari Jack et non John Fidgerald.
Le film se permet de fusionner la mort du père avec celles des deux enfants, décédés quelques années plus tôt, pendant le travail pour l’un et quelques heures après la naissance pour l’autre. Tragédies qui se croisent et achèvent de faire de ce portrait d’une première dame qui ne sera bientôt plus première dame, un combat avec et contre la mort, puisqu’il s’agit aussi de se reconstruire, d’utiliser l’événement pour créer l’Histoire, de tourner une page qu’on force au préalable à tourner en remplaçant au plus vite (Dans le voyage d’avion du retour) un président par un autre, Kennedy par Johnson.
Les interactions entre Jackie et Bobby Kennedy, Jackie et un prêtre (Campé par le regretté John Hurt, dont c’est l’ultime rôle) ou Jackie et un journaliste créent ce supplément de vertige qui empêche systématiquement au film de sombrer dans une enfilade de pathos au parfum funeste un peu forcé. Larrain s’intéresse à Jackie et la filme dans son quotidien, ses moindres gestes, ses silences, ses larmes.
Natalie Portman est immense – L’un de ses plus beaux rôles si ce n’est le plus beau. Tout se joue sur son visage, dans les fines variations de ses traits, son regard, le vide angoissant qui l’habite – Et qui peut s’ouvrir comme de façon prémonitoire à sa descente de l’avion à Dallas, au milieu de la foule tandis que son mari (toujours plus ou moins hors champ) l’accompagne encore.
Un détachement insolite émane de sa présence évanouie que vient renforcer et de façon quasi permanente le score fabuleux de Mica Levi – J’ai tout de suite reconnu la patte de la compositrice, l’impression de retrouver une partition qui faisait l’ambiance de Under the skin, dans une version certes nettement plus endeuillée, moins nocturne aussi (Incroyable de voir que le film de Larrain n’utilise jamais la nuit pour rajouter un quelconque poids).
Ça prend donc un certain temps avant de l’accepter mais sitôt qu’on comprend les codes que le film se crée l’expérience est assez magistrale.