Publié 21 mars 2017
dans Jeff Nichols
L’amour et le monde.
6.5 Avec un an de recul je me rends compte qu’il ne me reste absolument plus rien de Midnight special, qui m’apparaît aussi vide qu’antipathique. Sur le papier, Loving faisait peur. La ségrégation vue sous l’angle d’un couple mixte dans le Virginie des années 50 pouvait donner quelque chose de très scolaire et lacrymal. Mais Nichols, dont je retrouve partiellement ce qui m’avait tant séduit dans Take Shelter (Il s’agit ici moins de se créer un abri que de bâtir une maison de famille) trouve la bonne distance (Une retenue telle qu’elle peut aussi déstabiliser d’ailleurs) pour traiter cette histoire d’amour autant que cette page de l’Histoire de l’Amérique, puisqu’il s’agit aussi d’en venir à cette jurisprudence qui permit de faire accepter le mariage mixte dans un Etat puis dans un autre.
C’est aussi dans son approche topographique que le film me plait : à la fois très statique, ancré dans une campagne isolée dans laquelle on essaie de se construire des murs mais aussi très mobile, notamment via ces nombreux voyages en voiture (Les plus belles séquences de Midnight special se déroulaient déjà sur la route) que Mildred et Richard Loving font pour quitter un Etat, s’installer dans un autre, revenir, repartir, faire un échange nocturne. Le film aurait pu être hyper pompier dans sa manière de tisser les rebondissements, traiter les naissances des enfants, par exemple, mais il manie cela avec une pudeur irréprochable et ce sont d’ailleurs ces enfants qui donnent les clés temporelles au film et permettent aux ellipses d’être judicieusement placées, dosées.
Au-delà de son histoire d’amour, jouée par deux acteurs parfaits, ce sont les rôles secondaires qui interpellent tant Nichols n’en fait pas de bêtes stéréotypes : L’avocat par exemple, semble un peu ridicule dans son obsession (un brin mégalo ?) à croire en la réussite procédurière, mais c’est justement sa croyance qui permet à Mildred de croire et à Richard de la suivre. Disons que ça aurait pu être quelque chose de très sombre, très âpre (Loving n’est pourtant pas exempt d’une tension latente, de violences en sourdine), malgré la fin positive, mais Nichols en tire quelque chose de très doux, bienveillant à la mise en scène sobre sans être générique. Il y avait tout pour faire un truc académique, mais en choisissant de mettre uniquement à profit son couple, qui, plus amoureux que militant, souhaite vivre sa vie sur ses terres en famille, le film devient simple, humain et émouvant.
Publié 21 mars 2017
dans Martin Scorsese
Mercy mais non merci.
4.0 Bien que peu familier de cette partie de la filmographie de Scorsese (Je n’ai jamais vu ni Kundun ni La dernière tentation du christ) j’étais assez curieux de voir Silence, pour son titre anti-Scorsesien déjà, pour son étonnant casting Garfield/Driver/Neeson ensuite et surtout aussi pour le voir interroger la foi autrement que par le prisme de la folie : mégalomanie, parano, aliénation. En fait c’est surtout son côté Apocalypse Now qui me séduisait : Deux prêtres à la recherche de leur maître, égaré dans son voyage d’évangélisation en terres japonaises et accusé d’apostasie. Et bien sûr aussi parce que c’est un projet que Scorsese envisage depuis belle lurette.
Sans grande surprise mon intérêt s’est vite étiolé, comme ça pouvait déjà être le cas devant ces fresques lourdingues façon Le dernier empereur, de Bertolucci ou les Ran, Kagemusha de Kurosawa auxquels j’ai beaucoup pensé. Le film est mal branlé, pas toujours très inspiré plastiquement et tellement répétitif dans ses mécanismes, ce même si ça fait un bien fou de voir un film de cette ampleur dépourvu de musiques épico-illustratives. On garde la voix off chère au cinéma de Scorsese, ok, mais le gros souci c’est que le film est excessivement bavard, aussi bien en in qu’en off, et généralement sans visée autre que le surlignage.
Ce qui m’amène à un autre point important : C’est douteux dans le fond, non ? Les gentils évangélistes et les méchants japonais pendant deux heures c’est dur. Mais le dernier quart du film annonce autre chose et l’idée que le fanatique est peut-être davantage celui qui vient imposer sa foi que celui qui la refuse – De ce point de vue, le film est assez passionnant d’ailleurs. Sauf que le carton final enterre complètement cette nuance. Je passe sur la dernière séquence nullissime et sur les personnages secondaires archi stéréotypés (chez les japonais donc) mais voilà c’est archi bancal cette affaire, pour rester poli.
C’est surtout que le film est particulièrement chiant, d’une part car très mal structuré, d’autre part car archi prévisible – Le retour de Driver, la réapparition de Neeson, le systématisme autour du personnage de Kichijiro. Mais beau casting de prêtres portugais (Lol) en tout cas, les trois m’ont plu. Mais il manque une vraie cohérence esthétique pour moi, car si Scorsese est vraiment parti en mission, on aurait préféré qu’il se la joue davantage Herzog que Roland Joffé. Qu’il y ait un vrai voyage, âpre et tendu (comme il sait bien le faire dans d’autres registres) et non cette somme de saynètes sans génie.