Paradoxe gémellaire.
6.5 Quand on s’est habitué au style Vernier, le début de Mercuriales est assez déstabilisant, d’une part en s’ouvrant sur une séquence traditionnelle du cinéma français social (Un garçon prend connaissance des tâches qu’il va effectuer dans son poste de gardiennage) et d’autre part car on a l’impression un peu furtive d’avoir atterri dans un Guiraudie. Deux raisons à cela : Damien Bonnard, qui jouait dans Rester vertical (mais jouait aussi déjà dans Orléans) qui incarne le formateur ; Et les sous-sols des tours, angoissants, mystérieux, assourdissants ici, silencieux plus loin, ramifications de couloirs, générateurs, tuyaux, éclairages qui peuvent largement rappeler Ce vieux rêve qui bouge. L’autre élément un peu gênant ce sont les dialogues, non qu’ils ne soient pas bons, mais ils sont là, explicatifs, un peu naturalistes aussi. Virgil Vernier ne nous avait pas habitués à cela, qui plus est après le silence qui englobe la première partie d’Orléans ou la quasi intégralité d’Andorre.
Pourtant, Mercuriales ne va cesser de glisser, comme les précédents. S’il nous a présenté et fait suivre ce jeune garçon c’était essentiellement pour que l’on apprivoise ces tours, Les Mercuriales, à Bagnolet. Car ce garçon nous ne le verrons plus, sinon plus tard, brièvement au détour de deux plans, le cadrant ici dans son quotidien de vigile de supermarché, là en soldat armé. Il a effectué son relais pour Lisa et Joane, deux filles travaillant dans les tours aussi, à la réception. Aussi brutalement que le garçon avait été gommé du récit, Les Mercuriales aussi vont disparaître, pour ne garder que cette étrange relation, qui rappelle maintes fois celle d’Orléans, évidemment. Deux jumelles qui s’effacent pour laisser la place à deux autres. Et peu à peu nous ne maitrisons plus grand-chose, le cadre s’en va choisir un autre modèle, la fille d’une amie de Joane. Puis il revient sur son duo, s’en décroche, le récupère. Il y a des errances. Il y a des discussions, à l’image de celle entre Joane et un musulman tout juste converti.
Rarement nous avions à ce point ressenti l’anarchie au cinéma, dans le récit, la structure, le jeu, l’image (Collages parfois étranges de photographies, vidéos d’archives, dessins d’enfant) ou le cadre, tout simplement, tant il se dérobe parfois sans prévenir à l’image de cette séquence de rave hypnotique avant qu’elle ne s’éteigne brutalement sans crier gare. Lisa et Joane sont comme nées des Mercuriales, puis elles les ont quitté mais semblent parfois (vouloir) y revenir. Un moment, elles partent en vacances sur les bords du Rhin où elles rencontrent un garçon timide. Joane, comme celle d’Orléans, voudrait devenir une grande danseuse. Lisa, comme Sylvia, est plus terre-à-terre et envisage de repartir en Moldavie, sa terre natale. C’est tout un parcours de rêves et d’impasses, merveilleux ici, plus ennuyeux là.
Il n’y a jamais volonté d’ancrer le film dans quelque chose de vériste qui tiendrait forcément dans un programme de portrait de banlieue. Vernier s’intéresse à des lieux et des personnages qui n’ont à priori rien de cinégénique au sens où on a l’habitude de les envisager. C’est une contemplation, parfois même une hallucination. Une nouvelle grammaire, qu’on arpente fébrilement ou paisiblement selon l’humeur. Une chouette peut entrer sournoisement dans une maison comme elle s’immisçait ailleurs en tatouage sur un bras. Bancal, le film peut l’être mais son énergie fascine. La magnifique séquence destructrice finale du bulldozer dans ce champ d’appartements en ruines au clair de lune, m’a beaucoup rappelé celle du Leviathan de Zviaguintsev. Une trouée parmi d’autres tant Mercuriales est traversé d’images fortes.
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