Archives pour mai 2017

Mommy – Xavier Dolan – 2014

14. Mommy - Xavier Dolan - 2014Born to fight.

   9.0   Les premières minutes peuvent irriter : Parole omniprésente, envolées pop chéris par Dolan (C’est White flag de Dido qui ouvre le bal), cadrages serrés, postures un peu théâtralisés, langage de charretier (forte utilisation du joual, argot québécois), le tout enveloppé dans un format 1:1, plus étouffant tu meurs. De quoi se préparer à endurer un calvaire. Ou l’accepter et se laisser gagner par son énergie, celle qui d’abord nous agresse par ce jeu de massacre mère/fils puis celle qui fascine, soudainement, quand Kyla, la voisine fait irruption dans le cadre, brise le duo mal agencé et l’équilibre miraculeusement. Ses bégaiements apportent un doux contrepoint à la volubilité qui régissait jusqu’alors, le mystère qui accompagne un éventuel trauma et sa situation familiale compense la dureté ostensible des rapports entre Diane et Steve. Le film est devenu trio sans qu’on ne s’en aperçoive jusqu’à exploser dans l’émouvante autant que sublimissime car inattendue séquence Céline Dion. Dolan ose tout. Ça casse parfois – Son dernier film, éreintant, en était la preuve – mais quand ça prend, il emporte tout.

     Je ne pensais pas qu’une séquence comme celle durant laquelle Steve déambule sur son longboard sous Colorblind de The Counting Crows pouvait m’émouvoir autant. La suspension qu’il génère par cette image à la Van Sant menacé par le cliché du clip arty offre pourtant une respiration salvatrice. Mais cette façon qu’il a de virevolter avec son caddie sur un parking de supermarché, ces contre plongées répétées pour le voir se faire dévorer par le soleil : Tout fait frémir là-dedans. Tout fait frémir quand on l’évoque mais tout devient génial quand on le voit. C’est peut-être cela la magie Dolan ? Sans doute parce qu’il y a un étrange décalage dans cette scène puisque Steve n’écoute pas le morceau que Dolan nous offre, ce qui accentue l’étrange arythmie du film. Et sans doute aussi car on a besoin de cette petite parenthèse naïve pour encaisser ce qu’on vient de voir et accepter de replonger dans la suite. Pour que le tourbillon prenne des allures de fresque alors qu’il a pourtant tout du film intimiste, il faut ces envolées-là, cette croyance que chaque scène, aussi excessive soit-elle, tire le film vers des cimes bouleversantes dans ses pics autant que dans ses creux.

     Vers la moitié du film, le format carré que Dolan s’est imposé se transforme gracieusement. C’est Steve lui-même, le personnage, cet adolescent impossible, qui de ses mains semble agrandir le cadre. Idée de génie qu’on avait vanté partout depuis son passage cannois, gimmick que je redoutais à l’époque mais que j’avais oublié aujourd’hui. Et tant mieux, ça a fait son effet. Si en soi l’idée est jolie (L’avenir s’ouvre avec l’éventualité d’un équilibre parfait et une harmonie personnages/décor, aussi publicitaire que soit ce clip charmant accompagné par Oasis) c’est son utilisation qu’on retiendra : C’est une parenthèse enchantée. Et Dolan va s’en servir à deux reprises, de façon radicalement différente. D’abord en tant qu’évasion réelle (C’est le passage de l’huissier et sa lettre de mise en demeure qui viendra refermer les volets noirs du cadre, réactiver l’enchaînement mélodramatique et rejouer l’épuisante routine) puis en tant qu’échappée onirique dans laquelle Diane imagine l’avenir radieux de son fils (Accompagné musicalement par le piano et les violons d’Expérience de Ludovico Einaudi) avant de condamner leurs rapports en l’abandonnant aux mains de médecins psychiatriques.

     Mais Dolan ne s’en sert pourtant pas comme d’un twist de la mort, il nous avait prévenu, dès le début de son film au moyen d’un étrange carton racontant une réalité légèrement futuriste (Le film sort en 2014, l’action se déroule en 2015) et dystopique (La mise en place de la loi S14 permettant aux parents d’enfants turbulents de les placer en maison psychiatrico-carcérales) nous conviant un moment donné forcément à ce cas de figure. Mais il est tellement fort qu’on parvient à l’oublier, ce prologue un peu lourdingue (Le carton autant que la mise en place, notamment le rendez-vous entre Diane et la directrice du centre spécialisé de Steve) et à croire en sa vitalité utopique. L’interprétation y est pour beaucoup : Si le jeune Antoine Olivier-Pilon est une force brute tout en dissonance, c’est ce double portrait de femmes qui impressionne. Comment Dolan, alors âgé de 25 ans, peut-il créer des personnages féminins pareils, aussi riches, aussi beaux ? Anne Dorval et Suzanne Clément sont toutes deux étincelantes, traduisant par leur langage opposé et leurs silences mystérieux une puissance de jeu foudroyante, qu’on n’a peu vu au cinéma sinon chez Cassavetes.

     Loin de l’hystérie factice qu’on pouvait redouter de la part du jeune auteur de J’ai tué ma mère, Mommy se déroule sur un rythme fort en jouant sur une harmonie entre ses joutes éreintantes et ses moments silencieux, ses frénésies et ses accalmies – A l’image du Vivo per lei entonné par Steve, qui face aux moqueries du bar, abandonne la douceur candide qui l’anime par des points serrés et un accès de rage foudroyants. J’ai retrouvé ce qui m’avait séduit dans Les amours imaginaires. Certes, les deux films n’ont à priori pas grand-chose en commun, mais j’aime la foi qui les anime. Une foi que l’on retrouve aussi beaucoup dans le choix du format qui accentue le portrait. Rien ne vit dans le cadre hormis un corps, un visage. Le film s’envole dès qu’il cadre le trio, ici dans la séquence On ne change pas, là dans le selfie, qui semble s’offrir de dos avant qu’ils ne se retournent vers nous, au ralenti, pour qu’on en profite le plus longtemps possible. Le film se fermera d’ailleurs sur l’une de ces envolées dont Dolan a le secret : Purement mélodramatique (Steve semble s’envoler vers une porte vitrée) mais dans une sensation de flottement bouleversant, que le terrassant tube de Lana del Rey viendra accompagner en beauté.

     Si Mommy conte l’histoire d’une impasse, celle d’un lien mère/fils aussi fragile que leurs témoins d’affection sont légion, celle d’amitiés éphémère malgré leur renaissance commune, Xavier Dolan en fait une impasse merveilleuse, à briser le réel en continu tout en y étant complètement dedans, à magnifier ses personnages malgré leur antipathie de façade, à tenter des choses, briser le rythme en permanence. Comment peut-on à ce point croire que le morceau ultra-populaire d’une banale playlist familiale (C’est la bonne idée de l’utilisation de ces morceaux, l’impression qu’elles sont piochés dans l’histoire de Steve, avec son père, sa mère, avant qu’elles ne soient de simples chansons de chevet de Dolan lui-même) va élever une séquence, qu’un changement de format va tout redéfinir à nous en faire tomber les bras, qu’un rire étouffé ou des sanglots retenus (Je me répète mais bon sang : Dorval et Clément illuminent tout le film) vont tout raconter, qu’un ralenti en apparence passe-partout va émerveiller, qu’un léger décrochage va tout relancer ? Mommy est un film infiniment précieux pour ce qu’il témoigne d’une foi hors norme dans le cinéma, son pouvoir d’évocation, son émotion brute. C’est une déflagration. Je ne m’attendais pas à ça. Je veux déjà le revoir.

The grandmaster (Yat doi jung si) – Wong Kar-wai – 2013

12. The grandmaster - Yat doi jung si - Wong Kar-wai - 2013La danse de la mélancolie.

   4.5   Wong Kar-Waï qu’on n’avait pas vu dans cet exercice depuis Les cendres du temps (1994) rend hommage aux films de kung-fu et tout particulièrement à IpMan , grand maître de wing chun, en retraçant son histoire et l’Histoire de la Chine des années 30/50 alors en pleine occupation japonaise.

     Comme d’habitude chez WKW mais plus encore ici, le film est très stylisé, aussi bien dans la complexe beauté de ses combats que dans sa multitude de décors et postures aussi magistrales qu’improbables. On va juste dire que c’est n’est pas mon truc. Que ça me séduit un temps, puis que je m’y ennuie très vite.

     D’autant que portrait oblige, The grandmaster est un film beaucoup trop bavard et la sensation vaporeuse qui irrigue les premières séquences et présage d’une belle capacité d’hypnose, laisse vite place à une lourde épopée qui perd sa fluidité pour ne garder qu’un spectacle à la démesure beaucoup trop chichiteuse dans ses ralentis à n’en plus finir et son agaçante sacralisation de chaque costume ou décor.

     Je préfère le film quand il s’attache aux gestes (Quand il danse, en fait) plutôt qu’à cette orgie éreintante. Surtout, The grandmaster paye sans doute l’éternité de sa fabrication (Une dizaine d’années dit-on) en se déployant dans un kaléidoscope fait d’ellipses vraiment ingrates. Reste que son côté elliptique le rend parfois surprenant. Et les chorégraphies des combats en imposent.

     On pioche alors ce qu’on trouve, dans les corps à corps notamment, dont on retiendra celui entre Ip et Gong Er, la fille du vieux grand maître, véritable combat de séduction à l’ambiance infiniment érotique accentué par le décor vertical de la maison close dans lequel ils semblent défier la gravité. Mais aussi un bel affrontement sur un quai de gare enneigé ou une simple discussion (Quand le film se pose enfin, tardivement) entre deux amoureux qui s’ignoraient, qui fait renouer brièvement l’auteur avec la mélancolie de son In the mood for love.

Haewon et les hommes (Nugu-ui ttal-do anin Haewon) – Hong Sangsoo – 2013

498158.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxxFragile symphonie.

   6.5   Si les parties sont à priori moins distinctes que dans certains films chapitrés d’Hong Sangsoo, Haewon et les hommes ne déroge pas aux règles imposées par son cinéma : Une discussion ou une errance mènent systématiquement vers une autre discussion ou une autre errance. La voix off est celle de l’héroïne qui nous confie quelques pages de son journal intime. C’est quasi exclusivement une affaire de duos : Haewon et sa maman, d’abord – voire même une introduction Haewon et une célébrité (Jane Birkin) qui semble faire un peu trop écho à In another country, avec Isabelle Huppert – puis Haewon et son ancien amant (que l’on retrouvera plus tard) ou Haewon et un professeur rencontré par hasard.

     Très peu de lieux une fois encore, le style HSS est de plus en plus minimaliste, très doux autant qu’il laisse une sensation de tristesse infinie, dans ce parcours chaotique semé d’incertitude. On s’y promène beaucoup (Lors de très jolies scènes au fort de Namhan, notamment), on y boit allègrement, on y dort aussi – Haewon a cette manie de s’endormir un peu partout, au café, à la bibliothèque, renforçant ce climat de rêve cher au cinéma du sud-coréen et l’incertitude quant à savoir si certaines situations sont rêvées ou vécues.

     Dans sa démarche, son rire, son regard, sa nonchalance, sa force, son imprévisibilité, Jeong Eun‑Chae est une jeune actrice magnifique (Et c’est vrai qu’elle ressemble à Charlotte Gainsbourg) s’accaparant tout le film au point d’en dévorer les personnages secondaires qui apparaissent puis disparaissent du cadre autant que de notre mémoire, s’acclimatant idéalement à l’état d’esprit de la jeune femme, volatile, impulsif. Elle qui se laisse guider par ses échecs pour capter sa mélancolie et retrouver de son innocence.

     Si j’ai un reproche à faire au film, c’est cette crainte, qu’avec le temps, je le confonde avec d’autres HSS, tant il se différencie peu de sa petite musique désormais traditionnelle, à contrario des deux derniers HSS en date. Car il y a sensiblement les mêmes situations d’un film à l’autre, depuis quelques années, les petites répétitions au sein du récit se multiplient (lieu, discussion, objet, plan) et les variations sont de plus en plus infimes, invisibles, tout en continuant d’exister afin de tirer chaque film vers davantage de tendresse, d’onirisme, ou de tristesse. Haewon et les hommes est probablement plus doux-amer que les autres.

Rock the Casbah – Laïla Marrakchi – 2013

05. Rock the Casbah - Laïla Marrakchi - 2013Secret, deuil et retrouvailles.

   4.0   Ravi de retrouver Morjana Alaoui qui illuminait Marock, le premier chouette film de Laila Marrakchi (Qu’il faudrait que je revoie, tout de même, mais j’aimais son énergie féminine, sa totale légèreté brisée par l’irruption soudaine du mélo) avant d’être au coeur du tord boyaux Martyrs. Bon, Rock the casbah a très peu à voir avec Marock, on est plus dans un carrefour entre du Danièle Thompson et de la telenovela : C’est pas très bien joué, les dialogues sont mal écrit et il y a zéro idée de mise en scène. Il s’agit d’une histoire de retrouvaille familiale pour les funérailles du patriarche, avec tous les stéréotypes du genre : petits affrontements entre soeurs, banales discussions nostalgiques, clashs entre générations, mais les joutes verbales sont sans relief et l’atmosphère est désincarnée. En filigrane couve un lourd secret sur une quatrième soeur qui s’est suicidée il y a longtemps, mystérieusement, que le film va s’amuser a faire éclore, histoire d’apporter un peu de matière mélodramatique a un récit jusqu’ici trop binaire. La lourdeur des chapitres n’aide pas à ajouter de la subtilité. Les musiques non plus : On va jusqu’à balancer du Antony & the Johnsons lors de la mise en terre et sur des travelling larmes, bref c’est d’une grande finesse. Les quelques passages pseudo surréalistes qui émaillent ces trois jours de deuil (apparitions du défunt grand père en conteur interprété par Omar Sharif) ne sortent pas le film de sa torpeur ni de sa mièvrerie, au contraire. Sur un sujet similaire Rendez vous à Atlit était autrement plus intéressant. Mais malgré tout ça et son côté Petits Mouchoirs ça reste mignon, doux (malgré l’apparente âpreté du sujet), réconciliateur. Assez touchant, même, dans la relation entre les deux mères.

Wolf Creek – Greg McLean – 2006

02. Wolf Creek - Greg McLean - 2006Du sang dans le désert.

   6.5   Très intéressant de découvrir Wolf Creek en 2017 déjà pour constater qu’on ne fait plus ça aujourd’hui. On sort sans doute encore ce genre d’ersatz de Massacre à la tronçonneuse mais plus du tout avec un vrai regard, une vraie identité comme c’est le cas ici. C’était vraiment une super période (2005/2006) pour le genre qui nous aura offert en peu de temps, deux merveilles : The descent et La colline a des yeux. Et dans une moindre mesure mais aussi de qualité : Creep, La maison de cire, Hostel ou Ils. Chacun officiant dans le survival, à sa manière. Wolf Creek n’est pas celui qui révolutionnera le genre, mais il est réussi. Déjà le film est beau. Pourtant ça tremblote beaucoup mais tout le côté road movie de la 1ere partie joue admirablement de l’espace, du désert australien, ses routes et ses cratères de météorites – On est assez proche du désert américain d’Alexandre Aja d’ailleurs. Le film prend son temps pour poser son voyage et faire exister ses personnages. Sans jamais – autre bonne idée – choisir de contre champ. On ne sait donc pas, une heure durant, où le danger va venir mais on sait qu’il va venir, on le sent, ça devient très angoissant sans pour autant abuser des standards style jump scare et musiques illustratives. Et puis le film se brise. Brutalement. De façon surprenante puisque le basculement est hors champ, on nous enlève la traditionnelle séquence pivot trash. D’une scène de feu de camp aussi cool que bizarrement tendue on passe à une scène de séquestration. Le film ne réussit pas tout ensuite, notamment son final mais il a deux bonnes idées éminemment hitchcockienne : un méchant charismatique et un triple basculement de points de vue. Super film ! 

La danza de la realidad – Alejandro Jodorowsky – 2013

01. La danza de la realidad - Alejandro Jodorowsky - 2013Irreality.

   3.0   Il aura fallu attendre ma neuvième escale pour faire un rejet en bloc, esthétique, mise en scénique, sur l’un des films de ma liste. C’est tombé sur ma première rencontre avec le cinéma de Jodorowky. Pas certain que La danza de la realidad soit un dépucelage idéal, j’en conviens. Le chilien n’avait alors pas fait de film depuis plus de vingt ans et pond cette œuvre somme, autobiographique, fantasmagorique pleine d’enchevêtrement de souvenirs déformés dans un tourbillon abscons. Il y a dans cette mixture indigeste, ce ballet de grimaces ahuries, cette narration hyper-opératique, ces jeux théâtraux, ces surgissements de freaks en tout genre, ces lourds symboles et grotesques métaphores, ce collage de saynètes choc, ces couleurs flashy, cette hystérie collective, ces acmés musicales pompières, tout ce qui, au cinéma, me file des boutons. Cette démesure trop revendiquée, programmée, masturbatoire et in fine plus décorative que vertigineuse, que je peux trouver et rejeter chez Fellini, dans Amarcord ou Intervista, chez les Wachowski, dans Cloud Atlas, chez Alex de la Iglesia ou dans certains Kusturica. D’aucuns diront que c’est de la poésie pure, naïve, hallucinogène, moi je n’y vois qu’une évocation (la réconciliation avec l’enfance, la rédemption du père, les cauchemars intimes, la politique chilienne) grasse, surlignée au marqueur, à l’image de ces nombreuses apparitions de Jodorowsky himself accompagnant son Soi enfant en assénant ses grandes phrases moralistes. Toutefois, comme pour Reality, de Matteo Garonne – Pour rester dans mon tour du monde – il y a ce jusqu’au-boutisme remarquable qui à défaut de m’émouvoir, m’intéresse dans sa volonté de te vider, de te malaxer avant de t’écrabouiller, te donnant la sensation, au sortir de ces interminables minutes, d’avoir été ingéré puis dégueulé. Pas forcément une sensation agréable, mais ça ne laisse pas indifférent. Je vais peut-être attendre quelques années avant d’éventuellement tenter une rétrospective, hein.

Indigène d’Eurasie (Eurazijos aborigenas) – Sharunas Bartas – 2010

27. Indigène d'Eurasie - Eurazijos aborigenas - Sharunas Bartas - 2010L’argent.

   5.5   Je tiens Bartas comme l’un des cinéastes les plus originaux des années 90, durant lesquelles il aura sorti pas moins de trois merveilles, essentielles dans mon parcours cinéphilique : Few of us, Trois jours et Corridor. J’avais retrouvé brièvement Bartas devant la caméra de Carax dans Pola X, je l’avais trouvé incroyable en chef d’orchestre / gourou d’une pseudo secte de musiciens paramilitaires tout droit sorti d’un clip d’Einstürzende Neubauten. Depuis plus rien, ou presque – J’avais raté Seven Invisible men. Indigène d’Eurasie annonçait un étrange retour, d’apparence plus mainstream avec une orientation avouée pour le polar. Si au détour de quelques plans sur des lieux vides, désolés ou des visages fermés, on retrouve un peu de son style, l’ensemble du film n’a plus grand-chose à voir avec ce qui faisait le génie mystique du cinéaste lituanien, dans sa respiration, son épure sous hypnose, sa nonchalance, son mutisme. Indigène d’Eurasie est d’ailleurs beaucoup trop bavard pour du Bartas. Alors si le charme désabusé qui a fait sa marque opère encore parfois, son incursion dans le polar quasi international est un peu ratée, la faute à des va et vient Russie/Pologne/Lituanie/France (La partie parisienne est archi poussive et sans intérêt, celle sur l’île d’Yeu plus mystérieuse et représentative de son style) peu convaincants voire lourdingues et des accélérations dans son récit – étranges ellipses à la clé – chères au genre. Reste une dynamique originale pour du polar (Puisque le film fonctionne comme un anti-polar, où les creux sont plus forts que les acmés de violence) et quelques saillies fortes, dont un contrôle routier qui s’achève dans les marécages, pour nous extraire de l’ennui poli.

Une famille respectable (Yek khanévadéh-é mohtaram) – Massoud Bakhshi – 2012

25. Une famille respectable - Yek khanévadéh-é mohtaram - Massoud Bakhshi - 2012Le pays des sourds.

   4.0   La faute à une bonne CDM (non pas Coupe Du Monde, mais Crève De Merde) je peine à poursuivre mes voyages ces jours-ci. Hier, j’ai tenté une excursion iranienne, accompagné de mon pot de miel et mon paquet de mouchoirs. Raté. J’ai ronflé en cinq minutes – Les prémisses de la Macronite, sans doute. J’aurais au moins eu le temps de constater combien Kiarostami avait pu influencer tout le cinéma local : La première scène se déroule évidemment en bagnole – constante dans le cinéma iranien – et c’est filmé façon faux reportage, en vue subjective – Fausse bonne idée. Je ne suis pas sorti de la voiture, ça démarrait mal.

     J’ai persévéré le lendemain, avec plus de résultat. Cette histoire d’universitaire étranger de retour dans son pays natal pour y donner des cours, vingt ans après l’avoir quitté, occasionnant des retrouvailles familiales obscurcies par une sombre affaire financière, pouvait donner quelque chose de très torturé, dans sa quête personnelle au relents kafkaïens doublé d’un vrai portrait documenté sur l’Iran. Mais le cinéaste, dont c’est le premier film de fiction – Il vient du documentaire – ne trouve jamais le bon équilibre et se perd dans un bazar informe plombé par un goût du polar pas bien maîtrisé, un peu à l’image de sa séquence d’ouverture que j’évoquais, mal fichue dans le pseudo suspense qu’elle génère et que l’on retrouvera, de façon trop attendue, au centre du film.

     Niveau mise en scène c’est archi balisé, quant au fourmillement narratif (Le film aurait pu effleurer le vertige d’un Nocturne indien ou d’un Monsieur Klein, mais trop sage, il ne s’y aventure jamais) il est trop foutraque pour être intéressant. Reste une affaire de scénario, mais n’est pas Farhadi qui veut – Si je ne suis pas fan de son cinéma, on ne peut pas lui enlever une maîtrise scénaristique – et de cette histoire on ne retient rien, de ces personnages on ne perçoit que l’enveloppe froide. C’est pas mauvais mais c’est beaucoup trop impersonnel et anecdotique.

L’étreinte du serpent (El abrazo de la serpiente) – Ciro Guerra – 2015

24. L'étreinte du serpent - El abrazo de la serpiente - Ciro Guerra - 2015La forêt des songes.

   7.5   Je l’ai tellement rêvé ce film rêve amazonien, que je suis un peu déçu, inévitablement. Déçu de ne pas l’avoir découvert en salle, déjà, tant l’immersion procurée par ce genre de voyage somnambulique, ne peut pleinement s’apprécier que dans une salle obscure, sur un écran qui te fait otage, dans un instant où tu t’offres à lui autant qu’il s’offre à toi. Déçu aussi car derrière cette double exploration, reliée par un même lieu et un même guide/chaman, séparée par la temporalité (Quarante années), on ressort un peu gêné par tant de beauté plastique, ce soin dans chacun des mouvements de caméra, ces fulgurances d’esthète qui annihilent constamment sa portée spirituelle. Déçu qu’une si belle jungle ne se dévoile qu’au travers d’un (sublime) noir et blanc, tandis que l’affiche, elle, annonçait un film en couleurs. Déçu aussi que les mots soient si présents, si explicatifs alors que le film a tout pour nous perdre dans la contemplation, le silence et les doux bruits de la forêt. Déçu sans être déçu tant ces deux voyages se superposent à merveille, celui de l’ethnologue chevauchant celui de l’ethnobotaniste, deux allemands sur les traces du yakruna, une plante hallucinogène rare, quand la jungle a déjà été lavé de son caoutchouc par les Blancs, qui s’incarnent ici dans un vieux prêtre de mission catholique terrorisant des orphelins colombiens, là dans un messie à la tête d’une secte cannibale. Déçu sans être déçu, tant le film ne ressemble pas vraiment à l’idée qu’on se fait d’un film amazonien, quand on songe aux expérimentations herzogiennes ou au romanesque du dernier film de James Gray. C’est comme si la sensualité d’un Weerasethakul avait croisé le vertige d’une Kubrick ou d’un Aoyama Shinji – L’apparition de la couleur à la fin, sur un mode psychédélico-panthéiste rappelle autant 2001 que Eureka. Ravi surtout de voir combien le film prétend nous emmener quelque part (Sur les traces de ces deux aventuriers) avant de faire de son chaman, en pleine quête identitaire, son vrai personnage central. Beau film, donc, très beau film, même, sans que ce soit la déflagration espérée non plus.

Saudade (Saudâji) – Katsuya Tomita – 2012

23. Saudade - Saudâji - Katsuya Tomita - 2012Hybride.

   5.0   C’est un beau pot pourri, généreux, bouillonnant, pluraliste. J’aime l’ouverture sur le monde que le film génère, notamment sur le Brésil et la Thaïlande, comme si toutes les cultures pouvaient fusionner, les frontières disparaître, la vie de chantier se mêler aux scènes nocturnes, la capoeira côtoyer le hip hop, les rave techno frôler les battle de rap. Dommage que chaque incursion soit si brève, Saudade donne tellement à voir qu’il en oublie un peu le voyage, le vertige – Pas super fan du montage, au passage, mixture libre qui rappelle le Donoma, de Djinn Carrénard, autre film-monde fauché et très inégal. Et puis ça manque clairement de liant d’une scène à l’autre, d’une ossature solide pour s’y trouver une place. 2h35 sur ce tempo saccadé c’est un peu long.

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silencio


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