Archives pour juin 2017

The Leftovers – Saison 3 – HBO – 2017

26-the-leftovers_w710_h473_2xToday’s special.

   9.0   Après avoir concentré la majorité de son récit dans la petite ville de Mapleton (Saison 1) puis dans celle de Jarden devenue Miracle, terre de pèlerinages (Saison 2) The Leftovers effectue un énième virage et se délocalise en Australie. Cette série est indiscernable jusque dans ses grandes lignes.

     On se souvient aussi de cette étrange introduction, l’an passé, qui nous plongeait en pleine préhistoire. Cet ultime opus – Car oui, The Leftovers c’est fini – s’ouvre au XIXe siècle. Ce pourrait être un geste un peu lourd et gratuit mais c’est un pont, comme un autre. Et une manière de rappeler que le temps dans The Leftovers est un peu détraqué. Surprise/Etrangeté parmi d’autres tant cette saison sera coutumière du fait, ne nous dépaysant pas trop de ce qu’elle avait insufflé durant ses vingt premiers épisodes.

     Aussi bien du point de vue de sa construction que dans le mouvement de ses principaux personnages, la série continue de creuser son propre sillon. Une fois encore, c’est sur une imposante ellipse (Trois ans) que s’ouvrent les hostilités : Le monde va accueillir une nouvelle ère – On se souvient de la pesante première bougie du Sudden Departure, qui brisait le peu d’équilibre régnant sur la planète, à laquelle on avait ôté brutalement cent millions d’êtres humains – puisqu’il s’agit bientôt du septième anniversaire depuis le ravissement.

     Sept ans, ce n’est rien pour personne, forcément, mais ça l’est encore moins pris sous le joug religieux puisque sept ans c’est un peu comme les sept jours avant le déluge dans la Genèse. Matt aura une fois encore une place prépondérante au sein du récit. Beaucoup s’attendent/espèrent/redoutent l’apocalypse qui scelleraient donc les retrouvailles entre les disparus et les leftovers.

     Mais entre-temps, pendant que les guilty remnants furent pulvérisés dans une mystérieuse attaque nucléaire commanditée par l’armée, Kevin est érigé en demi-dieu. Ses allées et retours dans « l’autre monde » ont forgé sa réputation messianique : On lui a même écrit un livre évangélique en son nom – la premier épisode s’intitule d’ailleurs sobrement The book of Kevin. S’il a continué à exercer son métier de policier, certains pensent qu’il est la clé du déluge à venir, qu’il est le seul capable d’éradiquer l’apocalypse. Pouvoir qu’il ne s’attribue pas, bien au contraire : On le découvre en début de saison, en pleine thérapie masochiste, tentant quotidiennement de s’étouffer sous un sac plastique.

     Quant à Nora, le cœur de la série à n’en pas douter, c’est elle qui va ouvrir la voie / la brèche de cette ultime opus, guidée dans un premier temps par un ancien acteur, seul survivant de sa sitcom : Il lui fait part de l’existence d’une organisation secrète, détenant une machine capable de renvoyer un leftover dans le monde des 2%, afin de retrouver ses proches – On sait que Nora est un cas spécial puisque ses enfants et son mari se sont envolés sans elle ce jour-là. C’est en Australie que ça va se jouer.

     Un voyage que Nora effectuera accompagnée de Kevin, qui trouvera lui aussi sa voie, loin de ses « fidèles », d’abord en croisant Evie, censée avoir disparu dans l’attentat envers les guilty remnants, puis en suivant les traces de son père, reclus dans le bush australiens. Kevin Garvey Sr. (Campé par le devenu trop rare Scott Glenn) aura même un épisode rien qu’à lui, où il s’en va sauver le monde du jugement dernier dans une sorte de chemin de croix qui se mue en quête miraculeuse – Dans un trip formel proche des expérimentations de Nicolas Roeg pour Walkabout – au sein duquel il fera la rencontre de Grace, qui aurait perdu ses cinq enfants ce 15 d’octobre – suivant le fuseau horaire australien. Fin d’épisode bouleversant, avec ce monologue terrible qui entrera bientôt en écho avec celui de Nora, lors du series final.

     Il suffit de prendre ces deux séquences tentaculaires pour comprendre le cheminement de cette ultime saison : Si la solitude et l’injustice sont toujours présents, c’est bien la croyance qui sera au centre du récit. La croyance en une réalité, qu’elle soit issue ou non d’un mensonge. Grace était persuadé que ses enfants avaient été enlevés avec leur père. La souffrance qu’un tel bouleversement imposait s’estompait dès l’instant qu’elle imaginait sa famille dans un autre monde. La terrible vérité lui parviendra des années plus tard. C’est cette terrible vérité que Nora pourrait avoir caché à Kevin dans leur dernière entrevue. Dans cette sublime entrevue de remariage. Qu’elle lui dise ou non la vérité (A-t-elle été de l’autre côté avant d’en revenir ?) importe moins que la foi qu’on lui accorde. Kevin bien entendu mais nous aussi, spectateur, évidemment. Tout The Leftovers se résume là-dessus. Comme c’était le cas de Lost il y a presque dix ans. Faire le pari d’y croire. Si cette saison joue la question du mensonge, cet ultime épisode est un véritable acte de foi mutuel.

     Nora a-t-elle voyagé dans la capsule ou crié STOP – comme ça semble être le cas – avant que le liquide l’engloutisse ? Quid du sac plastique de Kevin : La peur le paralyse-t-il au point de le retirer avant de ne plus respirer ou ressuscite-t-il systématiquement ? Et allons plus loin dans les hypothèses : Et si Laurie aussi était immortelle ? Après tout, son bébé s’est évaporé alors qu’il se trouvait dans son corps. A-t-elle vraiment plongé pour mourir lors de ce septième anniversaire ? Toujours est-il qu’elle est vivante, vingt-cinq années plus tard, devenue la psy clandestine de Nora. Les réponses sont floues mais on peut les décoder.

     La plus belle réplique de la série c’est probablement Nora qui nous l’offre durant ce dernier épisode : « They were all smiling. They were happy. And I understood that here in this place, they were the lucky ones. In a world full of orphans, they still had each other » Extrait d’un monologue absolument déchirant. Huit minutes qui te prennent aux tripes. Sans aucune greffe d’images pour l’alourdir ou lever des ambiguïtés. Il y a Nora / Carrie Coon et Kevin / Justin Theroux. C’est tout. Une vérité qui n’est pas forcément La vérité. Et il suffit d’y croire.

     La série se permet de se diversifier sans se fourvoyer, presque sans jamais s’éparpiller. Un centric magnifique sur le père de Kevin ici, un étrange périple en montage parallèle sur un paquebot là (Peut-être le léger point faible de la saison à mes yeux) ou un nouveau voyage dans l’autre monde, et même un épisode très musical, centré sur Nora & Kevin, qui parvient à répéter Take on me ad nauseam jusqu’à en faire une chanson vertigineuse. Et puis finir ainsi, dans un élan intimiste, sans prendre le temps de « dire au revoir » aux autres personnages comme le veut la coutume dans le paysage sériel.

     Si cette saison m’a semblé moins sidérante que la précédente c’est probablement parce que la précédente était douée d’un pouvoir de sidération beaucoup trop élevé. Quand bien même, il suffit de voir The Most Powerful Man in the World soit l’épisode 7 de cette saison 3 pour le rattacher à celui de la saison 2 qui s’intitulait International Assassin, pour constater que sa puissance s’est un peu réduite, pour constater aussi qu’on ne peut pas voyager dans l’autre monde deux fois et surprendre deux fois. Peut-être que cet épisode et le précédent freinent la dynamique en ce sens qu’ils existent pour catapulter Matt puis Kevin Sr face à l’échec de leurs certitudes. Néanmoins, l’épisode est là, il fonctionne, il offre l’un des plus beaux plans de la série (Le tout dernier) et surtout, il prépare le choc tellurique qu’on va encaisser dans le suivant, dans l’épisode final.

     Alors, que reste-t-il après le visionnage de ces vingt-huit épisodes ? Beaucoup d’interrogations, c’est une évidence. Mais l’impression, surtout, d’avoir vu l’une des séries les plus importantes, intelligentes, passionnantes, déchirantes de ces dernières années. Il reste le souvenir d’éprouvants périples, de bouleversantes plongées. Et des visages. Des regards qu’on n’est pas prêt d’oublier.

Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli) – Luchino Visconti – 1961

08. Rocco et ses frères - Rocco e i suoi fratelli - Luchino Visconti - 1961Pas de miracle à Milan.

   9.0   Ce qui frappe d’emblée c’est l’étrangeté de ce portrait familial. Car il s’agit bien d’une histoire de famille, on a parfois même la sensation, au détour de quelque situation, qu’il a inventé le genre, qu’il peut aisément être le précurseur du Parrain, de Coppola, de Husbands, de Cassavetes ou de Raging Bull, de Scorsese. Que ce dernier le mentionne régulièrement comme étant l’un de ses films préférés n’a rien d’étonnant tant son cinéma, héritier du néo-réalisme autant que des expressionnistes, semble s’être fondé autour de Rocco et ses frères : L’univers de la boxe, la forte influence de la mère, les rapports délicats entre frères, les petits mensonges et les grandes trahisons, la violence, la tragédie, le lyrisme tremblant. Tout est là.

     Le titre offre déjà deux informations : Ce sera un film familial, un récit tournant autour de frangins – Un peu comme dans Les frères Karamazov, de Dostoiëvski (On pourrait même aller plus loin dans les convergences avec l’univers de l’écrivain russe) ; Mais avec une attention toute particulière sur l’un d’entre eux, puisque des cinq frères, Rocco est le seul dont le prénom apparait dans le titre – Un peu comme Hannah et ses sœurs, de Woody Allen, par exemple. Visconti va pourtant briser la prévisibilité de son titre. Rocco et ses frères sera doté de cinq chapitres, portant chaque fois le prénom d’un des frères, du plus âgé au plus jeune, enfin il me semble. Sauf que ces parties sont loin d’être de durée égale et surtout ne sont pas vraiment distinctes les unes des autres, elles ne servent qu’à aiguiller les ellipses. Hormis Vincenzo, qui ouvre clairement le récit puisque contrairement à ses frères, il est déjà installé à Milan, et Luca & Ciro qui le bouclent (dans un final bouleversant), le carton « Rocco » aurait par exemple très bien pu devenir « Simone » et vice-versa.

     Logique tant le film va lier les deux frères, par la boxe mais surtout par la passion pour une femme. Ils sont le miroir l’un de l’autre, mais n’évoluent jamais en même temps. A l’insignifiance de Rocco (Il faut un moment avant qu’il n’apparaisse dans le film comme d’un personnage dont on va se souvenir) répond d’abord la fougue de Simone, à l’honnêteté du discret les mesquins larcins du séducteur, au pardon sacrificiel s’oppose la vile jalousie, à l’élégance du garçon appelé (qui revient en homme mature de son service militaire) la médiocrité du boxeur déchu fondu dans son chagrin d’amour. Ils constituent tous deux des personnages sublimes, loosers magnifiques comme réchappés des tragédies antiques. Delon a rarement été aussi puissant, beau, magnétique. Renato Salvatori et Annie Girardot complètent à merveille ce trio funeste.

     Pessimiste, Rocco et ses frères l’est à plus d’un titre, il s’ouvre même là-dessus : Au débarquement plein d’espoir de la famille Parondi à Milan, s’oppose d’emblée une immensité cloisonnée, hostilité de la ville qui déborde lors de ce contre-champ dans le bus où l’on peut observer les visages et regards des frères liquéfiés par le spectacle qui s’offre à eux, désir d’émancipation que Visconti brise brutalement en n’offrant aucun contre-champ ; et plus tôt lorsqu’ils rejoignent l’ainé pour ses fiançailles, chez sa belle-famille qui se révèle peu accueillante. Lorsque l’auteur s’extraie du cadre familial (Sorte de chambre de bonne où tous les lits sont dans la même pièce) c’est pour capter un Milan délabré, désert ou en chantier. Le rêve milanais n’a pas éclot qu’il est déjà une chimère, pire un piège sordide qui dévore ses personnages, qui culminera dans cette insoutenable scène de viol à même la boue et cette interminable bagarre nocturne sur l’asphalte.

     C’est dans son crescendo mélodramatique que Visconti se rapproche finalement de son cinéma qui suivra. Car j’ai longtemps eu l’impression que ça n’avait pas grand-chose à voir avec les autres films que j’avais jadis vu de lui – Le guépard, Ludwig, Les damnés, comment dire, c’est un peu l’enfer à mes yeux. On est dans un prolongement du néo-réalisme (On pense assez à Vittorio De Sica) plus que dans la grande fresque cynique et baroque dont il sera bientôt coutumier. Mais il y a cette folie (ce décalage ?) romanesque en gestation. Comme si peindre un monde, une époque, une classe n’avait soudainement plus d’autre légitimité que de faire ressortir l’affrontement entre deux entités contraires. Si j’aime toutefois un peu moins le dernier segment (Car je ne crois pas que le meurtre soit indispensable pour faire éclore ce déchirement incandescent) je crois tenir ici, enfin (J’aime Mort à Venise, aussi, mais il faudrait que je le revoie) un immense Visconti. Une fresque intime somptueuse.

Incassable (Unbreakable) – M. Night Shyamalan – 2000

05. Incassable - Unbreakable - M. Night Shyamalan - 2000Héros ordinaire.

   8.5   Le quatrième film de Shyamalan s’ouvre sur une scène glaçante : Dans les bras de sa mère, un nourrisson s’époumonent ; Pleurs semble t-il ininterrompus qui obligent un médecin à intervenir. Son verdict : le bébé est fracturé de partout, il est né ainsi, il s’est brisé les os dans l’utérus de sa mère. Pour un film qui se nomme Incassable, c’est un début des plus étranges. La scène suivante, dans un train est d’un autre acabit mais tout aussi marquante : Un homme (Bruce Willis) fait la connaissance de sa voisine de siège puis elle se dérobe, craignant la drague, avant que le train ne file au crash.

     Ces deux scènes se répondent. Il s’agit chaque fois d’un long plan séquence chargé, lentement, d’engager son personnage central dans le récit. L’une accompagnée d’un étrange miroir, l’autre prise dans l’embrasure de deux sièges de train. Il y a déjà cette dualité. On introduit les personnages mais de façon quasi opposée : L’un par sa douloureuse naissance, l’autre par sa vraisemblable mort. L’un au moyen d’un vertigineux dédoublement de l’image, l’autre à travers le regard d’un enfant. Il faudrait faire un dossier complet sur la thématique de l’enfance au sein du cinéma de Shy.

     Si l’on ne sait à priori, en deux scènes seulement, ce qui peut relier ces deux intrigues et ces deux entités, il est passionnant de constater, avec le recul, combien elles racontent déjà tout le film : l’enjeu de sa construction, son rythme indolent, sa mise en scène allégorique. Ce qui est très beau dans Incassable c’est sa multiplicité. Ce n’est pas uniquement un affrontement entre le bien et le mal, un (anti)héros et un méchant complexe, c’est aussi un beau portrait père/fils et une étonnante étude conjugale. L’éventuelle lourdeur de la démonstration (de force) est systématiquement brisée par la subtilité des interactions.

     Si j’avais gardé quelques forts souvenirs du film (Que je n’avais pas revu depuis près de dix ans, à l’époque de la sortie de Phénomènes, je crois) j’avais oublié combien il prenait son temps, combien chaque plan est précis et chaque situation hypnotique. Ce qui est rare dans le genre sclérosé des films de super-héros, il faut le dire. Du coup je n’ai pas arrêté de penser à un autre film, plus récent, français, qui jouait aussi avec les codes du genre sur un registre down tempo : Vincent n’a pas d’écailles. Ils ont au moins en commun de n’adapter aucun comic book.

     Incassable est aussi un formidable récit d’apprentissage. Et quoi de plus beau que d’apprendre à connaître sa vraie nature par l’entreprise d’une Némésis théorique qui souhaite identifier sa place sur terre ? S’il existe des cas de dégénérescence osseuse comme la sienne, pourquoi n’existerait-il pas de monstre opposé ? Si le twist final est important – et permet au film de retomber magistralement sur ses pattes – il n’est aucunement le facteur qui retournera le film en son entier. Il s’éloigne en somme de ce que Shyamalan avait créé un an plus tôt avec Sixième sens, dont les qualités certaines sont différemment disséminées.

     De cet apprentissage, l’auteur embraye un processus d’identification fort. Prendre Bruce Willis c’était pourtant pas gagné, mais c’est là que le pari se révèle audacieux : Bruce Willis est David, cet homme apparemment lambda, avec son mariage qui bat de l’aile et son travail alimentaire. Sauf que sa normalité masque une personnalité refoulée : C’est un super-héros qui s’ignore. Qui aura jadis abandonné sa passion sportive (Et l’on imagine combien il pouvait y être performant) pour une autre, amoureuse. Qui comme un symbole protège les autres, au quotidien, à son infime échelle puisqu’il est stadier. Le voir à plusieurs reprises au milieu de la foule, vêtu d’un immense parka noir lui offre déjà cette dimension héroïque – Comme lorsque le héros du film de Thomas Salvador enfilait sa tenue de plongée pour traverser l’Atlantique.

     Pour apprécier le cinéma de Shyamalan, il faut avoir envie d’y croire. On peut y déceler toutes les invraisemblances du monde : Comment Elijah peut-il élaborer cette quête à l’envergure complexe, avec cet état de santé sinon défaillant, pour le moins capricieux ? Quelle est la probabilité qu’il comble sa recherche en manigançant de « si faibles » catastrophes au regard d’une si dense population ? Comment la séquence pivot, du type ordinaire se révélant héros masqué extraordinaire, peut-elle si bien se dérouler et parvenir à tout illustrer ? On peut trouver la réponse dans l’hommage au genre lui-même : la mécanique huilée, fantastique, un brin binaire et antinaturaliste des récits super-héroïques. Mais pas seulement.

     Dans l’un de ces questionnements apparaît le point émouvant du cinéma de Shyamalan : Les enfants. Ce sont les enfants qui vont extraire David de la piscine et lui permettre d’achever sa (première ?) mission justicière. Quand le lendemain, le journal évoque l’évènement et parle d’un héros inconnu, il faudra un simple échange de regard entre David et son fils pour recréer le dialogue qui leur manquait terriblement. L’enfant est seul en mesure de comprendre les miracles, le merveilleux puisqu’il croit. Lorsqu’Elijah et David s’affrontent enfin et sans véritable affrontement (C’est aussi là-dessus que le film de Shyamalan est puissant) pour lui dire comment il a su trouver sa place et celle de son contraire, il dit « Because of the kids, they called me Mr Glass ». Rien d’étonnant à ce que l’autre personnage qui pousse David à prendre conscience de ses pouvoirs soit son propre fils.

     Il faut rappeler que les plans sont généralement très longs. Je pense surtout à ces lents travellings dont on pourra observer qu’ils sont diamétralement opposées suivant les situations : Se resserrent dès l’instant qu’on se évolue en cellule familiale, comme si l’évènement (Sa survie dans la catastrophe ferroviaire puis son acceptation de soi) permettait à David de retrouver une laborieuse mais progressive alchimie avec sa femme et son fils ; S’ouvrent carrément quand il est accompagné d’Elijah comme si petit à petit, il devait l’affronter et se détacher de son samaritanisme de façade.

     Dans leurs compositions Shyamalan opte pour des plans d’une plasticité qui reprend le schéma des comic book, au moyen notamment de fortes apparitions de couleurs, mais ils ne fonctionnent jamais dans l’agression, ils sont au contraire minutieusement disséminés. Plus évident encore lorsqu’Elijah tombe dans les marches qui mènent aux souterrains du métro : Si ses os se brisent inéluctablement, c’est sa canne en verre – qu’il lâche – que l’on va voir s’éclater en mille morceaux. Même chose pour le souvenir de David, quand Shy nous offre le sauvetage après l’accident de voiture : A peine le voit-on instinctivement froisser la tôle de ses mains. C’est à la fois terrible – ça peut même te coller quelques frissons – et complètement anti-spectaculaire. Donc à contre-courant, encore aujourd’hui –davantage aujourd’hui, oserais-je dire – plus de quinze ans après sa sortie.

Piège de cristal (Die hard) – John McTiernan – 1988

06. Piège de cristal - Die hard - John McTiernan - 1988« Une mouche dans le lait, mon cher Hans, un petit rouage qui grippe, un emmerdeur »

   8.5   En le revoyant l’an passé (Ou y a deux ans je ne sais plus) j’avais été un chouïa déçu, pas sur que j’en avais causé à qui que ce soit d’ailleurs tellement j’étais déçu d’avoir été déçu. Je devais être mal luné, c’est pas possible, car j’ai retrouvé ça génial cette fois. Peut-être même plus génial encore que dans mes souvenirs.

     A l’instar du troisième volet, l’alchimie du duo est magnifique. Et c’est d’autant plus original ici que McClane & Powell ne se voient jamais : Un buddy-movie comme on en avait encore jamais fait. Il faut souligner aussi la richesse de chacun des personnages secondaires. Et le charisme de chacun des méchants – Hans Gruber en tête, forcément, inoubliable regretté Alan Rickman.

     Et McTiernan à la réalisation s’occupe de parfaire le subtil équilibre avec la puissance de sa mise en scène. Chaque recoin de la Tour est passé au peigne fin. Rappelons que c’est un volet nocturne et vertical quand le troisième sera quasi entièrement diurne et horizontal. Quand on a dans un film d’action un vrai metteur en scène aux manettes, ça se ressent.

     Le temps n’altère aucunement la réussite de cette merveille de film d’action, qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’en lasser, apprécier encore et toujours son génie rythmique (construit sur des sommets bourrins et de sublimes accalmies, une violence tranchante et des pics d’humour parfaits), la beauté de ses plans, de sa construction, de ses montages parallèles (Qui sont systématiquement dosés à la perfection) et la gouaille inévitable de John McClane.

     Aussi, je pense que c’est l’une des plus belles VF que je connaisse. C’est peut-être ça la cause de ma déception, j’avais dû essayer de le voir en VO. Il faut dire que j’ai grandi avec. Moins avec celui-ci qu’avec Une journée en enfer, mais quand même. Dans le genre, Die Hard, premier du nom, reste inégalé.

La 317e section – Pierre Schoendoerffer – 1965

08. La 317e section - Pierre Schoendoerffer - 1965Le temps de mourir.

   8.5   Ma première rencontre avec le cinéma de Schoendoerffer père. Je n’en attendais rien et c’est une merveille. L’intégralité du film se déroule sur quelques jours de Mai, en 1954, dans la jungle du Nord-Laos au sein d’une section franco-laotienne menacée par les troupes Viêt-Minh, peu avant la chute de Diên Biên Phu. Il s’agit donc moins d’un combat que d’un repli, les soldats sont perdus, usés, chaque jour nombreux d’entre eux agonisent, et l’objectif (rejoindre une colonne de renfort, qui entend-on à la radio qui crachote les informations, aurait été prise par l’ennemi) est aussi flou que l’ennemi qu’ils fuient, dont on ne verra jamais le visage. Débarrassé d’attributs romanesques, le film capte à merveille les gestes, l’action, cet état d’épuisement, la répétition des sentiers escarpés, les embuscades, les corps dans la boue, l’attente aussi. Le noir et blanc signé Raoul Coutard est sublime. Bruno Cremer incarne un adjudant téméraire, baroudeur volubile et expérimenté qui a jadis officié dans la Wehrmacht quand Jacques Perrin (Juste avant de camper Maxence chez Demy) est un lieutenant optimiste et doux rêveur. On sent que le film est tourné sur place, la forêt transpire de chaque plan, autant d’un point de vue pictural que sonore. Surtout, les conditions militaires de tournage ont été recrées sur plusieurs semaines, afin d’accentuer la fatigue et la souffrance des corps, la fatigue des acteurs eux-mêmes, ce qui ajoute un supplément de réalisme, qui devait être une priorité pour l’auteur, qui fut photographe de guerre en Indochine.

Les premiers, les derniers – Bouli Lanners – 2016

03. Les premiers, les derniers - Bouli Lanners - 2016Les beaucerons de l’apocalypse.

   6.  On va grossièrement dire que c’est un peu en dessous de Eldorado (2008) mais bien au-dessus des Géants (2011). Si ces films ne me laissent pas de trace impérissable, je suis chaque fois surpris par la qualité des réalisations de Bouli Lanners, qui semble avoir gardé le meilleur de son passage devant la caméra chez Délépine & Kervern. Ce nouveau film impressionne par l’humanisme qui le traverse, malgré l’aspect fin du monde, malgré l’impression qu’il y fait nuit en plein jour, malgré une complaisance dans l’excès de mines patibulaires. Surtout, j’ai la sensation que Lanners est arrivé à « maturité » dans sa dimension plastique, il semble vraiment avoir trouvé sa voie, son image à lui, quelque part entre Bruno Dumont & Alain Guiraudie – La Beauce un peu filmée comme la côté d’Opale de chez l’un ou le grand Causse de chez l’autre. Et puis il faut reconnaître que rendre une si petite intrigue (Deux chasseurs de primes sont engagés pour retrouver un téléphone au contenu compromettant) aussi grande, dans un espace qui se confine majoritairement dans des plaines grises, entrepôts délabrés ainsi qu’autour de la voie d’essai de l’aérotrain d’Orléans, désaffectée depuis belle lurette (La plus belle idée du film) offre an film une singularité géographique, d’abord, ainsi qu’une sensibilité bienvenue. Dommage que le film se perde (un peu trop à mon goût) dans une dimension spirituelle archi marquée tant il réussit si bien dans ses moments dépouillés et décalés. Le duo Lanners/Dupontel fonctionne bien. Le couple de SDF est merveilleux. Suzanne Clément et Philippe Rebbot (en Jésus) sont comme à leur habitude : Parfaits. Et les apparitions brèves de Lonsdale & Von Sydow terminent d’en faire une curiosité un peu improbable. La région Centre-Val de Loire a son western.

L’homme blessé – Patrice Chéreau – 1983

01. L'homme blessé - Patrice Chéreau - 1983Les bas-fonds.

   5.5   Jusqu’à il y a peu je tenais surtout Chéreau comme l’auteur de l’un des plus beaux palmarès cannois : La cuvée 2003 avec Elephant et Uzak raflant quasi tous les prix, un choix radical et génial puisque c’était clairement les deux meilleurs films en compétition, avec Shara, The brown bunny, Dogville, Mystic River. Putain d’année en fait. Dommage que le double prix pour Les invasions barbares venaient entacher ce palmarès fort.

     Ses films, en revanche, m’avaient toujours laissé perplexe. Puis j’ai vu il y a peu La reine Margot, qui m’a impressionné par sa rage mise en scénique et son ampleur romanesque. J’espérais retrouver ceci avec L’homme blessé, l’un de ses premiers films, l’un de ses plus estimés aussi, dans lequel Anglade y décrochait son premier rôle marquant, avant Subway, 37°2 le matin ou Nocturne indien. Avant le fantôme de lui-même qu’il est devenu aujourd’hui.

     Et c’est plutôt pas mal. Moins racoleur que nombreux de ses films suivants mais surtout plus « soigné » dans son austérité et la peinture qu’il dresse d’un monde (Celui que le personnage, ado renfermé, va découvrir un soir qu’il accompagne ses parents venus déposer sa sœur à la gare, jusqu’à s’en retrouver happé) souterrain, quasi fantastique, glauque, violent, complètement hors du monde.

     La première demi-heure, avare en parole et riches en déplacements – On se cherche, on se fuit – est passionnante. Ça se délite par la suite, Chéreau ne parvenant pas à faire tenir son mystère sur la durée ni à faire émerger de l’émotion de son manifeste sale. Dommage que ça ressemble in fine plus aux Nuits fauves, de Collard qu’au sublime Neige, de Berto & Roger : Un maelstrom complaisant un peu confus plutôt qu’un tragique portrait, sans concession.

     Je retiendrai néanmoins de jolies choses, des trucs vraiment surprenants dans le cinéma français 80’s à l’image du début, sorte de cinéma dépouillé bressonien guetté par la violence friedkinienne, la séquence Claude Berri, hallucinante et la toute dernière scène, à la limite de la pose mais forte. Mais dans l’ensemble, on va dire que ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.

Blood ties – Guillaume Canet – 2013

02. Blood ties - Guillaume Canet - 2013Boring ties.

   2.5   Remake d’un film de Jacques Maillot, Les liens du sang, Blood ties a tout du passeport idéal pour les Etats-Unis : néo-polar bien dépressif, doté d’un improbable casting 4 étoiles et produit par James Gray. Si l’on voit vite que Canet veut faire son We own the night, il faut bien dire que rien ne fonctionne ici, le film est beaucoup trop long, maladroit, sans âme, anecdotique et la tension dramatique (La tragique trajectoire de frangins que tout oppose) convoitée proche de zéro. L’original (Dans lequel Canet y campait le fils préféré) était déjà pas terrible mais il y avait une ambiance, le film était plus nerveux, plus poisseux, moins foutraque. Là il n’y a rien. Sans compter que Canet accompagne ad nauseam chaque scène d’un morceau de sa playlist de bon goût et que ça plombe absolument tout. N’est pas Scorsese qui veut. Dans un registre similaire et si ces films ne sont pas indispensables, je préfère de loin La French, de Jimenez ou Animal Kingdom, de Michôd. Américanisés à mort aussi ceux-là mais plus subtils, moins dans la surenchère bas de plafond. Ici, outre le fait qu’aucune scène n’explose vraiment, outre le fait qu’on ne croit à rien, ni aux situations ni aux interactions, tout pèse une tonne, tout est surligné pour ne jamais trop nous perdre, même lorsque Blood ties s’adonne à la course-poursuite, ultra prévisible. Et le film semble tellement certain d’être le parfait polar classique en permanence qu’il en devient carrément grotesque.

Point Break – Ericson Core – 2016

19. Point Break - Ericson Core - 2016Trash cover.

   2.5   C’est donc le remake du film de Kathryn Bigelow, avec Keanu Reeves et Patrick Swayze. Un classique pour Brice. Un classique pour moi aussi. Sans surprise, c’est terriblement mauvais. Il y avait pourtant deux éléments qui attisaient la curiosité : Edgar Ramirez, splendide Carlos dans le chef d’œuvre d’Assayas, qui reprend ici le rôle de Bodhi ; Et Teresa Palmer, qui ne sert à rien, mais qui est là. Bah ouai. Ça ne suffit malheureusement pas à sauver ce machin qui aligne les scènes d’action indigestes et les rebondissements ridicules et qui ne fait qu’emprunter ci et là quelques situations (les masques, le flingue déchargé vers le ciel (qui parvient à faire plus parodie que la scène de La cité de la peur) ou la scène finale dans les falaises de vagues) du film original via des clins d’œil lourdingues. Une bonne daube.

Peur de la peur (Angst vor der Angst) – Rainer Werner Fassbinder – 1975

42. Peur de la peur - Angst vor der Angst - Rainer Werner Fassbinder - 1975     7.5   Je relance souvent des cycles Fassbinder. Un bonheur, je ne m’en lasse pas. Je croyais que celui-ci serait mineur (en bonus du dvd de Martha) quand on pense d’ailleurs que de nombreux Fassbinder sont des téléfilms au départ (Oui, comme La maison des bois, de Pialat) Or pas du tout : c’est un grand film sur la folie. Un pur Fassbinder. Simple, concis, un beau geste de metteur en scène une fois encore. Et puis je l’ai découvert un soir d’orages, ça lui offrait une atmosphère encore plus tétanisante.

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silencio


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