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Archives pour 27 juin, 2017

Incassable (Unbreakable) – M. Night Shyamalan – 2000

05. Incassable - Unbreakable - M. Night Shyamalan - 2000Héros ordinaire.

   8.5   Le quatrième film de Shyamalan s’ouvre sur une scène glaçante : Dans les bras de sa mère, un nourrisson s’époumonent ; Pleurs semble t-il ininterrompus qui obligent un médecin à intervenir. Son verdict : le bébé est fracturé de partout, il est né ainsi, il s’est brisé les os dans l’utérus de sa mère. Pour un film qui se nomme Incassable, c’est un début des plus étranges. La scène suivante, dans un train est d’un autre acabit mais tout aussi marquante : Un homme (Bruce Willis) fait la connaissance de sa voisine de siège puis elle se dérobe, craignant la drague, avant que le train ne file au crash.

     Ces deux scènes se répondent. Il s’agit chaque fois d’un long plan séquence chargé, lentement, d’engager son personnage central dans le récit. L’une accompagnée d’un étrange miroir, l’autre prise dans l’embrasure de deux sièges de train. Il y a déjà cette dualité. On introduit les personnages mais de façon quasi opposée : L’un par sa douloureuse naissance, l’autre par sa vraisemblable mort. L’un au moyen d’un vertigineux dédoublement de l’image, l’autre à travers le regard d’un enfant. Il faudrait faire un dossier complet sur la thématique de l’enfance au sein du cinéma de Shy.

     Si l’on ne sait à priori, en deux scènes seulement, ce qui peut relier ces deux intrigues et ces deux entités, il est passionnant de constater, avec le recul, combien elles racontent déjà tout le film : l’enjeu de sa construction, son rythme indolent, sa mise en scène allégorique. Ce qui est très beau dans Incassable c’est sa multiplicité. Ce n’est pas uniquement un affrontement entre le bien et le mal, un (anti)héros et un méchant complexe, c’est aussi un beau portrait père/fils et une étonnante étude conjugale. L’éventuelle lourdeur de la démonstration (de force) est systématiquement brisée par la subtilité des interactions.

     Si j’avais gardé quelques forts souvenirs du film (Que je n’avais pas revu depuis près de dix ans, à l’époque de la sortie de Phénomènes, je crois) j’avais oublié combien il prenait son temps, combien chaque plan est précis et chaque situation hypnotique. Ce qui est rare dans le genre sclérosé des films de super-héros, il faut le dire. Du coup je n’ai pas arrêté de penser à un autre film, plus récent, français, qui jouait aussi avec les codes du genre sur un registre down tempo : Vincent n’a pas d’écailles. Ils ont au moins en commun de n’adapter aucun comic book.

     Incassable est aussi un formidable récit d’apprentissage. Et quoi de plus beau que d’apprendre à connaître sa vraie nature par l’entreprise d’une Némésis théorique qui souhaite identifier sa place sur terre ? S’il existe des cas de dégénérescence osseuse comme la sienne, pourquoi n’existerait-il pas de monstre opposé ? Si le twist final est important – et permet au film de retomber magistralement sur ses pattes – il n’est aucunement le facteur qui retournera le film en son entier. Il s’éloigne en somme de ce que Shyamalan avait créé un an plus tôt avec Sixième sens, dont les qualités certaines sont différemment disséminées.

     De cet apprentissage, l’auteur embraye un processus d’identification fort. Prendre Bruce Willis c’était pourtant pas gagné, mais c’est là que le pari se révèle audacieux : Bruce Willis est David, cet homme apparemment lambda, avec son mariage qui bat de l’aile et son travail alimentaire. Sauf que sa normalité masque une personnalité refoulée : C’est un super-héros qui s’ignore. Qui aura jadis abandonné sa passion sportive (Et l’on imagine combien il pouvait y être performant) pour une autre, amoureuse. Qui comme un symbole protège les autres, au quotidien, à son infime échelle puisqu’il est stadier. Le voir à plusieurs reprises au milieu de la foule, vêtu d’un immense parka noir lui offre déjà cette dimension héroïque – Comme lorsque le héros du film de Thomas Salvador enfilait sa tenue de plongée pour traverser l’Atlantique.

     Pour apprécier le cinéma de Shyamalan, il faut avoir envie d’y croire. On peut y déceler toutes les invraisemblances du monde : Comment Elijah peut-il élaborer cette quête à l’envergure complexe, avec cet état de santé sinon défaillant, pour le moins capricieux ? Quelle est la probabilité qu’il comble sa recherche en manigançant de « si faibles » catastrophes au regard d’une si dense population ? Comment la séquence pivot, du type ordinaire se révélant héros masqué extraordinaire, peut-elle si bien se dérouler et parvenir à tout illustrer ? On peut trouver la réponse dans l’hommage au genre lui-même : la mécanique huilée, fantastique, un brin binaire et antinaturaliste des récits super-héroïques. Mais pas seulement.

     Dans l’un de ces questionnements apparaît le point émouvant du cinéma de Shyamalan : Les enfants. Ce sont les enfants qui vont extraire David de la piscine et lui permettre d’achever sa (première ?) mission justicière. Quand le lendemain, le journal évoque l’évènement et parle d’un héros inconnu, il faudra un simple échange de regard entre David et son fils pour recréer le dialogue qui leur manquait terriblement. L’enfant est seul en mesure de comprendre les miracles, le merveilleux puisqu’il croit. Lorsqu’Elijah et David s’affrontent enfin et sans véritable affrontement (C’est aussi là-dessus que le film de Shyamalan est puissant) pour lui dire comment il a su trouver sa place et celle de son contraire, il dit « Because of the kids, they called me Mr Glass ». Rien d’étonnant à ce que l’autre personnage qui pousse David à prendre conscience de ses pouvoirs soit son propre fils.

     Il faut rappeler que les plans sont généralement très longs. Je pense surtout à ces lents travellings dont on pourra observer qu’ils sont diamétralement opposées suivant les situations : Se resserrent dès l’instant qu’on se évolue en cellule familiale, comme si l’évènement (Sa survie dans la catastrophe ferroviaire puis son acceptation de soi) permettait à David de retrouver une laborieuse mais progressive alchimie avec sa femme et son fils ; S’ouvrent carrément quand il est accompagné d’Elijah comme si petit à petit, il devait l’affronter et se détacher de son samaritanisme de façade.

     Dans leurs compositions Shyamalan opte pour des plans d’une plasticité qui reprend le schéma des comic book, au moyen notamment de fortes apparitions de couleurs, mais ils ne fonctionnent jamais dans l’agression, ils sont au contraire minutieusement disséminés. Plus évident encore lorsqu’Elijah tombe dans les marches qui mènent aux souterrains du métro : Si ses os se brisent inéluctablement, c’est sa canne en verre – qu’il lâche – que l’on va voir s’éclater en mille morceaux. Même chose pour le souvenir de David, quand Shy nous offre le sauvetage après l’accident de voiture : A peine le voit-on instinctivement froisser la tôle de ses mains. C’est à la fois terrible – ça peut même te coller quelques frissons – et complètement anti-spectaculaire. Donc à contre-courant, encore aujourd’hui –davantage aujourd’hui, oserais-je dire – plus de quinze ans après sa sortie.

Piège de cristal (Die hard) – John McTiernan – 1988

06. Piège de cristal - Die hard - John McTiernan - 1988« Une mouche dans le lait, mon cher Hans, un petit rouage qui grippe, un emmerdeur »

   8.5   En le revoyant l’an passé (Ou y a deux ans je ne sais plus) j’avais été un chouïa déçu, pas sur que j’en avais causé à qui que ce soit d’ailleurs tellement j’étais déçu d’avoir été déçu. Je devais être mal luné, c’est pas possible, car j’ai retrouvé ça génial cette fois. Peut-être même plus génial encore que dans mes souvenirs.

     A l’instar du troisième volet, l’alchimie du duo est magnifique. Et c’est d’autant plus original ici que McClane & Powell ne se voient jamais : Un buddy-movie comme on en avait encore jamais fait. Il faut souligner aussi la richesse de chacun des personnages secondaires. Et le charisme de chacun des méchants – Hans Gruber en tête, forcément, inoubliable regretté Alan Rickman.

     Et McTiernan à la réalisation s’occupe de parfaire le subtil équilibre avec la puissance de sa mise en scène. Chaque recoin de la Tour est passé au peigne fin. Rappelons que c’est un volet nocturne et vertical quand le troisième sera quasi entièrement diurne et horizontal. Quand on a dans un film d’action un vrai metteur en scène aux manettes, ça se ressent.

     Le temps n’altère aucunement la réussite de cette merveille de film d’action, qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’en lasser, apprécier encore et toujours son génie rythmique (construit sur des sommets bourrins et de sublimes accalmies, une violence tranchante et des pics d’humour parfaits), la beauté de ses plans, de sa construction, de ses montages parallèles (Qui sont systématiquement dosés à la perfection) et la gouaille inévitable de John McClane.

     Aussi, je pense que c’est l’une des plus belles VF que je connaisse. C’est peut-être ça la cause de ma déception, j’avais dû essayer de le voir en VO. Il faut dire que j’ai grandi avec. Moins avec celui-ci qu’avec Une journée en enfer, mais quand même. Dans le genre, Die Hard, premier du nom, reste inégalé.


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