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Archives pour 26 juillet, 2017

La mouche (The fly) – David Cronenberg – 1987

05. La mouche - The fly - David Cronenberg - 1987Beyond the flesh.

   9.5   Ce n’était pourtant pas une découverte mais purée, c’est bien la première fois que ça me saute à ce point aux yeux : Quel chef d’œuvre, nom de dieu ! Là à chaud, je trouve ça presque aussi génial que Crash et au moins aussi puissant que Faux-semblants. Ils constituent tous trois ce qui caractérise le mieux Cronenberg à mes yeux : Toute sa subtile démesure, sa fascination pour la chair, la déformation, les monstruosités domestiques, tout cela explose littéralement dans cette fusion improbable entre la pure série B, la fable horrifique, la romance et le mélodrame – Car c’est aussi un grand film déchirant sur la maladie et la solitude qu’elle génère. Et puis il y a derrière ce mélange des genres une vraie signature. Dingue ce que j’aime cette veine-là de Cronenberg.

     Ce qui est très beau c’est qu’au-delà du crescendo dégénérescent dont on pourrait penser qu’il est un peu gratuit existant uniquement pour te filer la nausée, le film me semble être un cri d’amour pour ses personnages. Cronenberg construit une histoire d’amour bouleversante qui n’a pas le temps d’être consommée dans les coutumes confortables. Seth, le scientifique et Veronica, la journaliste ont à peine le temps de rêver de leurs vacances, que le film bascule dans le malaise, le trouble, l’épouvante puis l’horreur. Surtout ce qui m’a fasciné dans ce nouveau (Troisième ? Quatrième ?) Visionnage c’est de voir Cronenberg détourner cette à priori banale affaire de triangle amoureux et de mélodrame de chambre : C’est l’histoire d’une rencontre entre un homme et une femme. Ils vont tomber amoureux l’un de l’autre puis il tombe malade. Elle découvre qu’elle est enceinte de lui. Se transformant à petit feu sous ses yeux, elle va l’aider à mourir. Ça pourrait être le truc le plus glauque du monde, mais l’auteur en brise tous les enjeux.

     Le geste initial de Seth témoigne lui aussi d’une grande humanité, puisque son désir de téléportation des corps (Plutôt de désintégration d’un côté pour une reconstruction moléculaire de l’autre) n’a jamais vocation d’alerter le monde ni de recevoir le prix Nobel. C’est comme s’il le faisait pour lui, pour remplacer le transport qu’il déteste – Voire cette séquence en voiture au tout début qui le rend malade. S’il souhaite revendiquer avoir créer le déplacement instantané, il veut avant tout téléporter un corps et non une réplique incomplète de ce corps. L’expérience sur le morceau de viande raconte tout, aussi bien d’un point de vue diégétique (On évite de sacrifier un autre singe) que d’un point de vue théorique : éternel questionnement autour de l’original et sa copie.

     Dans sa dimension horrifique rien ne laisse pourtant présager d’une telle fin : L’homme-mouche qui s’en va sauver sa belle et sa progéniture façon super héros tandis qu’il n’est plus qu’une bestiole répugnante. Il y a ce regard, surtout et cette main, venant saisir l’arme à feu, pour que Veronica l’achève. J’avais oublié ce que racontait cette fin. Ni plus ni moins que le monstre est visible mais que l’être humain, sous sa couche de monstruosité et de cruauté, est toujours là et doué de sa capacité de libre-arbitre. Une fin qui rappelle d’ailleurs beaucoup celle de Gremlins (sorti deux ans plus tôt, je crois) dans la mesure où la bête s’est là aussi transformée outrageusement jusqu’à ne plus ressembler du tout à son apparence originelle. J’aime énormément le film de Joe Dante, c’est un film-doudou, mais ici, et c’est tout le génie de Cronenberg, avant de se faire exploser le crâne, la bête te fait chialer. Et puis il n’y a rien derrière, le film se clôt là-dessus, nous laissant dans cet amas de chair informe, fumant dans la pénombre de cet entrepôt de génie qui n’est plus que le sanctuaire d’un carnage tragique.

     On est vraiment au-delà de ce qu’on est en droit d’attendre à la fois d’un réalisateur qui a déjà mis la barre haut (Chromosome 3, Dead Zone, Videodrome) mais aussi d’un film horrifique traditionnel. Ça va tellement plus loin. Et puis c’est un modèle de mise en place c’est ahurissant. Avec ce qu’il faut d’image/clin d’œil à l’évolution du récit – Cette impression déstabilisante que Seth est un insecte avant de fusionner avec, qu’il est luisant avant de vraiment transpirer de tous les pores, qu’il est velu avant d’avoir des poils drus partout, qu’il déambule bizarrement avant de marcher au plafond. C’est un monstre déguisé, qui enfile les mêmes vêtements chaque jour, vit dans un immeuble délabré qu’il semble seul à habiter. Sa façon de bouger, parler, manger est aussi déjà en décalage.

     Lorsque Seth demande un objet ou un bijou à Veronica, elle lui donne ses bas, premier échange érotique entre eux autant qu’il annonce autre chose, c’est comme si elle retirait sa seconde peau. Plus loin lors de leurs ébats Seth se plante un morceau de métal dans le dos, un bout de machine quelque chose comme ça, écho subtil à l’atroce fusion finale dont il sera victime avec la cabine de téléportation. Il y a déjà ce lien étroit et fusionnel entre l’homme et la machine qui culminera dans Crash avec la voiture. Il y a déjà cette dimension métallique, cette fascination pour les inventions affreuses qui parcourront bientôt Faux-semblants. Et le corps qui meurt, se pare de cicatrices, pustules, plaies. Véritable désintégration, visible alors qu’elle demeurait hors champ et abstraite d’une machine à l’autre.

     Comment ne pas évoquer ce crescendo horrifique, au moyen de savantes séquences entrées dans la postérité ? La toute première – elle te saute à la tronche sans que tu l’aies vue venir – c’est le babouin, qui entre dans un ovoïde et que l’on retrouve dans celui d’à côté désintégré dans un amas de chair dégoulinant accroché à un squelette informe. Tu crois alors que le film est lancé sur la pente de l’horreur, mais il va pourtant prendre son temps avant de balancer une deuxième salve : Elle intervient après la fusion génético-moléculaire Seth-mouche, alors qu’il se retrouve dans un bar, survitaminé, et qu’il fait éclater le radius d’un type au bras de fer. Plus loin, alors qu’il fait connaissance avec son corps en métamorphose, il se décolle les ongles, avant qu’une giclée de pu ne sorte de ses doigts comme on exploserait un kyste. Si t’es en train de manger, c’est mort. Dès lors, plus aucun filtre. Incroyable d’ailleurs de constater combien les effets spéciaux sont toujours aussi puissants trente ans plus tard, à l’ère numérique.


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