La DGSE dans tous ses états.
9.0 Durant la mini trêve Twin peaks et juste après ma miraculeuse pause récréative Master of None, j’ai dévoré l’incroyable troisième saison du Bureau des légendes. Je ne pensais pas Rochant capable de faire aussi fort que la saison précédente mais il a peut-être fait mieux. J’étais physiquement mal à de nombreuses reprises et fasciné par chaque parcelle de ce foisonnant récit, chaque personnage, chaque situation, chaque dialogue. Mes occupations ne me le permettaient pas mais j’aurais très facilement pu enchaîner ces dix heures en une salve. Bon, je serai sans doute mort à l’heure qu’il est tant ça attaque constamment le palpitant. Mais il y a beaucoup de frustration dès que surgit le générique à chaque fin d’épisode – Sans que la série ne force sur les cliffhangers pourtant.
La première saison était parasitée par une légère rigidité dans ses enchaînements et un trop plein didactique provoqué par la prépondérance de la voix off. La deuxième l’utilisait encore mais était parvenu à trouver le juste équilibre, notamment en exploitant davantage sa géographie multiple et le brio de ses montages parallèles. Cette fois, la voix off n’est plus. Ne reste qu’une maîtrise totale, aussi bien dans les huis clos du renseignement que sur le terrain, en Iran, en Syrie, à Bruxelles, à Bakou. Des séquences qui s’étirent considérablement, une tension qui s’installe, grandit en permanence. Et une gestion plus fine encore de ses intrigues centrales et des moments plus triviaux – des gestes, des regards, des dialogues intimes qui contrastent avec l’apparente froideur de cet univers de l’espionnage.
Nous avions abandonné Malotru en très mauvaise posture l’an dernier. Son amour pour Nadia avait fait de lui un agent double pour le compte de la CIA ce qui l’avait catapulté comme traître à la DGSE, mais cette insubordination avait été levé afin qu’il dirige une cellule de crise qui le fit tomber aux mains de Daesh au cours d’une mission de neutralisation d’un djihadiste français. Cette nouvelle saison s’ouvre sur l’organisation autour de son sauvetage : Si la DGSE souhaite utiliser les contacts syriens de Nadia El-Mansour, la CIA, elle, n’est pas hyper enthousiaste à l’idée de voir revenir l’agent à l’origine du scandale que sa trahison jouera inéluctablement dans le monde du renseignement.
Un peu plus tard dans la saison, des suites de l’assassinat d’un indic en Syrie, Duflot, alors à quelques semaines de la retraite, se porte volontaire pour une mission de terrain à haut risque, consistant à rencontrer un officier supérieur de Daesh, en lui proposant son exfiltration contre la libération de Malotru. J’aimerais évoquer d’autres situations, mais mieux vaut les découvrir par soi-même, c’était simplement pour souligner qu’il est assez inédit de ressentir d’une série à ce point son actualité, l’impression qu’elle traite intelligemment les enjeux géopolitiques, qu’elle se penche avec une telle acuité sur le quotidien des réseaux de renseignements français, qu’elle exploite avec rigueur et maturité toute la complexité d’un univers aussi codé.
Ce qui est très réussi c’est de voir chaque situation, aussi extraordinaires soient-elles, gérée par des agents hyper lucides mais humains avant tout, des hommes et des femmes qui peuvent à tout moment se griller, à tout moment d’effondrer malgré leur professionnalisme. Ici Malotru prisonnier de Daesh endure un interminable calvaire, d’autant qu’il est lâché par une partie de la direction qui ne prend pas le risque de griller ses affaires en cours pour un agent quel qu’il soit. Il est au bord du précipice à chacun de ses apparitions. Là Phénomène, à peine remise de son traumatisme iranien et de son aventure aux côtés de Shaipur, sujette à des crises de panique répétées, est engagée dans une double infiltration risquée aux côtés d’un agent du FSB qui se fait passer pour un agent de la DGSE et lui commande de jouer à nouveau les sismologues embarqués en Azerbaïdjan. Voir Marina Loiseau (Formidable Sara Giraudeau, vraiment) avancer aussi méticuleusement que fébrilement, avec le risque permanent d’être démasqué, est le point névralgique de cette saison remarquable. Il suffit d’une clé USB ou d’un détecteur de mensonges pour nous faire chanceler brutalement.
Et pourtant, on s’y sent bien. On va même jusqu’à rire, parfois. L’humour était toujours sous-jacent mais elle fait partie intégrante de cette troisième saison, qui se paie le luxe de renouveler quelque peu son casting en s’attribuant par exemple les services d’Artus, qui restera cela dit très sérieux malgré une saillie – son apparition – dont on jurerait qu’elle soit tirée de l’un de ses sketchs. Il n’est pas le seul à nous faire rire, Duflot (Daroussin) aussi, on le sait, ce curieux directeur aux cravates excentriques ou encore Sylvain, le génial informaticien qui peut tout dénicher, adepte d’un humour pince-sans-rire réjouissant. Cette saison fait d’ailleurs la part belle aux personnages secondaires, aussi bien les désormais bien ancrés dans le récit (Sisteron, Céline, Prune, La mule…) que les nouveaux arrivés (Jonas, Esrin, Snoopy, Cochise) tous fouillés à la perfection. Grande, très grande saison pour une dores et déjà immense série.