The Perfect wave.
9.5 Le superbe et imposant dossier consacré à L’été au cinéma (thématique qui m’est chère) dans Les cahiers « de vacances » du cinéma, de juillet/août 2016 m’avait donné autant envie de revoir Rohmer et Rozier que de me pencher sur les Bergman estivaux, et m’avait surtout permis d’apprendre qu’on ressortait le film ultime du fan de surf : Un documentaire portant le même titre à la fois d’un album merveilleux de Fennesz et d’une compilation des Beach boys de 1974, au sein duquel trois potes californiens (Deux surfeurs, un filmeur) partaient faire le tour du monde en quête de spots inconnus, pour y débusquer la vague parfaite et l’été éternel, afin de défier les brutaux changements de saison et les importantes chutes de température. J’en rêvais de ce film.
The endless summer s’ouvre comme un film pédagogique sur le monde du surf : On nous présente de célèbres plages à vagues, les figures de base, le vocabulaire, quelques noms importants. Une voix off quasi omniprésente donne le tempo du film, lui offre une construction et l’embarque sur les terres du film d’aventures, entre le cinéma ethnographique d’un Jean Rouch ou d’un Robert Flaherty, le home movie et le cinéma-clip : On a parfois la sensation de voir un assemblage d’images qui collerait à merveille avec les tubes Surfin’ Safari ou Surfin’ USA. Point de chansons des Beach boys dans The endless summer, pourtant le film sera gorgé de morceaux rock des sixtees signés The Sandals. C’est aussi la singularité du film que de s’appuyer sur cette voix off, bien ancrée américaine, avec ses préjugés culturels, son autodérision et sa naïveté aussi embarrassante qu’attachante. En outre, le film est aussi un beau document sociologique sur la jeunesse américaine des années 60. En terre inconnue, loin de Malibu.
C’est donc un voyage. A travers l’Afrique, d’une part : Sénégal, Nigéria, Afrique du Sud. On y plonge dans les eaux froides de l’atlantique jusque dans celles de Durban et ses spots infestés de requins. On y découvre d’immenses plages désertes ou bien des plages où les enfants observent les surfeurs entre prudence (les deux américains semblent vraiment cinglés à danser sur leurs planches) et fascination ou bien une plage (Vers Cap de Bonne espérance) où une petite communauté de surfeurs autochtones s’éclatent déjà sur le même spot (à quatre par vague, parfois) tandis que les plages aux alentours sont vierges. Le voyage se poursuit ensuite en Australie (Bells beach, forcément, mais la saison est mauvaise), en Nouvelle Zélande (Avec les vagues de l’anse de Raglan, tellement longues qu’elles pourraient prendre la moitié du film), à Tahiti (le fameux spot où les vagues se déversent vers la plage et vers le large) puis à Hawaii (On y voyait les hallucinants monstres d’écumes de Waimea dans les flashbacks, on y verra là des vagues parfaites, malgré leur violence et les coraux). Un voyage pour s’ouvrir au monde et ouvrir le surf au monde. Un trip poétique dans sa dimension « quête de la vague parfaite » qui traversera le cinéma puisqu’on y retrouvera cela dans le Point Break, de Bigelow dans un ancrage évidemment plus suicidaire puisque fictionnel, même si l’idée est déjà présente, en sourdine, dans le film de Bruce Brown.
La réussite d’une telle entreprise tient à plusieurs facteurs dont un, essentiel : que le geste soit sérieux. C’est-à-dire que le surf y soit approché dans toute sa dimension métaphysique. Et dans le même temps, Bruce Brown parvient, puisqu’il est aussi le narrateur, à rendre ce voyage extrêmement vivant, drôle, joyeux, aussi dérisoire que nécessaire. Ça ne tient pas à grand-chose, parfois à un fil – L’excès de coolitude 60’s engagée dans la voix off, la répétition absurde des plans d’une plage à l’autre, la quasi inexistence des surfeurs hors de la vague – mais c’est aussi justement cette représentation extatique qui est convoitée, à l’image de ce spot parfait (à Saint Francis, en Afrique du Sud, je crois) où dans une eau à la température plus que confortable, les vagues forment des rouleaux identiques (qu’on croirait fait par une machine, dira le narrateur) et éternels, pas trop gros mais parfaits, qu’il est impossible de filmer en un seul plan.
Et il faut aussi que le geste soit honnête, qu’il soit capté sur le vif, qu’il saisisse les instants de découvertes plus que la reconstruction de cette découverte. Qu’il soit un carnet de voyage, avant tout. On voit bien souvent que le film a manqué de rushs, qu’il s’étire bizarrement ici, qu’il est brutalement sectionné là. Ça lui offre une totale spontanéité dans l’image, contrebalancée miraculeusement par la voix de Bruce Brown qui bien qu’il semble s’adresser à nous comme à ses potes, est probablement issue d’un texte minutieusement écrit. Et puis c’est quoi ces images, sérieusement ? Doit-on rappeler que le film date de 1966 ? Bruce Brown filme parfois jusque dans la flotte (Notamment ces plans à même la planche, cinquante ans avant l’apparition de la Go-Pro) et nous embarque à leurs côtés, fait en sorte que l’on fasse partie intégrante du voyage. The endless summer c’est le film emblématique de la culture surf. Et dorénavant, c’est l’un de mes films de chevet.