Les monstres.
6.5 Malgré son apparente froideur, le cinéma d’Haneke est systématiquement parcouru de trouvailles folles. L’oiseau dans Amour, la plage dans Le septième continent, le rembobinage dans Funny games. Quelques exemples parmi d’autres, il y en a tellement. Et Happy End ne va pas y déroger.
Comment oublier, d’une part, ce plan (GoPro ?) de chantier qui s’écroule, pris du haut d’une grue diffusant les informations footballistiques à la radio ? Comment oublier cette séquence « coiffure » incroyable entre Jean-Louis Trintignant et Dominique Besnehard ? Comment oublier Franz Rogowski (étrange ressemblance avec Joaquin Phoenix) qu’on avait déjà adoré dans Victoria, véritable métronome chelou du film, incarnation de la brebis galeuse, qu’on va surprendre en train de danser (admirablement, mais parait-il qu’il est danseur en vrai, donc…) sur Chandelier dans une guinguette, se prendre un bourre-pif dans une cité, avant qu’il ne perturbe la dîner cérémonial des fiançailles de sa mère ? Son timbre de voix suffit à créer un espace de parole troublant, trop doux, très flippant. C’est la révélation du film à mes yeux.
Mais il y en a deux. L’autre révélation, c’est Fantine Harduin, qu’on avait croisé dans les derniers épisodes de la cinquième saison d’Engrenages. Elle joue Eve, elle est bouleversante. Cette sécheresse qu’elle arpente (sorte de Benny’s video du 21e siècle) fermée, solide et qui va se consumer brutalement en larmes dans une voiture, c’est fort. Et comment oublier cet échange miraculeux (point d’orgue du film) qu’elle tient avec Jean-Louis Trintignant, son grand-père ? Ce double aveu croisé, qui les place sur la même ligne de culpabilité et hors de tout principe, malgré l’opposition générationnelle, permet qui plus est à Haneke de faire un pont troublant avec l’issue de son précédent film, Amour.
On se souvient que Caché s’ouvrait sur un plan de cour/trottoir de propriété, qu’on avançait, mettait sur pause. C’était une cassette, envoyée par un voyeur. Happy end s’ouvre sur une autre scène de voyeurisme : Via un écran d’Iphone on découvre les préparatifs avant d’aller se coucher (Se laver les dents, se brosser les cheveux, pisser) d’une mère, commentés (en messages textuels) par sa fille de 13 ans. Le malaise se poursuit jusque dans une cage de cochon d’inde et une cuisine. C’est à la fois insupportable, complaisant, sidérant, prometteur. Du pur Haneke, en somme.
Dès lors, à de nombreuses reprises, les plans se feront sur un système similaire : Pas de plan/Iphone (hormis le dernier plan) mais des scènes lointaines, comme ce garçon sur un parvis d’immeuble de cité, scène qu’on perçoit mal, trop lointaine ; ou comme ce retour du vieux dans le hall de la propriété, scène perçue derrière un grand portail aux côtés d’un chien bruyant. Il y a de l’absurdité en permanence. Mais ce n’est pas l’absurdité qu’on trouvait dans le dernier film de Verhoeven (On y pense malgré tout, Huppert oblige) plutôt une absurdité qui se nourrit ici du cinéma chabrolien, là de Bunuel.
La noirceur d’Amour m’avait beaucoup dérangé, ce même si le dispositif explosait parfois par petits pics de sidération. Ça sentait trop la mort, certes légitimement puisqu’on ne quittait pas le cadre mortifère de ce couple de vieillards. On n’ira pas jusqu’à dire qu’Happy end respire la vie, mais le dispositif est moins séquestrant. Reste qu’une fois encore, Haneke parvient à briser son apparente misanthropie (Toute la famille a son propre far-deau à trimballer) en convergeant le récit ainsi que nos yeux vers l’enfant.
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