De la nuée à la résistance.
8.0 Très fort, ce nouveau Blade Runner bien que probablement trop dépendant de l’affection qu’on peut avoir pour l’original, je ne sais pas, ce sera à vérifier avec le temps. Je ne suis pas certain que ça l’aurait tant que ça effectué de mon côté si je n’avais pas revu le Blade Runner, de Ridley Scott, juste avant. Quoiqu’il en soit et à l’instar de son prédécesseur, la puissance visuelle qu’il distille suffit à y prendre son pied mais le film est aussi très marqué émotionnellement et s’inscrit donc dans la logique mélancolique du film de 1982. C’est un film vraiment courageux, moins par ce qu’il réactive que dans ce qu’il prolonge, en fin de compte. En somme, il n’est pas nécessaire d’avoir Blade Runner en tête, mais c’est évidemment conseillé.
Difficile de les comparer du coup, de leur trouver des ressemblances. Le Scott c’est vraiment un choc esthétique et un truc d’une noirceur infinie, quasi élégiaque. Dans le Villeneuve se joue tout autre chose, de plus suicidaire aussi mais qui rappelle (En tout cas je n’ai pas arrêté d’y penser) aussi bien la tonalité de Snowpiercer que de Nostalghia. De Tarkovski on pourrait situer d’autres films, incroyable de constater combien il s’en inspire, et intelligemment. Visuellement c’est donc dément, mais complètement différent du film de 1982 qui se situait lui dans l’héritage de Metropolis. Le Bradbury building dans le Scott c’est juste hallucinant. Chez Villeneuve je n’oublierai pas de sitôt cette immense déchetterie ou ces immenses statues démantelées perdues dans un désert orangé.
Le film est par ailleurs très sobre dans sa façon de citer l’original. A peine le fait-il dans cette introduction au moyen d’un iris gris, dépourvu de ce reflet étoilé et enflammé qui ouvrait l’iris bleu azur du film de Scott. Puis d’une vue d’ensemble sur une cité des anges où un champ de panneaux solaires gris remplace le brasier craché par ces immenses cheminées. Il y a bien quelques similitudes puisque MacKenzie Davis évoque largement Darryl Hanna, l’appartement de K rappelle beaucoup celui de Rick Deckard, le mégalo Wallace a remplacé le mégalo Tyrell. Une séquence a même été récupéré de l’original ou plutôt une séquence que l’original avait abandonné, à savoir celle qui ouvre quasiment le film de Denis Villeneuve, quand le blade runner s’en va tuer le fermier répliquant qui prépare tranquillement son potage. Dans le premier script de 82 le récit introduisait Deckard ainsi, il y tuait froidement cet homme avant de récupérer sa mâchoire contenant son matricule d’androïde. Ce que fera Ryan Gosling ici, l’œil ayant remplacé la mâchoire, mais l’idée est la même. Et le clin d’œil d’une humilité déconcertante : Réutiliser une scène qui n’existe pas.
Le film noir s’en est allé. Ne reste plus qu’un trip méditatif (dans un monde devenu entièrement synthétique) rehaussé d’une quête identitaire. La ville ne fourmille plus, les colonisations revendiquées en 2019 ont sans doute pleinement fonctionné en 2049. Tout est froid, désolé, désincarné, post apocalyptique. Aux alentours ne restent que décharges (San Diego) et ruines (Las Vegas). L’univers de Blade Runner a changé mais il fascine toujours. Et le plus beau c’est que le film est extrêmement limpide. Villeneuve aurait pu charger le récit ou psychologiser ce qu’avait commencé à faire Scott, au contraire le film m’apparait simple dans sa mécanique scénaristique autant qu’il est globalement anti-spectaculaire. Mais surtout, ce nouveau cru est un choc visuel autant que l’original mais différent de l’original. En matière de blockbuster, difficile de faire mieux.
Quant à l’élément fondamental pour moi : J’aime absolument TOUS les personnages du Scott ce qui n’est peut-être pas le cas du Villeneuve (Luv, notamment) mais j’attends de le revoir. En revanche le personnage central c’est la belle grande surprise, largement plus passionnante que le retour de Rick Deckard – Qui revient un peu comme Han Solo revenait dans Le réveil de la force. On pourrait dire de K qu’il est un mélange de Roy Batty et Rick Deckard dans la mesure où c’est un répliquant en quête, non pas d’une nouvelle mortalité mais de ses origines, son histoire, qu’il est conscient d’être un répliquant, d’aimer un hologramme et de chasser les autres répliquants. On n’en doutait pas une seconde, mais Gosling est parfait en K.
Avec Blade Runner 2049, Villeneuve a transcendé, au moins autant (tout en adoptant un registre, un rythme et une finalité complètement différente) que Miller avec son Mad Max Fury Road, l’univers de Blade Runner, tout simplement parce que jamais il ne souffre de la comparaison étant donné qu’ils sont incomparables. La grande réussite du film tient dans cet équilibre fragile, inouï et inattendu, entre affranchissement brutal et sobre continuité.