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Archives pour janvier 2018

Coco – Lee Unkrich & Adrian Molina – 2017

26. Coco - Lee Unkrich & Adrian Molina - 2017Réparer les vivants et les morts.

   9.0   Déjà, sans faire de faux roulements de tambours, c’est absolument somptueux, visuellement parlant. Dans un monde comme dans l’autre. Dans le jour comme dans la nuit. L’horizontalité ici, la verticalité là. Les rues du village mexicain autant que le labyrinthe urbain chez les morts. C’est plein de détails qui pullulent, de profondeur hallucinante, d’explosions de couleurs. C’est un émerveillement de chaque instant.

     Il y a quelque chose de plus simple dans ce nouveau voyage Pixar et le film annonce clairement la couleur dans son générique d’ouverture puisque les crédits sont affichés sur des fresques de papier découpé : Il y a déjà cette notion d’intimité familiale dans ces décorations de fête des morts et donc, forcément, une plongée dans la culture mexicaine. Alors c’est sûr qu’on n’est plus dans le cerveau d’une petite fille, mais l’idée est tout aussi excitante.

     Au début du film, chez les vivants, les personnages sont parfaitement dessinés. Et c’est pas si évident car on les quitte très vite. Et quand on les retrouve on chiale. Miguel est le jeune héros que Pixar méritait d’avoir, avec ses qualités et ses imperfections. Un Vice-Versa sur le personnage de Miguel, imagine un peu ce que ça pourrait donner. Il y a un discours passionnant sur l’ambivalence rêves/famille, l’abandon et le deuil, sur les vérités qu’on croit détenir, sur les notions d’art, de réussite.

     J’ai d’abord eu peur que le film utilise deux comic-sidekicks trop identifiables, avec le chien Danté et le mort Hector. Quand on sait ce que le récit réserve au second, les doutes sont vite envolés. Déjà ça (l’échange des rôles, l’imposture, le poison…) c’est à te faire chialer. Mais ce qu’on va broder autour d’Hector et de Mama Coco, mamma mia. Difficile de trouver un équivalent mais j’ai un peu l’impression que Fassbinder ou Sirk ont débarqué chez Pixar, si tu vois ce que je veux dire.

     Chez les vivants, « Dia de los muertos » leur donne l’occasion d’offrir des présents (offrandes, fleurs, nourritures) à leurs morts. Afin de revoir leurs descendants, les ancêtres, eux, traversent la douane qui vérifie qu’ils ne sont pas oubliés des vivants, qu’il y a des photos d’eux dans le vrai monde. Afin de revoir les vivants, les morts doivent traverser un pont tout en pétales dorés. C’est le plus beau viaduc qu’on aura vu au cinéma en 2017, après celui, surplombant le village dans La Villa, de Guédiguian.

     Dans le cas tragique où aucune photo d’eux n’orne d’autel, ils n’ont pas accès au pont, ne peuvent même pas forcer la traversée puisqu’ils s’enfoncent dans les pétales comme dans les sables mouvants. Idée absolument vertigineuse qui en amène une autre : Les morts peuvent aussi mourir dans le monde des morts, puisque sitôt qu’on les oublie, ils meurent physiquement à petit feu avant que leur âme, envahie par la tristesse, ne s’évapore à jamais. On savait les studios Pixar inventifs et capables de nous faire chialer en voyant des jouets attirés dans un incinérateur, mais je pensais toutefois pas qu’on irait jusqu’à pleurer la mort des morts.

     Ils passent donc la douane. Ou tentent de passer la douane à l’image d’Hector, qui sent qu’on l’oublie et se déguise en Frida Kahlo – Running-gag absolument génial. Comme souvent chez Pixar quand c’est drôle ça peut aussi être très drôle. Et ce qui est très beau (et pas si gratuit) avec ce gag c’est qu’il rejoint le récit : Dès l’instant que tu te situes dans la mémoire commune, tu ne risques pas de disparaître. Ça dit de belles choses sur l’imposture (déjà au cœur de Là-haut), de ces stars qu’on glorifie pour rien et de ces artistes de l’ombre qui sont les vrais perdants de l’Histoire. Hector en fait partie, le film prendra son temps pour nous le faire comprendre. On peut le sentir venir dès le départ, j’imagine, personnellement j’y ai vu que du feu, pour moi il était très vite évident qu’Ernesto de la Cruz soit l’arrière-grand-père de Miguel, sans doute car j’étais à fond dans le film comme jamais je ne l’avais été dans un Pixar – Voire dans un dessin animé tout court.

     Coco trouve grâce à mes yeux dans sa façon de jouer sur deux registres difficilement conciliables puisque c’est à la fois un film festif et féérique, donc conforme à son idée de base (Le jour des morts) et un mélodrame bouleversant. Le film brise la frontière entre les deux mondes, fait rejoindre les vivants et les morts, perturbe toute notion de temporalité et le tragique « cours normal des choses » comme jamais on l’avait ressenti depuis Titanic. Mama Coco c’est un peu Rose Dawson, avec moins le souvenir d’une passion que celui d’un père. Le dessin est remplacé par une chanson, le bijou par une photo déchirée, mais dans les deux cas c’est un visage tout en rides qui nous transporte dans le vertige du temps.

     Et puis ça pourrait n’être qu’un détail dans les investigations de Miguel lors de sa traversée du monde des morts, mais son guide (Hector) pour voir son ancêtre, lui demande d’emmener une photo de lui pour pas qu’on l’oublie et qu’il puisse un jour revoir sa fille. Cette simple photo, revenue d’entre les morts, était au cœur d’un autre film cette année, le magnifique Carré 35, d’Eric Caravaca. C’était la petite touche en plus, me concernant : Les larmes discrètes allaient se transformer en torrents.

     Pour finir, petite anecdote personnelle. J’y suis allé avec mon fils. Je pense pouvoir dire qu’il s’agit là de notre première vraie claque émotionnelle ensemble dans une salle de cinéma. C’est simple on pleurait tous les deux à la fin. « Papa c’était trop triste » m’a-t-il chuchoté dans l’oreille quand le générique est arrivé. Devant nous se trouvaient un père avec ses trois enfants, deux garçons qui avaient sensiblement le même âge que le mien et une petite fille de huit ans. Elle était inconsolable, complètement défaite, c’était terrible. Et le papa était dans le même état que nous. Punaise, j’avais déjà du mal à gérer l’émotion de mon fils et la mienne alors en gérer quatre, bravo, mec. On a discuté un peu en sortant. Il m’a dit que sa fille avait toujours été comme ça, hyper sensible, hyper empathique. « C’est sa force » a-t-il ajouté. J’ai trouvé ça très beau. Et puis nous bah on a titubé comme ça jusqu’à la maison.

Le faux coupable (The Wrong Man) – Alfred Hitchcock – 1957

05. Le faux coupable - The Wrong Man - Alfred Hitchcock - 1957L’injustice était presque parfaite.

   9.0   Très surpris par la tonalité du film, tant c’est sans doute le plus « bressonien » des films d’Hitchcock dans son découpage, ses cadrages, d’une extrême rigueur formelle, et l’utilisation d’un matériau réaliste (Le film va jusqu’à s’ouvrir sur une apparition du maître qui précise que contrairement à ses autres films, tout ce qui est raconté ici est vrai) qu’il parvient à ériger en manifeste documentaire. Il faut dire que c’est un beau portrait du New York des années 50, déjà. On voit beaucoup la ville. En plus de saisir les moindres gestes.

     Le faux coupable semble se construire contre l’Age d’Or hollywoodien, contre le cinéma hitchcockien habituel et tente de s’aventurer formellement vers quelque chose de plus européen. Le matériau réaliste permet à Hitchcock d’en accentuer sa précision documentaire, d’en faire une approche clinique. De facto si le suspense est savamment orchestré, le film en perd un peu de sa force onirique, de l’inventivité de chaque instant si chère au talent hitchcockien. Toute la partie centrale, lorsque Fonda est relâché sous caution et part en quête d’un alibi, est sans doute trop mécanique, trop maitrisée, au premier abord, dans sa succession de saynètes hyper découpées et assemblées pour faire glisser le film vers une surprise ou un imprévu dignes des plus belles réussites du maître. C’est en tout cas ce que l’on croit.

      Le faux coupable serait peu sans Henry Fonda et Vera Miles, tous deux étincelants. Lui tant il parvient à jouer cet homme ordinaire à qui il arrive quelque chose d’injuste et extraordinaire, avec une transparence folle, prestation à laquelle on pourrait rapprocher récemment celle de Riz Ahmed, dans la série HBO, The Night Of, qui raconte elle aussi une énorme injustice. Henry Fonda n’est plus Henry Fonda, mais bien le personnage qu’il incarne. Et ce sera pareil chez Lumet la même année, dans Douze hommes en colère. C’est dire le génie de cet acteur. Quant à elle c’est autre chose. La complexité de ce personnage qui glisse vers la folie est très difficile à incarner, cette femme qui doute de l’innocence de son mari au point d’en transférer la culpabilité sur ses frêles épaules. La subtilité de son jeu dépasse très largement ce qu’on peut attendre d’une performance d’actrice issue des studios.

    Il y a au passage toute une dimension christique qui accompagne le film, dans la mesure où c’est lorsque le personnage s’en va prier (il ne cesse de transporter un chapelet durant tout le film) qu’on découvre en surimpression au détour d’un plan dont seul Hitchcock a le secret, le visage du vrai coupable qui sera bientôt arrêté. On croit tenir une issue facile et un happy end bâclé si l’injustice réparée n’avait pas laissé ce profond sentiment de tristesse en accablant la pauvre femme. Cette fin est d’une tristesse sans nom. Sans doute car c’est la plus réaliste possible. Ce même si Hitchcock offre un épilogue plus heureux, en apparence, puisqu’il est seulement écrit et ce ne sont que des silhouettes qu’on perçoit dans l’arrière-plan. Rien de rassurant là-dedans.

     Si le transfert d’identité et de culpabilité obsède Hitchcock, il ne l’avait jamais traité sous cet angle si sérieux inhérent au véritable fait divers. S’il n’apparait pas dans le film (Hormis donc dans cette introduction) c’est parce qu’il juge bon de ne pas être un cas de distraction. De le voir s’aventurer là-dedans entre L’homme qui en savait trop, remake de son propre film, et Vertigo, son chef d’œuvre, dit combien c’est un cinéaste qui n’aura cessé de sortir des rails. Le faux coupable a ceci de fascinant qu’il est un pur produit hitchcockien autant qu’il est complètement inattendu pour du Hitchcock. Ça c’est fort.

Problemos – Eric Judor – 2017

18. Problemos - Eric Judor - 2017L’Ardèche infernale.

   7.0   « Pan-dé-mie. C’est pas pain de mie c’est Pandémie. C’est une PUTAIN de PANDEMIE. Mais t’es débile toi en fait ? Elle est débile, elle »

     Pas loin d’avoir adoré. Autant que la saison 2 de Platane, en gros. Je pense que je vais le revoir très vite.

     L’histoire est celle d’un couple de parisiens qui passent voir un ami / ancien prof de yoga dans une communauté zadiste recluse dans un petit coin de campagne d’Ardèche s’élevant contre le projet de construction d’un parc aquatique. Ils vont d’abord tirer la tronche, puis y prendre goût avant de clairement plus pouvoir partir.

     Ça aurait sans doute mérité un peu moins de gags et davantage de mise en scène, moins d’absurdités légères et davantage d’envolées sidérantes, mais on va pas leur redemander un Steak. Et puis Judor n’est pas Dupieux. Sous la plume de Blanche Gardin – autre humoriste en vogue – Judor va pourtant trouver de belles inspirations (et d’autres moins, comme la toute fin mais ce n’est pas très grave) et parvenir à saisir de façon singulière le paysage ardéchois duquel on ne sortira jamais. Il y aura des titres de chapitres bien loufoques qui ne serviront à rien. Il y aura des morts. J’avoue avoir été embarqué dans l’aventure.

     Dans les petites satisfactions qui accompagnent la grosse satisfaction de voir une comédie française de ce beau calibre en 2017, je suis ravi d’y voir Mr Fraize, ailleurs que dans ses hilarants tutos dispos sur Youtube. Ravi aussi d’y voir Youssef Hajdi, qui apporte chaque fois un supplément de quelque chose au film dans lequel il se trouve – déjà formidable dans Vincent n’a pas d’écailles, par exemple. Il joue ici le gars à tout faire, évincé provisoirement de la communauté dès l’instant qu’il est possiblement contaminé. Il va alors se construire une cabane sur le fleuve à flanc de falaise, avec douche chaude et énergie solaire. Il est absolument formidable. Mais globalement toute la troupe d’acteurs est géniale et ça fait d’ailleurs du bien de voir autant de nouvelles têtes et des personnages aussi atypiques que l’adolescente dialoguant avec les arbres dans un confessionnal imaginaire, persuadée d’être à l’intérieur d’une télé-réalité. Chacun a un vrai rôle à tenir et sa propre histoire.

     Ça fait quoiqu’il en soit du bien de voir une comédie qui tape sur « un groupe de personnes » en l’occurrence ici des bobos alter-mondialos, sans pour autant chercher à les récupérer coute que coûte, finalement dire qu’ils sont mignons, gentils, comme dans la plupart des comédies françaises aujourd’hui. Problemos se fiche alors du politiquement correct et par une astuce toute bête de scénario (la fameuse pandémie) engouffre le film dans une absurdité aussi contrôlée que réjouissante.

     Et puis surtout, je trouve que c’est un film qui ne rit pas des écolos mais rit avec eux. Il y a quelque chose de très ouvert là-dedans, chaleureux dans le texte, les personnages, leurs défauts et l’absurdité qui émane de chacun. Sans que ce soit réconciliateur pour autant : Le film est dans son délire, jusqu’au bout.

Une passion (En passion) – Ingmar Bergman – 1970

15. Une passion - En passion - Ingmar Bergman - 1970Croyances et solitudes.

   8.0   A l’instar de Persona ou La honte, Une passion est lui aussi tourné sur l’île de Faro. Ce lieu semble être un vecteur de noirceur pour Bergman, tant ces trois films, aussi différents soient-ils respirent la tragédie de façon assez similaire. Les quatre personnages incarnés par des habitués du cinéma de Bergman à savoir Bibi Andersson, Liv Ullman, Erland Josephson et Max Von Sydow, sont rattrapés par leur obscurité propre, le mensonge, la jalousie, le désir, la folie. Ils se rencontrent apparemment pour le bien (C’est d’abord l’hospitalité qu’on offre à une étrangère, pour un simple coup de téléphone, suivi d’un dîner en guise de remerciements) mais poursuivent leurs relations pour le mal. En filigrane, sur l’île, un mal étrange secoue la population puisqu’un dingue s’en prend aux bêtes, un chien ici, un troupeau de moutons là. Qu’importe son identité, il est le reflet de ce quatuor déchiré.

     Dans Une passion, la place du personnage se confond étrangement avec son interprète. En effet, il y a ce dîner, par exemple, au cours duquel chacun raconte une croyance qui lui est propre, à tour de rôle. Difficile de détecter si ces quatre textes (mis en scène de façon à ce que la question se pose : Un long plan visage) sont écrit par Bergman ou par les acteurs – Il s’avère, après vérifications, que ce sont les acteurs qui ont choisi leur texte respectif. Quelque part j’ai beaucoup pensé à Une sale histoire, de Jean Eustache. Comme si ça ne suffisait pas, quatre moments dans le film (judicieusement éparpillés) font parler les acteurs face à une caméra se confiant sur l’identité du personnage qu’ils incarnent. C’est aussi déroutant que vertigineux.

     Techniquement c’est en tout cas l’un des Bergman les plus étranges que j’ai pu voir, tant dans son aboutissement pictural (cette manière de jouer avec les contrastes et les couleurs, d’accentuer une lumière naturelle, rouge, écarlate ou dans la pénombre) que dans ses nombreuses incursions de gros plans comme jamais on en avait vu chez le réalisateur suédois. Il y a un moment donné un monologue ahurissant de Liv Ullman, le plan ne cadre que son visage plusieurs minutes durant. Ça reprend autant Persona (l’étirement de la parole) que ça annonce Cris et chuchotements et ses pics de souffrance frontaux. A noter qu’il s’agit du deuxième film en couleur de Bergman après le difficilement supportable Toutes ses femmes. C’est son premier drame en couleur, on va dire. Dans lequel il capte aussi bien l’étrange lumière de Faro que les yeux azur de Liv Ullman.

     Malgré sa simplicité d’apparence, puisqu’on est loin des expérimentations visuelles de L’heure du loup ou Persona, Une passion est traversé d’éclats de sidération pour le moins inquiétants. Cette fin en premier lieu, brutale autant qu’elle est énigmatique et à l’image de ce mal qui ronge l’air et les bêtes de l’île, ou ce terrible rêve en noir et blanc aux trois quarts du métrage. Puis il y a ce dernier plan, incroyable, dans lequel Max Von Sydow, qui ne cessait de clamer son désir de liberté et sa crainte de mourir sur cette île, se voit littéralement enfermé par le cadre jusqu’à en être avalé. Il marche de droite à gauche, titube façon zombie. Un léger zoom fait rétrécir les bords du cadre et ses allées et venues. Il ne parvient pas à s’en extirper. Il s’écroule au sol comme poussé par les cieux (qu’on ne voit plus non plus), le cadre l’écrase puis l’image tellement zoomée ne capte plus qu’une lumière aveuglante et floue. Grand film.

Le mécano de la Général (The General) – Buster Keaton et Clyde Bruckman – 1927

16. Le mécano de la Général - The General - Buster Keaton et Clyde Bruckman - 1927De la guerre pour les braves.

   7.5   Sur notre lancée nous sommes allés, mon fils et moi, voir l’un des films les plus estimés de Buster Keaton, ce bien que Coco, le dernier Pixar, nous fasse de l’œil – La prochaine fois, sans doute. J’avais déjà vu Le mécano de la Général il y a longtemps mais c’est toujours mieux sur grand écran, d’autant que voies ferrées obligent (le film se déroule principalement à bord de trains) Keaton utilise l’espace à sa disposition à merveille, la profondeur de champ et les plans larges de façon assez bluffante. Et il reconstruit à sa sauce deux événements marquants de l’histoire sécessionniste : Le raid d’Andrews et la bataille de Rock River – Qu’il solde par la chute d’une (vraie) locomotive dans la rivière.

     La guerre de Sécession éclate. Johnny aka Keaton, simple mécanicien de locomotive, souhaite s’engager dans les forces armées sudistes pour séduire sa promise, fille d’un grand colonel. La rampe de lancement dans le cinéma de Keaton c’est souvent une fille. En grand romantique, il veut qu’on le couvre de lauriers, pour la rendre fière. Sauf qu’en petit gabarit qu’il est, on ne le convie pas dans les troupes et les ruses n’y feront rien. C’est par ses maladresses et sa (mal)chance que Keaton se retrouve embringué dans la guerre et qu’il va avoir emprise sur elle, infiltré d’un côté puis de l’autre. D’autant plus lorsque ses deux amours (la locomotive et la fille) sont enlevées par des espions nordistes.

     J’allais pas lui imposer la gageure de dresser un top :D mais j’ai tout de même demandé à mon fils, au sortir de la salle, lequel des deux films de Keaton (Cadet d’eau douce, samedi dernier ou Le mécano de la Général cette fois) il avait préféré. Les deux m’a-t-il répondu spontanément – Pour me faire plaisir, probablement et/ou ne pas risquer d’entrer en conflit avec moi. J’aurais toutefois juré qu’il avait été plus réceptif à Cadet d’eau douce, mais c’est sans doute moi. Car y a pas photo à mes yeux. Keaton est ici plus en force, plus lourd dans sa mécanique burlesque, moins fluide dans sa narration – trop de cartons explicatifs notamment. Mais bon, ça reste génial, hein.

Dernier Été – Robert Guédiguian & Frank Le Wita – 1981

11. Dernier Été - Robert Guédiguian & Frank Le Wita - 1981Rêves envolés.

   6.5   Si La Villa, le vingtième film de Guédiguian, était hanté par la mort, Dernier été, son tout premier, libère déjà cette odeur funeste au détour du portrait de ce garçon (Joué par le jeune Gérard Meylan, pas trente ans et dont c’est la première apparition au cinéma) accablé devant l’évaporation de son quartier, que tout le monde a quitté puisque les usines ont fermé, avant qu’il ne meure, lui aussi, plus tard, des suites de l’un de ses nombreux larcins. Dernier été est un beau premier film. On y découvre Marseille et plus particulièrement les quartiers populaires de l’Estaque, comme jamais on l’avait filmé au cinéma : Ses familles modestes retranchées dans des appartements minuscules et/ou dégradés, bande de copains squattant les bars, écumant les parties de baby-foot en sifflant des verres de pastis, gamins jouant au ballon sur des terrains vagues, baignades et plongeons dans le port de plaisance, dégustations de panisses au bistrot du coin, petits boulots au chantier naval, danses au bal du quartier. Le film m’a surtout plu dans sa capacité à filmer chaque déplacement, en bus ou en vespa, à bord d’une voiture volée ou d’un camion benne, notamment ces ruelles ou cette départementale menant au centre-ville de Marseille. Le film prend son temps pour cartographier les lieux. S’il est surtout question d’un film de copains, voire d’une tentative d’histoire amoureuse (Meylan y rencontre Ariane Ascaride, dont ce sera le deuxième film, après une apparition dans un film de René Féret) il y a chaque fois ce retranchement familial, silencieux puis conflictuel, comme si quelque chose de circulaire, relevant d’un non-avenir sans cesse renouvelé frappait chacun des personnages partagés entre le rêve d’ailleurs sans trop y croire et la résignation pragmatique, tragique. Il manque sans doute le sel romanesque qui fait la matière des derniers films du cinéaste, néanmoins il y a une volonté de construire d’étonnantes connexions entre les personnages et je le répète, une façon si singulière de saisir la respiration de cette région si chère à Guédiguian.

Scarface – Howard Hawks – 1933

06. Scarface - Howard Hawks - 1933Coups de feu sur Chicago.

   7.5   Découvrir le Scarface de Hawks quand on connait à ce point par cœur celui de Brian de Palma est une expérience plutôt déroutante. Déjà parce que les grandes lignes sont identiques. Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours supposé qu’ils n’avaient que le titre en commun. En fait il s’agit ici comme là de l’ascension d’un petit caïd jusqu’à son incontournable (et rapide) destin funeste. Il y avait déjà The World Is Yours, chez Hawks. La relation conflictuelle avec la mère, le rapport super chelou avec la petite sœur. Le patron doublé dans une séquence pivot mémorable. Le bras droit (et ami, mais un peu moins chez Hawks) sacrifié lors d’un accès de jalousie pathétique / suite logique de cet enchevêtrement de violence / paranoïa. Et la grande scène finale, copie conforme, si ce n’est que les flics chez Hawks étaient remplacés par le cartel, chez De Palma. Chacun son époque : Le trafic d’alcool en pleine prohibition contre l’univers de la drogue post Exode de Mariel. Chicago contre Miami. Tony ne s’appelle pas Montana, mais Carmonte. Gina devient Cesca, Manny devient Guino. Qu’importe. Ce qui change du tout au tout c’est le reste : La mise en scène, le ton, le rythme, l’époque tout simplement. Et l’étirement chez l’un remplace la sècheresse de l’autre. Impossible de voir ce rapide premier meurtre, tout en ombres chinoises, chez De Palma. De la même manière, impossible de trouver pareille séquence à celle de la tronçonneuse dans l’opus de Hawks. Ceci dit, c’est très violent. Je ne savais pas qu’on avait fait des trucs aussi rudes, aussi brutaux dans les années 30. Scarface est peut-être un film précurseur, je ne sais pas, toujours est-il que ça m’a impressionné. C’est quasi une chorégraphie de meurtres en rafale un moment donné. Hawks expérimente tout sur l’image : On les prend de plein fouet, hors-champ ou via des ombres – à l’image du tout premier fait d’arme de Tony ou de l’exécution des sept petits truands alignés contre un mur. Là où De Palma est resté fidèle à Hawks c’est via son personnage, Tony, sa nonchalance (face aux flics, notamment) et son exubérance, figure aussi pathétique (il n’est finalement que le vulgaire produit de ce que la société peut enfanter de pire) que tragique, dans sa façon de briser ceux qui gravitent dans son univers. Point d’enrobage musical ni de fusillade spectaculaire chez Hawks, la fin est aussi sèche que le reste du film, mais l’outrance se situait pourtant déjà dans le jeu de l’acteur campant Tony. Al Pacino en 1984 et Paul Muni en 1933, cicatrice sur la joue, arborent tous deux un jeu volontiers cabotin qui n’a d’égal que la folie du personnage. J’aurais toujours une préférence pour le De Palma, sa virtuosité, sa vulgarité 80’s, son ambiance cocaïne et palmiers, Miami, la musique de Moroder. Mais le Chicago de Hawks, qui pue la chevrotine et l’atmosphère lugubre, envoie du pâté aussi. Difficile en effet de faire plus noir que ce film noir.

Un village français – Saison 7B – France 3 – 2017

25. Un village français - Saison 7B - France 3 - 2017Prisonniers de guerre.

   8.0   Et si la seconde partie de cette septième et ultime saison d’Un village français, constituait, du haut de ses six épisodes d’une heure chacun, ce que la série avait offert de plus beau, inventif, osé, lumineux et désespéré dans son ensemble, depuis son lancement en 2009 ?

     Il y avait pourtant dans la partie A tout pour clore Un village français et tourner la page Villeneuve sous l’occupation avec « l’Epuration à la libération en France ». La guerre était finie. Certains personnages sombraient dans la folie, d’autres dans l’oubli, il y avait des jugements, des prolongements, des bifurcations. Il s’agissait moins d’une fin que d’un nouveau départ pour chacun. Une fin sans en être une, annonçant l’après-guerre, qu’on ne verrait jamais, c’était tout aussi bien ainsi.

     Qu’allait donc pouvoir contenir ces six derniers épisodes, sans ennuyer, redire, appuyer ou contredire tout ce que la série avait minutieusement construit ? Surtout, je me suis rendu compte, en regardant cette dernière salve, à quel point j’étais attaché à la série, attaché à ses personnages, attaché à sa dimension chorale, touché par ces histoires aux émotions exacerbées par la guerre et ce qu’elle engendre pour chacun de ces beaux personnages, complexes, denses, formidablement écrits.

     Franchement je m’y jetais sans crainte, j’étais persuadé qu’ils trouveraient la meilleure façon d’en finir. Et la grande idée, c’est le flash forward. C’est en effet sur plusieurs temporalités que va se dérouler cette saison, se risquant à se détourner de ses fans, habitués à sa fine linéarité, à son classicisme si j’ose dire. Les créateurs décident donc de nous embarquer dix ans, trente ans voire soixante ans plus tard, tout en revenant régulièrement en 1945 où beaucoup jouent encore très gros. C’est vertigineux.

     Il y aura, entre autre, la venue de Tequiero à Villeneuve en 1975, qui rend visite à son père, autant qu’il vient lui demander de rendre des comptes sur le parquage des juifs dans l’école en 1942. Toutes les séquences entre Robin Renucci et Eric Caravaca sont poignantes – Et mention spéciale dans celle du bar avec le retour de Gustave. Il y a ici l’internement d’Hortense en 1945, la grève dans la scierie de Raymond la même année, puis son emprisonnement en 1953 pour un meurtre commis en 42, le vernissage des toiles d’Hortense en 1975. Nous assisterons à la fin de Muller dans l’Amérique latine des années 60, aux derniers – sublimes – instants de Lucienne et Bériot en 2003, au sort d’Antoine, à celui de Rita. Ça permet d’aller plus loin que la période de référence afin de montrer combien 39/45 influencera la vie de nos personnages jusqu’à leur mort.

     Et chacun des acteurs est grimé suivant l’époque, pour accentuer le vieillissement de son personnage. Difficile de faire plus casse-gueule. Et par on ne sait quel miracle, tout s’emboite à merveille, le montage est extraordinairement doux et son agencement d’une période sur l’autre absolument adéquat, toutes les temporalités se nourrissent entre elles et l’émotion est palpable puisqu’on y fait nous aussi nos adieux. La réalisation est soignée comme jamais. Le dernier plan est parfait. Ravi que cette série, intelligente et audacieuse, se termine aussi brillamment.

A ghost story – David Lowery – 2017

24. A ghost story - David Lowery - 2017Dans le royaume d’un soleil mourant.

   7.5   Avec cette histoire de couple détruit et cette approche originale de la solitude puisque saisie du point de vue du fantôme, on pense forcément à Ghost – Et dans une moindre mesure à Always, de Spielberg. Ici, point de détour rocambolesque vers le rollercoaster pour la ménagère ni de discours bien pensant sur le bien et le mal ni de trouées franchement niaises, humoristiques ou carrément de remplissage. David Lowery (Qui m’était alors encore complètement inconnu) filme Rooney Mara et Casey Affleck, puis un simple drap blanc qui observe Rooney Mara. Les cojones, le mec. C’est surtout un lieu qu’il filme, quasi une seule pièce en fait, décharnée mais vectrice d’émotions diverses, d’interrogations existentielles, de vertige métaphysique. Avec de surcroît, une audacieuse réflexion sur le temps.

     Tour à tour et pour des raisons variées, j’ai pensé à Interstellar, I origins, The tree of life, Post tenebras lux, le cinéma d’Ozu, celui de Weerasethakul. C’est fort. Et ça l’est d’autant plus que le film ne leur ressemble pas du tout sur la forme, à aucun d’entre eux. Il va même à l’encontre de ce qu’on peut attendre d’un film érigé dans un festival comme celui de Deauville. Rien que sur l’utilisation de ce format 1,33 arrondi sur les bords, la photo vintage et le fait que presque l’intégralité du film se passe de dialogues, se déroulant dans un intérieur, celui d’une petite maison de banlieue. Qui ose faire ça aujourd’hui ? Qui ose relier l’imagerie Instagram et la mécanique d’un film d’Akerman ?

     Lowery opte pour des plans souvent très longs, fixes la plupart du temps (le couple au lit, la morgue, la tarte, pour ne citer que les trois plus représentatifs) de façon à faire résonner l’éternité à venir avec les possibilités générées par l’étirement du plan. On pense aussi au visuel du Within the Realm of a Dying Sun, le disque de Dead Can Dance. Curieuse, cette idée de drap blanc, tout de même. Ou la version désespérée du drap blanc horrifique de Myers dans Halloween, de Carpenter. De toute façon, Lowery joue beaucoup de ce statut entré dans l’histoire du cinéma, qui fait qu’un fantôme, qui plus est apparaissant ainsi, se doit de provoquer la peur. Les plans sont donc excessivement longs mais à défaut de viser le jump scare ils soulignent la mélancolie de l’éternité.

     J’attendais un film de fantômes. J’étais loin d’imaginer un truc pareil. On sursaute par trois fois, c’est tout. Pour un piano, une pelleteuse et une vitre. C’est tout. Ce n’est pas hanté par la peur qu’on en sort mais chamboulé par sa mélancolie palpable et sa volonté de brasser une vie toute entière et bien plus encore (Je ne dévoile pas les ellipses hallucinantes qui vont vite nous être proposées) afin de revoir l’être aimé et d’établir le contact avec le dernier mot qu’elle nous a laissé. C’est puissant.

     Il y a deux séquences qui font jaser et sont il est vrai pas loin de l’instant de bravoure. Rooney Mara qui mange une tarte et la tirade existentialiste de Will Oldham. Ce sont deux scènes qui font glisser le film dans une nouvelle ère. On peut les trouver lourdes (de sens) mais c’est un parti pris intéressant dans chaque cas. Si l’on comprend vite ce qu’elles signifient, elles débarquent vraiment à l’improviste je trouve. Et puis en terme d’étirement de plan on est quand même loin du Point Akerman.

Cadet d’eau douce (Steamboat Bill Jr.) – Buster Keaton & Charles Reisner – 1928

10. Cadet d'eau douce - Steamboat Bill Jr - Buster Keaton & Charles Reisner - 1928Super-bonheur.

   9.0   Je réalise là plusieurs de mes doux rêves. Voir un Keaton au cinéma, déjà, puisque ça ne m’était encore pas arrivé. Découvrir un film de Keaton au cinéma – J’en connais quelques-uns et compte d’ailleurs revoir The General en salle, mais jamais je n’avais vu Steamboat Bill Jr, pourtant considéré comme étant l’une de ses plus franches réussites. Et faire découvrir Buster Keaton à mon fils, depuis le temps que je lui en cause et lui répète que c’est un cousin de Charlot – Qu’il adore. Alors quand le film en question c’est Steamboat Bill Jr aka Cadet d’eau douce (J’aime bien, on dirait une insulte du Capitaine Haddock) cette merveille absolue, le plaisir ne peut qu’être total.

     En cale d’un port du Mississipi, les mariniers de deux rafiots de compagnies concurrentes se toisent poliment. Un matin, le capitaine du modeste Steamboat Bill. s’en va à la gare chercher son rejeton, de retour de sa vie estudiantine. Si le père est une armoire bourrue tout en grimaces et grands gestes, le fils est un frêle oiseau, coiffé d’un béret, muni d’un ukulélé, impassible et dont chacun des mouvements ouvre des gouffres de poésie. Le père voudrait qu’il travaille à ses côtés (Pour le remplacer dans son affaire) mais il est trop maladroit, trop rêveur, trop empoté pour supporter le poids de telles responsabilités, pour tutoyer la virilité de son père. Les manettes, câbles, cordes sont pour lui des objets du décor, des trucs inutiles et chacune de ses maladresses, chacun de ses trébuchements sont des possibilités de catastrophes.

     Keaton s’amuse de cet espace, cette gare, ces quais, ce salon de barbier, ce magasin de chapeaux (la séquence des essayages est un sommet de drôlerie keatonienne), avant de laisser libre court à ses grandes inspirations sur le bateau, puis d’un bateau vers l’autre. Car sans surprise, Keaton va tomber amoureux. Et pas de n’importe qui puisqu’il tente de séduire la fille du riche propriétaire de la compagnie d’à côté – Relents de Malec et la voisine, forcément qu’on y pense. Le cœur de Keaton faisant des bonds à tenter par tous les moyens de rejoindre celle qu’il aime (contre l’avis et la fierté de son père qui le cloitre d’abord dans sa cabine – dont il s’extirpera sur une pirouette d’évasion jubilatoire) c’est finalement son corps qui à mesure semble de plus en plus élastique. Il se cogne, il glisse, tombe à l’eau, se cogne à nouveau.

     Impossible d’atteindre sa promise. D’autant qu’il va bientôt se mettre en tête de libérer son père de prison – enfermé pour s’être violemment battu avec son concurrent. Sans raconter ce qui se déroule dans cette prison de fortune, repenser ne serait-ce qu’à Keaton, débarquant sifflotant, une baguette sous le bras, me fait hurler de rire. Et si y avait que ça. Mais non, il reste au film une dernière cartouche, la plus belle, la plus folle : Le village va affronter une gigantesque tempête, qui fait tomber les cloisons (On retient notamment le gag voyant une maison s’écrouler sur Keaton sauvé uniquement parce qu’il se trouvait à l’endroit d’une lucarne), fait voyager la prison jusque dans le fleuve, fait glisser des lits au milieu d’une écurie, fait voler Keaton qui s’accroche comme il peut aux arbres qui bientôt se déracinent – Naissance du film catastrophe, sans sourciller. Et par un miracle génialement improbable, Keaton l’antihéros de base se transforme en superhéros et sauve tout le monde – Magnifique idée que de le voir piloter à distance les deux bateaux à aubes, avec des cordes comme un marionnettiste le ferait avec ses pantins ou un metteur en scène avec son décor et ses acteurs.

     Mon fils est sorti de la salle, le sourire greffé sur les lèvres, en faisant semblant de glisser et se cogner partout. Contaminé par la magie keatonienne. S’écroulant entre deux rangées de sièges, une dame lui demande s’il ne s’est pas fait mal. « Mais non, je suis Buster Keaton ! » a-t-il lâché. J’étais un peu gêné mais aussi très touché qu’il ait autant voyagé dans le film que moi.

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