Publié 29 janvier 2018
dans Frank Le Wita et Robert Guédiguian
Rêves envolés.
6.5 Si La Villa, le vingtième film de Guédiguian, était hanté par la mort, Dernier été, son tout premier, libère déjà cette odeur funeste au détour du portrait de ce garçon (Joué par le jeune Gérard Meylan, pas trente ans et dont c’est la première apparition au cinéma) accablé devant l’évaporation de son quartier, que tout le monde a quitté puisque les usines ont fermé, avant qu’il ne meure, lui aussi, plus tard, des suites de l’un de ses nombreux larcins. Dernier été est un beau premier film. On y découvre Marseille et plus particulièrement les quartiers populaires de l’Estaque, comme jamais on l’avait filmé au cinéma : Ses familles modestes retranchées dans des appartements minuscules et/ou dégradés, bande de copains squattant les bars, écumant les parties de baby-foot en sifflant des verres de pastis, gamins jouant au ballon sur des terrains vagues, baignades et plongeons dans le port de plaisance, dégustations de panisses au bistrot du coin, petits boulots au chantier naval, danses au bal du quartier. Le film m’a surtout plu dans sa capacité à filmer chaque déplacement, en bus ou en vespa, à bord d’une voiture volée ou d’un camion benne, notamment ces ruelles ou cette départementale menant au centre-ville de Marseille. Le film prend son temps pour cartographier les lieux. S’il est surtout question d’un film de copains, voire d’une tentative d’histoire amoureuse (Meylan y rencontre Ariane Ascaride, dont ce sera le deuxième film, après une apparition dans un film de René Féret) il y a chaque fois ce retranchement familial, silencieux puis conflictuel, comme si quelque chose de circulaire, relevant d’un non-avenir sans cesse renouvelé frappait chacun des personnages partagés entre le rêve d’ailleurs sans trop y croire et la résignation pragmatique, tragique. Il manque sans doute le sel romanesque qui fait la matière des derniers films du cinéaste, néanmoins il y a une volonté de construire d’étonnantes connexions entre les personnages et je le répète, une façon si singulière de saisir la respiration de cette région si chère à Guédiguian.
Publié 29 janvier 2018
dans Howard Hawks
Coups de feu sur Chicago.
7.5 Découvrir le Scarface de Hawks quand on connait à ce point par cœur celui de Brian de Palma est une expérience plutôt déroutante. Déjà parce que les grandes lignes sont identiques. Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours supposé qu’ils n’avaient que le titre en commun. En fait il s’agit ici comme là de l’ascension d’un petit caïd jusqu’à son incontournable (et rapide) destin funeste. Il y avait déjà The World Is Yours, chez Hawks. La relation conflictuelle avec la mère, le rapport super chelou avec la petite sœur. Le patron doublé dans une séquence pivot mémorable. Le bras droit (et ami, mais un peu moins chez Hawks) sacrifié lors d’un accès de jalousie pathétique / suite logique de cet enchevêtrement de violence / paranoïa. Et la grande scène finale, copie conforme, si ce n’est que les flics chez Hawks étaient remplacés par le cartel, chez De Palma. Chacun son époque : Le trafic d’alcool en pleine prohibition contre l’univers de la drogue post Exode de Mariel. Chicago contre Miami. Tony ne s’appelle pas Montana, mais Carmonte. Gina devient Cesca, Manny devient Guino. Qu’importe. Ce qui change du tout au tout c’est le reste : La mise en scène, le ton, le rythme, l’époque tout simplement. Et l’étirement chez l’un remplace la sècheresse de l’autre. Impossible de voir ce rapide premier meurtre, tout en ombres chinoises, chez De Palma. De la même manière, impossible de trouver pareille séquence à celle de la tronçonneuse dans l’opus de Hawks. Ceci dit, c’est très violent. Je ne savais pas qu’on avait fait des trucs aussi rudes, aussi brutaux dans les années 30. Scarface est peut-être un film précurseur, je ne sais pas, toujours est-il que ça m’a impressionné. C’est quasi une chorégraphie de meurtres en rafale un moment donné. Hawks expérimente tout sur l’image : On les prend de plein fouet, hors-champ ou via des ombres – à l’image du tout premier fait d’arme de Tony ou de l’exécution des sept petits truands alignés contre un mur. Là où De Palma est resté fidèle à Hawks c’est via son personnage, Tony, sa nonchalance (face aux flics, notamment) et son exubérance, figure aussi pathétique (il n’est finalement que le vulgaire produit de ce que la société peut enfanter de pire) que tragique, dans sa façon de briser ceux qui gravitent dans son univers. Point d’enrobage musical ni de fusillade spectaculaire chez Hawks, la fin est aussi sèche que le reste du film, mais l’outrance se situait pourtant déjà dans le jeu de l’acteur campant Tony. Al Pacino en 1984 et Paul Muni en 1933, cicatrice sur la joue, arborent tous deux un jeu volontiers cabotin qui n’a d’égal que la folie du personnage. J’aurais toujours une préférence pour le De Palma, sa virtuosité, sa vulgarité 80’s, son ambiance cocaïne et palmiers, Miami, la musique de Moroder. Mais le Chicago de Hawks, qui pue la chevrotine et l’atmosphère lugubre, envoie du pâté aussi. Difficile en effet de faire plus noir que ce film noir.