Croyances et solitudes.
8.0 A l’instar de Persona ou La honte, Une passion est lui aussi tourné sur l’île de Faro. Ce lieu semble être un vecteur de noirceur pour Bergman, tant ces trois films, aussi différents soient-ils respirent la tragédie de façon assez similaire. Les quatre personnages incarnés par des habitués du cinéma de Bergman à savoir Bibi Andersson, Liv Ullman, Erland Josephson et Max Von Sydow, sont rattrapés par leur obscurité propre, le mensonge, la jalousie, le désir, la folie. Ils se rencontrent apparemment pour le bien (C’est d’abord l’hospitalité qu’on offre à une étrangère, pour un simple coup de téléphone, suivi d’un dîner en guise de remerciements) mais poursuivent leurs relations pour le mal. En filigrane, sur l’île, un mal étrange secoue la population puisqu’un dingue s’en prend aux bêtes, un chien ici, un troupeau de moutons là. Qu’importe son identité, il est le reflet de ce quatuor déchiré.
Dans Une passion, la place du personnage se confond étrangement avec son interprète. En effet, il y a ce dîner, par exemple, au cours duquel chacun raconte une croyance qui lui est propre, à tour de rôle. Difficile de détecter si ces quatre textes (mis en scène de façon à ce que la question se pose : Un long plan visage) sont écrit par Bergman ou par les acteurs – Il s’avère, après vérifications, que ce sont les acteurs qui ont choisi leur texte respectif. Quelque part j’ai beaucoup pensé à Une sale histoire, de Jean Eustache. Comme si ça ne suffisait pas, quatre moments dans le film (judicieusement éparpillés) font parler les acteurs face à une caméra se confiant sur l’identité du personnage qu’ils incarnent. C’est aussi déroutant que vertigineux.
Techniquement c’est en tout cas l’un des Bergman les plus étranges que j’ai pu voir, tant dans son aboutissement pictural (cette manière de jouer avec les contrastes et les couleurs, d’accentuer une lumière naturelle, rouge, écarlate ou dans la pénombre) que dans ses nombreuses incursions de gros plans comme jamais on en avait vu chez le réalisateur suédois. Il y a un moment donné un monologue ahurissant de Liv Ullman, le plan ne cadre que son visage plusieurs minutes durant. Ça reprend autant Persona (l’étirement de la parole) que ça annonce Cris et chuchotements et ses pics de souffrance frontaux. A noter qu’il s’agit du deuxième film en couleur de Bergman après le difficilement supportable Toutes ses femmes. C’est son premier drame en couleur, on va dire. Dans lequel il capte aussi bien l’étrange lumière de Faro que les yeux azur de Liv Ullman.
Malgré sa simplicité d’apparence, puisqu’on est loin des expérimentations visuelles de L’heure du loup ou Persona, Une passion est traversé d’éclats de sidération pour le moins inquiétants. Cette fin en premier lieu, brutale autant qu’elle est énigmatique et à l’image de ce mal qui ronge l’air et les bêtes de l’île, ou ce terrible rêve en noir et blanc aux trois quarts du métrage. Puis il y a ce dernier plan, incroyable, dans lequel Max Von Sydow, qui ne cessait de clamer son désir de liberté et sa crainte de mourir sur cette île, se voit littéralement enfermé par le cadre jusqu’à en être avalé. Il marche de droite à gauche, titube façon zombie. Un léger zoom fait rétrécir les bords du cadre et ses allées et venues. Il ne parvient pas à s’en extirper. Il s’écroule au sol comme poussé par les cieux (qu’on ne voit plus non plus), le cadre l’écrase puis l’image tellement zoomée ne capte plus qu’une lumière aveuglante et floue. Grand film.
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