L’amour dérobé.
8.0 Brillant. Le plus beau film de Lelouch, en ce qui me concerne, sur la dizaine vue à ce jour. C’est une sorte d’état de grâce permanent, miraculeux. Une histoire de vol et une histoire d’amour en symbiose totale, qui se dévorent tour à tour l’une et l’autre, sans jamais vraiment se déliter ni l’une ni l’autre. Parait que Friedkin adore. Et que Kubrick le passait souvent à ses acteurs avant ses tournages. La classe.
L’ouverture fait pourtant craindre le pire puisque La bonne année s’ouvre sur le final d’Un homme et une femme, sur le quai de gare, recrachée telle quelle. Shabadabada compris. C’était presque éliminatoire d’entrée mais Lelouch se rattrape aussitôt : Générique, le film était en réalité projeté dans une prison où il y est copieusement sifflé. Sur ce, Lino Ventura apparait. On oublie Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, c’est une nouvelle histoire qui démarre.
Le premier quart d’heure est en noir et blanc. On est en 1973 et Lino écope d’une remise de peine maquillée. On apprendra plus tard qu’on le laissait sortir en espérant qu’il retrouve son complice toujours en fuite. Il ira rejoindre sa bien-aimée mais verra qu’un autre homme a pris sa place. C’est alors que la couleur fait son apparition. On est en 1966 et on comprend qu’on va assister aux préparatifs du casse qui fera très probablement arrêter Lino.
Lelouch filme ça avec rigueur et minutie. Il prend son temps, on a presque la sensation d’être dans un Melville. Mais il va très vite troquer le dispositif du braquage pour tenter une embardée romantique, entre Lino Ventura et Françoise Fabian (au sommet de sa beauté) qui joue l’antiquaire voisine de la bijouterie visée. Je te vois venir. Tu penses que l’histoire d’amour va contaminer la réussite du casse et condamner Lino. Bah même pas. Si ce n’est que ça humanise le personnage, le détache de son objectif, le rend soudain vulnérable alors qu’il paraissait méthodique, l’idylle n’est pas l’argument du fiasco. Dans le récit tout du moins. Mais elle l’est d’un point de vue théorique : C’est le polar qui perd, l’histoire d’amour qui gagne. On est bien chez Lelouch.
Obnubilé par le fait de ne pas quitter le bijoutier pendant deux minutes et treize secondes (tandis que son complice file diamants en mains pour San Remo) Lino oublie que les issues de l’établissement se bloquent dès l’instant que le coffre-fort reste ouvert plus de deux minutes. Ça se joue sur rien. Et Lino joue magnifiquement la résignation. Autant que le bijoutier est merveilleux d’opportunisme glaçant, dans un premier temps, de sadisme gêné (un mélange de peur et d’admiration) à l’instant du fiasco de son agresseur. Tous les acteurs sont extraordinaires ici, de toute façon.
Il y a tout un tas de moments géniaux, à l’image de ce plan (hélico, on suppose) qui suit l’itinéraire des braqueurs en bagnole de la bijouterie au port. Plan d’autant plus beau et osé qu’il met en scène une simple répétition. C’est l’unique scène d’action du film et ce n’est qu’un entrainement. J’adore quand on filme les répétitions de casse dans les films, je m’en rends compte. J’ai un super souvenir du film de Leconte, avec Lanvin et Giraudeau, Les spécialistes, notamment cette scène où ils tentent de passer, en voiture, entre deux bidons pour simuler les étroites cloisons d’une ruelle.
Il y a plein d’autres trouvailles comme ces cartons faisant défiler les années sur fond noir avec en fond sonore les conversations parloir de Ventura et Fabian. Des ruptures de rythme hyper casse-gueule – Il y a mille façons de sortir du film, mais on ne veut pourtant pas en sortir. Ainsi que de nombreuses versions mentales alternatives de certaines scènes : Belles car Lelouch n’en abuse pas. Il y a aussi ces trois superbes plans de bascule sur l’attente d’un taxi. Ainsi qu’un bouleversant échange de regards final. Et trois dialogues, immenses, merveilleux, quasi hors du récit, entre elle et lui, au restaurant, dans la rue, au lit. Dotés chaque fois de plans à rallonge, comme pour les unir contre tout.