Archives pour mars 2018

Les garçons sauvages – Bertrand Mandico – 2018

17. Les garçons sauvages - Bertrand Mandico - 2018Masculin féminin.

   9.5   Les garçons sauvages renoue avec l’intense plaisir de la surprise, de l’inattendu. Le fait de l’avoir appréhendé vierge d’avis ou d’images (Pas lu de critique, pas vu de bande-annonce) m’a permis, je crois, de m’y abandonner pleinement. Et d’être surpris, en continu. Autant par son foisonnant régime d’images que par ses multiples autres partis pris, à l’image de celui, essentiel, aussi troublant que magnifique, de confier le rôle de ces cinq garçons à cinq actrices, qui sont pourtant bien des garçons devant nos yeux, avant de devenir des filles par les forces du récit. C’est une idée lumineuse qui plus qu’ériger le film en manifeste féministe crée une passerelle vers une parité androgyne, transformiste, sexuelle, qui ne m’avait jamais semblé si moderne, car tout autant politique que poétique.

     Le plaisir de la surprise c’est aussi de constater que ce sont, pour trois d’entre elles, des visages que je suis persuadé avoir déjà croisé quelque part, sans toutefois pouvoir leur accoler de scène ou titre de film. C’est très déstabilisant. Inévitablement, puisque dans mon esprit ce sont des acteurs. Des garçons. Sauvages, certes, comme peut l’être Vimala Pons qui incarne le plus mâle d’entre toutes. Lorsque j’ai su, quand je l’ai reconnu, c’est comme si le film avait soudainement pactisé avec moi. J’avais encore des doutes à cet instant, mais ils se sont aussitôt envolés. Tout se justifiait soudainement sous mes yeux et dans mon esprit. A l’image de la séquence de dispute dans Phantom Thread. Il y a un avant et un après. Mais chez Mandico c’est plus insaisissable, c’est une plongée, un abandon, une récompense pour avoir accepté sa démesure.

     C’est un film complètement fou. Sensuel, sauvage, luxuriant. C’est un carrefour d’influences très variées d’Un chant d’amour, de Jean Genet, à Querelle de Fassbinder, en passant par les expérimentations de Jean Cocteau et les délires giallo. Il y a cette plage rocheuse et ce voilier qui semblent échappées des Naufragés de l’île de la tortue, de Rozier. Il y a ces nuages de plumes sur la plage qui évoquent forcément celles du dortoir dans Zéro de conduite, de Vigo. Il y a cette aventure dans les entrailles d’une jungle grandiose comme si un roman de Jules Verne prenait soudain vie, sous nos yeux. Il y a une puissance érogène, ouvertement androgyne comme rarement nous avions pu croiser si ce n’est dans Sense8 des sœurs Wachowski.

     Influences collées de façon disparates, et pourtant on n’a jamais vu un truc pareil. C’est un voyage hallucinogène sans précédent. Un bain de jouvence. J’imagine qu’on peut n’y voir qu’un catalogue de références éparpillées, ou un gigantesque clip post punk – Car il y a de la musique quasi tout le temps. C’est quitte ou double. Et on le sait très vite, dès les premières images. C’est oui ou c’est non. Si c’est non, mieux vaut s’enfuir. Si c’est oui c’est un déluge. Et pourtant ça tient à peu de choses de basculer vers le trip Maddin / Cattet & Forzani mais par on ne sait quel miracle, ça tient, ça gicle de partout, tant c’est un univers graphique hyper riche, un conte transformiste magnifique, à la fois tragique et moderne. Les garçons sauvages est sans cesse traversé de visions hallucinantes.

     Ça s’ouvre sur Orange Mécanique mais on s’en détache très vite. L’ultra violence n’a plus le goût de Moloko ni l’apparence de droogies, c’est un groupe de gamins de bonnes familles, en pantalons cigarette et bretelles, possédés par le Trevor, mystérieuse incarnation du mal, symbolisé par un masque de diamants, sur lequel ils rejettent l’entière responsabilité de leurs méfaits. Point de système Ludovico pour réhabiliter les jeunes délinquants mais une croisière pénitentiaire sur un bateau de pêche accompagné d’un capitaine tortionnaire. En échappant à son sadisme réglé à coup de pièges cordés et voile teintés de cheveux de ses précédents pensionnaires, la bande s’échoue sur une ile mystérieuse, non répertoriée sur la carte, comme si nos droogies lostiens avaient brutalement rencontrés l’univers de Jules Verne. Cinq personnages magnifiques, que l’on distingue aisément puisque chacun a son caractère à part entière.

     Romuald, Tanguy, Hubert, Jean-Louis et Sloan. Pour le personnage incarné par Vimala Pons, Mandico raconte s’être inspiré d’Alain Delon et Patrick Dewaere et c’est vrai qu’on peut y voir un étrange croisement entre le Delon de Plein Soleil et le Dewaere de Série noire. Mandico donna à chacune des idées de duos d’acteurs et de duos de films. Bowie dans Furyo et O’Toole dans Lord Jim pour l’une ; Paul Dano dans There Will be blood et Nicolas Cage dans Rusty James pour une autre. Le plus dingue c’est de constater que le mélange et l’incarnation fonctionnent. Cinq gueules, cinq démarches, cinq voix très différentes que je ne suis pas prêt d’oublier. Et puis pour Elina Lowensohn, électron-libre qui débarque au milieu du film en reine-sorcière, ça devient Klaus Kinski dans Fitzcarraldo. Les références masculines qui appuient l’interprétation de chacune contaminent ainsi leur apparence. Ce sont à la fois des garçons et des filles sans qu’on en force leur masculinité d’entrée ni leur féminité finale. C’est très beau.

     Cette ile érogène (Le tournage s’est effectué sur l’ile de la Réunion) dont s’accapare Mandico dans un vertigineux dédale formel, au point qu’elle devient à l’écran une véritable terre vierge, recèle de pouvoirs luxuriants aussi bien sur sa plage de sable noir, où s’échouent les marins ou le corps du capitaine transpercé de branches comme sorti tout d’un rite à la Cannibal Hollocaust, que dans ses contrées forestières cernés de plantes-monstres dévoreuses à moins qu’elles ne s’offrent en nymphe dans une fluide généreux giclant de ses bourgeons phalliques. Ile-huitre, qui sent l’huitre et ressemble à une huitre géante, offrant un imaginaire fou que la bande son, démesurée, qui l’accompagne judicieusement mais qui pourrait tout autant être autonome, renforce à merveille. Ça pourrait être un cauchemar, c’est un rêve érotique, dont la naïveté n’a d’égal que sa puissance d’ensorcellement.

     Mandico ose tout. Le film ne craint pas le grotesque. Et surtout pas l’érotisme grotesque. Il ose un long voyage mental dans un bateau de pêche, pourtant recrée en studio, tandis qu’on a le sentiment de traverser la houle et les tempêtes à leurs côtés. Il ose une totale hybridation des formes. De brutaux changements de colorimétrie avec ici des contre-plongées couleurs vers les cieux lumineux de l’aube, là des plongées noir et blanc dans le sable ténébreux. Des incrustations folles dans la jungle grouillante, façon Méliès mais au moyen d’apparitions ensorcelées comme rescapées du Sorcerer, de Friedkin, voire de son prologue de L’exorciste. Il veut du sexe. Il veut de la violence. Ce sera un voyage halluciné autant qu’hyper sexué. Filmer la beauté et la monstruosité, et les faire se chevaucher, fusionner dans le magma. On vise la marge, plus du tout l’universalité. Le film échappe à toute définition. On ne le retranche pas dans un genre. Ça devient la chose la plus folle vue depuis l’épisode 8 de la saison 3 de Twin Peaks.

     Au départ il y a des masques, il y a un meurtre. Avant, un  garçon se fendait la tête sur la roche avant de se faire violer par des marins. Puis, une femme, ligotée nue sur un cheval, s’en allait mourir quelque part. Puis un procès. Une scène de procès qui ne ressemble plus à une scène de procès comme on se la représente, c’est Tetro de Coppola tombé dans un film de Jean Epstein. Puis c’est un bateau. Un voyage en mer n’est plus un simple voyage en mer, on n’avait pas vu un truc aussi déstabilisant que magnétique depuis le Leviathan de Castaing-Taylor et Véréna Paravel. On rêve de s’échouer mais pourtant, on en redemande. On y respirait les embruns et le poisson dans ce chalutier bercé par l’océan. Ici on est d’abord agressé par la tempête avant de respirer des odeurs d’huitre. Difficile de faire voyage au centre de la terre plus déconcertant.

     On est dans le fantasme en permanence. Tout est érotisé. On y déguste des fruits juteux et poilus. On se sustente de giclées aux cactus phalliques. On étreint des plantes mouvantes aux apparences humaines. Quoi de plus total, comme fantasme, que de baiser avec le nature ? Ici avec une ile, donc. Où pouvoirs du végétal et du sexe se côtoient. Avant la révélation. C’est beau ce contagieux volume de féminité. Qui plus est de la voir ainsi s’ériger contre la domination masculine comme il était jouissif et subversif de voir Alex gagner contre l’absurde société et ses thérapies punitives à la fin du film de Stanley Kubrick.

     Pourtant, j’y allais un peu avec le couteau entre les dents, sans doute car Mandico m’évoquait de loin donc sans trop que je sache pourquoi le cinéma de Yann Gonzalez, dont j’étais resté pour le moins « sur la touche » devant ses Rencontres d’après minuit, mais aussi car sa compagne Elina Lowensohn était au centre de Laissez bronzer les cadavres, que j’avais détesté. Maintenant, je rêve de voir ses innombrables courts. Je rêve de comprendre comment il est possible d’accoucher d’une merveille pareille.

     Finalement, j’aime surtout beaucoup le film pour ce qu’il génère d’exploration, au moins autant que m’avait transporté The lost city of Z, de James Gray l’an dernier. C’est quasi un poème à la Rimbaud. Un film-monde sur lequel on greffe le sien de monde, un film multigenre et multiaxe où chacun y donnera son interprétation, où l’émotion sera différente pour chacun. En l’état, c’est peut-être bien la séance de cinéma la plus stimulante, perturbante, sidérante vécue depuis le Tabou, de Miguel Gomes.

Call me by your name – Luca Guadagnino – 2018

11. Call me by your name - Luca Guadagnino - 2018Un amour de jeunesse.

   8.5   C’est une splendeur, un émerveillement permanent à tel point que j’en aurais bien repris une heure supplémentaire. C’est le film le plus solaire et sensuel vu depuis très longtemps. Une sorte de croisement plastique entre le Conte d’été, d’Eric Rohmer, Bonjour tristesse d’Otto Preminger et Le jardin des Finzi-Contini de Vittorio De Sica, le tout bien ancré dans une texture très 80′s – magnifique reconstitution par ailleurs, discrète, effacée.

     Je ne connaissais pas Luca Guadagnino. J’ai appris au sortir de la séance qu’il avait réalisé Amore (je me souviens uniquement de la bande-annonce et de la présence de Tilda Swinton, je crois) et A bigger splash dont j’apprends l’existence tandis qu’il est un remake semble-t-il assumé de La Piscine, film que j’aime passionnément, ce qui en fait pour moi un must see instantané. Il y a dans Call me by your name une sensualité, solaire et corporelle, un rythme endolori, qui m’a souvent fait penser au film de Jacques Deray. Pas étonnant que Guadagnino se l’ait réapproprié tant ils respirent pareil, sans pour autant avoir le même objectif puisqu’il y a le thriller d’un côté et la chronique estivale de l’autre. Plus étonnant en revanche de le voir lancer dans un projet de remake de 3h de Suspiria. Je préfère pas trop y penser car le film d’Argento est l’un de mes préférés du monde mais ça m’intrigue. Et même beaucoup pour être honnête, qui plus est après Call me by your name, qui semble à priori aux antipodes.

     Le film se déroule à Créma, dans une immense propriété. Si la villa tient une place importante, le film ne mise pourtant pas son va-tout autour de cet unique lieu de convergence. Il y a en effet cette immense villa – dans laquelle on voudrait passer tous nos étés et avec les mêmes personnes, c’est dire si le film est doux, accueillant – mais il y a aussi beaucoup de déplacements, en ville, en forêt, dans les parcs. Il y a l’immense jardin de cette propriété, terrain majestueux aux contours invisibles, sa piscine, ses arbres fruitiers, pourtant Guadagnino filme beaucoup les intérieurs de cette demeure et un peu à la manière d’Ozu, dans ses perspectives, ses pièces et couloirs. Ça ne tourne pas autour d’un lieu dans le lieu, c’est plus impénétrable.

     J’entend dire ci et là que c’est un cinéma bourgeois, mais il ne faut pas confondre entre filmer la bourgeoisie et faire un film bourgeois. Certes le récit se déroule essentiellement dans cet écrin mais il est tout sauf lisse, cadenassé, tout sauf embourgeoisé dans ses choix formels et sa construction. Ou bien ce serait comme dire que Chabrol faisait du cinéma bourgeois dans La cérémonie et Que la bête meure, ou Buňuel dans Le charme discret de la bourgeoisie et L’ange exterminateur. Ça n’a pas de sens. Ce sont des films qui bousculent et s’aventurent sans cesse.

     De toute façon, les films se déroulant dans un cadre volontiers aisé ne m’ont jamais posé problème, au contraire. Quand Sofia Coppola fait Somewhere, c’est elle que l’on voyait à travers ce double portrait de fille et père cinéaste, c’était très émouvant. Ça me semble même infiniment plus honnête que le riche qui s’en va filmer le pauvre par plaisir exotique autant que par bienséance politique. Guadagnino filme chez lui, déjà, à Créma, en Lombardie. Et la grande demeure dans laquelle la quasi intégralité du film est tourné pourrait être la sienne ou celle de sa famille. C’est un scénario de James Ivory mais ça prend tous les attributs d’un récit autobiographique tant on ressent l’amour pour chaque personnage, chaque situation.

     Le film fascine dans sa façon de raconter cet amour de jeunesse puisque c’est un amour en marge (homosexuel) mais jamais traité comme tel, c’est-à-dire que le film s’aligne sur l’ouverture d’esprit de cette famille. Cet amour-là est traité de la même manière que l’on raconte celui entre Elio et Marzia, son amour d’enfance, incarnée par une sublime Esther Garrel ou celui plus diaphane entre les parents d’Elio, toujours aussi amoureux, tactiles, volubiles, bienveillants, qualités que les années ne semblent avoir nullement entravées. A ce titre, la discussion père/fils finale – pourtant très simple car ça ne clignote pas, et tout ce qu’on a vu/vécu précédemment n’existe aucunement pour converger vers ce dialogue / cet aveu miraculeux – est un moment absolument bouleversant. Michael Stuhlbarg (A serious man, Fargo) m’avait toujours semblé hermétique mais là il m’a arraché les larmes.

     Rohmer – puisque j’ai aussi beaucoup pensé à Rohmer, sans doute parce que les cadres sont très doux, les dialogues sont brillants et les personnages sont terriblement beaux – délimitait lui, souvent, ses aventures saisonnières au moyen d’un journal intime organisé dans sa temporalité puisque les jours ou les mois étaient comme des chapitres. Dans Call me by your name, la temporalité est nettement plus impalpable. Aucun indice ne sera offert si ce n’est cette précision initiale qui situe le récit quelque part en Italie, durant l’été 1983. Cette intemporalité choisie crée moins de l’universalité (Ce n’est pas Une histoire d’amour mais L’histoire d’amour entre Elio & Oliver voire, pourrait-on dire, L’amour d’Elio) qu’elle ne fige le récit dans une bulle, qui voltigera longtemps (le film dure 2h15 mais on ne les voit pas) avant d’éclater dans les flammes, hors-champ, de ce salvateur feu de cheminée, dans un dernier plan bouleversant, où brille de mille larmes Timothée Chalamet.

     C’est simple je ne vois pas cinéma plus délicat aujourd’hui hormis si on pioche dans la filmographie d’Ira Sachs. Immense compliment tant ce dernier représente énormément pour moi. Déjà envie de le revoir. De retrouver la passion d’Elio & Oliver, la bienveillance de la famille Perlman, l’écrin solaire de cette villa ainsi que les doux morceaux de Sufjan Stevens (Trois sont utilisés) qui parsèment un film déjà très riche musicalement (notamment le beau All my way des Psychedelic Furs lors d’une fête, mais aussi Bach lors des saillies piano d’Elio) en lui offrant un supplément d’âme.

La rivière sauvage (The River Wild) – Curtis Hanson – 1995

03. La rivière sauvage - The River Wild - Curtis Hanson - 1995Pagayer ensemble.

   8.0   Une fois encore, difficile de parler d’un film que je connais à ce point par cœur pour avoir lancé la VHS des dizaines de fois durant mon adolescence. J’adorais ce film. Et le premier agréable constat de cette revoyure – au-delà du fait que ça faisait un sacré bail, punaise – c’est que je l’adore toujours. C’est une merveille de thriller à ciel ouvert, se déroulant presque exclusivement – après l’introduction à Boston – autour d’un lieu unique et sauvage, à savoir une rivière du Montana. Et c’est aussi une formidable comédie de remariage, de celles que les américains savent souvent si bien faire.

     La séquence pendant le générique d’ouverture raconte déjà toute la construction du film à venir : Meryl Streep sillonne tranquillement la rivière Charles sur sa traînière quand soudain, son rythme de pagaie s’accélère, lorsqu’elle tente et parvient à passer sous le Longfellow Bridge avant que le train, au-dessus, ne le franchisse. Il y a déjà l’idée d’une course, d’un combat (Se battre pour gagner ou se battre pour survivre) supplantant les apparences joviales, tranquilles.

     On quitte vite l’aviron de Boston pour un rafting dans les rapides du Montana. Deux destins vont se croiser : Celui d’une famille en crise et celui d’une bande de braqueurs en cavale. D’un côté, Kevin Bacon et John C.Reilly. De l’autre, Meryl Streep, David Strathairn et le gamin à peine remis de son aventure chez les dinosaures de Spielberg. C’est tout pour le casting ou presque. Et au centre, forcément, cette rivière l’autre personnage essentiel du film.

     Curtis Hanson alors à son sommet de son art puisqu’il venait de pondre une autre merveille du genre qu’est La main sur le berceau, et qu’il s’apprête à faire l’oscarisable L.A.Confidential, trouve les angles et la construction adéquats, le rythme et le suspense sont dosés à la perfection. Il utilise admirablement l’immensité offert par son paysage. Et il émaille le récit de petites trouvailles qui donnent du corps à cette reconquête familiale : C’est le réveil d’un père autant que les retrouvailles d’un couple réapprenant à faire équipe ensemble. Car il est surtout question de langage, perdu puis retrouvé. Qu’ils utilisent celui des signes (du fait de la surdité du grand-père, hors-champ) pour y parvenir renforce la beauté silencieuse de leur complicité retrouvée.

     On a même le chien. Qui sert de façon certes ostentatoire (pour ne pas dire hollywoodienne) le retour du père, d’abord sans aucune autorité sur lui, avant qu’il ne parvienne à le dompter dès l’instant qu’ils se trouvent tous deux quasi laissés pour mort, en marge, à tenter de faire quelque chose pour sauver les leurs.

     Le film marque surtout l’affrontement inoubliable nourri d’une attirance/répulsion charnelle entre Streep & Bacon. D’un côté la mère courage, pas si perturbée à l’idée de descendre à nouveau, même sous la contrainte, une rivière dangereuse franchie ado. De l’autre, Wade, le tueur téméraire imprévisible, dont la ligne de fuite n’est même pas perturbée par la présence d’une famille entière. En dépit d’un final un poil invraisemblable, ce combat de titans – magnifique puisqu’il est mixte, permettant au film de compenser son surplus de testostérone – s’avère grandiose. Et puis c’est beau. Et puis je veux faire du rafting en ayant comme guide Meryl Streep.

La guerre des mondes (The War of the Worlds) – Steven Spielberg – 2005

25. La guerre des mondes - The War of the Worlds - Steven Spielberg - 2005Chaos du troisième type.

   9.0   J’ai le souvenir d’être resté poliment indifférent face au film, lors de sa sortie – vidéo, pas vu au cinéma, je m’en mords les doigts dorénavant. En le revoyant il y a cinq ou six ans j’avais déjà été très impressionné. Ce troisième visionnage me confirme que c’est un immense Spielberg. Un chef d’œuvre absolu. Même si je continue de penser que le film aurait été encore plus fort – donc parfait – sans la voix off aux extrémités. C’est tout. Pour le reste, c’est un sans-faute. Du pur Spielberg qui renoue autant avec la grâce de Rencontres du troisième type qu’il transpose à son pessimisme d’aujourd’hui. Avec un changement majeur : Une profonde noirceur convoquée par l’Amérique post 11 septembre. Les extraterrestres n’ont plus la bienveillance de ceux qui évoluaient dans les premiers films de Spielberg, ici ce sont des envahisseurs qui tentent d’exterminer la race humaine.

     Au début, lorsque le tripode sort de terre, que celle-ci se craquelle de trottoirs en façades, qu’un gouffre se forme pour laisser sortir « le monstre » on repense à cet œuf de velociraptor dans Jurassic Park, qui lui aussi se craquelait, laissant poindre une frimousse accueillante avant qu’on en comprenne le danger, le potentiel monstrueux. C’est tout le cinéma de Spielberg qu’on retrouve lors de cette séquence mais c’est aussi un autre lui qui s’y déploie : le danger c’est toujours l’Homme mais il n’a plus rien d’accueillant. L’extraterrestre exterminateur de La guerre des mondes renvoie, par cette multitude de violences qu’il charrie, peurs qu’ils convoquent, à toutes celles dans lesquelles s’est engluée l’humanité dans le XXe siècle.

     Car outre son hallucinante richesse sonore, la beauté pure et froide de sa mise en scène, La guerre des mondes est traversé par des visions macabres inoubliables, qui sont autant de purs éclats horrifiques pour afficionados du genre que d’impressionnantes correspondances avec notre douloureux passé et ses diverses propagations de la terreur. Tout convoque nos récentes tragédies, aussi bien cette rivière de cadavres ou ces geysers de sang humain recrachés par les tripodes que cette rafale de corps désintégrés au laser ou ces éclairs électromagnétiques frappant au même endroit. Sans oublier l’apparition de ce train en flammes s’en allant mourir dans la plaine, les cages de quarantaines dans lesquelles les tripodes entassent leurs proies, ainsi que ces terrifiants lacs de sang redéfinissant tout le relief du paysage.

     Avant cela, il y a un premier instant de sidération incroyable : le traditionnel déclencheur, qui accouchera bientôt du monstre. C’est un ouragan dans le ciel. Observé de jardins de petites propriétés résidentielles du New Jersey, il semble d’abord vouloir dévorer un immense échangeur autoroutier ou s’écraser dans un champ. Cette image-là marque, incontestablement. Et Tom Cruise, saisi en contre-plongée dans son carré de terrain ne peut rien faire. Il est minuscule. Ça aussi c’est une image qu’on n’oublie pas. Le film ne capitalisera pourtant pas sur cette démesurée entrée en matière et encore moins sur la dimension spectaculaire qu’on attendait / espérait. Bientôt, la foudre éclate. Plusieurs fois. Plusieurs fois au même endroit. Affronter cette terrifiante anormalité c’est trouver refuge sous une table de salon. On entend tout mais on ne voit rien. A peine distingue-t-on l’éclair au loin, par la porte vitrée du séjour. Comme nous distinguerons vaguement cette ambiance apocalyptique d’un hublot de cave  dans une autre maison plus tard dans le film. Quand un avion de ligne s’écrase dans un quartier résidentiel, seul le vacarme lors de sa chute et les débris qu’il a provoqués nous permettront de penser qu’il s’agissait d’un avion de ligne. La guerre des mondes c’est Cloverfield avant l’heure, moins le found footage.

     Le film est fort dans sa façon de relier le macrocosme à l’intime, de fondre l’un dans l’autre. On aurait pu choisir New York mais ce sera le New Jersey, il y a déjà quelque chose de plus intime, plus modeste dans ce choix. C’est aussi un grand film sur la peur du terrorisme. Sans qu’on soit dans le point de vue multiple, sans qu’on évolue ailleurs que dans ce petit bout de terre américaine, sans que l’on voie les simulacres politiques, les instances médiatiques. Tout est vécu à travers les yeux d’un mec lambda, un père de famille divorcé, resté gamin, qui pour la première fois de sa vie, va vraiment devoir s’occuper de ses gamins.

Phantom Thread – Paul Thomas Anderson – 2018

02. Phantom Thread - Paul Thomas Anderson - 2018There will be love.

   8.0   Dans son manoir londonien, véritable tour d’ivoire, un couturier règle sa vie et sa réussite comme du papier à musique. Ses robes sont convoitées par toute l’aristocratie du pays. Ses maitresses sont ses muses éphémères chaque fois dissoutes dans le vent d’une nouvelle création. Ses petites mains sont ses plus fidèles amours, les garantes d’un quotidien précis et d’une orfèvrerie qu’il ne faut pas chambouler. Quotidien auquel Cyril, sa sœur et associée, met un point d’honneur à préserver la pérennité. C’est une rencontre qui va tout changer. Une serveuse dans un café. Nouvelle muse pourtant bien éloignée des standards bourgeois sous le charme desquelles, Woodcock – le légendaire couturier en question, incarné par le non moins légendaire Daniel Day Lewis – habituellement, tombe.

     On est dans la thématique chère à Paul Thomas Anderson, du maître et son élève, dans la droite lignée de The Master, sauf que Phantom Thread ira plus loin, toujours de façon inattendue, redistribuant imperceptiblement ses cartes à de nombreuses reprises, tout en développant une humanité pour ses personnages que personnellement, je n’avais jamais reçue ainsi dans son cinéma, jusque dans cet imprévisible glissement du corps étranger prenant possession de cet homme apparemment invulnérable : Le film va même converger dans un moule proche du Crash, de Cronenberg – vers une histoire d’amour insolite et extrême, en somme – dans son bouleversant dernier acte, tandis qu’on le voyait plutôt emprunter les voies du Théorème, de Pasolini.

     Si d’abord, Alma ne cesse de regarder Woodcock, tente de briser ses habitudes, de capter son attention, son amour, lui continue d’observer ses robes, de glisser des mots dans les doublures de ses créations, d’ordonnancer son quotidien, d’écraser sa muse comme il en a très probablement écrasé des dizaines, aidé par cette sœur glaciale, qui ouvre sur une magnifique relation triangulaire, toxique et macabre. Et imperceptiblement, le pouvoir change d’hôte. Vicky Krieps s’impose sur Daniel Day Lewis, dans un vertigineux jeu de rôle et de pouvoir comme on pouvait en voir dans les films de Bergman. Et tout cela se trouvait déjà dans leur première entrevue au café : Quand il lui commandait un festin improbable et lui gardait ses notes, l’obligeant à tout retenir, Alma revenait avec l’intégralité de la commande, lui tenant tête pour la première fois.

     La réalisation de PTA est magistrale mais jamais dans l’emphase comme c’était le cas par le passé. C’est une réalisation de styliste complètement en symbiose avec son sujet, son climat, ses personnages – voire dans ce que le film dégage d’autoportrait. Visuellement c’est ce que j’ai vu de plus beau depuis Carol. Tous deux ont d’ailleurs en commun d’être accompagné d’une musique quasi omniprésente, qui se coupe exactement quand on espère qu’elle sera coupée, servant moins d’enrobage illustratif que de métronome accordé au destin de ses personnages. Car si le film est somptueux, ses personnages le sont davantage encore. Que la jeune Vicky Krieps parvienne à tenir la dragée haute à un Daniel Day Lewis, magnétique, qui ne vampirise pourtant jamais le film, est sans aucun doute le vrai tour de force de cette merveille.

L’Étrangleur de Boston (The Boston Strangler) – Richard Fleischer – 1968

06. L'Étrangleur de Boston - The Boston Strangler - Richard Fleischer - 1968Ecran schizo.

   8.0   Ce qui frappe dans un premier temps c’est l’utilisation abondante du split screen. Jusqu’à parfois morceler l’écran en quatre. Première fois que je voie le procédé utilisé de la sorte, je crois. Cela permet aussi bien de multiplier les points de vue, de voir évoluer la victime et le tueur dans le même espace temporel, ainsi que celui des témoins directs (une voisine découvrant le corps, par exemple) voire indirects, puisque le procédé est aussi utilisé durant l’enquête policière. Surtout on a le sentiment que ces « cases » forment des colonnes de brèves, comme si cette première partie de film constituait un recueil de faits divers qu’on feuilletterait avec la même distance que celles de policiers dont les recherches patinent. Mais cela permet aussi de préparer le terrain de la seconde partie, donc de créer une sorte d’écran schizophrène, relié à la personnalité du tueur. Une heure hyper impressionnante, donc, sèche autant qu’elle s’avère répétitive – On est d’ailleurs au bord du trop plein d’écran divisé un moment donné, au bord d’un dispositif nauséeux.

     C’est alors qu’à la manière de ce que fut le Psychose, d’Hitchcock ou plus tard son Frenzy, le film va changer de braquet brutalement. Il n’y avait pas de personnage vraiment identifiable et là, d’un coup, il y a un homme à l’écran, un père de famille, devant sa télé regardant, ému, les obsèques du président Kennedy. Il prend sa fille sur ses genoux, puis se lève, embrasse sa femme, sort de chez lui, prend sa voiture, entre chez une femme. Il n’est pas question pour Fleischer de montrer la suite comme il n’était pas question de montrer les agressions précédemment. Point de voyeurisme malsain ici, au contraire, le film tente d’apprivoiser ce personnage irrécupérable mais récupéré par son trouble. Difficile de ne pas penser à M le maudit. La suite c’est encore un autre film. Le dernier échange, avec une fois de plus un Henry Fonda magnifique et un Tony Curtis (incarnant le vrai Albert DeSalvo, auteur de treize meurtres au début des années 60) absolument monumental, offre une fin de film incroyable. Grosse calotte.

OSS 117 : Le Caire, nid d’espions – Michel Hazanavicius – 2006

33. OSS 117, Le Caire, nid d'espions - Michel Hazanavicius - 2006« J’aime me beurrer la biscotte ! »

   9.0   Dans son genre qu’est le pastiche du film d’espionnage il sera difficile d’égaler cette merveille qui réussit absolument tout. C’est bien écrit, rythmé juste comme il faut, drôle, beau, interprété avec panache. La première fois, au cinéma, j’étais resté relativement en retrait, gêné par son impertinence, probablement. Et puis je l’ai revu à de nombreuses reprises. La dernière en date suivie de son second volet à Rio, tout aussi génial. Récemment je ne vois aucune comédie qui rivalise avec ces deux-là dans la catégorie « Films dont les répliques sont entrées dans mon langage courant ».

« Vous voyez l’automobile derrière moi ? Ça fait un petit moment que je l’observe. Eh bien, elle est absolument impeccable. C’est quand même bien mieux une voiture propre, non ? À l’occasion, je vous mettrai un petit coup de polish. »

     Ce qui marque le sytle d’OSS 117 et du cinéma d’Hazanavicius de manière générale, c’est le soin apporté à la forme de ses films qui auraient pu se reposer sur leur mécanique comique. Il y a beaucoup de travail dans OSS 117, on le voit : La plume de Jean-François Halin, le jeu de Jean Dujardin (et de l’intégralité de la distribution qui gravite autour de lui), la photographie de Guillaume Schiffman, les décors (de Maamar Ech-heikh, qui sera récompensé aux Cesar) les costumes. Tout est parfait, s’agence à merveille. Et tout est minutieusement orchestré par son stimulant réalisateur, qui parvient à insuffler un tempo, un ton, une ambiance qui fassent tenir le film sur un fil ténu mais divin, de bout en bout.

« Cigarette ?
- Non, merci, je ne fume pas. J’arrive pas à aimer cela.
- Quel dommage, pourtant fumer détend. Surtout dans votre travail.
- Je sais, j’enrage. Ne pas fumer me tue. Je vais réessayer je vous le promets »

     OSS 117, un peu de Sean, beaucoup de Conneries. Voici le slogan sur lequel appuyait la promotion du film lors de sa sortie en février 2006. Et c’est sans doute cet équilibre si particulier entre l’hommage et le pastiche qui fait la réussite du film. Sans forcément se reposer sur les aventures de James Bond, Hubert Bonisseur de La Bath pourrait être une sorte de Cary Grant échappé de La mort aux trousses croisé avec le Jean-Paul Belmondo du Magnifique, mais leur version crétin puisque si c’est un espion sympathique, toujours en réussite, il est aussi suffisant, raciste, misogyne, homophobe, ignorant. De Broca et Hitchcock en ligne de mire, donc, avec forcément en figure tutélaire L’homme qui en savait trop. Rien d’étonnant, du coup, à voir Arsène Mosca là-dedans tant il est un presque-sosie de Peter Lorre.

« Pour sceller notre amitié, je vais te donner quelque chose. Regarde, c’est notre Raïs à nous : c’est M.René Coty. Un grand homme. Il marquera l’Histoire. Il aime les Cochinchinois, les Malgaches, les Marocains, les Sénégalais… c’est donc ton ami. Ce sera ton porte-bonheur. »

     Et puis truc tout bête, mais le film s’appuie aussi sur une
superbe intrigue, jamais oubliée, toujours pleine de tiroirs. Avec des fausses pistes, des indices qui pullulent et de riches éléments de scénario partagés entre autres espions sous couvertures, ici les aigles de Kheops, là des archéologues nazis, le roi Farouk, le général Nasser, René Coty, autour d’une étrange disparition d’un navire soviétique, le Kapov. Bref il y a une vraie générosité globale, dans la réplique comme dans le récit, dans la gestion de ses situations absurdes autant que dans la magnificence de ses décors, dans la mécanique rythmique mais aussi dans le brio de ses compositions. Par exemple, la scène de course-poursuite nocturne tournée dans les rues de Casablanca s’appuie sur le procédé de la Nuit Américaine et offre une patine proche des vieux films autant que des cases bleues d’Hergé dans Les aventures de Tintin. On repense aussi à Tintin plus tard, dans les pyramides, qui rappellent forcément Les cigares du pharaon. Et des idées comme celle-ci, le film en est rempli.

« Ah dites-moi, Larmina, cette nuit j’ai été réveillé par des cris horribles, un homme hurlait à la mort de la tour là-bas, impossible de dormir, j’ai été obligé de le faire taire.
- Le muezzin ? Vous avez fait taire le muezzin ?
- Le ?
- Muezzin. Le prêtre qui appelle les fidèles à la prière du matin.
- Ah j’ignorais. C’était donc ça tout ce tintoin, les cris, le micro, d’accord. On ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est une curieuse religion. A mon avis vous allez vite vous en lasser. Je ne lui prédis pas un grand avenir »

     De la même manière, le film est autant tourné au Maroc qu’il est articulé en studio, dans une mouvance vintage et magnifiquement vintage. La séquence introductive, en noir et blanc, se déroulant sur le tarmac d’un aérodrome (qui pourrait autant rappeler l’entrée en matière de Casablanca que de Some like it hot) puis dans l’avion, est imaginé exactement comme on l’aurait fait dans les années 50, au moyen de gimmicks tranchés (l’apparition du héros dans l’ombre, la musique illustrative, des dialogues très précis et audibles) et de trucages distingués mais aisément identifiables.

     Les détails sont légion. Il faudrait écrire des pages si l’on voulait tous les répertorier. On peut par exemple parler des transitions d’une ville à l’autre, écrite en caractère gras, sur fond de carte postale (La Tour Eiffel pour Paris, Le Colisée pour Rome etc…) accompagné par l’instrument de musique qu’on lui prête en cliché. Le film va parfois jusqu’à utiliser des stock-shot de façon à faire revivre les années 50. Ou la fameuse technique de la transparence, pour les scènes de voitures. Techniquement c’est assez imparable et notamment car on y utilise une pellicule bien précise, des projecteurs d’époque, une focale hitchcockienne. Les plans eux-mêmes sont très simples, les mouvements de caméra sont d’époque.

« Encore une djellaba ? Décidemment entre mon lanceur de poules, mon vendeur d’armes et mon tueur d’English.
- S’agit sans doute d’une seule et même djellaba.
- Une djellaba pour trois personnes ? Non Larmina vous êtes charmante mais je pense qu’il s’agit d’une seule et même personne. »

     Niveau matière comique c’est simple, le film écrase toute concurrence. De disposer quelques répliques entre deux paragraphes ici me permet de vous offrir celles qui ont ma préférence, mais franchement, y en a tellement qu’on pourrait faire un dossier complet des répliques d’OSS 117. Difficile de savoir depuis quand nous n’avions pas eu une comédie française aussi drôle, riche, subversive et lucide. C’est toute la France colonialiste, bête et méchante que l’on vient égratigner. Et du même coup la France post gaulliste d’aujourd’hui.

     Au rayon des anecdotes, souvent savoureuses, il y’en a une que j’aime beaucoup, sans doute pour son caractère citationnel autant que subversif : Michel Hazanavicius raconte s’être inspiré d’une affiche (assez improbable) plus que suggestive de Règlements de comptes, de Fritz Lang, pour la séquence du pistolet « Chargé, déchargé, chargé, déchargé, c’est une arme fiable, ferme, qui a un coefficient de pénétration… ». Il y a une volonté évidente de citer et le film ne sera pas avare en citations. Mais il y a surtout cette idée d’oser le mauvais goût et d’aller trouver le juste équilibre avant de basculer dans le trop plein.

« Le troisième Reich et l’idéologie nazie m’ont toujours rendu dubitatif.
- Blablablablablabla. C’est marrant que c’est toujours les nazis qui ont le mauvais rôle. Nous sommes en 1955, herr Bramard, on peut avoir une deuxième chance ? Merci. »

     A noter un élément aussi anodin en apparence qu’il m’apparait essentiel dans la signature d’Hazanavicius : Durant la toute première scène, on aperçoit Jean-François Halin, scénariste du film. Il joue Rubecht, l’allemand censé apporter les plans du V2 dans l’avion, assommé par Jefferson. Quelque part Hazanavicius annonce la couleur : Ce n’est pas le film d’Halin c’est le sien. Et c’est sans doute ce qu’il y a de plus beau dans OSS 117 : Jamais la richesse de l’écriture ne vient faire de l’ombre aux choix mise en scéniques.

     OSS 117, Le Caire, nid d’espions, est la comédie française qu’on rêvait de voir. Plus qu’un magnifique divertissement, c’est un trésor de jubilation permanente. Et c’est sorti il y a (quasi) pile 12 ans, déjà, punaise.

Un peu de soleil dans l’eau froide – Jacques Deray – 1971

08. Un peu de soleil dans l'eau froide - Jacques Deray - 1971Vodka martini, glaçon.

   5.0   Adapté d’un livre de Françoise Sagan, Un peu de soleil dans l’eau froide est un bien curieux film, mal fagoté dans son ensemble mais exhalant une ambiance suffisamment singulière pour maintenir un vif intérêt. Le film est plastiquement très beau, déjà – Joli copie restaurée, proposée par Arte. Le ton y est ouvertement dépressif au point qu’il évoque de loin les travaux de Guy Gilles, avec ce garçon au cœur tiraillé entre deux femmes et un besoin inexorable de solitude un brin mortifère. Difficile de camper ce genre de personnage sur la brèche et sans aspérités et l’on sent le jeune Marc Porel un peu dépassé par l’exigence de ce rôle, la jouant plus amorphe que mélancolique, d’autant qu’il est dévoré par la présence de ces deux sublimes créatures, deux des plus belles actrices de l‘histoire du cinéma, passées d’ailleurs par la case James Bond girl à savoir Claudine Auger et Barbara Bach. Deray les filme un peu comme il filmait Romy Schneider dans La piscine, autant te dire que les voir « se battre » pour l’endive campé par Porel m’a très vite agacé.

Le silencieux – Claude Pinoteau – 1973

05. Le silencieux - Claude Pinoteau - 1973Traqué.

   6.0   Un bon film d’espionnage à la française, rondement mené, avec un Lino Ventura taiseux, campant un savant français travaillant pour une délégation soviétique que des espions britanniques enlèvent pour qu’il révèle des noms importants, puis bientôt solitaire traqué par le KGB. Sans cesse en déplacement pour ne pas se faire tuer, Ventura traverse des rues, s’échappe par des toits, fait de brèves escales dans des hôtels, monte dans un train puis un autre, débarque en montagne, jamais à l’abri, toujours suivi. Chaque claquement de porte, bruit de circulation crée l’angoisse d’un coup de feu. Chaque visage croisé semble plus suspect que le précédent. Le film est un peu chiant au départ mais trouve sa voie. Niveau réalisation Pinoteau s’en sort bien, varie les angles, les lieux, resserre ici avant d’aérer là. Ça manque parfois de rythme, d’homogénéité, d’étirement pour vraiment apprivoiser toute la tension qui accapare son personnage mais c’est un beau film, dans lequel Ventura brille autant qu’il brillera dans un film plus retors, plus fou, plus parano et donc encore meilleur, cinq ans plus tard : Un papillon sur l’épaule, de Jacques Deray.

La surface de réparation – Christophe Regin – 2018

29. La surface de réparation - Christophe Regin - 2018Petit joueur.

   6.0   C’est un assez beau premier film, noir, sur un loser attachant, aussi intègre avec lui-même qu’il est gauche avec le monde. Un type qui a raté sa vocation de footballeur autant qu’il a raté sa reconversion. Il souhaite servir son club de toujours, coacher des jeunes, mais il n’est qu’un homme de l’ombre, homme à tout faire, certes, mais dont le quotidien consiste à surveiller les entrées de boite de nuit, maquiller les diverses adultères des joueurs, rafistoler leurs beuveries. Il vend des billets à la sauvette les soirs de matchs pour arrondir ses fins de mois. Il échouera aussi dans son histoire amoureuse.

     Ça n’en a pas l’étoffe mais il y a du James Gray dans ce récit. Cette famille du football ressemble à la société de chemins de fer dans The yards à ceci près qu’on n’y déploie pas suffisamment de matière tragique. Le film manque clairement d’amplitude sur tous les fronts – puisqu’il reste aussi en surface de la vie footballistique – mais c’est pourtant ce qui le raccorde avec son personnage central, Franck (Parfaitement incarné par Franck Gastambide) qui n’a pas vraiment d’aspiration, ni d’histoire sinon un passé fait d’échecs qui le poussent à préserver les jeunes qui en veulent autant qu’il reste insensible à ces vieux briscards privilégiés. La médiatisation footballistique fait malheureusement qu’un club choisit parfois la vieille star déchue (l’arrivée d’un nom pour combler un départ, par exemple) à la jeune garde montante. On peut aussi imaginer que c’est ce que Franck a jadis vécu.

     Le film, très subtilement, n’explicitera rien, n’appuiera pas sur son background. C’est tout à son honneur de la jouer ouvertement non-spectaculaire. C’est aussi sa limite que de ne pas oser se déployer. Par sa mise en scène ou un glissement narratif. Car de la même façon qu’on sait que Franck n’ira jamais tenter ses rêves de Brésil, on sait le film incapable de s’extirper de sa petite zone de confort, quitte à s’ouvrir sur le mélo, le thriller, l’horreur, qu’importe. Il joue de l’épaule alors qu’on voudrait le voir tacler.

     A part ça, outre la jolie musique de Para One (qui n’atteint certes pas son travail sur Naissance des pieuvres), on notera la présence de la toujours épatante Alice Isaaz (qu’on avait déjà adorer dans Elle, et dans La crème de la crème) et qui incarne un personnage qui a tout du faire-valoir un poil cliché (La séductrice des joueurs de football) mais qui se révèle bien plus à mesure qu’elle se rapproche de Franck au point qu’elle tend à vraiment lui ressembler. Le vrai récit tragique se trouvait là je pense, dans cette impossibilité de relier deux paumés cabossés par des passés similaires. Dommage qu’on ne fasse qu’effleurer ça.

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