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Archives pour 9 mars, 2018

Hors Satan – Bruno Dumont – 2011

40. Hors Satan - Bruno Dumont - 2011Le vent de la nuit.

     9.0   Le 01/12/2011.

     Encore davantage que lors de ses films précédents, ce qu’il me restera de Hors Satan, en priorité, ce qui m’aura le plus marqué, c’est son utilisation des éléments, de l’espace. La côte d’Opale est filmée comme jamais, avec son vent, oui, essentiellement ce vent, qui occupe une place majeure qu’il apparaisse sous forme de violentes bourrasques ou d’un souffle continu. Il adoucit autant qu’il prépare une sorte d’inéluctable voire de miracle. L’aspect fantastique du film, que j’évoquerais plus tard, doit prendre naissance via ce vent, présent comme dans un conte. Dumont a toujours été le cinéaste de l’espace naturel et personne n’a filmé le nord de la France comme il l’a filmé. Hadewijch avait réussi comme par miracle de s’extirper de ce cadre. Son cinéma est de retour, je veux dire celui de L’Humanité, vers lequel Hors Satan tend à ressembler assez nettement sur certains points avant qu’il ne s’en détache sur d’autres.

     Comme si cela n’était pas déjà le cas, Dumont épure son cinéma encore davantage. Le dialogue est devenu très rare. Il n’y a guère plus que le mouvement des personnages qui l’intéresse, leurs actions et leur regard. Ici, simplement deux personnages, les autres n’apparaîtront que brièvement, à peine comme des pierres angulaires. Et le mécanisme formel utilisé alterne magnifiquement plans de paysages, dans un scope absolument dément – ce seront les plus belles images de cinéma de l’année – et les gros plans. Le tout en images fixes, la plupart du temps. La focalisation s’accentue donc de cette manière-là. Parfois, Dumont casse imperceptiblement les codes formels d’usage, à l’image de ce plan fixe, assez long, sur l’immensité du paysage avant qu’on ait le contre-champ de celui qui regarde ce paysage. Cet étrange décalage se fond à merveille dans l’ambiance fantastique de son film.

     L’histoire est d’une grande limpidité, d’une belle simplicité, pourtant comme tout film du cinéaste la mise en scène révèle aussi une grande complexité métaphysique et richesse symbolique, loin de l’évidence. Toujours est-il que Dumont rend visites aux grands. Bresson (Mouchette) comme toujours, puisqu’il est son plus grand héritier, si tant est qu’il en existe. Dreyer dont la fin du film est une allusion directe à Ordet. On y voit du Tarkovski dans de nombreux plans, avec cette utilisation de l’espace, son côté minéral, et bien entendu la scène de la traversée du parc à huîtres qui rappelle inévitablement Nostalghia. Et autres Béla Tarr et Pasolini. Les références sont nombreuses mais aucune crainte, Dumont reste un cinéaste tellement singulier que l’on pourrait lui créer un genre spécifique. Ma passion pour cet auteur (je ne connais pas 21palms mais j’ai adoré tout le reste) ne se justifie évidemment pas uniquement à cette appropriation des mythes, c’est même tout le contraire : je pense sincèrement que le cinéma de Dumont est unique, qu’il ne se justifie qu’à lui-même. On pourrait reconnaître ses films entre mille. Car finalement Hors Satan rappelle bien plus que tous ces films cités, le chef d’œuvre de Dumont lui-même, à savoir L’humanité. Je ne vois pas de cinéma d’Aujourd’hui ni d’Hier qui se rapproche clairement de celui de Bruno Dumont.

     C’est d’abord une répétition. Celle d’un geste. Une main qui frappe à une porte, puis reçoit un sandwich d’une autre main. C’est un geste
que l’on retrouvera. C’est ensuite une longue marche dans les vallées à la fois verdoyantes et sableuses d’un bout de terre de la Cote d’Opale, agrémentée d’une longue prière. Cette répétition quotidienne, Dumont la démarque nettement par ces fondus au noir qui systématiquement font apparaître un nouveau jour. Le cinéaste pousse cette répétition à son paroxysme, au même titre que son naturalisme afin d’y laisser éclore de manière plus radicale une rupture fantastique. Les éléments qui accueillent cette rupture apparaissent avant tout sous un jour étrange davantage que sous un jour merveilleux. Ainsi, dans les premiers moments du film, le jeune homme grimpe sur une bûche qui se consume dans la braise ou plus tard il demande à la demoiselle de traverser sur une étroite poutre un parc à huîtres afin que l’incendie criminel s’éteigne. Sauf que chaque fois, ce fantastique qui semble vouloir s’inviter et devenir évidence, est désamorcé. C’est elle qui lui dira « t’es fou » lorsqu’il est monté sur le feu de bois ou « t’es con ou quoi » quand il l’invitera à traverser les eaux. L’issue est désamorcée puisque la séquence est oubliée. Dumont s’en détache, l’oublie et les personnages aussi. Je ne me souviens plus de l’ordre exact de ces singulières séquences pendant le film mais il me semble que tout ce qui s’apparente davantage à l’exorcisme se situe après. Dans un premier temps, le jeune homme semble sauver une petite fille catatonique, en aspirant son mal, son démon, finalement on ne sait pas trop, simplement qu’il la sauve puisque plus tard elle remarche. Plus tard, c’est une fille de passage avec laquelle il fait l’amour au bord d’une rivière qui subit cette espèce d’exorcisme satanique mais pareil on ne sait pas pourquoi ni ce qu’il advient, juste que celle-ci paraît ramper puis glisser dans les eaux telle une anguille, créature épurée. Mais c’est évidemment lorsque le jeune homme ressuscite la jeune femme, retrouvée morte violée dans le sous bois, que la dimension fantastique Dreyerienne est la plus présente. Et au garçon, mystérieuse et violente providence, de s’en aller du village, après y avoir accompli ses miracles, miroir d’un Théorème de Pasolini allié au Satantango de Tarr.

     Et qui aujourd’hui a ce culot là ? Dans cette espèce de naturalisme froid, désespéré, naît à chaque fois un glissement vers le fantastique. Deux opposés qui se côtoient. La mystique qui épouse le merveilleux. C’est une fille que l’on sauve du suicide (Hadewijch). C’est un homme dont on expie le mal (L’Humanité). Ou la rédemption dans un champ de blé (La vie de Jésus). La plupart du temps ça se fond dans le paysage. L’étrangeté naît parfois du simple montage (l’ellipse à la fin de Flandres). Ce n’est presque pas du fantastique. C’est la première fois qu’il se révèle si volontaire et démesuré. Par touches successives, ces apparitions comme infimes miracles, sont discrètes (l’extinction du feu) ou violentes (l’exagération du meurtre) avant qu’elles ne deviennent plus qu’ostensibles. La scène avec la femme de passage, en bord de rivière, est un truc incroyable. Le cinéma de Dumont s’est ouvert à quelque chose, l’avenir dira à quoi.

Le 01/02/2018

     Je revois Hors Satan, un peu plus de six ans après l’avoir découvert en salle, au moment de sa sortie, lors d’une séance qui plus est animée par Dumont lui-même. Il y a six ans, je terminais ma bafouille là-dessus : « Le cinéma de Dumont s’est ouvert à quelque chose, l’avenir dira à quoi ». Son cinéma s’est ouvert, en effet, mais je n’imaginais pas qu’il allait s’ouvrir sur Ma Loute et Jeannette. Tant pis.

     J’ai donc revu Hors Satan. Qui m’a semblé plus puissant encore. Le désir d’épuration de Bruno Dumont est ici poussé à son point de rupture. L’équilibre est parfait, mais on peut tout aussi bien dire qu’il est trop minimaliste, que le jeu des acteurs y est trop minéral. Le regretté David Dewaele (qu’on avait déjà rapidement croisé dans Flandres et un peu plus dans Hadewijch) embrase littéralement chaque plan. Il est probablement l’une des plus belles apparitions/incarnations dans le cinéma français (et autant dire dans le cinéma de Dumont puisqu’il n’a joué nulle part ailleurs) de ces dernières années. Les autres se fond dévorer et tant mieux puisque c’est aussi l’histoire de ce personnage que d’ingérer le démon des autres pour le recracher froidement lors de brutales saillies de violences.

     Peu de dialogue, aucune musique, un minimum de plans. C’est le Dumont qu’on aime. Capable de réactiver autant le cinéma de Bresson que de Dreyer (même s’il revendique davantage une inspiration du côté de Jean Epstein) que de Tarkovski – Puisqu’on pense forcément à Nostalghia le temps de cette courte scène de traversée de parc à huîtres où il s’agit moins de préserver une flamme que d’éteindre un incendie.

     Je l’avais déjà évoqué à l’époque tant cette scène m’avait marqué au fer, il y a dans Hors Satan l’instant le plus dingue de tout le cinéma de Bruno Dumont. Une baise le long d’un cours d’eau, des râles façon Cris et chuchotements ou L’exorciste, au choix, une production de salive si dense si blanche qu’on croirait voir des coulées de sperme, puis le corps de cette femme qui se meut comme une anguille avant de ressusciter dans les eaux. A te coller des putains de frissons.

     Sans parler de cette magnifique fin, quoique relativement prévisible (qui plus est après Hadewijch) où Dumont nous fait son Lumière silencieuse. Je le dis un peu contre Ordet, qui est un film trop bavard, trop imprégné de christianisme, quand Hors Satan est venteux et postchrétien. L’église y est remplacée par des dunes. Autant qu’il s’agissait de relier la terre et les constellations chez Reygadas.

     C’est à mes yeux l’autre film presque parfait de Bruno Dumont alors parvenu à sa pleine maturité, avant son flagrant déclin. Dumont n’avait jamais aussi bien filmé sa région et ne l’avait jamais autant écouté qu’en faisant Hors Satan.

Quand vient la nuit (The Drop) – Michaël R. Roskam – 2014

14. Quand vient la nuit - The Drop - Michaël R. Roskam - 2014La nuit nous appartient presque autant que l’ennui nous guette.

   5.0   La bonne nouvelle c’est que c’est nettement mieux que Bullhead, mais c’était pas bien difficile. La moins bonne c’est que ce sous James Gray cumule trop les sentiers battus du néo polar dans sa forme pour rendre intéressant son récit. Pas lu le bouquin de Lehane qu’il adapte mais on sent qu’il y avait un certain potentiel à filmer l’histoire de ce psychopathe caché dans un corps de benêt : Tom Hardy le jour d’ailleurs très bien, avec ses hésitations vocales, cette démarche si particulière, son étrangeté impalpable, aussi nounours qu’il peut s’avérer flippant, un peu comme l’était avant lui le personnage de Drive. Les relations qu’il entretient, assez maladroitement, avec son oncle / gérant du bar (Impeccable James Gandolfini, dont ce sera la dernière apparition au cinéma), avec cette fille (lumineuse Noomi Rapace), avec ce flic (John Ortiz, j’adore cet acteur), avec ce chien (Oui c’est très à la mode), tout ça n’a rien de révolutionnaire mais on a envie d’y croire. Mais il y a deux gros problèmes. Le premier c’est le méchant (même si y a pas vraiment de gentil ni de méchant, tu t’en doutes) qui est joué par Matthias Schoenaerts, qui peut être très bien, j’ai rien contre lui, mais là il l’a joue sur la réserve autant que Hardy la joue sur la réserve, du coup son personnage n’existe pas. J’imagine qu’on peut trouver cette réversibilité des rôles passionnante, moi je trouve ça surtout paresseux et sans intérêt. L’autre problème c’est la mise en scène, lourde, illustrative, trop empesée dans ses creux, trop mécanique dans ses montées sourdes. Bref, c’est pas mal, mais aussitôt vu aussitôt oublié.


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