There will be love.
8.0 Dans son manoir londonien, véritable tour d’ivoire, un couturier règle sa vie et sa réussite comme du papier à musique. Ses robes sont convoitées par toute l’aristocratie du pays. Ses maitresses sont ses muses éphémères chaque fois dissoutes dans le vent d’une nouvelle création. Ses petites mains sont ses plus fidèles amours, les garantes d’un quotidien précis et d’une orfèvrerie qu’il ne faut pas chambouler. Quotidien auquel Cyril, sa sœur et associée, met un point d’honneur à préserver la pérennité. C’est une rencontre qui va tout changer. Une serveuse dans un café. Nouvelle muse pourtant bien éloignée des standards bourgeois sous le charme desquelles, Woodcock – le légendaire couturier en question, incarné par le non moins légendaire Daniel Day Lewis – habituellement, tombe.
On est dans la thématique chère à Paul Thomas Anderson, du maître et son élève, dans la droite lignée de The Master, sauf que Phantom Thread ira plus loin, toujours de façon inattendue, redistribuant imperceptiblement ses cartes à de nombreuses reprises, tout en développant une humanité pour ses personnages que personnellement, je n’avais jamais reçue ainsi dans son cinéma, jusque dans cet imprévisible glissement du corps étranger prenant possession de cet homme apparemment invulnérable : Le film va même converger dans un moule proche du Crash, de Cronenberg – vers une histoire d’amour insolite et extrême, en somme – dans son bouleversant dernier acte, tandis qu’on le voyait plutôt emprunter les voies du Théorème, de Pasolini.
Si d’abord, Alma ne cesse de regarder Woodcock, tente de briser ses habitudes, de capter son attention, son amour, lui continue d’observer ses robes, de glisser des mots dans les doublures de ses créations, d’ordonnancer son quotidien, d’écraser sa muse comme il en a très probablement écrasé des dizaines, aidé par cette sœur glaciale, qui ouvre sur une magnifique relation triangulaire, toxique et macabre. Et imperceptiblement, le pouvoir change d’hôte. Vicky Krieps s’impose sur Daniel Day Lewis, dans un vertigineux jeu de rôle et de pouvoir comme on pouvait en voir dans les films de Bergman. Et tout cela se trouvait déjà dans leur première entrevue au café : Quand il lui commandait un festin improbable et lui gardait ses notes, l’obligeant à tout retenir, Alma revenait avec l’intégralité de la commande, lui tenant tête pour la première fois.
La réalisation de PTA est magistrale mais jamais dans l’emphase comme c’était le cas par le passé. C’est une réalisation de styliste complètement en symbiose avec son sujet, son climat, ses personnages – voire dans ce que le film dégage d’autoportrait. Visuellement c’est ce que j’ai vu de plus beau depuis Carol. Tous deux ont d’ailleurs en commun d’être accompagné d’une musique quasi omniprésente, qui se coupe exactement quand on espère qu’elle sera coupée, servant moins d’enrobage illustratif que de métronome accordé au destin de ses personnages. Car si le film est somptueux, ses personnages le sont davantage encore. Que la jeune Vicky Krieps parvienne à tenir la dragée haute à un Daniel Day Lewis, magnétique, qui ne vampirise pourtant jamais le film, est sans aucun doute le vrai tour de force de cette merveille.