Peau d’homme, cœur de poète.
4.5 Si j’avais octroyé le bénéfice du doute à Nadav Lapid après avoir découvert son tout premier long métrage, Le policier, aussi surprenant et radical qu’il était aride dans son dispositif, je me retrouve devant L’institutrice à lui faire les mêmes reproches et surtout avec ce sentiment que son cinéma d’une, ne s’est pas aéré, de deux a perdu de son pouvoir d’envoûtement. Tout est beaucoup trop figé ou justement trop brutal quand il s’agit de faire émerger une idée. Et chaque scène ne prend pas le temps de l’étirement. Nadav Lapid est persuadé d’être un grand cinéaste, j’en suis convaincu. Cette trajectoire suffisante m’évoque forcément celle de Ruben Ostlund, qui avant de s’embourber dans l’horrible The square, avait aussi (Pas vu Play, son tout premier film) tenté une chevauchée plus folle, en montagne, un peu anodine en apparence mais tellement puissante dans ce qu’elle laissait derrière elle. Tandis que The square c’est déjà quelque chose qui se croit grand. On n’ira pas jusque-là en parlant de L’institutrice, qui ne brille pas de semonces complaisantes, mais il y a dans cette histoire de gamin poète une sensation de lourdeur, au mieux, de gêne au pire. Certes Lapid n’en fait pas le portrait d’un enfant prodige capable de rétablir la paix au proche Orient – Il y avait dans Le policier, déjà, la question sous-jacente du conflit israélo-palestinien et le film, israélien, racontait que la vraie menace était israélienne, et on retrouve ici au détour d’un dialogue institutrice/élève une célébration de la différence lorsqu’ils s’amusent tous deux à deviner qui est ashkénaze et qui est séfarade, puisque déjà, leur origine à tous deux diffère – mais il l’érige en seul être de cet âge (5 ans) en mesure de proposer une alternative poétique aux dérives de la société – Tous les autres personnages du film, petits comme grands, sont sans intérêt. Cette lecture est d’autant plus embarrassante que Lapid raconte que les poèmes déclamés par le gamin sont les siens, de quand il était gamin. Egotisme (vraiment flippant, à mon goût) mis à part, il y a dans la réalisation de Nadav Lapid des choix forts, des étrangetés suffisamment stimulantes pour pallier le manque de finesse du récit. Souvent c’est un plan, une composition particulière, notamment dans la cour de l’école (l’innocence du bac à sable observé par les grandes tours de la ville au fond) où l’on revient régulièrement. Encore faut-il évidemment que la caméra cesse de tournicoter pour rien, que les cadres ne soient pas sur découpés (l’adulte n’est jamais entièrement dans l’écran) ni que le film n’égrène un nombre de situations grotesques visant à dévoiler une société israélienne pourrie jusqu’à la moelle – Le père du garçon, notamment, pourriture dans la pourriture. Il faudra donc passer par une danse de soldats affreusement mauvaise, une autre danse dans un bar hyper exagérée car tu vois le pays est fou, bipolaire et n’a plus aucun repère. C’est tellement appuyé, tellement lourd. La scène qui m’a le plus agacé c’est celle où le couple (L’institutrice et son mari, type pas méchant mais plus con que conciliant) s’apprête à faire l’amour, mais lorsque le téléphone sonne et que Yoav annonce qu’il a un poème, Nira abandonne là son homme les fesses à l’air pour noter les mots du garçon sur un papier. Non. C’est trop écrit. Et on le sent tellement venir. Bref je trouve que c’est un film plus bête qu’il n’est maladroit, au final, alors que j’avais tendance à penser l’inverse de son premier long métrage. Reste que la trajectoire du garçon, que le film ne va pas oublier de rapprocher de celle du pays, apporte un trouble – La fin est super forte – et non quelque chose d’un peu trop neuneu (L’enfant et le monde) ou trop cruel (J’ai vraiment cru qu’il allait sauter). Je retiendrai cette échappée-là et ce dernier regard accompagné d’un sourire un peu sadique, volontiers malaisant. Ça et Sarit Larry qui, si elle n’égale pas les prestations colossales d’actrices ayant campé des femmes fortes ces dernières années (pêle-mêle : Isabelle Huppert, Sonia Braga, Jessica Chastain, Rooney Mara, Valérie Dréville) s’avère épatante, mystérieuse, aussi sensuelle qu’austère dans sa résistance aussi pacifique qu’orgueilleuse. Dommage que le film ne se cale pas entièrement sur elle.
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