Waste kingdom.
7.5 Il y a souvent ce petit quelque chose dans les films de Wes Anderson qui m’empêche de me sentir vraiment concerné. Un trop plein esthétique, un trop plein de personnages ou un trop plein frénétique. Parfois les trois à la fois, comme dans l’éreintant Grand Budapest Hotel. Si je peux en apparence aussi faire ces griefs à L’île aux chiens, ils sont largement compensés par une implication émotionnelle, la même qui m’avait permis de voir en The Darjeeling Limited, le grand film qu’il est. L’ile aux chiens est une merveille. Le plus beau film de Wes Anderson à mes yeux, ex-aequo avec celui que je viens de citer.
Si je pouvais j’y retournerais car c’est d’une telle richesse dans le rythme et l’image que j’ai l’impression d’avoir raté beaucoup de choses. Mais punaise ce que c’est beau. Intégralement réalisé en stop motion – ce qui me fait me demander si ce n’est pas dans cette expression que le cinéma d’Anderson est le plus précieux (J’avais déjà beaucoup aimé Fantastic Mr Fox, mais j’ai le souvenir qu’il était plus inégal, moins attachant) – L’île aux chiens trouve cet équilibre entre le ludisme et la tragédie, le récit d’aventure et la parabole politique, la précision des lignes et la profusion de la décomposition, le double soulèvement canido-enfantin contre l’horreur dictatoriale, entre légèreté et noirceur, qui me touche cette fois beaucoup.
Il faut surtout voir comment l’auteur s’empare de l’imagerie japonaise, c’est quasiment son Sept samouraï à lui. Impossible de ne pas penser à Kurosawa. Il faut voir aussi la beauté de chaque personnages, chiens ou pas chiens, autant dans leur écriture que dans le soin marionnettiste. Et il faut apprécier la beauté de chaque plan, tout simplement, tant Anderson déploie son récit d’épidémie et de lutte collective avec un sens esthétique et du détail aussi impressionnant que dans les plus beaux films de Tati. Alexandre Desplat lui-même se surpasse, on a le sentiment qu’il n’a jamais composé avant de composer pour Anderson et cette partition est probablement la plus riche, foisonnante qu’il ait offert dans cet univers prolifique.
Reste qu’il y a tout de même beaucoup trop de choses à regarder et que tout va beaucoup trop vite pour qu’on ait le temps d’observer, entre la profondeur de chaque plan, la grande place offerte aux dialogues et leur imposant débit, le nombre de sous-titres en tout genre. Il y a dix idées par plan. Il faudrait le revoir plusieurs fois pour en saisir chacune de ses subtilités. Quoiqu’il en soit, dès le premier visionnage, on ne peut pas passer à côté de ces transitions vertigineuses, situations hyper découpées, apparitions folles. Et puis plastiquement je me répète, aussi bien ici dans un simple nuage de fumée que là dans le décor dantesque de cette île surchargée, c’est d’une beauté à couper le souffle. C’est bien plus que le cinéma d’esthète et de marionnettes auquel j’ai trop souvent réduit celui de Wes Anderson.
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