La cité sans voiles.
6.0 Après un premier plan dans une salle de boxe, voyant deux hommes se faire face et frapper dans un sac, comme si déjà il y avait cette hypocrisie, ce désir refoulé d’aimer, maquillé par la violence des poings, Vers la tendresse s’ouvre sur ces mots : « Au cours d’un atelier sur le thème de l’amour, j’ai rencontré quatre jeunes hommes tous originaires de Seine Saint-Denis. J’ai enregistré nos conversations. J’ai eu envie de faire de ces voix un film »
L’idée majeure, c’est de dissocier l’image de la matière sonore d’être à la fois dans le documentaire (l’observation / l’écoute) sans pour autant voguer dans le naturalisme, afin de confronter un espace de parole à un espace de vie. Ce sont donc quatre voix off de leur intimité qui se juxtaposent sur des images quotidiennes : celles de jeunes de quartiers, attablés à la terrasse d’un kebab, glandant sur un trottoir, dans une voiture en direction d’un week-end bruxellois ou marchant dans la rue.
Dès la deuxième conversation, on pense que les suivantes suivront un schéma similaire à savoir la confession aussi misogyne que désenchantée d’hommes incapables d’aimer – L’un dira qu’éprouver des sentiments n’est pas du tout un comportement de racaille, l’autre qu’il n’a jamais vu l’amour, pas même dans le cercle familial – et recroquevillés dans leurs certitudes et leur lucidité – Ils sont convaincus d’être d’aussi grands salauds que les femmes sont des salopes, convaincus de leurs frustrations et de leur incapacité de nouer de l’affection. Sauf que le film surprend et demande alors à écouter deux autres discours très différents. Deux voix porteuses d’espoir et de liberté.
Celle de Patrick, d’abord, ami de la réalisatrice, qui a grandi à la Courneuve avec ce désir pour les garçons, passant le plus clair de son temps à faire le mec (Il se bat énormément au collège) devant les autres, à se faire des mecs en cachette, sans jamais s’octroyer autre chose que du plan-cul. Il admet que, comme beaucoup, il s’est longtemps persuadé qu’on est taxé de pédé seulement quand on aime et qu’on se fait enculer. Sa parole, lumineuse, éclairée, valait au film son existence, ce qui donne d’autant plus de crédit à Alice Diop de l’avoir associé à trois autres qui lui sont diamétralement opposées sur bien des points.
Celle d’Anis, ensuite, qu’on suit dans les bras de sa petite amie dans un hôtel d’Aulnay-Sous-Bois, se cachant de la cité ainsi que de leurs parents, pendant qu’il raconte off son amour des couples depuis tout gosse, ce désir d’aimer, de serrer quelqu’un contre lui, plus fort que n’importe quelle tentation de mise en conformité de la rue. Ici l’apparence est encore un problème mais on accepte de s’aimer. Et l’on se dit, bien que le chemin soit encore long, qu’entre la première image et la dernière, le film a voyagé de façon positive.
Vers la tendresse, qui remporte le César du meilleur court-métrage en 2017, a le bon goût de se fermer sur Le cantique des cantiques, d’Alain Bashung. Une petite parcelle de ce sublime morceau, évidemment, mais c’est déjà beau.