Coming attraction.
8.5 Si Gremlins et Piranhas font partie de mes madeleines incontournables dans la mesure où je les ai tous deux regardé en boucle entre mon enfance et mon adolescence, Joe Dante n’est pourtant pas l’artisan de ces deux seules merveilles. Il faut redécouvrir L’aventure intérieure. Il faut surtout voir Panic sur Florida beach, moins connu du circuit public et pourtant, n’est-il pas son (tardif) chef d’œuvre ? J’avais beaucoup aimé, déjà, en le découvrant il y a quelques années. En fait c’est immense, tout simplement. C’est son film le plus ample, couvrant les deux grandes obsessions de son adolescence : Son amour pour le cinéma bis et l’angoisse nucléaire. Key West devient ce carrefour, de peur, d’amour et de plaisir, accablée par la violence du réel (la crise des missiles de Cuba), libérée par son utopie illusoire (le cinéma sauve des vies, l’amour aussi).
Laurence Woolsey est un cinéaste inspiré d’Hitchcock, son avatar de seconde zone : Les présentations, le cigare, les postures. Lorsque Matinee s’ouvre sur la bande-annonce de Mant ! (Le prochain rendez-vous horrifique du samedi, dans la ville de Key West) il n’est pas interdit de penser aux Oiseaux, ni de voir en son précédent une copie cheap de Psychose. Mais c’est aussi à William Castle que Woosley se rapproche, dans son appétit d’inventions, truffant ses films de procédés 4D (gérés à distance au moyen d’un système de trucages millimétrés) de façon à ce que l’écran et la salle entrent en fusion. C’est d’autant plus beau que William Castle a toujours été dans l’ombre d’Alfred Hitchcock. C’était le Hitchcock du pauvre, super connu des déviants mais connu des cinéphiles uniquement pour avoir produit Rosemary’s baby de Polanski. Lorsque le gamin de la station essence demande un autographe à Woosley il remercie Hitchcock, plus qu’un clin d’œil à Castle, forcément.
Gene, 14 ans, discret, érudit, est inquiet pour son père, militaire de la base navale de Key West. En guise de consolation, il écume les séances de cinéma horrifique et attend vivement la venue de l’un de ses maîtres, le fameux Lawrence Woosley. Ce gamin c’est Joe Dante, évidemment. Matinee est ouvertement autobiographique, même si Dante a davantage l’âge du petit frère à l’époque où se déroule l’action du film. Sa grande originalité est d’être une projection aussi réelle que fantasmée de l’enfance de Joe Dante : La trouille du nucléaire avec la crise des missiles de Cuba croise l’amour pour le cinéma bis et l’amour tout court. Si Sandra tape dans l’œil de Gene c’est autant parce qu’elle a tenté de braver le dispositif de sécurité complètement absurde de l’établissement scolaire, que parce qu’elle est sa projection féminine rêvée, dans la mesure où ses parents semblent être des mordus de cinéma bis.
Ce qui est très beau chez Joe Dante, en tout cas dans Matinee c’est qu’il se place constamment du point de vue de l’enfant ou bien des adultes qui sont encore des enfants – à l’image de Lawrence Woosley, forcément, mais aussi des parents de Sandra. Joe Dante c’est l’émerveillement avant tout. Mais c’est un émerveillement conscient du réel, conscient de la fabrication. La magie n’est jamais niaise chez Dante, tout est faux, chacun le sait. Les adultes, les autres ont perdu cet attrait pour la magie, ils se sont recroquevillés dans la peur, sont atrocement ridicules tous ensemble et se ressemblent tous, à l’image de la séquence du supermarché. Les enfants sont les spectateurs de cette horreur et de cette peur – cf la mère de Gene, coincée devant sa télévision, soit pour écouter les news de Cuba, soit pour revoir des images de son mari absent.
Ce qui m’a toujours un peu dérangé chez Dante c’est son amour pour le cartoon et donc le penchant de chacun de ses films moins pour les incrustations animées (il en fait relativement peu) mais pour cette dynamique cartoon. On peut trouver ça dans l’effervescence de L’aventure intérieure, par exemple, mais surtout dans Gremlins 2 – qu’il me faudrait toutefois revoir. Le premier volet jouait moins sur cet amour pour l’animation burlesque que sur le cinéma horrifique, cinéma de créatures. Et Panic sur Florida beach est probablement celui de ses films qui s’en affranchit le plus, lui rendant hommage le temps d’une courte séquence durant laquelle Woosley dessine sur un mur de brique un chien qui prend vie. C’est très court, typique de Joe Dante, mais ça disparait aussitôt.
Je pense qu’objectivement, pour ce qu’il traite du rêve de cinéma et de l’angoisse du nucléaire c’est son film le plus important, le plus passionnant. Il y a ce mélange de réel d’une Amérique paranoïaque et le pur fantasme de série B. Avec ce dénominateur commun qu’est la peur. Matinee est l’œuvre d’un cinéaste fasciné par l’espace d’interaction qui peut exister entre le film et le spectateur, persuadé qu’il est capable de briser cette frontière de la fiction – Ce qui se déroule dans le film évidemment, quand le balcon s’écroule sur les images de champignons nucléaires, ou plus simplement quand les sièges balance des décharges, les murs tremblent. En ce sens, l’ouverture de Mant ! nous plonge d’emblée dans une ambiance qui couplerait l’associable : La jetée, de Marker et Tarantula, de Jack Arnold. Une fois encore c’est cette curieuse combinaison qui rend la scène fascinante. Et tout le film tient là-dessus.
La fin, somptueuse, marque aussi bien la fin d’une époque (le cinéma explose mais va se reconstruire) qu’elle ouvre sur un happy-end provisoire : Le retour des hélicoptères marquent le retour du papa (et le plan des ados sur la plage évoque une fin idyllique) et pourtant dans ce tout dernier plan, c’est l’hélico lui-même que l’on voit, un plan qui pourrait tout aussi bien marquer le début de la guerre du Vietnam. Ce dernier plan c’est quasi Apocalypse Now. Cette ambiguïté crée une autre passerelle : 1962 c’est la crise de Cuba mais c’est aussi un an avant l’assassinat de Kennedy. C’est toute l’Amérique qui s’apprête à changer. Autant que le cinéma de Key West. Autant que ces familles, ces gamins, cet état d’esprit. Si le film semble clairement dire qu’il vaut mieux se faire peur au cinéma, cette peur, encore abstraite, apparait bien réelle et palpable dans ce dernier plan d’hélicoptère.
Ce film à l’air incroyable j’ai très envie de le regarder ! Beau blog, vous pouvez être fier du travail entreprit.
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Merci infiniment ! Et je sur-conseille évidemment ce film, mais vous l’avez bien compris