Suce parias.
6.5 Si l’on devait donner un nom à celui qui porte au cinéma tous les stigmates du fétichisme, on pourrait citer sans rougir Yann Gonzalez. Et un film : Un couteau dans le cœur. Qui plus que ses Rencontres d’après minuit, fait renaître tout un pan cinéphile, tout un pan de sa propre cinéphilie – giallo & porno gay 70’s – dans un élan romantico-punk assez stimulant il faut bien l’avouer. Le fétichisme c’est quitte ou double. Le premier essai de Gonzalez m’avait semblé laborieux d’un point de vue formel en plus de faire clignoter lourdement ses élans fétichistes. Ici il s’incarne pleinement dans l’espace que le film offre à la pellicule, sa dimension érotique, son existence en tant que matière. La nostalgie disparait aussi : On sait que l’action se déroule dans les années 70 mais on l’oublie aussitôt car ce sont les personnages qui l’emportent, leur innocence, leur folie, leur douleur.
Gonzalez a besoin d’espace, il doit vagabonder dans des ruelles, des forêts, des entrepôts à tiroirs secrets pour faire jaillir la chair et faire que la démesure de son cinéma devienne beauté. Le huis clos des Rencontres après minuit l’emprisonnait, étouffait sa folie. Vanessa Paradis joue Anne, une réalisatrice de films porno et s’en trouve comme métamorphosée là-dedans. Amoureuse délaissée par sa monteuse qu’elle croise chaque jour sur le plateau de tournage, l’ivresse d’alcool et de chagrin qui chaque jour la porte ne lui fait pourtant pas oublier son objectif qui serait de faire (sur)vivre sa troupe, les idées de scènes, les tournages. Lorsque peu à peu sa famille de cinéma est prise pour cible par un tueur, Anne va adapter version porno les meurtres qui les agitent. Si Cruising n’est en effet pas loin (l’assassin d’homosexuels) c’est le giallo qui gagne par KO ne serait-ce que dans l’évocation du fétiche qui rattache Anne au meurtrier : Ce n’est plus L’oiseau au plumage de cristal mais le plumage d’un corbeau aveugle.
Aussi, Un couteau dans le cœur dialogue avec Les garçons sauvages, le même désir les habite, cet appétit multiforme, cette folle ambition plastique, ces trouées, ces sorties de route permanentes. Pas étonnant que Mandico joue un rôle (celui du caméraman) ici de même qu’Elina Löwensohn dont l’apparition, recroquevillée dans un cimetière dévoré par la forêt, de mère noyée dans le chagrin s’avère aussi brève que puissante. Tous deux (Mandico et Gonzalez) viennent de la même planète cinéphile, romantique et androgyne, c’est évident. Il y a aussi Nicolas Maury, qu’on aime tant voir partout, qui cadre tellement bien avec le cinéma de Gonzalez, tout en restant sur un équilibre d’exubérance bluffant. Disons qu’il pourrait en faire trop, ça tomberait dans le rôle de grande folle ridicule voire vulgaire, mais il est magnifique, d’une grâce incroyable.
Le film ne tient pourtant pas sur toute la durée, il rate certains de ses traits d’union, il est parfois un peu trop brutal dans ses enchainements et transitions. Enfin disons que c’est un peu trop multiforme, il manque au film un point d’inertie, un équilibre. Mais sinon ça fait tellement plaisir de voir un cinéaste y aller à fond dans ce qu’il entreprend, en étant à la fois relecture de De Palma, de Friedkin et d’Argento, tout en creusant le mélodrame (le glissement final et la révélation en flashback, c’est magnifique) tout en jouant sur des motifs qui tirent davantage vers l’ultra-bis du giallo érotique. C’est un cinéma qui pourrait exploser en vol mais qui s’avère plus réjouissant qu’autre chose. Et c’est d’autant plus cool que je n’avais pas du tout aimé le premier film de Yann Gonzalez.
0 commentaire à “Un couteau dans le coeur – Yann Gonzalez – 2018”