Mes provinciales.
6.0 Dans une gare parisienne, Brigitte rencontre Brigitte. L’une est alpine et l’autre pyrénéenne. Deux affiches décoratives dans leur dos illustrent leurs origines (et l’affrontement) le temps de la séquence qui les voit faire connaissance. Elles vont se découvrir plein de points en commun, rien d’étonnant puisqu’elles ont toutes deux été façonnées par leur époque : « Nous sommes équidistantes de et parallèles à la norme, alternativement de part et d’autre d’elle » dira l’une d’elles. Sauf la taille et la couleur des cheveux, bien entendu. Ainsi que les études qu’elles sont venues trouver en montant à la capitale. Dès lors elles feront tout ensemble. Partageront la même chambre de bonne. Fréquenteront les mêmes amis. Jusqu’à rencontrer Jacques et Léon. Toute la légèreté, la folie, l’absurdité et l’impertinence de Moullet, qui m’avait tant séduit à l’époque où était sorti La terre de la folie (le seul Moullet vu jusqu’alors) se trouve déjà dans cette scène inaugurale : aucun mouvement de caméra, quelques objets relais et un sens des gestes et du dialogue d’une singularité aussi géniale que déstabilisante. Un fil qui tient, parfois se distend, mais ne rompt pas, c’est Brigitte et Brigitte, le premier long métrage de Luc Moullet (alors encore critique aux Cahiers et auteur de quelques courts) qui déploie un univers fantaisiste et une manière de raconter sans précédent. Pour compenser la simplicité de ses décors, Moullet utilise beaucoup le son. Dans la première scène par exemple, on entend les bruits d’une gare et cela suffit à penser que la séquence se déroule dans une gare. Il y a des moments savoureux comme le tout début du film avec notamment la visite des monuments parisiens que Brigitte et Brigitte vont sévèrement noter, c’est très drôle. Il y a aussi les cours de philologie, dictés par un Rohmer fou. Une interview par Brigitte de Samuel Fuller. Et plus tard un sondage de rue où l’on demande aux passants leurs trois réalisateurs préférés. C’est très marqué Nouvelle vague, très Godard dans l’idée, mais l’on sent que ça couve un univers plus personnel, plus burlesque, plus impertinent. Toutefois, Moullet aurait mieux fait d’en faire un moyen métrage (Un peu comme Rohmer lorsqu’il fait La carrière de Suzanne) car la seconde partie du film, plus bucolique, s’étire beaucoup pour pas grand-chose si ce n’est à la faveur d’un trop plein de répétitions. On préfère Moullet lorsqu’il va à l’essentiel. C’est d’ailleurs la bande son qui permet d’y voir plus clair, très souvent, d’accompagner le tout avec le dosage adéquat. Alors si le tout manque parfois de subtilité, il y a tellement de poésie uniquement guidée par la mise en scène, qu’on préfère garder en mémoire le meilleur.
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