Conte cruel de la jeunesse.
6.5 Très sceptique au départ – Le temps d’un épisode fastidieux, qui peine à nous faire entrer dans le riche univers de la série, en multipliant les zones d’ombre et le parti-pris esthétiques pas forcément reluisants – mais je suis plutôt convaincu sur l’ensemble et sur la durée. D’abord parce qu’il y a de beaux personnages pour lesquels je me passionne (même certains, grandement secondaires : Notamment les brèves apparitions d’Hanna Schygulla ou Philippe Laudenbach, oracle et réceptacle de fortune), je m’attache à des lieux forts – La fin de l’épisode 4 c’est génial cet endroit, c’est où ? On se croirait soudainement plongé dans True détective avec ce dôme abandonné qui ressemble à cette église en ruines que foulent Rust & Marty à la fin de l’épisode 2 – et des plans hyper travaillés – Difficile de ne pas penser à Michael Mann, dès l’instant qu’on a Yvan Attal seul chez lui, face à l’océan, dans un cadre on ne peut plus bleu. Et puis il y a une dynamique inédite, il me semble, intense ici avant d’être engourdie là, qui rappelle les plus belles heures des Revenants.
Dans le monde d’Ad Vitam, il est tout à fait possible de ne plus mourir puisqu’un sérum-miracle inventé par la science nous permet de stopper le vieillissement de nos cellules, en nous régénérant à l’infini, si d’aventure on le souhaite – Et on vous y pousse, comme dans n’importe quelle société de consommation. On apprend par ailleurs que la majorité a été repoussé à trente ans (impossible de se régénérer avant cet âge, donc), aussi que le monde est surpeuplé et que le pays s’apprête à voter une loi visant à limiter le nombre d’enfants par foyer. La série va principalement nous convier à suivre Darius Asram (Yvan Attal, parfait) flic centenaire, trois fois régénéré, traumatisé par la perte de son fils il y a des décennies de cela (du temps où il était encore impossible d’avoir accès à « ces doses d’immortalité ») et Christa (Garance Marillier, la révélation de Grave) cette rescapée d’une vague de suicides d’adolescents rebelles il y a dix ans, enfermée depuis dans un centre pour mineurs perturbés, que le flic va choisir pour avancer dans son enquête sur la nouvelle affaire des suicides de la plage.
Il y a des images fortes qui restent, comme ces déguisements de méduses lors de la commémoration de l’anniversaire de la doyenne de l’humanité. On sait rapidement que la méduse – et une espèce en particulier a le pouvoir de se régénérer – est devenu le symbole de ce nouveau monde où l’on ne meurt plus. Jusqu’à même remplacer les enfants dans certains foyers – Les parents de Christa en ont une dans un aquarium. Ainsi comment ne pas songer deux secondes au Do androids dream of electric sheep, de Philip K.Dick ? Il y a aussi cette grande fête où des jeunes célèbrent la jeunesse, le fait d’être encore épargné par les dérives du système, bref ce qu’il leur reste de choix – Ce lieu est filmé comme étant le cœur battant de ce monde et Virgile comme un héros – Belle idée que d’en faire une figure paradoxale, monstrueuse jadis, devenue providentielle. Il y a aussi ce duo de flics, le vieux briscard épaulé d’un tout jeune régénéré, qui occasionne des moments de buddy movie très drôles, donc un penchant paradoxal (le sujet reste lourd) vers le comique.
L’épisode 5 marque lui un tournant décisif évident puisqu’il brise l’élan initié, tout d’abord en reculant de dix années (Pour évoquer les évènements du stade) ensuite parce qu’il va suivre Virgile Caron, soit le garçon à l’origine de ce suicide collectif dont on entend tant parler depuis le début, évènement qui pourrait en avoir enclenché d’autres du même ordre, notamment celui sur lequel se ferme cette journée de commémoration en ouverture, brillante idée qui déploie un grand paradoxe : Dans ce monde on ne meurt plus, mais certains se suicident. La première moitié d’épisode, impressionnante (bien qu’on en connaisse la tournure) laisse sur le carreau. C’est le moment qu’a choisi le générique pour se pointer : On comprend que la seconde moitié évoluera elle dans le présent. Que l’on y suive à nouveau Virgile est une bonne initiative. Ce qui l’est moins c’est de voir comment tout est laborieux pour raccrocher les wagons (revoir des scènes sous un autre angle, bof) et le faire entrer en collision, comme attendu, avec Christa – qui profite de sa sortie provisoire pour élaborer sa vengeance : Il y a dix ans, Nahel, son petit ami, faisait partie des victimes du stade.
Il me semble que la série avait été plus inspirée précédemment pour construire du trouble et faire naître de la fascination, avec notamment les entrées en scène de Virgile, le personnage incarné par Niels Schneider, à la tête de cette association pour les jeunes et l’avenir des jeunes. Elle reprend du poil de la bête dans l’ultime épisode mais subit un défaut de taille : Le personnage incarné par Ariane Labed est arrivé beaucoup trop tard dans le récit. Du coup, cette réunion au sommet d’ancêtres – Yvan Attal a 119 ans, elle en a 158 – aurait pu convoquer celle de Heat, et c’est peut-être bien ce qui est recherché, dans son étirement et sa tonalité impromptue. C’est un peu raté, c’est dommage. Tout simplement parce que le cœur de la série ce sont les jeunes, et non ces immortels desquels émanent bien plus de mort que de vie.
Le final, avec son ambiance Martyrs / Under the skin – L’observation des corps débranchés en train de se putréfier en accéléré – efface presque toutes les baisses de régime. Belle surprise, globalement, donc. Même si l’on reste mitigé + comme on l’était face au premier long métrage de son auteur, ultra encensé il y a quatre ans : Les combattants. On verra ce qu’il nous restera d’Ad Vitam, en l’état ça ne révolutionne pas grand-chose mais c’est un beau récit d’anticipation, ni hermétique ni débile, doté de belles zones de fulgurances. Alors c’est pas The Leftovers ni True detective, c’est sûr, mais il y a une vraie ambition, rare en France, de mêler science-fiction et enquête policière, réflexion sur la mortalité et sur une jeunesse paumée, volonté de relier tragédie du récit et comédie des contrastes. Comme dans Les combattants, Thomas Cailley mélange les genres. Je salue peut-être davantage la tentative que le résultat, qu’importe, c’est déjà énorme d’essayer et de ne pas royalement se vautrer.