Les ailes de la bonté.
7.0 Très beau film, qui évoque beaucoup Pasolini et Reygadas, pour sa magie autant que pour sa peinture d’un lieu, d’une communauté en marge du monde. Il me manque sans doute un peu d’émotion, comme c’était le cas aussi avec Trois visages, de Jafar Panahi : Ce sont à mes yeux les deux propositions les plus audacieuses vues cette année. Et dans le même temps, leur effet se dissipe à mesure qu’ils s’installent. Dans Lazzaro Felice, la cassure centrale arrive au bon moment, justement quand je commence à lâcher prise ; et le final dans la banque aussi. Je pense que ça tient moins à Lazzaro, ce personnage qui encaisse la méchanceté, la douleur, la tristesse du monde – encore que ça relève un peu trop du personnage conceptuel à mon avis, qu’on a tiré d’un tableau, le Pierrot d’Antoine Watteau, pour le faire errer dans l’Inviolata puis dans la ville – qu’aux autres personnages du récit, qu’Alice Rohrwacher ne filme pas avec la même (com)passion qu’elle peut filmer les lieux ou Lazzaro. En un sens, la première partie m’évoque trop Kusturica quand la seconde fait trop de Scola. Malgré tout, j’ai trouvé ça puissant car le film a cette intelligence de jouer avec les temporalités, la magie de l’ellipse, la magie tout court, en faisant à la fois un conte poétique et un manifeste politique. Ne serait-ce que dans sa façon de nous plonger dans ce récit et une métairie qui semble tirée du XIXe siècle (où une marquise règne et asservit toute une communauté de paysans) avant que l’on comprenne par touches qu’il est d’aujourd’hui (La police viendra mettre un terme à ce servage moderne) ou presque : Une vingtaine d’années sépare les deux parties, une ellipse sidérante, miraculeuse, qui nous extirpe de la campagne pour nous plonger dans le cœur de la ville. C’est très déstabilisant mais d’une audace infinie.