La lune ou le caniveau.
7.5 Un an avant le Scarface de Hawks, qui s’est imposé en mètre étalon du genre, il y a avait aussi du rififi chez les affranchis de Mervyn LeRoy, qui fait partie de ceux qui ont ouvert la voie à ce type de polar, racontant l’ascension d’une petite frappe au rang de grand caïd, jusqu’à sa chute brutale – inspiré de la vie d’Al Capone. Séminal, Le petit César l’est malgré son approche, sa brièveté, sa quête de l’essentiel : 1h19, pas un bout de gras, jusque dans son casse central, dont on sent qu’il manque cruellement de budget.
Si le film est relativement classique dans sa forme car dévoué à son personnage principal, il tente parfois des plans forts, comme lorsque Otero observe Rico en train de se regarder dans le miroir. Le plan est dingue car Rico est comme élevé dans un tableau, mais il ne cesse de vouloir briser les contours du cadre, de s’en extirper. La fin aussi est une merveille du genre, ironique et morale, quand Rico se meurt derrière l’affiche promotionnelle du spectacle de son ami danseur.
Incroyable de constater à quel point Edward G.Robinson a cette démarche, ces grimaces siciliennes, ce parlé mitraillette, cette façon de jouer des épaules, cette brutale imprévisibilité, qui en font un gangster aussi sympa qu’effrayant, ressemblant à s’y méprendre aux Joe Pesci et Harvey Keitel, croisés longtemps plus tard chez Scorsese, dans Mean streets ou Les affranchis.
Bref, la sècheresse de son style, la concision de son récit permettent au film de garder un rythme soutenu tout du long. C’est un beau film de rue, un beau film de gangsters, réalisé en pleine Grande Dépression et dont l’ambition première est de raconter l’autre face du rêve américain, en suivant les arrivistes sans scrupules qui refusent que la société les laisse dans le caniveau.