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Archives pour 30 décembre, 2018

Zama – Lucrecia Martel – 2018

20. Zama - Lucrecia Martel - 2018Don Diego, la frustration de Dieu.

   6.5   J’ai vu un film signé Lucrecia Martel. Je m’étais juré depuis La femme sans tête qu’on ne m’y reprendrait pas, mais les éloges à propos de Zama, un peu partout autour de moi et dans la presse cet été, n’ont cessé de me faire de l’œil. Alors je ne sais pas quoi en penser. Pire je ne sais pas si je saurai quoi en penser un jour. Je n’ai strictement rien compris, ni au récit (si ce n’est cette vague idée d’émasculation coloniale) ni à ce que me racontait Martel, mais c’est pas très grave, car j’étais bien devant comme rarement je m’étais senti aussi bien devant un film qui me tient tant à distance : J’ai aimé ses plans, ses profondeurs de champs, ses cadres (portes, fenêtres…) dans le cadre, ses nombreux cris d’oiseaux, ses dissonances image/son globales – D’ailleurs, c’est quoi ce son, avec sa tonalité sourde, comme en chute libre, qu’on entend trois fois dans le film ? La première fois j’ai cru que j’avais un souci avec mes enceintes ! – mais je regrette que le film soit si bavard. J’aurais aimé qu’on vise davantage le Jauja, de Lisandro Alonso ou le Honor de Cavalleria, de Serra. J’ai aimé cette histoire de poisson-chat rejeté par les eaux comme l’est ce conquistador par son monde. Il y a quelque chose de Profession : reporter dans Zama, quelque chose d’une énorme crise d’identité. En tout cas, plastiquement c’est fou, aussi bien dans ses intérieurs confinés que ses extérieurs immenses – Ce plan de cortège de chevaux traversant une infinité de palmiers, punaise. Car elles se méritent, mais les vingt-cinq dernières délirantes minutes sont merveilleuses, hallucinogènes. Bref, ravi de l’avoir vu. Pas impossible que je retente l’expérience un jour, qui sait.

Sophia Antipolis – Virgil Vernier – 2018

19. Sophia Antipolis - Virgil Vernier - 2018Enfer à l’ouest.

   8.0   Virgil Vernier est un cinéaste passionnant. Sophia Antipolis joue dans la continuité d’Andorre et Mercuriales. Vernier les malaxe de manière à peindre des embryons de fictions, solitaires, violentes, dans une technopole aussi magnétique qu’anxiogène. Cette drôle de fascination pour ces lieux (Un centre commercial comme paradis consumériste, des tours jumelles en guise de bureaux, un pôle de compétitivité utopique, tous gigantesques évidemment) pousse en effet l’auteur à y injecter de la fiction qui tient pourtant beaucoup du réel, dans toute sa modernité, son absurdité et sa violence. A la succession de plans silencieux sur un paysage grandiloquent qui ouvraient Andorre, répond un plan au centre de Sophia Antipolis, aussi absurde qu’il est génial, où il s’agit d’écouter de brèves annonces de cataclysmes sur un lever du soleil, à l’ouest. Une idée parmi d’autres, le film en regorge.

     Ce qui m’a beaucoup plu, avant toute chose, c’est la manière de raconter, l’entrée des personnages dans le récit, cette curieuse façon de glisser, comme dans Mercuriales. Il n’y a pas un personnage central mais plusieurs, à différents moments du film. Si le film s’ouvre sur le quotidien d’une veuve, qui loin de son Viet Nam natal, s’ennuie à mourir depuis le décès de son mari, on l’accompagne jusque dans une secte spirituelle, où elle y passe bientôt le relais à cette femme qu’elle rencontre (et qu’elle accompagne dans le démarchage) terrorisée par « la disparition » de sa fille ; puis c’est un jeune agent de sécurité qui la supplante, il se laisse entrainer dans un groupe secret, nocturne, une milice qui « fait le travail que la police ne fait pas » pour les citer, autrement dit ils brûlent des camps de migrants ou règlent leur compte à des criminels affranchis. C’est alors que le récit d’un corps brulé dans un bâtiment de « bureaux à louer » raconté par son collègue (dont on sondera aussi le quotidien familial, sa présence en tant que père, alors qu’il a jadis fait de la prison) nous propulse vers le deuil d’une adolescente, amie de la victime, qui nous emmène jusque devant une clinique de chirurgie esthétique. Et l’on se souvient alors que le film ne s’ouvrait pas sur cette veuve, mais plus mystérieusement sur des entretiens avec des gamines qui ne pensent qu’à se faire refaire la poitrine. Il y a des ponts partout, des signes, des rimes, d’un plan à l’autre, d’une situation à l’autre. Que Vernier convoque ouvertement un quotidien de Nice matin, qu’il filme de but en blanc, avec les pages tournant sous nos yeux, pour s’arrêter sur celles des mots fléchés, c’est autant pour dire que son film est une somme de faits divers que pour annoncer sa volonté de créer une sorte de mots fléchés cinématographique.

     Sophia Antipolis c’est le film choral comme il devrait toujours être. Tous ces récits, en apparence minuscules, ont comme dénominateur commun l’idée de brulure. C’est un film brulant, qui se termine comme Le trésor, de Corneliu Porumboiu. Dans le soleil. Mais c’est aussi un film de fantômes, à l’image de ce grand brulé qui traverse un chapitre, échange avec un personnage, ou à l’image de cette histoire de cadavre d’adolescente carbonisé. Le film impressionne dans son utilisation du réel. S’il faut un grand brulé, prenons un grand brulé, rescapé d’un accident de la route. S’il faut filmer un centre d’entraînement d’auto-défense, filmons les coups, les simulations d’humiliations. S’il faut filmer une séance d’hypnose, filmons une vraie séance d’hypnose. Vernier ne triche pas avec l’insolite. Et pourtant son film est hybride, puisqu’il reconstitue beaucoup – la destruction du camp de migrant, par exemple – et écrit parfois des dialogues et textes énoncés en off très sophistiqués. Les monologues sont les plus belles idées du film, je pense. Le tout est inégal, bien entendu, mais c’est aussi ce qui fait la magie du cinéma de Virgil Vernier, ses imperfections, ses interférences, ses tentatives.

     J’en avais apparemment déjà parlé à l’époque d’Andorre mais c’est le regard de Vernier qui rend l’expérience passionnante. Jamais il ne se place en donneur de leçons, pas même en moraliste : D’une part, Sophia Antipolis, ce lieu si étrange, dans les forêts, entre Nice et Cannes, ne lui est pas étrangé puisqu’il y a passé un peu de son enfance quand il allait voir sa grand-mère qui y vivait ; d’autre part il filme ce lieu si bizarre avec beaucoup de fascination, un peu comme lorsque Godard filmait un crépusculaire Costa Concordia, dans Film socialisme. Godard expérimente bien plus l’image et le son que Vernier, mais ils ont en commun tous deux, d’une part de faire un cinéma ultra-moderne si ce n’est « post-moderne » et d’autre part d’annoncer la fin du monde. En espérant que la douce apocalypse qui ferme Sophia Antipolis ne soit pas aussi prophétique que le naufrage du Costa Concordia. On a vu ce qu’elle donne chez Dumont, j’aurais bien une préférence pour l’apocalypse de Vernier, moi. Le plus 2018 des films de 2018, à mon avis.

Mes provinciales – Jean-Paul Civeyrac – 2018

18. Mes provinciales - Jean-Paul Civeyrac - 2018L’ombre de Paris.

   7.5   On craint d’abord que le film soit aussi pédant que ses deux personnages centraux, notamment dans sa façon de se moquer de l’étudiant qui vante le cinéma bis et de ceux qui lui font une cour gentiment superficielle. Mais le film va très vite au-delà de ces doux portraits d’artistes en germe. Ce qui est très beau c’est la complexité de chaque personnage, secondaire ou non, ce qu’il est par rapport à son entourage, son histoire, ses désirs, j’ai la sensation que Civeyrac leur offre beaucoup à projeter, hors champ ou non. Il me semble qu’aucun de ceux qu’on voit vraiment dans Mes provinciales (les trois étudiants, les deux colocataires, la petite amie d’enfance, le professeur) ne sont définis sur un seul trait de caractère, ils se révèlent toutes et tous chargés d’un passif et d’ambitions qui se déploient à mesure que le film s’offre et se disperse. La scène où l’on voit le fils du professeur, par exemple, en dit beaucoup sur ce dernier, sa mélancolie, sa résignation.

     Et parfois ça se joue aussi à travers Etienne, le personnage central. Il y a cette scène quand il accepte de filer un coup de main à Jean-Noël, son ami, sur le tournage de son court métrage, dans laquelle il lui dit qu’il fait partie de ces types de l’ombre qui font l’histoire mais dont on ne retient pas le nom. Le regard de Jean-Noël à cet instant, quand il remballe son admiration, est terrible : il a vu l’autre face, sombre, de ce garçon qu’il aimait tant. Plus rien ne sera jamais plus pareil. C’est très beau de faire advenir ceci contre le personnage central, notre boussole, sans pour autant faire qu’on va s’en éloigner, mais en lui accolant une cruauté qui jusqu’ici nous était masquée. Il arrive sensiblement la même chose à Etienne lorsque plus tard il est déçu par Mathias. Il y a beaucoup d’impalpable dans le film de Civeyrac, mais on y trouve beaucoup de choses sur l’anéantissement de l’admiration qu’on porte à nos modèles, cette dose d’incompréhension, cette dose de déception permanente. Il me semble que Mes provinciales joue en permanence avec ce genre de subtilités d’écriture. C’est très beau.

     Le film raconte très bien le décalage entre l’attente qu’on place en quelqu’un ou en ses rêves (en l’occurrence de faire du cinéma, de vivre à Paris) et la dure, parfois tragique réalité qui en découle. On a là un vrai film mélancolique, qui se ferme d’ailleurs sur une fenêtre ouverte, dont on ne saurait être certain qu’elle soit un hommage à Khoutsiev ou bien si comme dans Elle a passé tant d’heures sous les sunlights, si elle s’ouvre sur l’avenir ou sur un suicide. De Garrel il en beaucoup question ici, au moins autant que Truffaut ou Desplechin, c’est certain, puisqu’on croirait voir un croisement entre Les amants réguliers, La nuit américaine et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle). Je me plaignais que les derniers Garrel manquent d’amplitude, ramassés qu’ils sont, Civeyrac ose lui embrasser la durée, le romanesque. Tout n’est certes pas parfait, mais ça fait plaisir de voir une telle foi sur un écran.

     Il me manque cependant un gros truc pour en sortir dévasté, sans doute le truc qui lui ferait être différent des meilleurs Garrel. Mais son identité, le film la débusque dans son personnage, son acteur, révélation absolue pour moi : Andranic Manet / Etienne se situe quelque part entre Charles (de Le diable probablement, de Bresson, film cité ici parmi tant d’autres) et Jérémy, de Montparnasse, dans le troisième segment du film de Mikhaël Hers. Il a cet aspect colosse fragile et intellectuel influençable, cruel et docile, maladroit mais queutard, qui offre un personnage hyper original, aussi distant qu’il peut parfois être magnétique, beau à se damner autant qu’il peut être volontiers pathétique.

     L’erreur aurait finalement été de placer le récit dans le passé, tant ce personnage semble rattacher à aujourd’hui et les problématiques qui l’entourent plutôt représentatives de celles d’aujourd’hui. C’est toute la beauté du film à mon sens car il respire l’autoportrait (mais Civeyrac a la cinquantaine) autant qu’il évoque notre présent. Le film est par ailleurs très sobre, il n’offre aucune date (hormis la voix d’un journaliste TV un moment donnée qui évoque la candidature de Macron : Marqueur temporel passe-partout dont on aurait largement pu se passer) sinon qu’on voit souvent les étudiants sur leurs smartphones, sur Skype ou tout simplement à mater des vieux classiques voire leurs propres films sur des écrans d’ordinateur.  

     Alors j’ai certes vu trop de Garrel et de Desplechin dans Mes provinciales, mais j’ai aussi eu la sensation que c’était le plus beau Garrel ou le plus beau Desplechin depuis un moment. Avec ce Paris nu, bruyant mais nu, saisi dans un gris de charbon somptueux. C’est un beau film mélancolique sur les rêves illusoires et les admirations déchues. Et puis un film français qui donne envie de découvrir La porte d’Ilitch, de Khoutsiev (cité une fois, ouvertement, puis une seconde fois de façon plus subtile, bouleversante dans la dernière séquence) c’est pas tous les jours qu’on en croise. Pas vu beaucoup de films de Civeyrac (Des filles en noir, Mon amie Victoria et celui-ci) mais c’est la première fois que je suis séduit. Et très séduit, même.


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silencio


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