Les âmes mortes.
8.5 C’est un premier film et c’est troublant puisqu’on a aussi l’impression que c’est le premier film du genre – comme pouvait l’être La dernière piste, de Kelly Reichardt, au western – tant il est épuré, dégraissé jusqu’à l’os, de tout habillage superflu, de toute facilité, de toute ressemblance directe avec un film déjà existant. Capable aussi bien de jouer avec les codes du genre (l’enfermement, la survie, le personnage solitaire, le chaos dehors) tout en le dilatant le plus possible, refusant par exemple, la rencontre, le jump scare intempestif, l’espace extérieur, la masse de zombies.
La nuit a dévoré le monde choisit Paris. C’est fort car il ne filme de Paris qu’un immeuble haussmannien, ses paliers, sa cage d’escalier, son ascenseur, ses appartements, ses parquets, ses toits. Et sa verticalité appuie sa gradation en étages : plus on monte plus les plafonds sont bas, plus les décorations sont sobres. C’est une architecture à nulle autre pareille et l’on sent que c’est la priorité de Dominique Rocher : Cet endroit n’est pas choisi par hasard. Son maître c’est Romero, ça ne fait aucun doute : Le désir premier pour mettre en scène ce récit c’est de filmer cet immeuble. Un peu à l’image du centre commercial de Zombie ou de la vieille maison de La nuit des morts vivants. Rocher sait que le décor de l’action est primordial, d’autant plus lorsqu’il est un refuge/prison.
Alors qu’il passait la soirée chez une amie, qui semble être son ex, Sam (campé par le toujours parfait Anders Danielsen Lie) file dans une chambre pour récupérer des affaires à lui, puis s’endort. Au réveil, plus personne, sinon des cloisons maculées de sang et des zombies errants dans les rues. Minimaliste, La nuit a dévoré le monde l’est assurément, mais pas sans idées puisqu’à l’instar de la jeune fille au syndrome de Stimberger dans le film de Daniel Roby, Dans la brume – avec lequel il partage le projet de base – le film trouve aussi son point d’ancrage : De vieilles cassettes vidéo renfermant des souvenirs d’enfance. A l’image du reste, le film s’en sert relativement peu (Sam les écoute, puis les brule) mais ce peu est suffisamment émouvant pour qu’il nous marque au fer.
Aux deux-tiers du film, Sam fera la rencontre de Sarah mais découvrira, comme nous, qu’elle n’est plus qu’un mirage formé par les troubles de son imagination. Plus tôt il allait aux devants d’un chat (seule âme qui vive croisée aux alentours durant des semaines : Sam fait des croix sur une fenêtre, on imagine qu’il compte les journées) qui préfèrera le fuir et se réfugier entre les jambes de morts-vivants qui ne prêtent guère attention à ses déplacements. Il y a beaucoup de cruauté dans le film de Dominique Rocher – A moins qu’il n’aime tout simplement pas l’individualisme du chat et ne se soit jamais remis de Sam(antha), le berger allemand de Je suis une légende.
Ses meilleurs moments, Sam les passera en compagnie d’Alfred, le zombie coincé dans l’ascenseur, qui outre de lui servir de compagnon silencieux s’adoucit peu à peu, semble même s’éveiller à la conscience à la fin : Rocher le film de face, hystérique cloitré bouche béante et regard vitreux avant de l’accompagner de dos, regagnant calmement son appartement, titubant comme un vieillard. C’est très beau. Pour Alfred, deux références sautent aux yeux : Seul au monde, de Zemeckis et Day of the dead, de Romero. Sam en fait son Wilson et il y a beaucoup de de Bub chez Alfred, magnifiquement incarné par Denis Lavant.
Par ailleurs, vers la fin de Day of the dead, on imagine que Sarah (Le même prénom que celui porté ici par Golshifteh Farahani, ça ne s’invente pas) est probablement morte dévorée dans l’hélicoptère, donc que ce qu’on voit, qui fait bien trop paradisiaque, relève d’un pur mirage. Les intentions sont claires : C’est trop beau pour être vrai, mais pas suffisamment cruel pour ne pas l’être. Et pourtant, Dominique Rocher l’intègre à la perfection dans son récit : Cette hallucination fait clairement suite au génial pétage de plomb de Sam, qui se « donne en concert » lors de la superbe scène du solo de batterie. Sam est au bord du précipice qui conduit à la folie – Sarah ou plutôt son subconscient ira jusqu’à l’avertir : Le danger c’est pas que tu tentes de sortir de cet immeuble, le danger c’est que tu te mettes une balle dans la tête.
Bien sûr on pourra toujours s’offusquer de cette fin, penser qu’est révèle une certaine paresse ou qu’elle intervient pile au moment où l’on ne veut surtout pas qu’elle intervienne. Il me semble, au contraire, qu’elle se loge idéalement dans la logique d’incertitude du désormais quotidien de Sam. L’espoir c’est ce toit nouveau. Est-il un passage vers la vie ? Abrite-t-il une nouvelle rencontre ? On est suspendu là entre les petites cheminées des toits comme on l’était plus tôt au ras de ce trou dans le plancher. Et puis cette fin, après cette chute s’entend, qui dit qu’elle ne relève pas du mirage, à la manière du final du film de Romero ?
Un point maquillage maintenant car c’est sans doute générique mais j’aime beaucoup les zombies de Dominique Rocher. Il faut dire que les prothèses créées par Olivier Alfonso sont très belles et parfaitement mis en lumière. Il faut surtout dire que le zombie chez Rocher n’est pas tellement différent de sa version vivante : il court, mais pas plus vite que d’ordinaire, par exemple. Et il se déplace en fonction de ses capacités, ses blessures. Un zombie auquel il manque un bras se déplace de telle façon, un zombie enfant d’une autre, etc. C’est la première fois que je vois ce traitement du zombie dans un film : Ils n’appartiennent plus à une masse informe mais sont des individualités dans la masse.
Pour finir, citons les mots de Stephen King, qui a récemment fait part de son admiration pour le film, lui offrant, du coup, une belle publicité : « Just when you think the zombie genre has been squeezed dry, along comes a perfectly amazing film by Dominique Rocher called THE NIGHT EATS THE WORLD. It will blow your mind ». Fuck yeah !