Survivre pour revivre.
9.0 La sortie de Welcome to Marwen me donne envie de revoir plein de film de Zemeckis et m’a surtout poussé à revoir celui auquel j’ai beaucoup pensé en le découvrant, puisqu’il y était déjà question de solitude forcée et de comment on tente de vaincre cette solitude, mais aussi de comment on revient de cette solitude, il s’agit bien entendu de Seul au monde, Cast away en version originale, avec un Tom Hanks sur une île, affublée d’une barbe et parlant à un ballon de volley.
Ce qui m’a frappé c’est que Seul au monde va systématiquement à l’encontre des attentes générées par le cinéma hollywoodien traditionnel. Sa structure, d’une part, est très bizarre, déployée en quatre parties, étirées et quasi d’égale durée : Avant le crash, les premiers jours sur l’ile, les derniers jours sur l’ile, le retour. Et tout ça avec de vrais partis pris, exemple : Il se refuse à tout montage alterné. On restera donc, durant les quatre-vingt minutes centrales, entièrement avec Tom Hanks sur son île, quasi sans parole. Et pire, sans gros évènements ni gros rebondissements inhérents à ce type de récit : Car le plus étonnant là-dedans c’est que Tom Hanks est tombé sur l’ile la plus chiante du monde.
Les plus sceptiques pensent probablement qu’il s’agit d’une facilité, de récit, de fabrication, j’imagine qu’on peut le voir aussi ainsi : En effet, le personnage est rarement en danger. Il ne rencontre ni animal flippant ni autochtone récalcitrant. Sa robinsonnade forcée n’est jamais vraiment parasitée. Et d’ailleurs on le voit peu partir en excursion dans la jungle. Mais alors, qu’en est-il de la fiction ? Comment fait-on pour passionner un spectateur, dans un film hollywoodien, faut-il le rappeler, six ans après avoir rameuter public et récompenses avec Forrest Gump, lorsqu’on place des ellipses des excursions du personnage (Lorsqu’il va sur le promontoire, notamment) ou lorsqu’on on préfère montrer son quotidien le plus prosaïque, en apparence le moins excitant : Couper des noix de coco, tenter de faire du feu, fabriquer un radeau, soigner ses petites blessures, observer la photo de sa femme sur la montre qu’elle venait de lui offrir ? C’est un pari hyper audacieux, quand on y songe.
Et c’est passionnant. A la fois parce que Zemeckis a un vrai sens du cadre, du rythme, de la mise en scène et de l’infime espace dans lequel le personnage se retranche : Ce bord de plage entre océan et forêt ou bien cette petite grotte lorsque le temps se gâte. Jusqu’à se permettre d’utiliser très peu de musique, hormis lors de moments pivots, surtout vers la fin de son aventure. Et aussi, évidemment, parce que Tom Hanks est génial. Et ce n’est pas évident de nous faire aimer ce personnage qui au départ est une sorte de gros con de représentant autoritaire et paternaliste vantant la rapidité de sa compagnie. Il faut oser partir de ça et prendre le pari qu’on va l’adorer, ce personnage. Choisir de faire table rase de sa connerie pour le ressusciter, au point d’être terrassé par le dernier tiers du film qui plonge en plein mélodrame Sirkien.
Le film appuie sur peu de choses, il est même plutôt dans le manque, il me semble. On aimerait voir davantage, notamment lors du retour du personnage, où tout les climax inhérents aux retours/retrouvailles sont évincés à renfort de petites ellipses, comme si Zemeckis se refusait à l’émotion, soit aussi ce que je reprocherais à Marwen aujourd’hui. Il y a presque trop de pudeur chez Zemeckis. Parfois c’est pour le meilleur, pourtant, à l’image de ce crash, anti-spectaculaire au possible puisque vécu entièrement de l’intérieur, mais aussi à l’image de cette scène où l’on voit sur des télés l’accueil des journalistes et politiques, tandis que Hanks, lui, se retrouve à nouveau seul, dans ce hall d’aéroport, à attendre sa femme qui ne viendra pas le voir. C’est à chialer. Et sans doute parce que les choix de Zemeckis sont hyper forts : Un réalisateur lambda auraient montré de but en blanc ce que Zemeckis choisit de nous offrir au second plan, sur des écrans.
Et cette pudeur ici permet à l’auteur de se lâcher ailleurs, sur un évènement que Hanks va nous raconter à deux reprises, d’abord en l’évoquant à Wilson, son compagnon de cuir sur l’île, puis en se confiant à son ami et collègue, qui entre-temps aura perdu sa femme d’un cancer – Le film s’était permis de creuser cette relation avant le voyage qui le mena au crash, et l’inquiétude de cet homme quant à la maladie de sa femme. Plus j’y pense, plus je me dis que le vrai vertige de Seul au monde, c’est le temps et les bouleversements qu’il entraine par les absences. Hanks parle de sa tentative de suicide, de cette corde, de cette branche qui s’est cassé sur ce promontoire. Et c’est bouleversant. Une fois parce qu’il en parle, gêné, à un ballon-ami qui n’est autre qu’une autre part de lui, pour s’excuser ad aeternam sans pour autant le dire ouvertement, mais on a tout compris. Puis dans ce plan circulaire absolument extraordinaire, dans lequel Tom Hanks n’avait jamais été aussi touchant et magnétique.
Le film ira jusqu’à refuser le happy end tant attendu mais tout en l’offrant de façon éphémère. Chuck retrouve Kelly, Tom Hanks retrouve Helen Hunt, celle qu’il avait demandée en mariage avant son départ, cinq ans auparavant. Tous deux s’aiment encore follement, mais tous deux vont accepter que leur histoire n’a plus d’avenir, puisqu’elle a déjà refait sa vie, elle s’est remarié, elle a un enfant. C’est Les parapluies de Cherbourg, quoi. Heureusement le film choisit de s’en aller sur une note plus chaleureuse, qui confirme que Zemeckis est un grand romantique mais qui rappelle qu’il n’est pas si désespéré et qu’au détour d’un carrefour et d’un symbole ailé sur une voiture, la possibilité d’un autre bonheur n’est pas exclue.
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