La fragilité des conquérants.
6.5 C’était fin février, je faisais une pause dans mes rattrapages César, pour aller voir Ulysse & Mona, le dernier Betbeder, certes un peu mineur dans sa filmographie, mais tout à fait réjouissant malgré tout, et même plutôt émouvant dans son dernier tiers. Je rêve d’un monde parallèle où l’on verrait des films comme celui-ci aux César, et pas forcément celui-ci (Betbeder a fait mieux, je me répète) mais où il serait devenu « la norme » de choisir entre, je sais pas moi, Maya de Mia Hansen-Love, Suite armoricaine de Pascale Breton, Paul Sanchez est revenu ! de Patricia Mazuy, Tonnerrre de Guillaume Brac, Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador et par exemple, Deux automnes, trois hivers de Sébastien Betbeder. Le rêve. On peut toujours rêver.
Si Ulysse & Mona est une (semi) réussite plus ténue, ce n’est pas bien grave, au contraire, c’est cool d’avoir la possibilité, l’accès en salle à un film comme celui-ci aujourd’hui, en ces temps de comédies fanchouillardes merdiques à la pelle. Ulysse & Mona est donc une comédie, oui, dans la veine du dernier Salvadori, une comédie douce-amère donc, mais dotée d’une humilité supplémentaire, une originalité qui le place dans aucun courant, aucune mode. Un film capable de citer ouvertement l’un des plus beaux du monde : The Swimmer, de Frank Perry, lors d’une scène qui a tout pour virer au ridicule mais qui s’avère magnifique. Un film qui n’appuie jamais sur le burlesque mais qui le temps d’une scène t’en délivre à se tordre, dans une station essence : Une scène très drôle mais qui par ailleurs sonne très réaliste et tragique aussi dans ce qu’elle raconte de la France d’aujourd’hui. Et c’est aussi ce qui me plait dans le cinéma de Betbeder à savoir qu’il est capable d’être irrésistible mais accompagné d’une mélancolie terrible, c’était déjà le cas dans ses précédents films.
C’est l’histoire d’une rencontre insolite entre une étudiante aux Beaux-Arts et un artiste contemporain oublié de tous, excepté de cette étudiante aux Beaux-Arts, qui souhaite tellement le rencontrer qu’elle fait sa rencontre (Sur un terrain de tennis, après avoir traversé une forêt) et l’aide à retrouver les chemins de la création. Et c’est ainsi que Mona sera l’instigatrice de sa résurrection et l’accompagnatrice de voyage d’Ulysse, qui à l’instar de Burt Lancaster dans le film de Frank Perry, va revoir ceux qu’il a cabossés, laissés de côté, jadis, pour vivre sa vie d’artiste. Le récit est par ailleurs affublé d’un « truc » narratif non pas superflu, mais qui charge sans doute trop la mule. La simple idée des retrouvailles et du voyage à deux suffisait, à mon humble avis. Disons que cet élément facilite l’intégration de Mona dans la vie d’Ulysse, mais j’aurais préféré que ça s’opère autrement.
Et il y a Eric Cantona. Il fait de curieux choix, Canto, au cinéma. Au milieu d’autres aventures cinématographiques plus discutables, il choisit de jouer chez Ken Loach (Looking for Eric) ou chez Yann Gonzalez (Les rencontres d’après minuit) voire déjà chez Betbeder, dans Marie et les naufragés. Quoiqu’on pense de ces trois films – Personnellement, je ne les aime pas beaucoup – On ne va pas dire qu’il se risque, mais il fait des choix, disons plus salutaires que n’importe quelle star (du sport ou autre) vieillissante. J’imagine qu’il ne fait pas ces films pour le cachet, quoi. Quoiqu’il en soit, le rôle lui va à merveille. Quant à Manal Issa qui incarne Mona, qu’on a vu dans Nocturama, elle est absolument géniale de candeur et détermination. C’est un tout petit film, mais un beau.