Publié 9 avril 2019
dans Luc Moullet
Le randonneur se rebelle.
7.0 C’est en tournant dans Cabots, une farce sur un réalisateur obligé de tuer un chien pour les besoins d’un tournage, qui récolta attaques en tout genre, que Moullet comprit qu’il existait une religion du chien et qu’il n’était pas de bon aloi de tourner cet empire en dérision. Il va donc contourner la censure et faire ce documentaire, très drôle, très corrosif, sur une société à son paroxysme de l’absurde, dans lequel il filme les toilettages, les produits de beauté, les concours, un cimetière canin (Unique cimetière de Paris où il faut payer pour entrer, n’hésite-t-il pas à dire) mais aussi les caninettes en action, car dit-il un moment donné – où l’on sent que son filtre est un peu tombé : Paris est devenu la capitale de la merde. On voit donc des chiens en train de chier en toute impunité. Puis Moullet demande à une enfant : « Pourquoi appelle-t-on un chien, un chien ? » Parce que ça chie partout, répond t-elle. Alors quand Moullet se défroque et choisit son arbre, il est agressé par une avalanche de sifflets de police. Et le film varie ainsi entre le ton neutre qu’impose le genre du documentaire sur les bêtes, et un second degré réjouissant, qui finira même par filmer un défilé de motocrottes accompagné par l’élan épiques des premières secondes de La chevauchée des Valkyries, de Wagner. Auparavant, on apprend que les dépenses de produits pour chiens en France dépassent le PIB du Sénégal, qu’on peut insérer une page toutou dans un journal qui fera cinq lignes sur les morts de Soweto. Plus qu’un film pour ceux qui n’aiment pas les chiens, L’empire de Médor est un film contre ceux qui préfèrent les chiens aux humains. Moullet ne manque pas de rappeler dans la présentation du film (hors film, donc) qu’en tant que randonneur chevronné, le vrai danger ce ne sont pas les chutes ni les animaux sauvages, mais les chiens non tenus en laisse.
Publié 9 avril 2019
dans Luc Moullet
Qui aime bien châtie bien.
6.0 Il s’agit du premier film réalisé par Luc Moullet. Vingt minutes qui se déroulent entre salle à manger et cuisine, dans un petit appartement, le sien, dans lequel il filme son petit frère, qui plus tard lui fera la musique d’Une aventure de Billy le kid, et qui jouera dans Les carabiniers, de Godard. Il filme aussi déjà Françoise Vatel (qu’on retrouvera plus tard dans Brigitte et Brigitte, entre autre) autour d’un déjeuner à se chamailler et bien entendu autour d’un steak trop cuit. Moullet raconte que ce film est né grâce au papier (à l’époque il écrivait dans Les Cahiers) sur A bout de souffle, qui poussa Godard à demander à De Beauregard, son producteur, de produire son premier film. On peut aussi penser qu’il répond à Charlotte et son steak, de Rohmer. Le minimalisme du décor, mais aussi des mouvements de caméra et l’aspect bricolé renforcé par une post synchro très approximative, sont compensés par la truculence des dialogues et cet impertinence si propre à son auteur, qui s’amuse ici à apparaitre en voisin grimé en Godard, mais aussi à faire déchirer quelques pages des Cahiers du cinéma, mais aussi à insérer quelques sous titres pour traduire l’argot du frère. Le garçon est rustre, certes, mais quand il va chercher des saucisses chez sa voisine, c’est un nounours. La fille est amoureuse et pense à son rencard du soir, espérant laisser la corvée de vaisselle à son frère pour ne pas le manquer. Et les dernières minutes son très douces, Moullet filme la complicité frère et sœur, avec en point d’orgue ce baiser sur le bout du nez contre une corvée. C’est assez chouette. On retiendra une jolie réplique : Au « T’as de beaux yeux » de son frère, Françoise répond : « Jojo, aujourd’hui une fille qui n’a pas un beau regard est une fille perdue ! » Pas impossible que De Beauregard ait accepté de produire Un steak trop cuit sur ce jeu de mots.